Le religieux dans la presse

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« Je vous annonce une grande joie. Nous avons un pape »

En attendant la fumée blanche qui annoncera qu’un nouveau pape a été élu ce que certains monsignori peut-être présomptueux nous annoncent pour dimanche –, la presse revient sur ces douze années de pontificat de François que CNN, par exemple, qualifie « d’agitées » mais aussi centrées sur une « Église pauvre pour les pauvres ». Un pape qui aurait appelé le catholicisme à sortir de sa zone de confort et à s’implanter auprès des communautés les plus démunies. Enfin, CNN relève le débat ouvert par François « sur des sujets autrefois considérés comme tabous, comme le rôle des femmes. L’accueil des catholiques LGBTQ comme des ‘enfants de Dieu’ et a ouvert la communion aux divorcés remariés. Il a également suscité l’attention par ses critiques virulentes de l’injustice économique et ses appels à la protection de l’environnement. » 

Malgré une « résistance farouche » de catholiques conservateurs qui ont su faire entendre leur voix mais aussi « à une certaine indifférence et résistance silencieuse de la part des évêques de la hiérarchie.  Alors se demande CNN : faut-il poursuivre les réformes, ou ralentir et même changer de cap ? », comme certains cardinaux le préfèreraient, avec le risque d’une déception immense pour certains qui aimeraient la continuité, comme ce cardinal retraité – donc qui ne votera pas –mais qui remarque que « le peuple de Dieu a déjà voté aux funérailles et a appelé à la continuité avec François ». Quand d’autres cardinaux critiquent de manière virulente ce pontificat de François, jusqu’à traiter implicitement François de « dictateur » quand d’autres ont aimé « son intérêt pour les personnes marginalisées  et sa capacité à créer du lien avec les gens ». Alors que deviendront tous ces chantiers initiés par François et qu’il n’a pas mené à leur terme, comme l’ordination des femmes ou celle d’hommes mariés ou ces laïcs qui attendent que leur soit confié des postes de gouvernance dans l’Église. En attendant la fumée blanche d’une cheminée improvisée sur le toit de la Chapelle Sixtine, et un cardinal annonçant urbi et orbi (à Rome et au monde) du balcon de la basilique Saint Pierre : « Je vous annonce une grande joie. Nous avons un pape ». Un protestant, Bible en mains, n’a pas manqué de comparer au texte de l’évangéliste Luc : « L’ange leur dit [aux bergers] : Ne craignez point, car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie : c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » C’était une nouvelle d’une autre importance !

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« Si je suis élu, je m’enfuis en Sicile » 

C’est une déclaration inattendue d’un cardinal papabile, Mgr Cristobal Lopez Romero, archevêque de Rabat, samedi 3 mai, à quatre jours du début de l’élection du futur pape. Ce cardinal est proche des idées de François, dit-on. Mais plutôt que d’écouter les raisons théologiques qui l’ont poussé à cette déclaration, on s’est demandé immédiatement : « pourquoi en Sicile » ! L’archevêque d’Alger est aussi classé parmi les progressistes, dans la continuité de François, se veut-il. Autre incident : un portrait de Donald Trump en couleur et en tenue papale, une imposante croix en or au cou qu’il a osé publier sur son réseau social Truth Social. De très mauvais goût ! Mais peut-on attendre de ce Président américain qui déclare au lendemain de la mort du pape autre chose qu’une blague de mauvais goût ?  Qui ajoute aux relations tendues, certains disent même houleuses, de Donald Trump avec le Vatican qui avait osé critiquer vertement la politique d’expulsion d’immigrés par l’administration Ttump, dès son arrivée à la Maison Blanche et hors de tout respect de la loi et des situations vécues. Le vice-président JD Vance, catholique converti et représentant de la droite dure et triomphante avait même fait le déplacement à Rome, pour rencontrer le pape, la veille de sa mort, pour tenter d’apaiser les tensions. Minorité religieuse aux États-Unis, les catholiques ne représentent que 20 % des Américains mais ils auraient selon les sondages au moment des élections de novembre, voté à 60 % pour Donald Trump. Il faut donc soigner cet électorat plutôt conservateur. Mais la photo est-elle un faux pas de Donald Trump, un de plus, vis-à-vis de cet électorat ? La photo fait scandale pour certains : humour ou plutôt désir inconscient et irrésistible de régner partout ? 

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Le mouvement Sant’Egidio

a consacré, le 3 mai, un long article à l’influent mouvement Sant’Egidio, un mouvement catholique international d’origine italienne, dont le fondateur Andrea Riccardi, fût un proche du pape François. Le Monde le décrit comme « un personnage-clé des pouvoirs ecclésiaux et séculiers de Rome, la capitale aux deux États, il avait accompagné la politique étrangère du pape défunt. Se déclarant ‘ pessimiste’, il s’inquiète désormais pour l’héritage de François face à un avenir dont il résume sa vision en un mot : une ‘guerre’ faite de confrontations militaires entre États et de luttes religieuses au sein du christianisme global.  François, du point de vue culturel, moral, religieux, était l’anti-Trump, résume Andrea Riccardi. Son catholicisme était celui des pauvres. La vision du vice-président [américain] J. D. Vance [un catholique de fraîche date]et des néo-pentecôtistes qui soutiennent le président des États-Unis est celle d’une religion capitaliste, fondée sur l’égocentrisme et le nationalisme. » D’ailleurs, ce vice-président américain s’était fait corriger par le pape François qui s’était opposé à l’idéologie proclamée de Vance en matière de gouvernance : à savoir une compassion bien ordonnée, centrée sur la famille et la patrie avant de s‘intéresser à l’humanité. François, en réponse, avait rappelé aux évêques américains l’importance de la défense des migrants persécutés et expulsés sans aucun souci d’humanité par l’administration Trump dès son arrivée… 

Le Monde rappelle aussi l’implication de la communauté Sant’Egidio dans le dialogue interreligieux, avec l’islam entre autres, comme dans une activité de médiation dans les conflits armés. « Au cours du pontificat de François, relève Le Monde, la vision du monde portée par les membres de Sant’Egidio est entrée en résonance avec celle du pape ».

Andrea Riccardi décrit le pape François comme « serein mais amer à la fin de sa vie devant l’ampleur des réformes inaccomplie.  […] Au-delà du combat entre le catholicisme qu’il défend et la ‘religion de la prospérité’ qui gagne une partie des puissants et des riches catholiques américains et leurs alliés évangéliques à travers le monde, Andrea Riccardi déplore non les divisions de l’Eglise, mais son morcellement. » 

Avec cette conclusion un peu amère : « En Italie, les gens de la rue qui ont aimé François voudraient un pape pour continuer son œuvre. Mais ce n’est pas ainsi que cela va se décider. » On touche alors du doigt, cette centralisation folle et le peu de responsabilité et de communion partagée parmi les monsignori dans cette Église catholique…

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L’hebdomadaire Le Nouvel Obs publie, dans son numéro du 1er mai, deux articles importants sur le conclave. Voici un passage de l’un d’eux : « Le conclave est un microcosme face au monde MAGA » par Olivier Roy.

Pourquoi cette offensive américaine sur l’Église catholique, particulièrement agressive sous François ?

Lancée par Steve Bannon, catholique mais non pratiquant, une coalition des valeurs conservatrices tente depuis une décennie de rassembler populistes de tout poil et milieux fondamentalistes chrétiens.

J. D. Vance l’a officialisée dans son fameux discours de Munich de février, où il fustige la perte des valeurs dans une Europe « wokiste ». En somme, […] la nouvelle administration américaine voudrait substituer une alliance des valeurs anti-woke, qui unirait les États-Unis, la Russie, l’Inde de Modi et l’Argentine de Milei, contre une Europe décadente et « wokisée ».

Dans cette stratégie, il est essentiel de reconquérir l’Église catholique pour donner une âme à cette coalition, en faire aussi un levier d’influence dans le Sud, mais surtout pour éviter de se trouver confronté à un « concurrent » sur le marché des valeurs.

Mais pourquoi ne pas privilégier les Églises évangéliques protestantes, qui constituent la base électorale du trumpisme aux États-Unis et tendent à remplacer l’influence catholique en Amérique latine et en Afrique ?

Les Églises évangéliques protestantes attirent de plus en plus d’individus mais ne parviennent pas à proposer un autre modèle de sociabilité politique : elles sont trop morcelées et manquent d’institutions solides, mais surtout d’intellectuel organiques. Leur appareil théologique est plutôt faible et tourné vers le salut individuel voire de plus en plus vers l’apocalypse. Alors que l’Église catholique, depuis Augustin, en passant par Thomas d’Aquin et Léon XIIl, développe une réflexion profonde sur ce que pourrait être une société chrétienne. Ce glissement du protestantisme au catholicisme dans la vision stratégique de la politique américaine est fondamental pour comprendre ce qui se passe. Non pas que les catholiques l’emportent désormais sur le plan démographique aux États-Unis : ce sont toujours les évangéliques qui fournissent les gros bataillons électoraux du trumpisme. Mais l’évangélisme est dépourvu à la fois de structure centralisée et de leadership intellectuel. Ce n’est pas un hasard si la majorité des juges de la Cour suprême sont des catholiques conservateurs, et s’il n’y a pas un seul évangélique. 

L’Église catholique dispose d’universités de haut niveau, ce qui n’est pas le cas des évangéliques (Liberty University, la plus grande université évangélique en Amérique du Nord, n’enseigne ni l’histoire ni la philosophie – deux matières auxquelles les néocathos comme Vance aiment se référer). Ce n’est pas un hasard non plus si une grande partie des penseurs catholiques conservateurs aux États-Unis sont des convertis venus du protestantisme, comme si ce passage leur permettait de mieux penser ce que pourrait être une nouvelle société conservatrice terrestre. 

Bref, le catholicisme apparaît plus structurant que l’évangélisme tant sur le plan des institutions que sur celui de la philosophie politique, même si bien sûr le socle des valeurs qu’ils défendent est le même (la famille traditionnelle). Il y a dans le catholicisme conservateur toute une réflexion sur la loi naturelle et le rôle social de l’Église qui fait défaut dans l’évangélisme. Le conclave est donc bien un enjeu fondamental pour le projet politique populiste conservateur : il faut reprendre l’Église dévoyée par un pape « woke » 

Ce nouveau partage géostratégique se reflète-t-il dans le conclave ?

François, traité de wokiste et honni des conservateurs, est toujours resté conservateur lui-même sur la question des valeurs Sa vision du monde opposait les espaces d’une foi vivante et populaire au désert spirituel des christianismes résiduels et identitaires (comme l’Europe). Son tiers-mondisme était moins géostratégique que spirituel. Il allait là où se trouve le centre de gravité démographique d’une Église vivante. Son apologie récente de la religion populaire est importante : il jouait le troupeau contre les mauvais bergers (car de toute façon il n’y a qu’un seul chef de troupeau, lui-même). 

C’est autour de ces clivages que se fera l’élection de son successeur : elle opposera largement les « pasteurs » aux « apparatchiks », mais il faut se garder d’y voir une opposition droite-gauche, voire Nord-Sud même si bien sûr les cardinaux du Sud peuvent se targuer d’un troupeau plus enthousiaste et démonstratif.

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