.
Il y a une grande
différence entre d’une part la
véritable Marie, mère de Jésus et d’autre part,
le personnage qu’une certaine tradition a
élaboré.
J’en parle sans faire le
moins du monde de l’anticatholicisme à
l’égard de nos sympathiques partenaires
catholiques et de mes amis prêtres :
beaucoup d’entre eux sont très contents que nous
disions tout haut, nous protestants, ce qu’ils
pensent, eux, tout bas. On se souvient que
plusieurs dizaines d’évêques ont adjuré le pape Pie XII de ne
pas promulguer le dogme de l’Assomption, ce qu’il a
pourtant fait le 1er novembre 1950
en s’appuyant – ce fut la première fois
dans l’histoire de l’Église catholique –
sur son « infaillibilité »
qui lui avait été reconnue en 1870 par le
concile de Vatican I :
« Nous
affirmons, Nous déclarons et Nous définissons
comme un dogme divinement révélé
que l'immaculée Mère de Dieu, Marie toujours
vierge,
après avoir achevé le cours de sa vie
terrestre,
a été élevée en corps et en âme à la gloire
céleste. »
Ce dogme est analogue à
celui de l’« Immaculée conception »,
promulgué par le pape Pie IX
le 8 décembre 1854. Ce dogme ne
concerne pas la naissance miraculeuse de Jésus
mais celle de Marie qui a été « conçue
immaculée », c’est-à-dire sans
être marquée par le « péché
originel ».
Ces deux dogmes vont de pair avec les nombreux
titres honorifiques qui lui sont
traditionnellement attribués dans la piété
catholique : Reine du
ciel, Rose mystique, Étoile du matin, reine
des anges...
Notre spiritualité
protestante suit un chemin bien différent.
Nous centrons notre foi, notre espérance et
notre amour sur la présence et la grâce de Dieu
qui transfigure notre vie humaine, nous
dynamise, nous apaise, nous renouvelle, nous « sauve ».
Une présence divine qui monte en nous, selon le
témoignage intérieur du Saint-Esprit.
Ce n’est pas ainsi que nous voyons Jésus
s’approcher des femmes dans leur situation
quotidienne, souvent aux prises avec de
terribles problèmes et assumer leur
situation : que l'on pense par exemple aux
repas pris avec les prostituées ou à la scène de
la femme adultère menacée de lapidation en
Jean 8, qu’il sauve en disant :
« Que celui qui est
sans péché jette le premier la pierre contre
elle ».
Ce n’est pas dans une
élévation au ciel, en dehors des
problèmes de ce monde que nous comprenons
l’action de Dieu en faveur des femmes en butte
aux problèmes de contraception, d’IVG, de sida,
de divorces et de remariages, d'oppression
masculine, d’élever seule des enfants avec un
revenu insuffisant.
La présence de Dieu tonique, encourageante,
fraternelle et compatissante ne propose pas aux
femme le modèle d’une « rose
mystique » toujours vierge et déjà
glorifiée dans la pureté céleste. Sa créativité
monte en elles pour leur donner le courage de
vivre et la force intérieure qui nous fait tenir
tous – et toutes – debout et droits
sur nos pieds.
C’est cela que Jésus-Christ nous a fait voir et
que les évangiles nous rapportent. Il ne s’agit
pas de contempler une « Reine
des anges » qui viendrait obtenir
d’un Dieu tout-puissant qu’il règle
surnaturellement nos problèmes :
« Sainte-Marie,
mère de Dieu
priez pour nous, pauvres pécheurs
maintenant et à l’heure de notre mort ».
Sauvés par grâce, nous ne
sommes pas de « pauvres pécheurs »
et nous n’avons pas besoin qu’une « Étoile du matin »
intercède auprès de Dieu - encore moins à l’heure de notre mort
alors que c’est ici et maintenant que Dieu nous
rend capables de la vie pleine et réussie digne
de ses enfants -
Enfants de Dieu, c’est
avec joie et confiance que nous puisons en nous
le courage de vivre et la force surnaturelle que
le saint-Esprit fait monter en nos âmes.
Ce courage de vivre et cette force surnaturelle
montait, certainement, dans le cœur de Marie
– la vraie Marie, la mère de Jésus,
lorsqu’elle l’éduquait – fort bien, j’en
suis sûr !
Le tableau du Caravage mis
ci-dessus en exergue représente une
scène symbolique où Marie apprend à son fils,
avec tendresse et fermeté, que l'on peut marcher
sur les serpents, qu'il le faut, qu’il s’agit de
l’attitude de tous les enfants de Dieu dignes de
leur vocation. Elle l’encourage à surmonter sa
peur et sa répulsion bien naturelles, à résister
à la tentation de la fuite, de
l'indifférence ; à ne pas pactiser,
transiger, chercher son seul avantage, son seul
profit, son égoïsme, son prestige..... son
niveau de vie !
Max Ernst, Jésus fessé par Marie, 1926
Ce tableau de Max Ernst ne
suggère pas la raison pour laquelle Marie punit
ainsi Jésus – dont l’auréole a roulé à ses
pieds. On ne peut s’empêcher de penser que d’une
manière ou d’une autre il s’est dérobé à sa
vocation, à laquelle Marie le ramène avec
conviction et... vigueur.
Marie, « bénie
entre toutes les femmes » parce
qu'elle s’est impliquée de façon privilégiée à
la grande œuvre de Dieu en faisant émerger Jésus
des brumes de l'enfance jusqu'à être pleinement
le Christ.
Bien d'autres, avec elle, y
ont aussi contribué : Luc
mentionne les rabbins
enseignant dans le temple, qui s'émerveillaient
de l'intelligence avec laquelle Jésus comprenait
les choses de Dieu : souvenons-nous de
l'aisance avec laquelle, plus tard, il citait le
prophète Ésaïe dans la synagogue de Nazareth
pour y enraciner sa vocation
(Luc 4. 17).
Joseph aussi, bien
sûr, dont la Bible ne nous rapporte que la
profession et le nom. Tous ceux, modestes
inconnus qui lui ont appris, comme nous le
faisons encore aujourd'hui pour nos enfants, à
se reconnaître dans les récits bibliques :
eux aussi, à leur manière, lui ont appris à « marcher sur les
serpents ». Jusqu'à ce que ni
maître ni mère n'aient plus d'importance :
« Heureuse est la
femme qui t'a porté en elle et qui t'a
allaité »
lui crie quelqu'un.
Mais il répond :
« Heureux plutôt
ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la
gardent » Luc 11. 28.
Les
« apparitions » de Marie
Lourdes
1854
Les protestants ont pour
habitude de comparer toute affirmation
spirituelle à la Bible. Et justement les récits
des « apparitions »
de Marie, en 1854, à la petite Bernadette Soubirous
ne sont en rien comparables avec le Magnificat
que Luc nous rapporte :
Dieu renverse
les puissants de leurs trônes et il élève les
humbles.
Il rassasie de biens les affamés, il renvoie les
riches à vide.
La vraie Marie,
représentant le dynamisme créateur de Dieu
envers les humbles et les affamés – c’était
le cas de ces pauvres paysans - n’aurait
pas fait marcher
Bernadette à genoux jusqu'au fond de la
grotte, embrasser le sol, pourtant sale et
dégoûtant, manger de l’herbe, boire de l'eau
d’une flaque et se barbouiller la figure de
boue.
La présence de Dieu insuffle son dynamisme
créateur au cœur des humbles et leur donne le
courage d’affronter leur misère, de se relever,
de vivre, en même temps qu’il dénonce
l’indifférence ou l’oppression (au 19e siècle !) des
dirigeants de l’époque.
Or, dans les récits des « apparitions »
de Lourdes - et l'on pourrait dire la même chose
de Fatima, de la Salette etc. -« Marie » ne
s’adresse pas aux adultes, ne dit pas un mot à
Bernadette du courage et du dynamisme que les
pauvres de Lourdes et de France, si durement
traités, peuvent puiser en eux pour parvenir au
relèvement économique, social, politique que
l’idéologie du Second
Empire ne leur permettait pas. Comme si
Marie ne se préoccupait en rien des fléaux
sociaux et des graves injustices dont ils
souffraient. Comme si elle s’était détournée de
son Magnificat.
Si « Marie »
avait dit l’Évangile à Lourdes et encouragé les
pauvres paysans à regagner leur dignité, on en
parlerait aujourd’hui différemment, les
pèlerinages auraient une tout autre
allure et on ne célébrerait ni l’Assomption le
15 août ni l’Immaculée
conception le 8 décembre !
La vraie Marie, l’épouse de
Joseph, qui avait si bien élevé Jésus
et, comme dit l’évangéliste Marc ses frères
Jacques, Joses, Jude et Simon et ses sœurs, me
semble avoir été fort bien représentée par le
Caravage lorsqu’elle apprenait à Jésus à marcher
sur les serpents et sur toute la puissance de
l’ennemi et Max Ernst lorsqu’il avait besoin
d’être remis sur le droit chemin.
La vraie Marie, notre sœur,
exemple d’une fille de Dieu.
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Voir aussi
Gilles
Castelnau
Les
protestants et Marie
La
spiritualité protestante, les fêtes que les
protestants ignorent
Fatima
La leçon de
Marie à Jésus
Max Ernst
Jésus
fessé par Marie
Tissa
Balasuriya
Marie
est-elle de droite ?
Alain
Houziaux
Le
culte de la vierge Marie, pourquoi ?
Jean Besset
Marie