À la recherche du trésor caché

Par

Cinquante histoires vécues qui m’ont révélé l’essentiel

Jacques Musset

Ed Karthala

214 pages – 25 €

Recension Gilles Castelnau

Jacques Musset nous révèle dans ce livre sa personnalité fort sympathique, très humaine, sensible à la présence d’autrui, vivant ici et maintenant sans attendre l’au-delà et sans poursuivre un idéal passionné et inaccessible, une existence heureuse, fraternelle et… courageuse (il est atteint d’un cancer qui récidive toujours).

Il se présente à nous en 50 situations qu’il a vécues en trois périodes successives.

D’abord il s’habille chaque année en pèlerin pendant trois semaines et parcourt à pied de longues distances à travers plusieurs pays d’Europe. Pour parler de lui, il nous raconte ses rencontres, originales, paisibles, toujours intéressantes. On est vite séduit par son ouverture qui nous fait aimer nous-mêmes ceux qu’il croise ainsi.

Ensuite il devient jardinier et son intérêt pour les plantes et les légumes qu’il fait pousser et aime regarder nous introduit nous-mêmes au monde inconnu de la nature vivante et… à la vie du monde.

Enfin, c’est ce qu’il appelle « l’ordinaire des jours » : mais les personnages qu’il y rencontre, tout « ordinaires » qu’ils soient, n’ont rien de banal. Mais nous comprenons que notre prochain n’est jamais banal lorsqu’on le regarde avec un regard humain.

En voici des passages :

                                                                               I           

Sur les sentiers de France et d’Europe

… Le bonheur est dans l’incessante marche (Jean Sulivan)

J’ai écrit ce texte à trente kilomètres de Grenade en Espagne, alors que je marchais sur les traces des deux grands mystiques espagnols du siècle d’or : Thérèse d’Avila et Jean de la Croix. S’il évoque l’expérience du pèlerin solitaire, il traduit plus profondément quelque chose de l’aventure spirituelle de l’homme.

Où qu’il se rende, c’est en marchant sans cesse qu’il acquiert force et endurance. Ainsi, son sac, quoi qu’il contienne, devient plus léger au fil des étapes.

Le soleil ardent, la pluie insistante et le vent contrariant ont de quoi épuiser ses énergies. Et pourtant, le miracle quotidien s’opère. D’une source cachée, jaillit en lui, chaque matin, une vigueur nouvelle qui l’entraîne avec aisance vers des terres inconnues.

À son pas d’escargot, son regard immobile a le temps de s’imprégner des paysages. Bienheureuse lenteur des pieds qui oblige les yeux à découvrir les merveilles qui s’offrent au passage.

Pour parvenir au but, il s’est tracé au départ un itinéraire avec grande précision. Mais la réalité du terrain et les mille contraintes imprévues du chemin l’obligent parfois, la mort dans l’âme, à modifier sa voie. Ô surprise ! Ce à quoi il renonce le conduit à découvrir des merveilles inattendues.

Il n’emporte que l’indispensable dans son sac à dos. Ce dépouillement nécessaire et librement consenti rend son chemin léger et ne le distrait pas de l’essentiel.

Il est seul dans son aventure et il aime sa solitude. Mais en cheminant, il porte en lui des visages aimés, compagnons invisibles d’aujourd’hui et d’hier dont la présence n’est pas moins forte que dans le face-à-face.

Il lui arrive aussi de rencontrer, à la croisée des chemins, des êtres qui comme lui marchent sur les sentiers de terre ou simplement sur ceux de la vie. Des paroles échangées qui viennent des profondeurs font naître des connivences au-delà des frontières. La mémoire de ces rencontres est un trésor précieux.

Mais, si les années passant et la mort approchant, il doit remiser définitivement son bâton, son sac et ses chaussures, la voix intérieure l’invitera encore à poursuivre la route en lui­ même. Car les seuls vrais chemins dont les sentiers de terre ne sont que les symboles sont ceux qu’à longueur de vie on accomplit en soi-même.

Page 91

Au potager, école d’humanité

… Qu’ai-je fait de ma vie ?

L’automne est, au potager, la saison des dernières récoltes. Que reste-t-il ? De la salade bien sûr, des poivrons et des aubergines que l’on mangera farcis, des haricots verts issus d’une deuxième planche semée début août, de la mâche, des poireaux, des betteraves rouges, des céleris boules, des cardes, ces trois légumes qui nous régaleront tout l’hiver, crus ou cuits, s’il ne gèle pas. Peut-on encore planter ?

Malgré ces derniers dispositifs, le potager devient comme un théâtre de plein air qui ferme. Le spectacle est terminé, Jusqu’au printemps prochain. Les poteaux de châtaigniers qui soutenaient les tomates sont retirés, lavés et remisés au sec, et, également, les plus petits auxquels étaient attachés les pieds d’aubergine et de poivrons ; les arrosoirs sont rangés. 

À quoi pense le jardinier lorsqu’il remise ses outils à la mi­octobre ? Pour ma part, j’éprouve un certain bonheur intérieur, celui d’avoir mené à bien la conduite du potager depuis le mois de mars, en dépit de quelques ratés : cette année, les poireaux n’ont pas beaucoup grossi et les céleris boules sont un peu maigrichons. Occasion de me rappeler une fois de plus que le jardinier ne maîtrise pas tout. Mais d’une manière générale, je suis heureux d’avoir permis à toutes les semences et tous les plants si divers qui me sont passés par les mains d’avoir fait un valeureux chemin et fourni généreusement des légumes en quantité et en qualité.

Automne dans nos existences rime avec vieillissement. Et ce n’est pas faux. Mais la vie ne s’arrête pas parce qu’on a franchi le seuil des soixante-dix ans. Comme le potager qui, abordant la morne saison, a encore la force de produire quelques légumes tardifs, ceux qu’on appelle les vieux ont encore en eux de belles ressources pour créer, échanger, découvrir le monde, et aussi – surtout peut-être – explorer et mieux comprendre ce vaste et mystérieux continent qu’ils sont eux­ mêmes. Le temps de la vieillesse est une période privilégiée pour se poser la question essentielle : qu’ai-je fait de ma vie ?

Non pour nous auto­accuser ni pour nous auto-justifier, car la culpabilité comme la suffisance sont toutes deux mortifères, mais pour tenter de discerner, à travers les méandres de nos cheminements, le fil secret qui les unifie, autrement dit non seulement les valeurs qui nous ont guidés, envers et malgré tout, parfois dans les plus obscures ténèbres, mais ce je ne sais quoi d’intime et de permanent qui nous accompagne à travers toutes les « imper­manences » de notre existence. 

Qui ne rêverait pas de terminer l’automne de sa vie dans cette paix du cœur et de l’âme, fruit de son existence qui n’a cessé d’être en marche vers l’essentiel !

……….   III

Dans l’ordinaire des jours

… Ce qui sauve le monde

J’entends souvent autour de moi des gens qui s’affligent : le monde ne va pas bien, il va même de moins en moins bien. C’est vrai qu’en lisant les journaux, en écoutant la télé, en regardant autour de moi, je constate que s’étalent l’individua­ lisme, l’égoïsme, le manque de solidarité, la bonne conscience suffisante, les souffrances béantes ou largement dissimulées, ce qui ne signifie pas que ces dernières soient moins éprouvantes que les autres. Et sans doute la distance qui sépare l’idéal d’un monde plus humain et fraternel et la triste réalité demeurera à jamais.

Pourtant, à y regarder de plus près, il existe sur notre planète si malmenée, une infinité de gestes, de démarches, d’initiatives qui non seulement empêchent de désespérer de notre espèce humaine mais manifestent sa dignité et sa vocation à la liberté de pensée, à l’ouverture à autrui, à la fraternité. Et cela, non seulement à des milliers de kilomètres de chez nous mais à notre porte.

Chacun peut énumérer sa propre litanie. Imaginons qu’on puisse les collectionner, quel étonnement nous saisirait devant le poids et la qualité d’humanité qui en permanence donne à notre monde sa saveur ! Pour ma part, il n’y a pas de jour où je ne sois témoin, bénéficiaire et parfois acteur de ces innombrables merveilles. 

Marie, mon épouse, et neuf autres femmes de ma commune, font bénévolement chaque semaine, le mercredi matin, ce qu’on appelle « l’accompagnement scolaire » pour des enfants qui ont des difficultés d’acquisition pour des raisons diverses. Marie me raconte son entretien avec la petite fille de CE2 qu’elle accompagne, les trésors d’imagination qu’elle déploie pour l’intéresser, la rendre active, la stimuler, sans résultat immédiat parfois. Une relation de confiance s’est créée, support d’une évolution possible qui se vérifie de temps à autre. Le désintéressement de cette équipe de femmes m’impressionne.

J’ai appris récemment que dans ma commune un couple d’amis offre gratuitement pendant quinze jours leur gîte rural à une famille de milieu populaire qui, sans cette occasion, ne pourrait respirer le grand air de la campagne. Le renoncement de mes amis au gain financier d’une location, leur accueil d’inconnus et leur disponibilité à leur égard est pour moi source d’émerveillement.

En ce domaine comme dans les autres, ce qu’on appelle « des riens» ne sont jamais rien. Comme les fleurs sauvages embellissent les bords des sentiers

et des fossés, tous les actes spontanés du cœur ensoleillent notre monde de plus de lumière qu’on ne l’imagine, car nos yeux sont souvent aveugles. Puissé-je les garder ouverts sur les mille facettes du beau, du vrai, du bien, qui, multipliées à l’infini, sont sel de la terre et levain dans la lourde pâte humaine !

Cueillir avec reconnaissance les prunes de mes pruniers et les légumes de mon potager procède du même esprit et me rappelle cette vérité essentielle: j’existe non seulement en donnant mais aussi en recevant. En recevant avec reconnaissance, j’apporte aussi à mes bienfaiteurs. Peut-être faut-il mûrir soi-même pour comprendre en profondeur cette réalité constitutive de l’être humain et la traduire en actes dans tous les secteurs de sa vie. C’est une des clés de la joie de vivre !

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