
Paroles choisies par Virgile Rochat et Marc Donzé
104 pages – 15 €
Recension Gilles Castelnau
voir aussi Maurice Zundel, Devenir libre
Maurice Zundel (1897-1975) était un prêtre catholique suisse, théologien profond, poète à ses heures et prédicateur renommé. Le pasteur protestant Virgile Rochat et le prêtre catholique Marc Donzé nous donnent ici de nombreuses pages présentant sa spiritualité, qu’ils ont glanées au fil de ses publications ou patiemment dactylographiées lors de ses conférences. Ils ont tous deux été, en effet et à juste titre,
séduits par le mysticisme de sa pensée et son côté contemplatif.
Maurice Zundel centre sa méditation sur la présence divine intérieure à notre âme et source d’« émerveillement ». Des théologiens américains, comme le californien Matthew Fox, dont l’itinéraire est parallèle utiliseront le mot anglais « awe » pour désigner, comme le fait Maurice Zundel, l’extase, l’exaltation, la vision ineffable que l’on peut éprouver pour peu que l’on accepte d’entrer dans la grande unité cosmique de la vie, du profond… de Dieu.
Tous ceux qui, de nos jours, se détournent des définitions religieuses traditionnelles jugées trop intellectuelles et désormais non crédibles, mais qui s’ouvrent à la contemplation admirative du monde, découvrirons avec bonheur cette théologie qui est finalement fort ancienne.
Voici des passages de Maurice Zundel qu’introduisent dans l’ouvrage des commentaires de Virgile Rochat et Marc Donzé.
AUX SOURCES DE L’EMERVEILLEMENT
LA NATURE
Les couleurs et les parfums
Vous entendez le merle chanter – toujours la même chanson – avec la même espérance, avec le même bon heur, quel que soit le tumulte des affaires humaines. Vous regardez fleurir les fleurs. Vous vous émerveillez du jeu innombrable des couleurs et des parfums et vous devinez dans cette nature, vous devinez une Présence.
Plus qu’une mécanique rigide
La vie nous offre d’innombrables occasions de nous émerveiller et nous fait prendre conscience qu’il y a, effet, autre chose qu’une mécanique rigide dans laquelle nous sommes enfermés, qu’il y a une possibilité de décoller et une possibilité de rencontrer une valeur illimitée sur laquelle le sens même de notre existence puisse se fonder.
« Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? » Psaume 8, 5)
LES FRUITS, LES EFFETS, LES CONSEQUENCES
SE PERDRE DE VUE
Se quitter et devenir soi
Quand vous êtes dans l’émerveillement de la connaissance, de la musique, de la nature, le premier signe de l’émerveillement, sa naissance même, son essence, c’est de ne pas se regarder. S’émerveiller, c’est se perdre de vue, c’est se perdre dans un autre, c’est se rencontrer soi dans un autre et pour lui, c’est connaître la joie de l’émerveillement comme une offrande faite à un autre. S’émerveiller, c’est entrer dans une relation avec un autre, où l’on devient soi.
Narcisse
Nous pouvons nous rappeler cette expérience humaine qui est admirable, et illustrée par le mythe de Narcisse : nous ne nous connaissons nous-mêmes, nous ne nous voyons nous-mêmes que lorsque nous cessons de nous regarder. Quand vous écoutez la musique, quand vous devenez musique, quand vous êtes devant un chef-d’œuvre, quand un paysage vous ravit, quand vous êtes suspendu dansl’émerveillement et dans l’admiration, alors vous vous sentez exister à plein, vous sentez que vous êtes là une présence totale, mais vous ne vous voyez qu’en cessant de vous regarder, quand votre présence, vous ne la vivez pas en vous repliant sur vous-mêmes, mais en vous offrant à cette beauté dont le visage est toujours inconnu et toujours reconnu.
« Qui veut sauver sa vie la perdra, qui la perdra à cause de moi la sauvera » (Marc 8, 35).
SORTIE DE LA BIOLOGIE
Être guéris de nous-même
Il nous arrive, dans l’émerveillement de la découverte dans la nature, dans les livres, dans les visages humains, dans les œuvres d’art, dans le moment où surgit en nous l’émerveillement, d’être guéris de nous-même, de ne plus sentir ce « je » et « moi » possessif, instinctif, passionnel, animal, cosmique, d’être délivrés, de respirer. Ah ! enfin, nous sommes en face de Quelqu’un d’autre. Enfin, nous sommes en face d’une lumière qui nous comble, d’un amour qui nous attendait, d’une générosité qui suscite la nôtre. Enfin, nous naissons à un autre univers. Et voilà justement la découverte essentielle : c’est que cette rencontre nous introduit dans un monde qui n’est pas encore, dans un monde qui ne peut pas être sans notre transformation, dans un monde auquel nous n’accédons que par la nouvelle naissance, dont Jésus parlait à Nicodème (Jean 3, 1-10).
« Ne t’étonne pas si je t’ai dit : Il vous fut naître d’en haut » (Jean 3,7)
NAITRE DE NOUVEAU
Naissance d’amour
Pour accéder à un moi authentique, à un moi personnel, à un moi-source, à un moi-valeur, à un moi universel, il faut nécessairement naître de nouveau, et cette naissance ne peut être qu’une naissance d’amour, où nous nous échangeons nous-mêmes avec Dieu. C’est dans l’émerveillement d’une rencontre où nous sommes suspendus à la beauté, à la musique, à la vérité, à l’amour, à la grandeur, c’est dans ces heures d’émerveillement que, soudain, nous nous perdons de vue, nous devenons tout entier, et sans même y songer, une offrande à l’égard de cette générosité, que l’on ne connaît jamais, mais que l’on reconnaît toujours, à l’égard de cette générosité qui est venue silencieusement à notre rencontre et qui a suscité en nous cet élan qui nous accomplit.
« Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit (…). Il vous faut naître de nouveau »
CONDUIRE A LA LIBERTE
Se libérer des déterminismes
Aussi bien lorsque l’homme essaie de se révolter totalement, lorsqu’il refuse tout ce qu’il a reçu de son milieu, de son hérédité, de son éducation, lorsqu’il veut vraiment se détacher de tout ce poids de déterminismes d’une biologie à la fois individuelle et collective, vers quoi ira-t-il ? Peut-il déboucher sur le néant ? Bien sûr, pour qu’il se libère, il faut qu’il rencontre un visage ; et c’est toujours ainsi que cela se passe : tout d’un coup, dans l’homme qui veut sa liberté avec toute la passion la plus sincère de son être qui cherche, il y a un moment où l’émerveillement s’empare de lui. Et c’est dans cet émerveillement, quand tout l’être est suspendu, saisi de respect et tout élan vers un Autre, dont le nom est impossible à dire parce qu’il est au-dessus de tout nom, c’est à ce moment-là que jaillit la liberté comme un élan de tout l’être dans le don de soi qui répond à un don qui le sollicite, qui l’appelle et qui l’aimante, en sorte que c’est toujours dans la liberté, dans ce jaillissement tout neuf d’une liberté qui se découvre et qui naît à elle-même, que le vrai Dieu apparaît et atteste sa Présence.
QUI EST CETTE PRESENCE ?
La notion d’émerveillement permet d’éclairer avec une rare originalité qui est cette Présence, qui est Dieu en fait. Il vaut la peine de s’arrêter ici quelques instants.
DIEU, C’EST QUAND ON S’EMERVEILLE
L’immense majorité des hommes ne le savent pas, l’immense majorité des croyants ne le savent pas, car justement l’immense majorité des croyants sont encore tournés vers un faux Dieu, un Dieu extérieur, un Dieu dans l’espace atmosphérique, un Dieu qui contraint, un Dieu qui limite, un Dieu qui menace, un Dieu qui terrifie, un Dieu qui tue, alors qu’Augustin le rencontrait comme la Vie, la Vie de sa vie,
Il s’agit donc pour nous de nous défaire de cette idolâtrie qui est si fréquente chez nous et dans laquelle d’ailleurs nous retombons, dès que nous cessons d’écouter, dès que nous cessons de nous émerveiller,
Dieu, pourrait-on dire, c’est quand on s’émerveille, Dieu, c’est quand tout d’un coup on découvre le visage de la beauté ; Dieu, c’est quand on perçoit une valeur infinie; Dieu, c’est quand résonne la musique de l’éternité ; Dieu, c’est quand l’homme ne se voit plus, parce qu’il n’est plus qu’un regard vers cette Présence qui l’appelle, qui l’aimante, qui l’oriente, qui le délivre en le comblant.
LA PRIERE
Se recueillir
L’essentiel est de se recueillir. L’essentiel est d’écouter. L’essentiel est de s’émerveiller. Car, lorsqu’on s’émerveille, lorsqu’on admire, nécessairement on se quitte soi-même, on demeure suspendu à la beauté de Dieu, on se réjouit de sa Présence, on se perd dans son amour. Et c’est pourquoi l’essentiel, pour chacun de nous, ce n’est pas tant de suivre telle ou telle démarche déjà connue, mais c’est bien davantage, chaque jour, de nous donner la possibilité de nous émerveiller.
FAIRE PROVISION DE JOIE
Il faut donc que nous fassions chaque jour notre provision de joie, sous la forme qui constitue la joie la plus haute et la plus pure, sous la forme de l’émerveillement. C’est l’émerveillement qui nous relie à Dieu, qui fait jaillir en nous l’eau vive. C’est l’émerveillement qui nous découvre chaque jour des horizons nouveaux. C’est l’émerveillement qui nous fait décoller de nous-même et nous suspend à cet Autre en qui notre admiration se repose.
« Soyez toujours joyeux, priez sans cesse, remerciez Dieu en toute circonstance. Voilà ce que Dieu demande de vous, dans votre vie avec Jésus-Christ » (I Thessaloniciens 5, 16-18
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