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L’invention de Dieu

 

 

Thomas Römer

professeur au Collège de France
professeur à l’université de Lausanne

 

Éd. Seuil
350 pages – 23 €

 

Recension Gilles Castelnau

 

6 novembre 2014

Cet ouvrage fondamental présente les travaux et les cours du professeur Römer au Collège de France. La méthode moderne d’étude historico-critique qu’il partage avec d’autres grands spécialistes de la Bible comme Israël Finkelstein, Pierre Bordreuil et Françoise Briquel-Chatonnet ouvre des horizons nouveaux et inattendus aux lecteurs de la Bible. Il attire l’attention sur des versets bien connus et auxquels pourtant on n’avait pas attaché d’importance.

Ce livre qui n’est pas difficile à lire – et en cela on peut féliciter Thomas Römer de la qualité de sa pédagogie – saisira et passionnera tous les lecteurs curieux de la Bible.

Voici sa table des matières qui leur mettra l’eau à la bouche et des passages qui donneront sans doute envie à beaucoup de lire le livre entier !


Introduction
Le dieu d’Israël et son nom
L’origine géographique de Yhwh
Moïse et les Madianites
Comment Yhwh devint-il le dieu d’Israël ?
L’entrée de Yhwh à Jérusalem
Le culte de Yhwh en Israël
Le culte de Yhwh en Juda
La statue de Yhwh en Juda
Yhwh et son Ashérah
La chute de Samarie et l’ascension de Juda
La réforme de Josias
Du Dieu un au Dieu unique
Épilogue et conclusion

 

page 23

Introduction

L'archéologie du Levant a fait d'énormes progrès ces cinquante dernières années ; elle s'est surtout émancipée du joug d'un milieu bibliste conservateur qui voulait que l' « archéologie biblique » prouvât que la Bible disait vrai. L'archéologie en Israël/Palestine, telle qu'elle est menée par une nouvelle génération de chercheurs comme Israël Finkelstein, Oded Lipschits, Aren Maeir et bien d'autres, insiste sur l'autonomie de l'archéologie, qui ne saurait être une discipline auxiliaire mobilisée pour légitimer telle ou telle option religieuse ou politique. Grâce à l'archéologie, nous disposons aujourd'hui d'un nombre important d'inscriptions et d'autres documents écrits, ainsi que de témoignages iconographiques (sceaux, statuettes, ostraca, etc.) qui sont d'une grande importance pour l'historien.
[...]

Vers le milieu du deuxième millénaire, le Levant est contrôlé par l'Égypte. Il est constitué sur le plan politique par des cités-États dont les roitelets sont des vassaux du pharaon. Existent aussi des entités peu intégrées, notamment les ‘apiru, des groupes vivant en marge du système politique, en conflit avec les roitelets cananéens ou servant de corvéables aux Égyptiens. Des textes égyptiens mentionnent également des nomades shasou, dont certains groupes sont caractérisés par le terme Yhw, probablement un toponyme, qu'on a souvent mis en relation avec le nom Yahwé, qui deviendra le dieu d'Israël. Ces nomades séjournent surtout dans les régions désertiques entre l'Égypte et Canaan.

La fin du XIIIe siècle est marquée par des bouleversements durant lesquels les cités-États s'effondrent. De nouvelles populations, les « peuples de la mer » venant de l'Égée ou de l'Anatolie, les Philistins, s'installent sur la côte sud de Canaan dans des villes comme Gaza, Ashdod, Ashkelon, Eqron. Ils ont une culture matérielle différente des autres habitants du pays, mais ils s'assimilent assez vite. Alors que la plupart des cités du Bronze récent se dépeuplent, la zone montagneuse d'Ephraïm et de Juda connaît un accroissement de population notable.
Il s'agit sans doute, là, des premières traces de la naissance d'Israël, tel qu'il se trouve mentionné vers 1210 dans la stèle de victoire du pharaon Merneptah. Cet « Israël » doit constituer un groupe important puisque le roi égyptien le juge digne d'être mentionné parmi les peuplades qu'il se vante d'avoir vaincues. Alors que le pharaon clame qu'il a mis fin à Israël, cette entité va commencer à se développer. Ses origines ne sont pas liées, comme le prétend le livre biblique de Josué, à une conquête militaire d'un peuple venu d'ailleurs ; il s'agit d'un processus lent et diffus dans le cadre de bouleversements globaux à la fin du Bronze récent.
« Israël » naît donc à partir des populations autochtones. L'opposition que l'on trouve dans la Bible entre Israélites et Cananéens n'est nullement une opposition ethnique, mais une construction idéologique au service d'une idéologie ségrégationniste. Le groupe « Israël » est d'abord une sorte de confédération clanique et tribale, rassemblant des groupes qui pensaient probablement déjà appartenir à un même ensemble ethnique. Cela est suggéré, par exemple, par la quasi-absence d'élevage de porcs et une culture matérielle distincte. Le point de vue selon lequel l'Israël d'avant la monarchie aurait été constitué de douze tribus est par ailleurs une invention des auteurs bibliques des époques perse et hellénistique durant lesquelles cette idée joue un rôle important pour affirmer l'unité religieuse de la Judée, de la Samarie et de la Galilée.
[...

Le récit biblique, dans les livres de Samuel, présente les origines de la monarchie autour des trois figures exemplaires de Saùl, David et Salomon. Il s'agit de récits largement légendaires mais qui gardent quelques souvenirs historiques. Saül, présenté comme le premier roi d'Israël, réussit à résister à la domination philistine et crée, dans le territoire de Benjamin et dans la montagne d'Ephraïm, une structure étatique dont il devient le chef. David, qui est en conflit avec Saül, est apparemment vassal des Philistins qui soutiennent peut-être son combat contre Saül et tolèrent la création d'un royaume concurrent en Juda, à Hébron d'abord, et à Jérusalem ensuite. Selon les récits des livres de Samuel et des Rois, partiellement repris dans les livres des Chroniques, David et son fils Salomon auraient régné sur un « Royaume uni » avec une extension immense, « de l'Égypte à l'Euphrate ». Cette idée relève plus des options idéologiques des rédacteurs bibliques qui voulaient montrer qu'Israël (le Nord) et Juda (le Sud) étaient réunis à l'origine dans un même royaume. Les grandes constructions à Megiddo, Haçor et ailleurs, qu'on voulait attribuer au roi Salomon, datent probablement d'un siècle plus tard et sont plutôt l'œuvre du roi Omri.

C'est donc dans le Nord que se développe un État assez important, dont la capitale deviendra sous Omri la ville de Samarie, alors que le Sud reste une entité bien plus modeste (on estime sa population seulement à dix pour cent de la population du Nord) et que Jérusalem est, à cette époque, une petite agglomération que le pharaon Sheshonq, lors de sa campagne vers 930 avant notre ère, ne juge pas digne de mentionner dans la liste de ses exploits militaires. Durant plus que deux siècles, Juda vit dans l'ombre d'Israël dont il est sans doute souvent le vassal.

L'historiographie biblique, notamment dans les livres de Samuel et des Rois, est pourtant rédigée à partir d'une perspective sudiste et présente le Nord et ses rois sous un angle négatif les accusant d'avoir vénéré d'autres dieux que le dieu d'Israël et d'avoir érigé des sanctuaires concurrents de celui de Jérusalem.

Sous la dynastie des Omrides (Il s’agit des rois Omri, Akhab et Yoram), au IXe siècle, Israël devient un royaume puissant dans le concert des royaumes du Levant. En témoignent de nombreux travaux de construction et, surtout, l'édification de la ville de Samarie.
[...]

Il est possible que, sous Jéroboam II, certaines traditions bibliques comme l'histoire de Jacob, qui devient l'ancêtre d'Israël, ou encore la tradition de la sortie d'Égypte furent, pour la première fois, mises par écrit au sanctuaire de Béthel.

Après le règne de Jéroboam, le déclin du royaume d'Israël commence. Vers 734, une coalition de différents royaumes du Levant, menée par Damas et Israël, veut forcer le roi judéen Akhaz à se joindre à la révolte contre les Assyriens. Cet événement a laissé des traces dans de nombreux textes bibliques. Akhaz, conseillé par le prophète Esaïe, cherche alors la protection du roi assyrien Tiglath-Pileser III dont il devient le vassal. Ce roi vainc sans problème les Araméens et les Israélites et ampute leurs royaumes d'une manière drastique.
En 727, le dernier roi d'Israël, Osée, cherche appui auprès de l'Égypte, provoquant ainsi une campagne de Salmanasar V contre Israël et la chute de Samarie en722. Le royaume d'Israël est transformé en quatre provinces assyriennes. Des déportations ont lieu (environ dix à vingt pour cent de la population totale), et d'autres populations sont établies dans le territoire de l'ancien royaume. Cette population « mixte » est l'ancêtre lointain de la communauté des Samaritains. Nous ne savons presque rien concernant la situation de cette région jusqu'à l'époque perse, où la vénération du dieu d'Israël continue.

Pour le royaume de Juda qui subsiste en tant que vassal de l'Assyrie, la chute de Samarie correspond à son ascension et surtout à celle de Jérusalem qui, jusque-là, était une localité modeste qui s'agrandit vers la fin du VIIIe siècle avant l'ère chrétienne, d'une manière importante, devenant une vraie capitale. Cet agrandissement est dû, au moins en partie, à des réfugiés provenant de l'ancien royaume d'Israël. C'est aussi à cette époque que des traditions nordistes (Jacob, l'Exode, Osée, des récits sur les prophètes Élie et Elisée et d'autres) parviennent en Juda où elles sont révisées dans une perspective judéenne.
[...]

Lorsque le roi Josias (640-609) accède au trône, selon le récit biblique à l'âge de huit ans, l'empire assyrien commence à s'affaiblir à cause des Babyloniens. La deuxième partie du règne de Josias se déroule dans un certain vacuum de pouvoir et le roi et ses conseillers en profitent pour mettre en place une politique de centralisation, correspondant au nouveau statut de Jérusalem. Le temple de Jérusalem est proclamé seul sanctuaire légitime du dieu d'Israël. Selon le récit de 2 Rois 22-23, dont l'historicité ne peut être affirmée d'emblée, Josias aurait fait disparaître tous les objets religieux assyriens du temple de Jérusalem, il aurait également détruit le symbole d'Ashérah, une déesse associée au dieu tutélaire de Juda, et annexé une partie de l'ancien royaume d'Israël.

Selon le récit des livres des Rois, cette politique d'innovation politico-religieuse aurait été initiée par la découverte d'un livre dans le temple. Bien qu'il s'agisse là probablement d'un motif littéraire, il est très possible que le Deutéronome avec lequel on a toujours identifié ce livre ait en effet été écrit, dans sa forme primitive, pour légitimer la politique de centralisation et de monolâtrie, de vénération exclusive du dieu de Juda/Israël. L'idée de la centralisation prépare en effet un des piliers du judaïsme à venir : la centralité de Jérusalem et de son temple. D'autres textes ont vu le jour sous le règne de Josias, comme les récits de conquête dans la première partie du livre de Josué, légitimant la politique d'expansion de Josias. Les scribes de Josias ont également écrit une histoire des deux royaumes pour montrer que Josias était une sorte de nouveau David. Ils ont sans doute également mis par écrit une « biographie » de Moise et d'autres traditions encore.

L'origine d'une grande partie de la littérature qui deviendra biblique se situe donc à l'époque assyrienne. L'importance de la plupart de ces écrits reste limitée au milieu intellectuel, c'est-à-dire au palais et au temple. Dans la campagne judéenne, au sanctuaire d'Hébron, on raconta sans doute des épisodes de la vie du patriarche Abraham dans une perspective théologique différente de celle ayant cours au palais de Jérusalem. L'histoire d'Abraham ne véhicule pas d'idéologie ségrégationniste mais insiste sur le fait que le patriarche est également parent de Lot, l'ancêtre des Moabites et père d'Ismaël, l'ancêtre des semi-nomades peuplant le désert au sud-est de Juda.
[...]

En 587, les Babyloniens s’emparent de Jérusalem, détruisent la ville et le temple et décident une deuxième vague de déportation.

 

 

page 194

La statue de Yhwh en Juda

« Tu ne feras pas d'image sculptée »

Évidemment, aucun texte biblique ne nous raconte l'existence d'une statue de Yhwh dans le temple de Jérusalem ou ailleurs dans le royaume de Juda, contrairement aux taureaux du royaume d'Israël fréquemment critiqués. Cela s'explique par la perspective judéenne et théologique des éditeurs et rédacteurs des livres bibliques qui voulaient suggérer que le culte judéen, « légitime », de Yhwh n'avait jamais comporté de représentations de ce dieu. Or, à y regarder de près, il existe cependant un bon nombre d'indices qui rendent plus plausible le fait que l'interdit des représentations de Yhwh ait constitué une innovation et qu'ait bien existé une statue de Yhwh dans le temple de Jérusalem et ailleurs. Le premier indice touche à l'interdit lui-même. Pourquoi en effet prohiber quelque chose qui n'aurait jamais été pratiqué ? La rédaction du Décalogue et du chapitre 4 du Deutéronome est sur ce point révélatrice.

Une polémique contre les idoles

La première partie du Décalogue, les dix commandements, qui, dans le Pentateuque, existe en deux versions (Exode 20 et Dt 5), peut se comprendre comme une tentative d'exposer les grands principes sur lesquels se fondera le judaïsme dès l'époque perse. Alors que, dans la recherche ancienne, le Décalogue fut souvent considéré comme un des textes les plus anciens de la Bible hébraïque, la recherche récente insiste davantage sur le fait que les dix commandements, sous leur forme actuelle, s'expliquent mieux comme un résumé des différentes collections de lois du Pentateuque et qu'ils sont, par conséquent, l'œuvre des rédacteurs de l'époque perse soucieux d'harmoniser les différentes traditions légales et de définir les grands principes du judaïsme naissant. Il est cependant possible que certains de ces commandements soient bien plus anciens et qu'ils aient aussi connu des révisions et transformations au cours de leur transmission.

Les commandements qui se trouvent en ouverture du Décalogue comportent, contrairement à la deuxième partie des justifications et des explications, ce qui signifie qu'il s’agit là de nouveautés théologiques qui deviennent des éléments caractéristiques du judaïsme. Ces innovations concernent l'exclusivité du culte yahwiste et l'interdiction des représentations du divin, la théologie du « nom » de Yhwh qui aboutira à l'interdiction de le prononcer, le sabbat qui devient une nouvelle marque identitaire d'un judaïsme en dispersion et la transformation de la vénération du culte des ancêtres en commandement d'honorer les parents vivants.
[...]

La nécessité d'interdire les images sculptées et autres représentations suppose tout d'abord que celles-ci existaient parmi les Judéens. Leur proscription s'est apparemment imposée en deux ou trois étapes. Dans l'énoncé du Décalogue, dans sa forme actuelle due au travail des massorètes, l'interdiction des images semble exprimer une polémique générale contre les « idoles », comme on la retrouve dans la deuxième partie du livre d'Ésaie (chapitres 40-55) datant de l'époque perse.
À y regarder de près, on peut reconstruire une forme ancienne de ce commandement, indiquée en italique, dans laquelle se reflète la volonté d'interdire l'installation de statues d'autres divinités dans le sanctuaire de Yhwh, en face de celui-ci. Cette volonté d'exclure les autres dieux du temple de Yhwh correspond sans doute à la réforme religieuse du roi Josias vers la fin du VIIe siècle, réforme que nous allons discuter en détail par la suite.

 

 

page 213

Yhwh et son Ashérah

Être le seul vrai dieu n'autorise guère de partenaire. Traditionnellement, Yhwh est donc considéré comme un dieu « célibataire » et les mentions de déesses dans la Bible, notamment d'Ashérah, ont été interprétées comme relevant d'un culte non yahwiste. C'est dans cette perspective que les rédacteurs bibliques ont en effet essayé de présenter les choses. Pour l'historien, la situation se présente différemment. Il est très plausible que Yhwh ait eu, en Juda et sans doute aussi en Israël, une déesse qui lui ait été associée. Certes, Yhwh fut vénéré comme dieu national, ce qui lui donne une place privilégiée, au moins dans le culte officiel, mais cela n'exclut nullement la vénération d'une déesse à ses côtés.
[...]

Un certain nombre d'inscriptions associent à Yhwh une « Ashérah », et celle-ci est également mentionnée dans des textes bibliques. Pour savoir comment comprendre cette association, commençons notre enquête par un portrait d'Ashérah dans le Proche-Orient ancien.

[...]

Les inscriptions de Kuntillet Ajrud et Khirbet el-Qom.

Contrairement aux textes bibliques, un lien étroit entre Yhwh et Ashérah est attesté par les inscriptions des sites de Kuntillet Ajrud et Khirbet el-Qom.
[...]
On a trouvé des inscriptions sur des murs et également sur de cruches

Je vous bénis (ou : je vous ai bénis) par Yhwh de Samarie et son Ashérah.

Je te bénis (ou : je t'ai béni) par Yhwh de Témân et par son Ashérah.
Qu'il (c'est-à-dire Yhwh) (te) bénisse et te garde

[…]
La solution la plus simple reste donc la thèse selon laquelle ces inscriptions évoquent le couple divin « Yhwh et son Ashérah ». L'adjectif possessif « son » peut signaler une certaine subordination d’Ashérah, mais cela reflète sans doute simplement la conception traditionnelle de la relation entre homme et femme.

 

page 225

La vénération d'Ashérah selon les textes bibliques

Nous avons vu que, dans les inscriptions de Kuntillet Ajrud, Ashérah est associée au Yhwh de Samarie. Le texte de 1 R 16,33 rapporte que le roi Akhab érigea une Ashérah, probablement dans le temple de Samarie ; elle existait encore sous le roi Yoakhaz (environ 814-798), selon la remarque critique des rédacteurs des livres des Rois : « Toutefois, ils ne s'écartèrent pas des péchés que la maison de Jéroboam avait fait commettre à Israël, ils y persistèrent ; même l'Ashérah resta debout à Samarie » (2 R 13,6).

Dans le royaume de Juda, on apprend que la reine mère Maaka Avait fait installer dans le temple une « horreur pour Ashérah » que le roi Asa (environ 910-869) aurait détruite : « Il retira même le titre de reine mère à Maaka, sa grand-mère, parce qu'elle avait fait une horreur pour Ashérah. Asa abattit l'horreur la représentant et la brûla au bord du torrent du Cédron » (1 R 15,13). Le roi Manassé (vers 687- 642), que les rédacteurs des livres des Rois abhorrent, aurait refait une statue d'Ashérah que son prédécesseur Ézékias aurait détruite (2 R 18,4) : « Il plaça la statue d'Ashérah qu'il avait fabriquée dans le temple » (2 R 21,7). Si Ézékias a en effet tenté d'éradiquer le culte d'Ashérah, ce qui est loin d'être sûr, on assisterait alors à son revival sous Manassé.

Bien que les rédacteurs bibliques critiquent les rois qui auraient favorisé la vénération d'Ashérah, il fait peu de doute que, jusqu'à la fin du VIIe siècle avant notre ère, ce culte jouait un rôle important. Ashérah était associée à Yhwh, peut-être dans le temple de Jérusalem, via une statue placée à côté de la sienne.

 

 

page 285

Du Dieu un au Dieu unique


« L’histoire deutéronomiste » : le chemin vers le monothéisme

L'École deutéronomiste. Ses membres sont des descendants des scribes et autres fonctionnaires de la cour judéenne, dont les prédécesseurs ont accompagné, voire mis en œuvre la réforme de Josias. ce groupe est obsédé par la fin de la monarchie et la déportation des élites de Juda, et cherche à expliquer l’exil en construisant une histoire de Yhwh et de son peuple allant des débuts sous Moise jusqu'à la destruction de Jérusalem et la déportation de l'aristocratie - c'est ce récit que relate la Bible hébraïque du Deutéronome jusqu'au deuxième livre des Rois.

Pour ce faire, les deutéronomistes retravaillent les anciens rouleaux de l'époque assyrienne et bâtissent ainsi une histoire cohérente, divisée en différentes périodes (Moise, la conquête du pays sous Josué, l'époque des Juges, des chefs charismatiques précédant la royauté, l'avènement de la monarchie, l'époque des deux royaumes, l'histoire de Juda depuis la chute de Samarie jusqu’à celle de Jérusalem). Il s'agit de présenter tous les événements négatifs - la division de la royauté en royaume de Juda et royaume d’Israël ou les invasions assyrienne et babylonienne - comme des conséquences « logiques » de la désobéissance du peuple et de ses chefs à la volonté de Yhwh. Or la volonté de Yhwh est justement exprimée dans le livre du Deutéronome, qui rappelle l’« alliance » ou le traité originel entre Yhwh et Israël. C'est Yhwh lui-même qui a provoqué l'invasion babylonienne pour punir Juda du culte qu’il rendait à d'autres divinités (2 R 24,3 et 30). Les deutéronomistes cherchent ainsi à contrecarrer l'idée selon laquelle Mardouk et les autres dieux babyloniens auraient vaincu Yhwh. Ainsi, l’« histoire deutéronomiste » constitue-t-elle le premier essai d'écriture d'une histoire complète d'Israël et de Juda, des origines jusqu'à la fin.
[...]

Évidemment, l'histoire deutéronomiste n'est pas une œuvre d'historiographie ou d'histoire au sens moderne du terme ; elle demeure une tentative de construire le passé pour expliquer le présent.
L'exil et la déportation sont le thème global de cette histoire qui relie les diverses traditions et périodes pour aboutir à la fin de la monarchie, la destruction de Jérusalem et la perte du pays, événements qui, selon les deutéronomistes, résultent de la colère de Yhwh contre son peuple et ses chefs. Juda et Jérusalem ne peuvent échapper à l'attaque babylonienne parce que c'est Yhwh lui-même qui a envoyé cette armée pour annihiler Juda et Jérusalem :

Alors Yhwh envoya contre lui des troupes de Chaldéens, des troupes d'Araméens, des troupes de Moabites et des troupes d’Ammonites ; il les envoya contre Juda pour le faire disparaître, selon la parole que Yhwh avait prononcée par l'intermédiaire de ses serviteurs, les prophètes […] C'est à cause de la colère de Yhwh que ceci arriva à Jérusalem et à Juda, au point qu'il les rejeta loin de sa présence (2 R 24).

Par cette affirmation, les auteurs de l'histoire deutéronomiste voulaient montrer que la chute de Jérusalem ne signifiait pas que les dieux babyloniens avaient vaincu le dieu national de Juda. Les événements de 597 et 587 ne pouvaient être expliqués que si la colère de Yhwh était l'agent de l'effondrement de Juda. Si Yhwh avait utilisé le roi de Babylone et ses dieux, cela signifiait aussi qu'il les contrôlait, qu'ils étaient ses outils. Or cette idée prépare le chemin vers des affirmations assez clairement « monothéistes » qui se trouvent dans les dernières retouches de l'histoire deutéronomiste.
[...]

 

page 296

Du Dieu un au Dieu unique

Le monothéisme du milieu sacerdotal

L’écrit sacerdotal est un ensemble rédigé par le milieu des prêtres, soit à Babylone, soit à Jérusalem, au début de l'époque perse. L'écrit sacerdotal peut être reconstruit assez facilement, il se compose de textes qui se trouvent aujourd'hui dans le Pentateuque à l'intérieur des livres de la Genèse, de l'Exode et dans la première partie du livre du Lévitique.

Pour le milieu sacerdotal, seul compte le temps des origines (origine du monde, temps des Patriarches et de Moïse). Contrairement à l'histoire deutéronomiste, l'écrit sacerdotal ne s'intéresse pas à l'histoire de la monarchie ni à la perte du pays. Pour lui, tout est donné, établi dès les origines : l'interdit de consommer le sang (règle établie après le Déluge), la circoncision (rituel ordonné à Abraham), la Pâque (au moment de la sortie d'Égypte) ainsi que les lois rituelles et sacrificielles, et tout est révélé au peuple dans le désert par l'intermédiaire de Moïse.
La première édition de cet écrit sacerdotal, qui fut augmentée par la suite, s'est probablement terminée avec le rituel du Yom Kippour (le « Jour du pardon ») qui se trouve au chapitre 16 du livre du Lévitique et qui insiste sur la possibilité de purifier régulièrement le sanctuaire et la communauté par l'intermédiaire du grand prêtre. À l'opposé du discours deutéronomiste, qui insiste sur une ségrégation stricte entre le peuple de Yhwh et les autres peuples, le milieu des prêtres présente un discours monothéiste inclusif qui cherche à définir la place et le rôle d'Israël et de Yhwh au milieu de tous les peuples et de leurs dieux respectifs. Dans ce but, il développe, à l'aide des noms divins, « trois cercles » ou trois étapes de la manifestation de Yhwh.

Dans les récits sacerdotaux des origines du monde et de l'humanité ainsi que du Déluge, Yhwh se révèle à toute l'humanité comme « elohîm ». Ce mot peut se traduire par « (un) dieu », « (des) dieux », voire par « Dieu ». C'est probablement le milieu sacerdotal qui utilise le premier le terme d'elohîm dans le sens de « Dieu (unique) », comme on peut très bien le voir dans le récit de la création, au premier chapitre du livre de la Genèse. Ce nom est à la fois un singulier et un pluriel. D'une certaine manière, tous les dieux peuvent être des manifestations du dieu unique. Pour le milieu sacerdotal, cela signifie que tous les peuples rendant un culte à un dieu créateur vénèrent, sans le savoir, le dieu qui se manifestera plus tard à Israël sous le nom de Yhwh.

 

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