Libre opinion
Petite histoire
du libéralisme
théologique
Gilles Castelnau
9 juillet 2015
Définition
du libéralisme
Le mensuel protestant
« Évangile et Liberté »
propose la définition que voici :
Par souci de vérité et de fidélité au message
évangélique, refusant tout système
autoritaire, nous affirmons :
- La primauté de la
foi sur les doctrines.
Nous
n’aimons pas les vérités intangibles qui
prétendent enfermer le divin dans une
expression définitive. Les textes bibliques
nous invitent à découvrir la richesse de
différentes sensibilités et des discours
pluriels sur Dieu. C’est la raison pour
laquelle nous favorisons les dialogues avec
tous, croyants ou non, avec les différentes
théologies, les arts, les sciences, la culture
et, de façon plus générale, ce qui fait notre
monde.
- La vocation de
l’homme à la liberté
. Nous
comprenons l’Évangile de Jésus-Christ qui
résonne dans les textes bibliques comme un
appel à la liberté.
En valorisant l’individu,
nous portons un regard positif sur l’humain et
sur sa capacité à agir, entreprendre, prendre
sa part dans la construction d’une société
plus juste, plus harmonieuse. Nous croyons que
Dieu libère notre énergie créatrice en nous
libérant des intégrismes, des démagogies et
des tyrannies religieuses.
- La constante
nécessité d’une critique réformatrice.
En
encourageant chacun à penser ce qu’il croit,
nous refusons le divorce entre la réflexion et
la spiritualité. Les textes bibliques sont le
produit de contextes particuliers et
n’apportent pas des réponses toutes faites aux
questions d’aujourd’hui : ils sont à
interpréter.
- La valeur relative
des institutions ecclésiastiques
. Les
Églises, en tant qu’institutions, sont utiles
pour aider chacun à forger ses convictions,
mais elles n’ont pas à imposer des normes de
croyance ou de comportement. Elles ont pour
fonction de relayer l’effort de Dieu de nous
rendre plus humains.
- Notre désir de
réaliser une active fraternité entre les
hommes et les femmes qui sont toutes et
tous, sans distinction, enfants de Dieu
.
Le service du prochain nous paraît toujours
supérieur à l’exactitude des discours sur
Dieu. Le prochain n’est pas celui qui est
proche de nous mais celui dont Dieu nous rend
proche.
Manière d’être
Nous sommes des croyants optimistes. Si
nous n’ignorons rien des tragédies
contemporaines et voulons agir à notre niveau
pour qu’elles n’aient pas le dernier mot de
l’histoire, nous n’en demeurons pas moins des
êtres joyeux, faisant nôtre le mot d’ordre
biblique « soyez toujours joyeux, priez
sans cesse ! »
Nous voulons être une école de la tolérance :
nous ne condamnons pas ce qui nous est
étranger et nous reconnaissons la valeur de
l’autre. Nous ne faisons pas de la religion la
réalité dernière des êtres et des choses :
nous croyons que Dieu renvoie à une réalité
qui n’est pas religieuse, car Dieu n’est pas
la « chose » des religions, et qui
enrichit notre existence de nouvelles
possibilités.
. Être attentifs aux questions
d’aujourd’hui plutôt qu’aux réponses d’hier.
. Actualiser l’expression de la foi
chrétienne face aux stéréotypes sur le
religieux et innover dans le champ théologique
pour stimuler l’ensemble des religions.
. Favoriser le dialogue entre les
religions et l’athéisme, avec les cultures
contemporaines, au lieu de se résigner à un
choc des cultures.
. Traduire l’espérance chrétienne par
un engagement au sein de la société.
Une telle attitude de
liberté dans la réflexion spirituelle
effraye les autorités catholiques craignant que
l’on se détourne de l’autorité du pape et de
l’Église. Elle effraye également les protestants
conservateurs et les évangéliques craignant que
l’on se détourne de l’inspiration divine de la
Bible et de l’enseignement traditionnel des
Réformateurs du 16e
siècle.
C’est ainsi que le pasteur Albert Schweitzer
écrivait :
Nous ne ressentons nul besoin de nous
accrocher à l’idée sophistiquée et
indémontrable d’une Révélation, car nous
croyons que le révélé nous vient des
profondeurs de la simple pensée et de la
sensibilité, nous croyons qu’à ces profondeurs
l’âme humaine plonge dans l’Esprit infini et
qu’elle en est transie, nous croyons donc que
la pensée humaine peut toucher aux profondeurs
de l’être, sans révélation particulière.
(Sermon donné à Strasbourg le 16 janvier 1910)
XVIIIe siècle
La pensée libérale est née au 18e siècle dans le monde
des Lumières.
voir André Gounelle Penser la foi, pour un
libéralisme évangélique
Voltaire
(1694 – 1778)
Traité de la tolérance (1763)
Ce n'est plus aux hommes que je m'adresse.
C'est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous
les mondes, et de tous les temps ; s'il
est permis à de faibles créatures perdues dans
l'immensité, et imperceptibles au reste de
l'univers, d'oser te demander quelque chose, à
toi qui as tout donné, à toi dont les décrets
sont immuables comme éternels.
Tu ne nous as point donné un cœur pour nous
haïr, et des mains pour nous égorger.
Que les petites différences entre les
vêtements qui couvrent nos débiles corps,
entre tous nos langages insuffisants, entre
tous nos usages ridicules, entre toutes nos
lois imparfaites, entre toutes nos opinions
insensées, entre toutes nos conditions si
disproportionnées à nos yeux, et si égales
devant toi ; que toutes ces petites
nuances qui distinguent les atomes appelés
hommes ne soient pas des signaux de haine et
de persécution.
Que ceux qui allument des cierges en plein
midi pour te célébrer supportent ceux qui se
contentent de la lumière de ton soleil.
Que ceux qui couvrent leur robe d'une toile
blanche pour dire qu'il faut t'aimer ne
détestent pas ceux qui disent la même chose
sous un manteau de laine noire.
Qu'il soit égal de t'adorer dans un jargon
formé d'une ancienne langue, ou dans un jargon
plus nouveau.
Car tu sais qu'il n'y a dans ces vanités ni de
quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir.
Voltaire, mourant, griffonne ces derniers
mots :
Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis,
en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant
la superstition.
Jean-Jacques
Rousseau (1712 -1778)
Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève
à Christophe de Beaumont, archevêque de
Paris (18 novembre 1762).
Monseigneur, je suis Chrétien, &
sincèrement Chrétien, selon la doctrine de
l'Évangile. Je suis Chrétien, non comme un
disciple des Prêtres, mais comme un disciple
de Jésus-Christ.
Mon Maître a peu subtilisé sur le dogme, &
beaucoup insisté sur les devoirs ; il
prescrivait moins d'articles de foi que de
bonnes œuvres ; il n'ordonnoit de croire
que ce qui étoit nécessaire pour être
bon ; quand il résumoit la Loi & les
Prophètes, c'étoit bien plus dans des actes de
vertu que dans des formules de croyance, &
il m'a dit par lui-même & par ses Apôtres,
que celui qui aime son frère a accompli la
Loi.
Jean Astruc (1684
-1766)
Il a le premier à proposer une exégèse de la
Bible historico-critique. Médecin du roi
Louis XV, il était de famille protestante
obligée par les persécutions à se convertir au
catholicisme. Il était demeuré attaché à la
Bible. Il publie en 1753 un livre suggérant que
la Genèse devait avoir eu deux auteurs puisque
son premier chapitre disait :
« Dieu » et le 2e :
« Yahvé-Dieu ».
XIXe siècle
Le libéralisme que les
catholiques nommaient « modernisme »
était né suscitant par là même une crise
violente qui dura durant tout le 19e siècle et jusqu’à la
moitié du 20e
siècle.
L’attitude libérale-moderniste était soit
rationaliste et proche des athées, soit piétiste
et mystique.
L’attitude orthodoxe demeurait focalisée
sur la « révélation » du monde
d’en-haut surnaturel, objectivement réel et
présent auprès des hommes.
En Normandie, le roman La Barrière décrivait
de manière savoureuse un couple
« mixte » de protestants, tous deux
malades, recevant conjointement la visite
de leurs deux pasteurs, le libéral lisant
pieusement au mari les Béatitudes dans le Sermon
sur la Montagne alors que l’orthodoxe récitait
avec force à l’épouse le Symbole des
Apôtres !
- Dans le catholicisme
Ernest Renan (1823-1892),
professeur au Collège de France était familier
de la doctrine de l’évolution des espèces de
Darwin, de la lecture historico-critique de la
Bible et des dogmes de l’Église. Sa Vie de
Jésus, publiée en 1863, où il étudiait
Jésus comme n’importe quelle personnalité
humaine provoqua un tsunami intellectuel. Le
pape Pie IX (pape de 1846 à 1878) le
dénonça comme « blasphémateur
européen ».
A la suite de quoi le pape Pie IX publia
en 1865 le Syllabus,
Recueil renfermant les principales erreurs
de notre temps. Il y écrit :
La menace contre l’Église ne vient pas de
telle ou telle erreur particulière mais du
libéralisme qui a envahi beaucoup d’esprits. À
l’égard des grands problèmes que pose la vie
individuelle et collective, elle inspire des
solutions entièrement étrangères à la foi. Et
il y a au milieu du XIXe
siècle une sorte d’enthousiasme pour la
science, dont on attend des miracles et qui,
pense-t-on doit résoudre comme le dit Ernest
Renan : Tous les problèmes que la
Révélation résolvait jadis...
Le Syllabus contient 10 sections
dont celles dénonçant :
Socialisme, communisme,
sociétés secrètes, sociétés bibliques,
sociétés clérico-libérales
Erreurs relatives à L’Église et à ses droits
Erreurs qui se rapportent au libéralisme
moderne
Alfred Loisy
(1857-1940). C’est lui qui lança le
slogan : « Jésus annonçait le Royaume,
et c'est l'Église qui est venue. »
Il accentua la crise moderniste dans les années
1902-1908, au point que la lecture personnelle
de la Bible y fut même interdite dans l’Église
catholique. Il fut excommunié en 1908
Le Père Mare-Joseph
Lagrange (1855-1938), dominicain, fut,
au début du XXe
siècle, un excellent connaisseur des évangiles
et réussit, en prétendant ne rien affirmer de
nouveau, à ce que ses œuvres ne soient jamais
interdites par les autorités catholiques.
• On raconte qu’un jour
le pape suspendit les délibérations du
Concile pour annoncer gravement que
la Commission « Terre Sainte »
venait de découvrir à Jérusalem la véritable
tombe du Christ et qu’elle contenait son
squelette ! Le Christ n’étant donc pas
ressuscité, « notre foi est vaine »,
c’en était fini avec la sainte Église
catholique. On fermait Saint-Pierre de Rome et
on rentrait chacun chez soi.
Dans le silence consterné qui suivit, on
entendit clairement la voix d’un observateur
protestant allemand (ce sont les plus
libéraux) qui demandait à son voisin si, à son
avis, « cette découverte ne tendrait pas
à prouver que cet homme avait réellement
existé ? »
- Dans le protestantisme
Le débat entre libéraux et
orthodoxes dura durant tout le 19e siècle.
Lorsque la liberté de réunir des synodes fut
rendue au protestantisme par l’institution de la
République en 1870, un schisme s’avéra
inévitable.
Un synode national se tint à Paris du
6 juin au 10 juillet 1872. Les
orthodoxes, que l’on appelait alors
« évangéliques » (sans qu’il faille
les confondre avec le mouvement actuel du même
nom), y disposaient de la majorité et firent
finalement voter une « confession de
foi ». Rédigée de façon modérée, beaucoup
de libéraux auraient pu, à la rigueur, en
accepter les termes, mais ils refusaient qu'on
en rende la signature obligatoire pour les
pasteurs et qu'on lui donne force de loi.
Le vote solennel eut lieu le
20 juin ; les votants
étaient 106 ; les bulletins de la
majorité orthodoxe étaient blancs, ceux de la
gauche libérale étaient bleus. Le dépouillement
donna 61 bulletins blancs et
45 bleus. Seize voix de majorité...
Le protestantisme se partagea alors en
deux : l’« Église évangélique »
(orthodoxe) et l’« Église réformée »
(libérale).
C’est seulement en 1938 qu’un synode national
réuni à Lyon reconstitua l’unité en fusionnant
les deux Églises sous le nom d’« Église
Réformée de France ». Les orthodoxes
avaient fait accepter une confession de foi et
les libéraux étaient satisfait d’un
« Préambule » précisant :
...Vous lui donnerez votre adhésion
joyeusement, comme une libre et personnelle
affirmation de votre foi. Sans vous attacher à
la lettre de ses formules, vous
proclamerez le message de salut qu'elles
expriment.
Il est à noter qu’une partie des orthodoxes les
plus conservateurs refusa d’entrer dans l’unité
en compagnie des libéraux et fonda
l’« Union des Églises Réformées
Evangéliques Indépendantes ».
La
première moitié du XXe
siècle
Alors que le modernisme
catholique était empêché de s’exprimer
par les interdictions papales, le libéralisme
protestant se développait librement, notamment à
la faculté de théologie protestante de Paris
(l’autre faculté de théologie protestante, de
tendance orthodoxe, était à Montauban jusqu’en
1919, puis à Montpellier).
Citons à la Faculté de théologie de Paris l'École
de Paris, avec les professeurs
Marc (1908-1988)
et Adolphe Lods (1867-1948),
Maurice Goguel (1880-1955),
Eugène Ménégoz
(1838-1921), Wilfred
Monod (1867-1943), Louis-Auguste Sabatier
(1839-1901).
La publication de la Bible du Centenaire,
achevée en 1947 est un jalon important dans
l’histoire de l’exégèse historico-critique, car
l’hypothèse de l’époque de 4 documents
différents (J, E, D, P) constituant la base de
la rédaction des premiers livres de la Bible y
était développée.
Ce n’est qu’en 1956 que la traduction catholique
de la Bible de Jérusalem reprit ces
hypothèses désormais généralement admise dans le
monde savant.
• On raconte que Maurice
Goguel fut accueilli chaleureusement
au paradis par saint Paul lui-même :
- Professeur Maurice Goguel, en votre
honneur, je vais faire une déclaration : comme
je l'ai écrit dans mon épitre aux Éphésiens...
Maurie Goguel l'interrompit :
- Non ! J'ai clairement démontré que cette
épitre n'est pas de vous !
Le pasteur Charles
Wagner (1852-1918) jouissait d’un
rayonnement important. Il fondait le Foyer de
l’Ame (rue du Pasteur Wagner, Paris 11e) où les Parisiens de
toutes religions suivaient le dimanche ses
conférences religieuses, accueillis par cette
formule :
Entre ici ; tu ne seras l’hôte d’aucune
famille étroite, mais celui de toute la grande
famille militante et blessée, battue, mais
invincible ; tu seras l’hôte de Dieu et
tu seras chez toi.
Ferdinand Buisson
(1841-1932), Co-fondateur et président de la
Ligue des droits de l'Homme, prix Nobel de la
paix, directeur de l'Enseignement primaire,
organisa la séparation des Églises et de l'État.
Albert
Schweitzer (1875-1965),
pasteur, philosophe, musicien, quitte Strasbourg
pour s’impliquer concrètement dans la création
d’un hôpital à Lambaréné au Gabon. Ses
travaux théologiques témoignent d’un haut niveau
de spiritualité libérale. Il décrit ainsi le
sens de la vie :
Nous naviguions lentement sur le fleuve.
Nous avancions dans la lumière du soleil
couchant, en dispersant au passage une bande
d'hippopotames, soudain apparurent à mon
esprit, les mots « Je suis une vie, qui
veut vivre, parmi d'autres vies, qui veulent
vivre »
Années 1930
Les travaux de théologiens de langue allemande
pénètrent en France et en bouleversent le
paysage religieux.
Karl Barth
(1886-1968). Auteur de l’important Commentaire
de l’Épitre aux Romains et de la Dogmatique
en 28 volumes, est de théologie orthodoxe
mais il met en question les certitudes trop
assurées en affirmant que nos esprits humains ne
peuvent saisir la réalité d’un « Dieu
tout-autre » que toute déclaration élaborée
par la raison ne touche qu’une idole et qu’il
convient de laisser place à la seule révélation
divine.
A la question sempiternelle de savoir si le
serpent d’Adam et Ève a réellement
« parlé » (si l’on dit oui, on est
orthodoxe, si l’on dit qu’il non car il s’agit
d’un récit mythique, on est libéral), il répond
que la question n'est pas de savoir s'il a parlé
mais de comprendre « ce qu’il a
dit » !
La force de son enseignement, puis de son
engagement anti-nazi durant la guerre redonna du
dynamisme à une orthodoxie qui se sclérosait.
Rudolf Bultmann
(1884-1976) propose une distinction décisive
entre les lectures « mythique » et
« mythologique » de la Bible.
Il récuse la lecture mythique d’un texte.
Celle-ci consiste à considérer que le récit
d’Adam et Ève ou celui de la naissance
miraculeuse de Jésus, par exemple, est un mythe
émanant d’un monde primitif et que l’on peut
rejeter. Il reproche donc aux libéraux de
« déchirer la page » de la Bible
rapportant de tels récits.
Il propose la lecture mythologique d’un texte.
Celle-ci consiste à considérer la vérité
spirituelle, existentielle que l’auteur a
cherché à transmettre en utilisant le langage
d’une époque révolue : il reproche donc aux
orthodoxes de prendre à la lettre de telles
histoires alors qu’il faut en rechercher le sens
profond. Il faut regarder la fleur et non le pot
dans lequel elle pousse.
La
deuxième moitié du XXe
siècle
Le
nouveau libéralisme
Karl Barth et Rudolf
Bultmann commencent à être connus en France et
un énorme mouvement de redécouverte de la Bible,
le « renouveau biblique », se répand
avec, entre autres, Suzanne
de Diétrich (1891-1981) auteur du Dessein
de Dieu. De multiples groupes d’études
bibliques se développent, qui ne sont ni
orthodoxes ni libéraux. Les Cahiers
Evangile, entre autres, en font foi.
La pasteure et professeure Françoise Florentin-Smyth
(1935-2023) parcourt la France et d’autres pays
en suscitant des groupes de lecture biblique
parmi les membres laïcs des Églises et leurs
amis : elle leur fait découvrir la lecture
historico-critique que tous les pasteurs ont
étudiée à la Faculté mais qu’ils ne partageaient
pas avec leurs paroissiens. Elle suscitait
notamment des groupes d’initiation à l’hébreu
biblique.
Le souffle d’un nouveau libéralisme surgit,
vivant séduisant. Citons les théologiens
catholiques français Jacques Pohier
(1926-2007) qui publie notamment Quand je
dis Dieu,1977 ; Louis Evely (1910-1985),
la Prière d’un homme moderne, 2002 ;
Jean Vimort
(19...-1989), Je ne crois plus comme avant.
Ces théologiens ont tous été suspendus par leur
hiérarchie.
Les protestants André Gounelle
(1933-...), et à l’étranger l’Anglais John Robinson
(1919-1983) auteur de Honest to God traduit
en français sous le titre Dieu sans Dieu ;
l’Américain Matthew Fox, fondateur du
centre californien Creation Spirituality.
Paul Tillich
(1886-1965), théologien allemand réfugié aux
États-Unis est traduit en français et le
professeur André Gounelle le fait connaître par
des conférences et en réunissant un Colloque
Tillich régulier.
Tillich est sensible à la corrélation entre les
préoccupations humaines et la réponse que leur
adresse la Parole de Dieu. Ses prédications
commencent toujours par la présentation de telle
ou telle préoccupation humaine pour dire quelle
réponse Dieu apporte. Dieu ne parle pas
théoriquement et en dehors de la réflexion
humaine. Il n’est d’ailleurs pas « au
ciel » mais en profondeur, fondement de
notre être.
• On raconte que Karl
Barth, Rudolf Bultmann et Paul Tillich
profitaient d’un moment de détente sur le bord
du lac de Neuchâtel lors d’un colloque
théologique. Désirant acheter de la bière pour
eux trois au village de l’autre côté du lac,
Karl Barth y part le premier, en marchant sur
l’eau, en union au Christ ressuscité.
Les deux autres le regardent faire.
A sa suite Bultmann marche aussi sur l’eau.
Quand c’est le tour de Tillich, il coule à
pic.
Bultmann lui dit : « Il faut marcher
sur les pieux sous-marins ».
Et Barth s’exclame : « Il y a des
pieux ? »
Le Process.
André Gounelle fait aussi connaître la théologie
du Process : Le dynamisme
créateur de Dieu : Essai sur la théologie
du Process, 1981. Il s’agit de ne
pas voir Dieu comme un Être extérieur au monde
et intervenant selon ses désirs pour influencer
l’histoire des hommes mais comme l’Élan créateur
dynamisant, réorientant, le passage de la vie
des êtres et des hommes vers une situation
nouvelle, meilleure, vers un épanouissement plus
satisfaisant, comme la libération d’Égypte ou la
Résurrection de Jésus.
Sea of Faith.
Don Cupitt (1934-…) est
un prêtre anglican dont une série d’émissions
télévisées à la BBC à Pâques 1984 provoqua un
énorme mouvement de renouveau libéral spirituel.
Un important réseau internet nommé « Sea of Faith », des
groupes locaux, des conférences s’étendant
rapidement à l’ensemble du monde anglo-saxon.
Le « non réalisme ». Les membres du
réseau Sea of Faith se nomment eux-mêmes ainsi,
en reprenant le vocabulaire de la scolastique du
moyen-âge, dans la mesure où ils ne croient pas
à l’existence « réelle » des images
véhiculées par le langage religieux. Elles n’ont
pas de « réalité » en elles-mêmes.
Dieu, le diable, le ciel, l’enfer, le bien, le
mal, la vérité, la beauté n’ont pas d’existence
métaphysique « réelle » mais sont des
constructions de l’esprit humain. La doctrine
chrétienne provient de l’effort de rendre compte
dans un langage humain et intelligible de
l’expérience de la présence transcendante de
Dieu. Les énoncés religieux sont une
construction humaine.
Début du
XXIe siècle
La lecture
historico-critique de la Bible prend un
tournant nouveau avec les travaux des
professeurs Israël Finkelstein (1949-…)
qui est un Juif israélien, La Bible dévoilée ;
Pierre Bordreuil
(1937-2013), Français protestant et Françoise Briquel-Chatonnet,
Française catholique, Le Temps de la Bible
et Thomas Römer (1955-...)
Allemand protestant, L’Invention de Dieu.
Au lieu de chercher des preuves archéologiques
de la vérité historique de la Bible et
d’écrire des livres du genre de La Bible a
dit vrai, ils s’efforcent de reconstituer
l’histoire du Moyen-Orient ancien à partir des
documents historiques et archéologiques
disponible et dans un deuxième temps d’évaluer
comment s’y situent les textes bibliques.
Un visage entièrement nouveau de la Bible
apparaît alors. La rédaction des récits
traditionnellement considérés comme les plus
anciens (Abraham, Moïse et la Sortie d’Égypte)
est désormais située tardivement, pendant l’Exil
à Babylone du VIe
siècle av. JC ou même après. En effet, aucun
document d’époque ne conforte leur historicité
et d’ailleurs les textes anciens de la Bible
(Esaïe, Michée, Osée, Amos, Jérémie) ne les
mentionnent jamais. Leur historicité est donc
radicalement mise en question.
Ce nouveau libéralisme entre frontalement en
conflit avec les conservatismes orthodoxe,
évangélique et juif.
L’orthodoxie traditionnelle catholique ou
protestante n’est d’ailleurs plus guère un
obstacle au libéralisme dont les données
historiques et critiques sont généralement
adoptées dans tous les milieux instruits.
Le conflit est celui qu’opposent les
« évangéliques » fondamentalistes,
attachés aux « fondements »
indiscutables à leurs yeux de la foi
chrétienne :
- la divinité du Christ ;
- sa naissance virginale ;
- le sacrifice substitutif de la croix
- la résurrection corporelle lors de la seconde
venue du Christ ;
- l'autorité et l'inerrance verbale de la Bible.
Le conflit est aussi celui qu’opposent les
athées et agnostiques laïcs à un christianisme
qu’ils identifient à l’étroitesse de vue des
fondamentalistes.
Le christianisme
progressiste anglo-saxon
Récemment, une réflexion venue du monde
protestant anglo-saxon de Nouvelle Zélande
appelle les libéraux à s’ouvrir à nouveau à la
tradition du christianisme social qui était la
leur au XIXe siècle
et qui est effectivement aujourd’hui trop
oubliée.
Le pasteur qui s’en fait la championne, Margaret Mayman, pasteur
de l’Église unie de Nouvelle Zélande,
actuellement en poste à Sydney, Australie
écrit :
Le christianisme progressiste est proche de
la théologie de la Libération et de sa passion
pour la justice.
Il s’accorde avec la
théologie libérale pour déconstruire la
théologie médiévale et rendre aux croyants
leur intégrité intellectuelle.
Le libéralisme a raison de s’intéresser à ce
que l’on pense ou croit mais devrait
s’intéresser davantage à la manière dont il
vit. Il s’est trop mué en philosophie
religieuse faisant de Jésus un sage de
l’ancien temps. Il a intégré, sans les
critiquer suffisamment les valeurs des
Lumières du 18e
siècle qui valorisaient les droits de
l’individu et oublie de dénoncer l’oppression
de la société.
Le libéralisme est prisonnier d’un extrême
individualisme sur les plans politique et
économique et la vie collective n’est guère
l’objet de ses préoccupations.
[...]
Le christianisme progressiste veut tester nos
croyances selon leurs conséquences éthiques et
les implications qu’elles provoquent, selon
qu’elles sont vraiment créatrice de vie, de
justice et de fraternité.
Nous avons une attitude positive et sans
crainte à l’égard du monde considéré comme
notre cité. Nous sommes ouverts à la science,
nous partageons les valeurs de bien d’autres
hommes, nous discernons la présence de Dieu
dans de nombreuses autres cultures, dans les
arts et les philosophies, nous promouvons la
guérison du monde et nous approuvons les
réflexions et les recherches des fidèles des
autres religions.
[...]
Récuser les règles de pureté au nom de la
compassion et garder table ouverte pour les
exclus sont des pratiques de la nouvelle
justice de Jésus que nos communautés
progressistes du 21e siècle doivent prendre
comme exemples dans leur conduite et dans leur
culte. Elles étendent le refus de l’idéologie
de pureté au féminisme et au refus de
l’homophobie et élargissent la préoccupation
traditionnelle du christianisme de soutenir
les pauvres et tous ceux qui souffrent, à la
passion écologique de protéger la planète en
réduisant la pollution. Le christianisme
progressiste ne s’adresse pas seulement aux
individus mais à l’ensemble de la
collectivité.
[...]
La guérison du monde, la libération, le salut
– appelez cela comme vous voulez –
le changement social, la justice, ne sont
possibles que lorsque des hommes agissent
ensemble. Les chrétiens progressistes s’en
tiennent au souvenir de Jésus, le nomment, le
célèbrent, le ritualisent, le partagent. Ils
ne s’en attribuent pas l’exclusivité mais sont
prêts à s’allier avec tous ceux qui
s’impliquent dans la transformation du monde
pour la paix et la justice.
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