Que peut-on croire aujourd'hui
Marie
pasteur
Jean Besset
9 septembre 2008
Conformément à une
tradition solidement acquise dans le protestantisme, je ne prendrai pour information que des textes
bibliques. Je m'intéresserai à elle dans une lecture
naïve sans tenir compte de la théologie sous jacente de
l'un et l'autre évangile. Je ne tiendrai pas compte des
écrits modernes à son sujet et j'essayerai d'oublier ce
que la tradition en a dit. J'essayerai de porter sur elle le regard
d'un homme raisonnable, qui prend l'Evangile pour ce qu'il est :
un document qui figure parmi les textes que l'on dit « sacrés », c'est à dire qu'on aborde avec le
respect que l'on doit à toute la tradition qui se
réfère à lui pour ouvrir un chemin vers
Dieu.
Je constate d'abord qu'on ne parle
d'elle qu'au début et qu'à la fin des
Evangiles et très peu
dans le corps des évangiles eux-mêmes. Il est
question d'elle au commencement de la vie terrestre de
Jésus pour l'accueillir dans le monde des humains. Elle
est au pied de la croix, comme pour lui ouvrir le monde de
l'Eternité. L'Evangile de Jean nous la fait apparaître,
pour la dernière fois comme une femme sans voix confiée
à l'apôtre bien aimé, le plus énigmatique
des apôtres. Les dernières paroles de Jésus
supplicié, sont pour sa mère terrassée par la
douleur et soutenue par son meilleur ami. Ailleurs, dans
les Evangiles seul l'épisode de Cana et celui de
la découverte de Jésus au temple font allusion à
elle. Nous en reparlerons bien sûr.
Arrêtons-nous à l'épisode de la
croix. La sobriété du
texte ne dit rien d'autre et ce que j'en ai déjà
dit à savoir son chagrin n'est suggéré que
par la propre émotion du lecteur. On ne dit rien du
regard des autres qui pèse sur elle. Elle n'entend rien, ne
voit rien. Sent-elle seulement la pression de la main de Jean sur son
épaule. Pas besoin de mots pour décrire cette
détresse, les mots ne feraient que trahir l'émotion
intérieure. Elle est là comme si avec
l'exécution de son fils qui meurt, la fin du monde
était arrivée. En aucun cas ce que je viens de
dire n'est formulé. En aucun cas il est dit quoi que ce soit
du rôle que Dieu pourrait lui réserver. A la mort
deJésus, aucun programme ne semble être
réservé à Marie. Elle ne fait pas partie
d'un projet divin comme semblait le
suggérer les évangiles de l'enfance c'est
à dire les textes du début de l'Evangile de Matthieu et
de Luc. Jean et Marc ignorent l'enfance de
Jésus.
Venons en donc aux Evangiles de
l'enfance. L'évangile de Luc
nous offre un décor comme s'il s'agissait d'une
pièce de théâtre. Ce décor
opère un contraste curieux avec le vide de la
scène du Golgotha. Nous sommes dans une ville de
Galilée, et d'ouverture de rideau un ange prononce des
paroles d'envoi. On dirait des alexandrins : « Je te salue toi à qui une
grâce a été faite... » Il annonce tout le programme qui se déroulera
par la suite. C'est le programme d'une tragédie antique.
Marie écoute et s'émerveille, tout semble avoir
été programmé d'avance par Dieu et tout se
déroulera comme il l'a voulu. Les obstacles insurmontables que
présente la nature humaine sont surmontés sans que cela
ne pose aucun problème. La virginité de Marie et la
naissance d'un enfant sans qu'elle connaisse un homme ne semble poser
aucun problème. Aux merveilles succèdent les merveilles
et rien n'altère le déroulement du plan divin.
Pour continuer la merveille, la vieille Elisabeth accouche d'un fils
et Zacharie retrouve la parole. Le plan de Dieu se
déroule comme prévu. Marie elle-même, telles les
petites prophétesses en terre cévenole se met
à prononcer des paroles sublimes qu'elle cueille sur la bouche
des prophètes de jadis pour composer le seul
cantique transmis par le Nouveau Testament : « Je magnifie le nom du Seigneur, je suis
transportée d'allégresse. »
Quel contraste entre l'euphorie
irréelle de la période de l'enfance et cette
scène tragique où le fils agonisant a pour souci ultime
le bien être de sa vieille mère après sa mort.
L'euphorie des premiers temps est oubliée, la voix de l'ange
s'est tue, le ciel semble s'être fermé, Marie
elle-même tel Zacharie semble être devenue muette
jusqu'à la fin des temps. Pour elle l'Evangile
s'arrête sur ce long silence, terrassée par la
douleur et l'incompréhension. Elle fera encore une
brève apparition silencieuse au début du
Livre des Actes et ce sera tout.
Lue à travers l'Evangile,
l'histoire de Marie ressemble à une
tragédie qui s'ouvre sur une
promesse et qui s'achève sur un tragique silence quand le
rideau tombe et que les spectateurs atterrés n'osent pas
applaudir. Sans doute la pièce n'est-elle pas finie,
même si l'héroïne ne joue plus aucun rôle et
ne prononce plus une seule parole. Les croyants n'ont pas
supporté ce silence final. Au lieu de l'accepter comme
tel et d'accepter toutes les questions que cela pose, ils ont
rajouté une suite que nous connaissons bien. Marie selon eux a
rejoint son fils dans le ciel où elle est devenue la
mère de Dieu, saluée comme telle par les conciles et
vénérée à l'égale du Christ
dans les Eglises d'Orient et d'Occident. Pourtant à la suite
des Evangiles c'est en tant que mère du fils de l'homme, et
par extension mère des hommes qu'il faudrait la voir et non
pas mère de Dieu ! C'est sous les traits de
mère de Jésus qu'elles est perçue par les
Evangiles dans les quelques textes où on parle d'elle.
Nous devons sa première
intervention à la plume de Luc. Jésus a douze ans. Il a quitté
la caravane qui le ramène avec ses parents à Nazareth
après un pèlerinage. Marie nous est
présentée comme une femme inquiète en
compagnie de Joseph elle est à la recherche de son
fils qui découvre sa vocation auprès des rabbins
pieux qui séjournent dans le Temple à Jérusalem.
Il participe à un interminable débat rabbinique, il n'a
pas vu passer le temps, la caravane est partie le laissant à
ses entretiens érudits, tandis que ses parents inquiets
rebroussent chemin pour le chercher. A Marie qui il lui fait
des reproches, il n'exprime aucun regret et lui donne pour toute
explication : « Il
fallait bien que je m'occupe des affaires de mon
Père ».
Elle n'y comprend rien, elle est dépassée par les
événements, quant à Joseph qui ne dit rien, il
n'en pense pas moins. Devant les doctes savants, Marie
n'intervient pas. Elle qui avec une clairvoyance
étonnante avait vu un nouvel ordre des choses
s'établir dans un futur proche, ne comprend plus rien. Elle
avait dit en effet dans le « Magnificat » Luc 1/47-55 : « Il a jeté les puissants à
bas de leur trône, il a élevé les humbles,
les affamés, il les a comblés de
biens »
Ces paroles que tout le monde
connaît ont été écrites
après coup par la tradition ou par la plume de Luc pour les
mettre dans la bouche de Marie. En tout cas sous les portiques
du Temple de Jérusalem elle ne se souvient plus de rien, elle
ne comprend pas que l'histoire du salut est en train de
s'écrire alors qu'elle n'en sait rien et qu'elle n'y participe
pas. Son fils lui échappe et elle ne le comprend pas.
Désormais son fils prendra de plus en plus de distance par
rapport à elle et elle n'y comprendra toujours rien. Pour la
dernière fois, elle récupère son fils et le
ramène à la maison, mais il n'est déjà
plus à elle. Il parle de son Père qui n'est pas le
compagnon de Marie. La foi à laquelle il fait allusion
n'est plus la sienne ou n'est pas encore la sienne, mais les textes
ne nous en diront rien.
Bien plus tard, c'est à Cana qu'on
les retrouve (Jean 2/1-12).
Jésus est adulte et il est devenu un maître
respecté entouré de disciples. Il fait, semble-t-il,
encore la fierté de sa mère. Qui ne serait pas fier
d'avoir un fils qui a fait école et qui a désormais
rang de rabbi ?
Cependant, le fossé se creuse entre
lui et Marie. « Ne t'occupe
pas de ça » lui
dit-il alors qu'elle insiste auprès de lui pour qu'il
intervienne dans l'intendance d'un repas de noce à propos
d'une question de vin qui vient à manquer. Il ne la
désavoue pas pour autant, et elle ne perd pas la face. Il
intervient et fait le miracle espéré, le premier de sa
carrière. Mais Marie a bien compris qu'ils ne sont plus
sur un terrain d'entente, la fracture entre eux est nettement
repérable. Qui donc est ce fils ? C'est sans doute avec
ce type de réflexion qu'elle retournera chez elle après
la fête. Elle repassait toutes ces choses dans son cœur comme
il est dit par ailleurs, mais cette fois ce n'est pas pour
s'émerveiller, mais plutôt pour faire le bilan de ses
déboires et peut être même de son
infortune ?
Un jour elle n'y tient plus, il faut
qu'elle ait une discussion franche.
Son fils se marginalise de plus en plus, en même temps que
l'admiration des uns va croissante, l'hostilité des autres
s'amplifie. Il a déserté l'atelier paternel. Est-ce lui
qui en tant que fils aîné en a la
responsabilité ou a-t-il passé le flambeau à
Jacques ou a José, à Jude ou Simon ses
frères ? Il a détourné ses
compagnons, on dira ailleurs, ses disciples, de leurs obligations
familiales, et on s'interroge dans les maisons du bord du lac pour
savoir qui va s'occuper des enfants et des femmes ? Elle
pressent sans doute, que tout cela finira mal, car les mères
ont des intuitions qui leur permettent de savoir, longtemps à
l'avance ce qui va se passer. Est-ce pour le ramener à
d'autres sentiments qu'elle vient vers lui ce jour là ?
Est-ce pour des raisons économiques ou est-ce simplement pour
le voir ? Nul ne le sait, mais elle ne vient pas seule. Elle se
fait accompagner de ses autres fils. Elle en fait une affaire de
famille. On vient alors dire à Jésus que sa mère
et ses frères veulent le voir. Nous savons sa
réaction : « qui est ma mère, qui sont mes
frères, si non ceux qui font la volonté de mon
Père ». Encore son
Père, il reprend les mêmes termes que jadis enfant
à Jérusalem devant les docteurs du temple. Il ne la
reçoit pas. Sans doute la scène a-t-elle
été pénible pour Jésus aussi, mais il a
l'intention, ce jour là d'établir une rupture entre
elle et lui. On ne reverra plus Marie, si non au pied de la croix
dans l'épisode célèbre dont nous avons
parlé tout à l'heure.
Nous revenons à ce moment
où Marie, seule avec Jean si l'on en croit l'Evangile de
Jean, ou entourée de quelques
femmes selon les autres évangiles, assiste à la mort de
son fils. J'aimerais maintenant m'interroger sur la foi
de Marie. En qui croit-elle à ce moment précis ?
Qui est le Dieu qui habite sa pensée ? En qui croit-elle
au moment où toute sa vie s'effondre ? Qu'en est-il
de sa vie de croyante ? Que reste-t-il en elle de la
foi naïve de la jeune fille qui était prête
à affronter l'opprobre des foules parce que Dieu le lui
demandait ? « Je suis
la servante sur Seigneur, avait-elle
dit à l'ange qu'il me
soit fait selon sa volonté ». Comment allons-nous mettre de la cohérence
entre les scènes de l'annonciation où Marie
prophétise avec une candeur émerveillée, et
cette dernière scène où elle ne prononce pas un
mot quand son fils arrivé au bout d'une vie qu'elle n'a ni
comprise ni partagée la confie à un autre qui va la
prendre en charge et qui lui servira de fils pour l'accompagner dans
la suite de son histoire. Et c'est la suite de cette histoire qui
m'intéresse ? Ni Jacques ni José, Ni Jude ni
Simon ses autres fils ne semblent y prendre place.
On va encore la retrouver quelques jours
plus tard avec les disciples et les apôtres qu'elle a
rejoint. On peut en conclure qu'elle
a partagé le même étonnement en apprenant la
résurrection, la même foi et le même enthousiasme
à Pentecôte. Puis les Ecritures cessent de parler
d'elle. On entoure alors sa personne d'une aura légendaire qui
fera d'elle une pseudo divinité et on la parera du titre de
mère de Dieu. Mais si son histoire s'arrête là,
nous sommes en droit de nous demander ce que nous pouvons recevoir de
cette femme au sort peu commun. Sa foi naïve du
début, son rejet par son fils et son extraordinaire
fidélité à ce fils qu'elle ne comprend pas
sont un enseignement pour nous. Il y a dans tout cela l'expression
d'une foi que j'aimerais vous faire partager en achevant mon
propos, car nous allons découvrir que cette foi
est pour beaucoup de nous un modèle avec lequel
nous pouvons harmoniser notre propre foi.
En effet, on peut voir dans son histoire
l'expression de la foi de beaucoup de croyants. En effet, il n'est pas rare que la foi se
déclenche par un moment d'intense émotion où la
présence de Dieu s'impose à nous comme une certitude
incontournable. Après ce premier moment de
découverte basé essentiellement sur
l'émotionnel voire même l'irrationnel, la foi
demande à se construire à l'écoute de
Jésus. Cette émotion Marie l'a ressentie dans les
évangiles de l'enfance. Elle répond par sa totale
bonne volonté. Puis vient le questionnement que provoque
en elle cette première émotion. Elle
cherche à construire sa foi autour de celui qu'elle a
mis au monde. Elle cherche en Jésus à entendre
quelque chose de Dieu. Toutes les expériences
religieuses passent par cette étape où il s'agit
de découvrir Dieu au travers de Jésus. Nos
questions restent parfois sans réponse, on ne retrouve
plus l'émotion primitive qui nous a mis en route. Le doute
parfois s'empare de nous.
On est endroit de questionner le
Seigneur, comme Marie sans doute aurait aimé le faire : « Jésus pourquoi
est-ce si dur, pourquoi n'est ce pas comme au premier jour, pourquoi
les épreuves et le péchés sont-ils encore les
compagnons de ma vie ? » Le chemin que nous suivons à la recherche de
Jésus nous conduit au terme de la vie, à la mort c'est
pourquoi l'épisode de Marie au pied de la croix et si
important.
Ce n'est pas la mort physique
seulement à laquelle nous
sommes confrontés avec elle, c'est la mort à
nous-mêmes à nos prétentions à nos
vanités. Il faut que celui qui a été
illuminé un jour par Dieu découvre que Dieu seul peut
donner de la qualité à sa vie. Cela se
récapitule dans la mort de Jésus qui nous provoque .
C'est là l'itinéraire de Marie, elle est allée
de l'émerveillement à la découverte de la
résurrection en passant par toutes les étapes de la
construction de sa foi. Elle est passée, pour y arriver ;
par le doute et le sentiment d'abandon. Sa première
expérience dans la foi l'a cependant maintenue dans la
fidélité.
Cette fidélité
l'amène de la croix, au matin de Pâques, de la mort
à la résurrection.
Quand la découverte de la résurrection vient
habiter notre vie nous sommes arrivés aux termes des
expériences humaines qu'il était
nécessaire de faire pour être habités par une foi
adulte ! Cet itinéraire est celui de Marie, elle nous a
appris par son itinéraire particulier à
découvrir le chemin mystérieux qui conduit
à la découverte du plan de salut de Dieu pour les
hommes, si bien que Marie fait plus figure de mère des
croyants que de reine du ciel.

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