Jésus était un homme juif de Galilée : pourquoi l’a-t-on fait Dieu ?
L’idée que Jésus soit devenu Dieu résulte d’un processus historique, théologique et politique qui s’est développé progressivement au sein du christianisme primitif du premier au cinquième siècle avant notre ère. Voici quelques éléments clés qui expliquent cette divinisation :
1. L’expérience des disciples et les premières confessions de foi
Après la mort de Jésus, ses disciples ont fait l’expérience de sa présence vivante, qu’ils ont interprétée comme une résurrection. Cela les a amenés à le voir non seulement comme un prophète ou un Messie, mais comme quelqu’un ayant un lien unique avec Dieu. Des formules comme « Jésus est Seigneur » (Kyrios en grec) apparaissent très tôt dans les écrits chrétiens (ex. Philippiens 2,6-11). Des formules primitives comme « Jésus est Seigneur » (Romains 10,9 ; 1 Corinthiens 12,3) témoignent d’une reconnaissance de son autorité suprême, en lien avec sa résurrection. Dans Philippiens 2,6-11, Paul parle d’un Jésus exalté par Dieu après sa mort, ce qui suggère qu’il reçoit ce titre en raison de son obéissance et de son exaltation post-mortem, plutôt que d’une divinité préexistante évidente pour tous.
2. L’influence du judaïsme et de la pensée grecque
Dans le judaïsme du Ier siècle, certaines figures comme les rois, les anges ou le Messie pouvaient être investies d’une mission divine, mais elles n’étaient pas considérées comme Dieu lui-même. Avec l’expansion du christianisme dans le monde gréco-romain, les concepts philosophiques grecs, notamment ceux du Logos (Jean 1,1) et des intermédiaires divins, ont influencé la manière dont Jésus était compris. Dans la pensée juive : Le Logos évoque la Parole créatrice de Dieu, par laquelle il a créé le monde (cf. Genèse 1 : « Dieu dit : que la lumière soit… »). Il rappelle aussi la Sagesse personnifiée (Proverbes 8, Sagesse 7), qui participe à l’œuvre divine. Dans la philosophie grecque : Depuis Héraclite, le Logos désigne le principe rationnel qui structure le cosmos. Chez Philon d’Alexandrie (Ier siècle), un penseur juif influencé par le platonisme, le Logos est une sorte de médiateur entre Dieu et le monde. Jean s’inscrit dans cette tradition en affirmant que le Logos préexiste et agit dès la création. Mais l’Église ira plus loin au concile de Nicée en identifiant le Logos au Fils de Dieu préexistant.
Chez Jean qui est l’évangéliste le plus tardif (90-100), le Logos désigne donc Jésus-Christ comme la Parole éternelle et divine de Dieu, qui révèle pleinement le Père en s’incarnant dans le monde. Ce concept permet de relier la foi juive en un Dieu créateur et la pensée grecque sur un principe universel d’ordre et de sagesse.Le concile de Nicée va élaborer une christologie haute où Jésus est pleinement Dieu. Pour Jean, le Logos est le Fils de Dieu, mais il n’est pas de même essence que le Père. L’affirmation du concile de Nicée constitue une rupture définitive avec le judaïsme pour lequel la divinisation d’une créature de Dieu est idolâtre. Tillich donnera au Logos une autre interprétation.
3. Les débats théologiques des premiers siècles
Avec la montée du christianisme, il fallait expliquer qui est Jésus et pourquoi il est plus qu’un simple prophète. L’identification du Logos à Dieu permettait de montrer que Jésus a une origine divine et qu’il préexiste avant son incarnation (Jean 1,14 : « Le Logos s’est fait chair »). Ensuite, d’offrir une lecture compréhensible aux Juifs et aux Grecs : il est à la fois la Parole de Dieu (judaïsme) et le principe universel de sagesse (hellénisme), et enfin, d’affirmer que Dieu se révèle pleinement en Jésus, sans briser son unicité divine. Mais l’identification du Logos à Dieu a été au cœur des controverses des premiers siècles.
• Certains, comme les ariens, refusaient de dire que le Logos était pleinement Dieu et parlaient d’une créature divine subordonnée.
• D’autres, comme les théologiens de Nicée (325) et Alexandre d’Alexandrie insistaient sur l’égalité entre le Logos et Dieu (« engendré, non créé, de même nature que le Père »).
La question de la nature de Jésus a donc suscité des débats intenses chez les premiers chrétiens. Certains groupes chrétiens voyaient en lui un homme exceptionnel, d’autres le considéraient comme une sorte d’ange ou une émanation divine. Finalement, les conciles œcuméniques (Nicée en 325, Chalcédoine en 451) ont défini Jésus comme vrai Dieu et vrai homme, rejetant les positions qui le voyaient uniquement comme un être humain (ébionisme) ou uniquement comme un être divin (docétisme), (voir le schéma ci-dessous).
4. Une construction doctrinale et politique
L’affirmation de la divinité de Jésus a également eu une dimension politique. L’Empire romain, en adoptant le christianisme sous Constantin, a favorisé une théologie unifiée pour stabiliser l’Église et l’Empire. La formulation de la Trinité et de l’Incarnation a permis de distinguer clairement le christianisme des autres courants religieux et d’en faire une religion universelle.
En résumé, Jésus a été proclamé Dieu à travers un processus évolutif combinant expérience spirituelle, débats théologiques et dynamiques sociopolitiques. Ce n’était pas une décision prise instantanément, mais une construction qui s’est affirmée progressivement dans l’histoire de l’Église.
5. La position de Paul Tillich au XXe siècle
Pour Paul Tillich (1886-1965), Jésus n’est pas Dieu au sens orthodoxe, mais il est plus qu’un simple homme. Tillich ne considère pas Jésus comme une figure divine incarnée dans un corps humain, mais comme l’expression parfaite de la « Nouvelle Réalité » ou de la présence divine dans l’histoire. Il nomme Jésus « L’être nouveau », c’est-à-dire qu’il est celui en qui le divin se manifeste de façon unique, révélant ce que signifie une vie pleinement ouverte à Dieu. Son importance ne réside pas dans sa nature divine, mais dans son rôle de médiateur existentiel entre Dieu et l’humanité.
Ainsi, chez Tillich, Jésus est l’homme dans lequel le divin s’exprime totalement, mais sans être une incarnation littérale de Dieu.
6. Les unitariens
Les unitariens rejettent la doctrine de la Trinité et considèrent Jésus comme un être humain exceptionnel, mais pas Dieu incarné. Leur position sur la nature de Jésus varie selon les courants, mais elle repose sur quelques principes fondamentaux. Pour les unitariens, Dieu est un et indivisible, ce qui exclut l’idée d’une Trinité. Jésus est reconnu comme un prophète, un enseignant moral et un guide spirituel, mais pas comme Dieu. Il est souvent vu comme ayant une relation unique avec Dieu, mais sans être de nature divine. Les unitariens s’appuient sur des passages bibliques qui distinguent clairement Jésus de Dieu :
• Jean 17,3 : « Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »
• Marc 10,18 : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. »
• Matthieu 27,46 : « Jésus s’écria d’une voix forte : Eli, Eli, lama sabachthani ? c’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
• Marc 13, 32 Quant au jour et à l’heure, personne ne les connaît, pas même les anges dans le ciel ni le Fils : le Père seul les connaît.
• Jean 16, 28 : « Je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. »
• Ils interprètent les titres comme « Fils de Dieu » dans un sens symbolique, non ontologique.
• Les unitariens rejettent le Concile de Nicée (325), qui définit Jésus comme « de même nature que le Père ».
• Ils refusent aussi le Concile de Chalcédoine (451), qui affirme que Jésus est « vrai Dieu et vrai homme ».
• Plutôt qu’une adoration divine, les unitariens voient en Jésus un modèle de vie à suivre.
• Son message d’amour, de justice et de paix est central, mais il ne doit pas être confondu avec Dieu lui-même.
Pour les unitariens, Jésus est un maître spirituel, un prophète, un envoyé de Dieu, mais pas Dieu incarné. Cette vision s’oppose aux doctrines trinitaires et à l’Incarnation, mettant l’accent sur l’unicité absolue de Dieu comme dans le judaïsme et l’Islam.
7. Un besoin de salut des hommes a poussé à la divinisation de Jésus
L’un des moteurs essentiels de la divinisation de Jésus réside dans le besoin de salut ressenti par les premiers chrétiens. Dans la pensée juive et gréco-romaine de l’époque, seul Dieu pouvait véritablement sauver l’humanité. Ainsi, si Jésus était celui qui apportait le salut, il devait être plus qu’un homme.
1. Un salut qui dépasse l’humain
Dans la tradition juive, le salut était lié à Dieu seul (Ésaïe 43 ,11 : « C’est moi, moi qui suis l’Éternel, et hors moi il n’y a point de sauveur. »). Or, les disciples voyaient en Jésus non seulement un enseignant ou un prophète, mais celui qui pardonnait les péchés, guérissait les malades et ressuscitait les morts. Un tel pouvoir était normalement réservé à Dieu.
2. Le sacrifice et l’expiation des péchés
Le christianisme a interprété la mort de Jésus comme un sacrifice pour les péchés du monde, reprenant l’image du Serviteur souffrant d’Ésaïe 53. Paul, dans Romains 3, 23-24, affirme que « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » mais que le salut vient par la foi en Jésus-Christ. Si son sacrifice devait être efficace pour toute l’humanité, il ne pouvait être qu’un simple homme : il devait être divin.
3. Une réponse au mal et à la mort
Le monde antique était marqué par la souffrance, l’injustice et la mort. La promesse chrétienne du salut par Jésus apportait une réponse à ces angoisses. Si Jésus était simplement un prophète, son message de salut aurait eu moins d’impact. Mais en étant Dieu incarné, il devenait l’assurance d’une victoire totale sur le mal et la mort.
4. Une nécessité pour la relation avec Dieu
Dans la pensée chrétienne, si l’homme est séparé de Dieu par le péché, alors seul un être à la fois pleinement divin et pleinement humain pouvait restaurer cette relation. La doctrine de l’Incarnation (Dieu fait homme en Jésus) est née de cette conviction : Jean 14, 6 « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. »
Conclusion
Le besoin de salut a donc joué un rôle crucial dans la reconnaissance de Jésus comme Dieu. Ce n’était pas seulement une évolution théologique, mais une réponse à une attente profonde de l’humanité : si Jésus est le Sauveur universel, alors il doit être Dieu.
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