Marie est-elle de
droite ?
« Marie ou la libération humaine »
Golias Éd.
Père Tissa
Balasuriya
Oblat de Marie
Immaculée
théologien catholique du
Sri-Lanka
.
Voici quelques extraits de
cet important livre
28 mai 2005
On vénère et on aime Marie
en tant que Mère de Dieu dont
on invoque la protection et le refuge lorsqu'on est en danger et dans
le besoin, et que l'on veut imiter en tant que l'être humain le
plus parfait après Jésus.
Nous nous efforcerons de voir comment la dévotion
traditionnelle de l'Église a influencé la
spiritualité chrétienne.
[...]
La compréhension populaire de
Marie s'exprime dans les
dévotions mariales liées aux lieux de
pèlerinage, à la célébration des
fêtes et aux prières récitées par les
chrétiens. Parmi ces dévotions les cantiques à
Marie sont importants en ce qu'ils expriment dans la musique et avec
sentiment le contenu de la foi catholique ainsi que
l'espérance en Marie.
[...]
Les prières et les cantiques sont
des révélateurs de la
foi et de la théologie qui prédominent à un
moment donné.
[...]
Le Magnificat renferme un message social radical :
Il disperse les hommes au
coeur orgueilleux
Il renverse les puissants de leurs trônes
Il élève les humbles.
Il rassasie de biens les affamés
Il renvoie les riches les mains vides...
Ce chant à portée
révolutionnaire n'est pas d'une origine récente. Il
s'inspire des paroles attribuées à Marie
elle-même dans l'Évangile selon saint Luc (1,51-53) et
renvoie à l'Ancien Testament. Nous avons donc affaire à
un chant éminemment biblique qui comporte une
référence claire à la préoccupation de
Dieu pour la justice sociale et la libération globale de
l'homme.
[...]
A la différence du
Magnificat, les autres cantiques
populaires ne perçoivent pas Marie comme participant à
la lutte vitale de son fils Jésus, dont le message de
libération radicale est totalement absent des cantiques.
Dans les cantiques Marie est présentée comme une
mère vierge et humble. Elle est la Madone très tendre,
très juste, très pure, très éclatante,
exceptionnelle. C'est une jeune fille aimante, tendre, « douce, chaste et
pure », d'une
générosité sans faille, à l'écoute
de nos prières. Son rôle est lié à la
vision selon laquelle Jésus « a payé le prix de notre
iniquité ». « Celle que le Saint Esprit a remplie de
grâce », « Vierge
entre toutes les vierges », « Lys de
la vallée », « Rose
mystique ».
Dans ces cantiques les êtres humains
sont présentés comme des pécheurs
ballottés dans une mer de tempêtes. Nous l'implorons de « nous sauver du danger et
de la peine ». « Prie
pour nous, pécheurs », « Tu es
la seule à pouvoir donner l'espoir », « Protectrice de la vie dans son plus bel éclat , Protectrice même jusqu'au tombeau » (Chant d'allégresse des oblats,
n° 95, recueil de cantiques de l'Église de
Fatima).
Nous nous avouons faibles, pécheurs,
malades, souffrants et quémandant de l'aide :
Aide-nous, aide-nous, c'est
le cri que nous te lançons
Apaise ceux qui sont tourmentés sur leur lit de
douleur.
Nous nous réjouissons de sa
splendeur :
Conçue, conçue
immaculée
Y a-t-il une joie plus grande pour moi...
Cette vision de Marie correspond à
la théologie classique traditionnelle construite autour de l'hypothèse de la chute de
l'humanité dans le péché originel et, en
conséquence, de notre incapacité à nous
échapper de cette situation de disgrâce. Il s'agit d'une
vision négative des hommes dont la grâce originelle de
Dieu est absente. D'autre part Marie est présentée
comme la vierge d'exception qui est préservée de la
confrontation aux épreuves et aux tentations de la vie.
En tant que femme, Marie est montrée comme tendre et aimante
mais non préoccupée par l'élimination des causes
(dont l'homme est responsable au sein de la société) de
la pauvreté, de l'injustice et de l'exploitation de la femme.
Si l'on insiste sur sa sexualité, c'est pour en faire une
vierge exceptionnelle parmi toutes les vierges. Elle est
située à un niveau auquel les femmes ordinaires ne
peuvent pour ainsi dire pas se hisser. D'autre part l'accent mis sur
sa virginité physique et sur sa dimension d'immaculée
attire l'attention sur le caractère sexuel et sur la
préservation du péché et de la tentation. Ceci
correspond à une spiritualité qui a mis en
évidence les vertus et les vices des relations sexuelles tout
en négligeant les autres péchés qui entachent
les relations humaines et sociales tels l'égoïsme,
l'injustice, l'exploitation et la domination du mâle ainsi que
les vertus correspondantes.
[...]
Les cantiques présentent
également les êtres
humains comme faibles, dépendants, voués au
péché, ayant besoin d'aide et de tendresse. Même
si cela est partiellement vrai, les cantiques ne nous
présentent pas comme ayant un rôle à jouer dans
la libération de l'humanité des plaies sociales qui
participent au fondement de notre détresse. Les vertus
dynamiques de co-créativité sur la terre et dans les
relations humaines sont négligées : elles sont
même déclarées à une échelle
inférieure.
Ces cantiques à la gloire de Marie
contribuent donc à faire des chrétiens des êtres
peu préoccupés par la transformation de la
société. Les chrétiens sont encouragés
à dépendre de Marie pour apporter une solution à
leurs préoccupations individuelles mais pas pour introduire le
changement radical annoncé par le Magnificat. La
spiritualité mariale intervient en faveur de femmes et
d'hommes qui au sein de l'Église, sont peu interpellés
au plan social.
[...]
Notre piété à
l'égard de Marie devient une démarche individualiste et
asociale ainsi qu'une recherche de sécurité,
étant donné notre faiblesse, notre inclination au
péché et notre peur.
[...]
L'« Ave Maria » est
la prière mariale la plus fréquemment
récitée. Des millions
de catholiques la récitent plusieurs fois par jour. La
première partie s'inspire du message de l'ange Gabriel
à Marie au moment de l'Annonciation (Évangile selon
saint Luc 1,26-38).
Je vous salue, Marie pleine
de grâce, le Seigneur est avec vous
Vous êtes bénie entre toutes les femmes
et Jésus, le fruit de vons entrailles est
béni
La deuxième partie
Sainte Marie mère de
Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et
à l'heure de notre mort
est à nouveau une invocation que lui
adressent les pauvres pécheurs. Il s'agit d'une conception du
salut dans laquelle la dimension libératoire de transformation
des valeurs, des relations et des structures est absente. Notre
statut est celui de suppliants, sans motivation pour une
participation active dans une libération sociale globale.
Comme l'Ave Maria est la prière à Marie la plus
répandue aux plans personnel et public, cette absence d'une
dynamique de libération au niveau social a un impact
considérable pour ce qui est d'anesthésier le monde
catholique. Nous n'irons pas jusqu'à dire que cet effet est
intentionnel mais il peut s'agir de la conséquence
involontaire (inconsciente) d'une prière
répétée très souvent.
La portée de l'Ave Maria serait
différente si cette prière comportait une demande faite
à Marie de nous aider en vue d'un changement radical au plan
social comme de nous aider, nous les opprimés, à
abaisser les puissants et à élever les humbles a
rassasier de biens les affamés et à renvoyer les riches
les mains vides (comme dans l'Évangile de
Luc 1,52-53).
Ceci aurait bien sûr pu devenir une
routine comme le Magnificat récité durant les
vêpres, mais il y a des chances qu'une spiritualité
mariale différente aurait pu se développer par le canal
d'une semblable prière.
[...]
Apparitions
mariales
Les apparitions de Marie constituent un exemple de la manière dont la
spiritualité mariale s'est développée dans
l'Église catholique. Généralement les
apparitions révèlent le conditionnement des
chrétiens à une époque donnée et en un
endroit particulier. Par exemple à Lourdes où Marie
apparaît à Bernadette qui dit que Marie parle
d'elle-même en tant qu'Immaculée Conception. Mais elle ne dit pas un mot de la vie de la classe
ouvrière en France à cette époque : la
croissance du capitalisme industriel en Europe occidentale
était alors à son apogée. La classe
ouvrière était durement exploitée. Marie, en
tant que Mère de tous et particulièrement comme femme
issue de la classe laborieuse, aurait dû ressentir - on le
suppose - ce fléau social comme une grave
injustice.
Marie apparaissant à Lourdes a-t-elle
au moins fait allusion aux torts énormes provoqués en
Afrique par l'armée française et par l'expansion
économique dans l'empire colonial ? Il serait
intéressant de vérifier si Marie est jamais apparue aux
chrétiens d'Angleterre pour leur parler de l'occupation
britannique en Irlande ou en Inde.
Pourquoi Marie de Lourdes n'a-t-elle pu
éclairer les chrétiens de France sur les
atrocités commises en Afrique par leurs compatriotes ?
Toutes ces exactions se passèrent pour ainsi dire avec la
complicité des Églises chrétiennes. Nous
constatons à quel point la spiritualité mariale ignore
des aspects aussi importants du témoignage chrétien.
D'autre part si Bernadette avait parlé des droits des
travailleurs français ou des indigènes d'Afrique,
Lourdes en tant que lieu de pèlerinage ne se serait
probablement pas développé comme c'est le cas depuis
125 ans.
En 1917 Marie est apparue à
Fatima. 1917 est l'année
de la révolution communiste en Russie. On a dit que
l'interprétation du message de Fatima était un
avertissement proféré contre le communisme athée
et la menace qu'il représentait pour le monde. Pendant ce
temps, le Portugal vivait sous la dictature et les Portugais
exploitaient les Africains en Angola et au Mozambique. Et pourtant
Marie semble rester muette à propos des exactions commises
à l'intérieur et à l'extérieur par le
régime portugais alors au pouvoir.
Donc cette Marie qui vient à nous et nous apparaît et
qui est reconnue par le pouvoir en place n'est pas une Marie de
libération. Elle parle du péché, de la
prière, de la conscience de leur valeur et de leur rôle
positifs dans l'Église et dans le monde.
De telles dévotions mariales ne
permettent pas aux femmes de prendre
conscience de leur dignité et de leurs droits. Les offices
religieux sont habituellement dominés par un clergé
masculin et les femmes sont là pour recevoir conseils et
bénédictions. La conscience d'une Marie, femme adulte,
mère et laïque ayant participé activement à
l'oeuvre de Jésus et à la mission de l'Église
primitive, n'est pas communiquée par ces
dévotions.
De ces apparitions, nous connaissons
seulement ce qui a été raconté par ceux qui les
ont vues. Notre commentaire ne porte pas sur Marie mais sur le
message communiqué par les témoins des apparitions.
Les dévotions mariales continuent
donc dans l'ensemble à avoir un impact qui vise à
domestiquer les femmes et les laïcs. Elles n'aident pas non plus
les religieuses à acquérir un sens accrû de leur
dignité, de leurs responsabilités et de leurs droits
dans l'Église et dans la société.
[...]
Lieux de
dévotion mariale
Les dévotions
mariales - cantiques,
prières, litanies, etc. - n'encouragent pas les
laïcs à faire pénitence dans le souci de
l'humanité et de la justice. Voilà qui est assez
différent de la Marie des Évangiles.
De la même manière, Marie, dont
on dit qu'elle a donné le Rosaire aux chrétiens, est
annexée par eux contre les Turcs dans les luttes de
l'époque. On l'invoque comme étendard des
chrétiens dans la bataille de Lépante. Elle est la « Dame des
Victoires ». On
considère comme un fait acquis qu'elle favorise les
chrétiens. Pourquoi donc favoriserait-elle un camp
- disons les Européens ?
Est-elle européenne, une
déesse chrétienne ou vraiment la Mère de
Jésus qui avait le souci de l'universel ? Voilà
comment nous créons nos déesses, les champions de nos
guerres et faisons de Marie l'un d'entre eux.
Dès lors, il nous faut scruter la
Marie de notre théologie, de notre spiritualité et de
nos dévotions populaires. Apparemment il s'agit d'une Marie
qui ne comprend pas le monde socialiste ; elle n'a pas compris
les souffrances imposées durant des siècles, par des
pays qui se disaient chrétiens, à l'Asie, à
l'Afrique et aux Amériques - ceux que l'on appelle
maintenant le tiers-monde. Cette Marie traditionnelle est une Marie
du premier monde de la chrétienté, un monde
capitaliste, patriarcal et colonialiste. Quelques exceptions sont
possibles comme dans l'interprétation de la Madone de la
Guadeloupe ou de la Vierge Noire en Pologne. Là, ceux qui
endurent des épreuves pensent à elle autrement.
Telles sont quelques-unes des
conséquences de cette mariologie. Cette mariologie envahissante ne laisse d'espace
aux personnes que dans la mesure où elles peuvent attribuer
à Marie le genre de message qu'elles veulent bien entendre.
Ceux qui déterminent et dominent la pensée
théologique sont ceux-là même qui décident
de l'authenticité de n'importe quel message de cette
mariologie
[...]
__________________________________________________________________
« Marie ou la libération
humaine », Tissa
Balasuriya Golias Éd.
Voir aussi
Gilles Castelnau
L'Assomption de Marie
Les protestants et Marie
La spiritualité protestante, les fêtes que les protestants ignorent
Fatima
La leçon de Marie à Jésus
Max Ernst
Jésus fessé par Marie
Tissa Balasuriya
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Le culte de la vierge Marie, pourquoi ?
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