Le Cantique des cantiques

Par

Chant d’amour

Icône de l’Évangile

Louis Pernot

Ed. Cerf

430 pages – 34 €

Le pasteur Pernot sait très bien lire la Bible en hébreu, il est curieux de tout ce qui peut éveiller l’intérêt de nos contemporains à l’Évangile et renouveler le regard – souvent somnolent – qu’ils jettent sur un enseignement religieux, il est vrai un peu ennuyeux. Et de même qu’avec l’aide d’excellents techniciens de l’électronique il publie sur internet des cultes du temple de l’Étoile novateurs et très vivants qui attirent des centaines d’abonnés, il s’efforce de proposer ici une étonnante lecture d’un livre biblique. Il fera certainement froncer les sourcils des biblistes spécialisés attachée à l’exégèse historique et critique mais qui sait s’il ne touchera pas les cœurs de tous ceux qui aiment se laisser bercer – et réveiller – par la méditation des renouvelée de la Bible ? 

Il explique lui-même l’ancienne méthode allégorique longtemps pratiquée par les rabbins et par les Pères de l’Église dont il pense, à juste titre, qu’elle séduira bon nombre de ceux qui accepteront de s’y plonger. Il en fait une lecture commentée chapitre après chapitre, verset après verset. 
L’Esprit qui faisait vivre les anciens Pères animera aussi certainement les nouveaux lecteurs.

En voici des passages :

Introduction

Le Cantique des cantiques est considéré par la tradition juive comme l’un des livres les plus saints. Il devrait l’être davantage pour les chrétiens, qui mettent au centre de toute leur religion ce seul commandement d’amour : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée, et tu aimeras ton prochain comme toi-même (Mc 12, 30-31). Le Cantique des cantiques est comme un commentaire de ce double commandement.

[…]

La méthode d’interprétation que nous proposons est celle du midrash de la tradition juive dans sa lecture de la Bible : chaque texte renvoie à un autre texte. Grâce à cette chaîne de références qui s’établit ainsi, une sorte de logique se dégage. Les si riches commentaires des Pères de l’Église reposaient également sou­ vent sur cette méthode, et ils avaient, en effet, comme les juifs, une telle culture biblique que tout passage leur faisait penser à un autre, ou qu’un simple mot pouvait se trouver chargé de toute la signification du principal passage dans lequel on le trouve dans l’Écriture. La tradition protestante a continué dans cette ligne avec ce principe que « seule l’Écriture explique l’Écriture » qui était appliqué dans les Bibles protestantes, comme en particulier dans la version Segond, dans laquelle on ne trouvait pas de notes, mais seulement des parallèles pour chaque verset, pensant que c’est grâce à eux que peut se dégager le sens.

[…]

 

Un texte comme celui du Cantique des cantiques ne peut dévoiler toute sa richesse que si on l’aborde à partir de sa langue originelle : l’hébreu. En hébreu, bien des mots peuvent avoir plusieurs sens en français, d’autant plus que l’hébreu ancien n’indiquait que les consonnes. La vocalisation a consisté à indiquer les voyelles permettant de prononcer les mots. La vocalisation de nos Bibles hébraïques est celle qui a été proposée entre le VIe siècle et le Xe siècle par les Massorètes, qui ont tout fait pour réduire les interprétations possibles du texte (qui restent néanmoins nombreuses !). Mais il est toujours possible d’imaginer d’autres voyelles que celles des Massorètes et alors d’autres sens apparaissent encore. 

[…]

 Quand on va rechercher les mots hébreux qui se trouvent dans le texte, une pluralité de sens peut se présenter, qui coexistent dans des phrases toutes simples en apparence. Des horizons incroyables s’ouvrent alors dans le texte, lui permettant d’exprimer ou d’illustrer de façon saisissante toutes ces vérités de l’Évangile dont notre texte se montre infiniment proche.

Nous nous proposons donc d’interpréter ce beau texte du Cantique des cantiques comme le fait la tradition juive depuis des millénaires avec la pratique du Midrash. Notre perspective restera pourtant chrétienne puisque nous adoptons le principe épistémologique de la cohérence du Cantique avec le message de l’Évangile. Il s’agit donc d’un Midrash chrétien cherchant dans ce texte une illustration, une explication et une discussion sur le message révélé par Jésus le Christ.

Chapitre 5

Ct 5,2b

Traduction de Louis Pernot
La voix de mon aimé frappe :

Ouvre à moi, ma sœur, ma compagne, 
ma colombe, ma parfaite,

Car ma tête [est] pleine de rosée,

mes boucles, des gouttelettes de la nuit.

Traduction Segond
C’est la voix de mon bien-aimé, qui frappe : 
Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, 
Ma colombe, ma parfaite !

Car ma tête est couverte de rosée, 
Mes boucles sont pleines des gouttes de la nuit.

« La voix de mon aimé », c’est la parole de Dieu qui frappe. C’est là d’ailleurs une fonction essentielle de notre lecture de la Bible : nous réveiller, nous déranger dans notre sommeil confortable pour nous mettre en mouvement. C’est pourquoi il faut toujours garder un contact avec la voix de Dieu, avec la Bible, c’est en elle que se trouve le pouvoir de résurrection (ce qui, dans le Nouveau Testament, se dit justement souvent « réveil »). Dans notre sommeil spirituel, ou notre paresse, Dieu lui-même vient frapper à notre porte pour nous réveiller : c’est ainsi qu’il est dit dans l’Apocalypse : Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi (Ap 3, 20). Quant à l’appel à se réveiller, il est présent à bien des endroits de

!’Écriture, comme dans la bouche de Paul qui cite un verset de l’Ancien Testament : Réveille-toi, toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’éclairera (Ep 5.14)

L’époux appelle alors la bien-aimée : « Ma colombe, ma parfaite ». L’accumulation des termes d’affection ici présents nous montre que Dieu ne nous demande pas d’ouvrir la porte par l’emprise de la crainte ou l’effet de la menace, mais en totale confiance. Dans la première lettre de Jean (4, 18-19) il est dit : L’amour parfait annule la crainte et : Nous aimons car il (Dieu) nous a aimés le premier. C’est un Dieu de douceur et d’amour qui s’approche de nous et demande d’ouvrir notre porte comme une réponse à son amour, et non un dieu de menace qui exigerait qu’on lui ouvre pour qu’il donne le salut en échange, ou pour éviter qu’il ne nous punisse ou ne nous détruise.

Chapitre 8

Ct 8, 14

Fuis, mon aimé !

Et [sois] semblable pour toi à la gazelle ou au faon (poussière) des cerfs
sur les montagnes des aromates !

Fuis, mon bien-aimé ! 
Sois semblable à la gazelle ou au faon des biches,

Sur les montagnes des aromates !

Dans le Cantique des cantiques, Dieu est appelé à être présent à sa manière : « comme une gazelle ou un faon des cerfs sur les montagnes des aromates »… Voilà qui peut faire penser à ces aromates que les femmes ont apporté au tombeau au matin de la résurrection du Christ (Mc 16, 1) et à cette montagne où le ressuscité donne rendez-vous à ses disciples (Mt 28, 16). De même que le Christ s’éloigne et trouve un autre mode de présence dans la résurrection, Dieu, tout en laissant de la place, ne disparaît pas : il se rend présent d’une autre manière.

[…]

Les « montagnes d’aromates » sont, comme toute montagne, lieux de la présence de Dieu. Il est précisé ici que ces montagnes sont comme faites « d’aromates », c’est-à-dire de tout ce qui monte vers Dieu : prières, ou actions bonnes lui étant consacrées. C’est donc là que se trouve la présence de Dieu sur la terre, et que s’exerce sa puissance. L’homme a renoncé à tout attendre de Dieu pour ce qui est de l’action concrète dans ce monde, il prend en charge sa responsabilité, il assume le rôle donné par Dieu lors de la création à Adam en lui demandant de garder et de cultiver le jardin en étant un créateur à l’image de Dieu, mais il n’est pas seul pour autant, il n’est pas coupé de Dieu : la puissance de Dieu s’accomplit en lui. Dieu est, d’une certaine manière, absent, ou retiré, mais on peut toujours le nommer et agir pour lui. C’est ainsi d’ailleurs que les chrétiens célèbrent la sainte cène, rite complexe qui symbolise la présence du Christ dans son absence matérielle, puisqu’il fait mémoire du dernier repas pris avec ses disciples, avant que le Christ ne meure et qu’il ne laisse un tombeau vide.

L’hébreu n’ayant originellement pas de voyelles, on pourrait entendre ces « montagnes des aromates » autrement, en lisant non pas « BaShaMIM », mais « BaShaMalM », ce qui donnerait : « montagnes dans les cieux ». C’est donc bien là que la puissance de Dieu doit s’accomplir, c’est dans les cieux, et non sur terre. Le Notre Père place dès le commencement Dieu « au cieux », c’est-à-dire pas sur terre. Pour ce qui est d’agir, c’est à nous de faire. Et quand le Christ s’en va, il donne le Saint­Esprit aux disciples pour qu’ils agissent à sa place et en son nom (Jn 20, 21-23) et il dira aussi : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je m’en vais au Père (Jn 14, 12).

Il faut se penser seul pour ce qui est de l’action, agir comme si Dieu n’était pas là, mais se remplir de la puissance de Dieu et ne jamais cesser d’adorer Dieu l’au-delà de tout.

C’est grâce à la relation d’amour que le fidèle entretient avec Dieu que celui-ci peut habiter dans sa vie et ainsi développer sa puissance en lui, c’est véritablement en étant le temple du Seigneur que l’on peut unir l’action de Dieu et la responsabilité de l’homme, le fin mot pouvant être donné par Paul : Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans ta faiblesse (2 Co 12, 9).

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