Jésus a fait sa part, faisons la nôtre !
Pour une fidélité créatrice
Ed. Golias 2021
Jacques Musset
12 mai 2021
Golias
Ce nouveau livre de Jacques Musset peut être considéré comme le troisième tome d’une trilogie où il évoque ce que peut être la foi chrétienne pour l’homme moderne.
- En 2012, dans son ouvrage Être chrétien dans la modernité. Réinterpréter l’héritage pour qu’il soit crédible (Golias), prenant acte que le christianisme traditionnel, issu d’une culture périmée, n’est plus crédible pour bon nombre de nos contemporains, il propose une présentation renouvelée des grands thèmes chrétiens, dépouillés des représentations issues d’un monde révolu et revisités dans la culture de notre temps. Ce livre, réédité plusieurs fois et toujours disponible, a connu un succès certain. Nombre de ses lecteurs y ont découvert que la voie chrétienne est bien autre chose que le catéchisme qu’on leur a enseigné ainsi que la doctrine catholique officielle toujours en vigueur.
- En 2015, Jacques Musset se focalise sur le thème central de Dieu et publie Repenser Dieu dans un monde sécularisé (Karthala). Il démontre que les représentations classiques sur Dieu qui semblaient évidentes au temps de la chrétienté, ne peuvent plus l’être aujourd’hui au regard des découvertes scientifiques réalisées depuis le XVIe siècle. Dès lors, l’approche du mystère de Dieu oblige à une nouvelle démarche, liée à la recherche du sens de leur vie par les humains. Il en esquisse les grandes lignes.
- Ce troisième livre se centre sur la personne de Jésus. En le dépoussiérant des images et des doctrines qui en ont fait, dès les premiers siècles, un personnage hors sol, un Dieu déguisé en humain, le sauveur de notre humanité pécheresse, infestée par la faute originelle, il a pour but de montrer que témoigner de Jésus au long des siècles est de l’ordre d’une fidélité inventive, à renouveler sans cesse. L’auteur, dans l’interview ci-après, révèle les raisons qui l’ont poussé à écrire ce livre à la suite des deux précédents.
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Golias : Jacques Musset, ce n’est pas la première fois que vous évoquez la figure de Jésus. Dans votre livre Être chrétien dans la modernité, vous aviez un chapitre intitulé Redonner corps à l’homme Jésus et à son message. Qu’apporte de neuf celui-ci ?
Jacques Musset : L’idée m’en a été soufflée par Bernard Feillet. Un jour, un chrétien lui posa la question suivante à propos d’une situation d’actualité dont la solution n’avait rien d’évident : « Si Jésus vivait de nos jours, que dirait-il, que ferait-il ? ». Bernard Feillet lui rétorqua sans hésiter : « Jésus a fait sa part, faisons la nôtre ! ». Il ne mettait pas en cause que Jésus soit et demeure une source d’inspiration pour les humains et, notamment, pour ceux qui se disent ses disciples, les chrétiens. Il contestait seulement radicalement l’illusion que, vingt siècles après sa mort, Jésus soit là à nous souffler à l’oreille que penser et que faire pour être fidèle à l’esprit qui l’animait et qui se traduisait par des paroles et des actes de libération. Nul doute que la réponse de Bernard Feillet peut encore spontanément faire l’effet d’une douche froide chez des chrétiens qui croient, sans l’ombre d’un doute, qu’en invoquant Jésus dans les passes difficiles, il leur communiquera la marche à suivre ou encore, qu’en implorant le Saint-Esprit, ils sauront comment penser et agir.
Golias : Pourtant, être chrétien, c’est se référer à Jésus.
J.M. : Tout à fait, mais Jésus n’est plus là comme il l’était au milieu de ses compagnons et compagnes sur les routes et dans les villages de Galilée. Son cheminement s’est terminé brutalement avec son assassinat sur une croix, suite au procès inique qu’on lui a intenté. Si on le déclare vivant au-delà de la mort, au sens où la Vie qui rayonnait en lui par ses paroles et par ses actes de libération n’a pu être vaincue par la mort physique qu’on lui a infligée, cette conviction n’empêche pas que Jésus a accompli définitivement sa propre part d’humanité. C’est là le testament qu’il nous a laissé. Depuis vingt siècles, lui parti, c’est à nous ses disciples, touchés au fond de nous-mêmes par la qualité de son existence et vérifiant en nous-mêmes la fécondité de sa démarche – en ce sens Jésus nous est présent -, que revient la responsabilité de donner corps d’une manière inédite à l’esprit qui l’animait. À nous de l’actualiser dans le monde singulier où nous vivons, car personne d’autre ne peut le faire à notre place. N’attendons pas de lumières spéciales, d’illumination subite, de paroles venues du ciel. Nous sommes radicalement seuls avec nous-mêmes et les uns avec les autres pour réfléchir et prendre des décisions. Bien sûr, la mémoire vive de ce que fut Jésus au plus intime de notre être, est une source d’inspiration qui guide, oriente, mais elle ne nous télécommande pas. C’est à chacune et à chacun de nous et ensemble de risquer cette actualisation originale.
Les chrétiens de la communauté où l’évangile de Jean a été élaboré étaient conscients de cette responsabilité et de la confiance qui leur était faite. Dans le discours d’adieu de Jésus à ses disciples, l’auteur de l’évangile met sur les lèvres de Jésus ces étranges paroles : « Vous ferez vous aussi les œuvres que je fais et même de plus grandes » (Jn 14, 12). C’est dire que ce disciple et sa communauté étaient convaincus que Jésus n’avait pas épuisé dans sa façon de vivre tout ce que les humains sont capables d’inventer en formes d’humanité.
Golias : Donc il ne s’agit pas, comme on l’entend dire encore, de nous efforcer d’imiter Jésus purement et simplement.
J.M. : Absolument. D’ailleurs ce serait impossible. Notre temps n'est plus celui de Jésus. Il est même tout à fait différent du sien. En particulier, Jésus attendait de façon imminente et intensément l'avènement du règne de Dieu qui révélerait le fond des cœurs. Ce « grand soir » n’est pas venu. Par ailleurs, Jésus a été un homme singulier, de sexe masculin, célibataire semble-t-il, juif du Moyen-Orient au Ier siècle, galiléen et non judéen, parlant l'araméen ; il était laïc et donc ni prêtre, ni scribe ; il professait la religion juive ; il avait ses propres limites. Jésus a donc eu un itinéraire particulier qui n'est pas imitable ni reproductible en tant que tel. Il n'a pas vécu toutes les expériences humaines et spirituelles ; il s'est efforcé seulement - mais à quel degré de qualité d'humanité - de conduire la sienne propre avec une droiture et une authenticité peu communes. Enfin, les représentations de Jésus et donc son langage concernant le monde, l'homme et Dieu étaient celles d'un juif de son temps lesquelles ne sont plus les nôtres, depuis que les découvertes scientifiques de tous ordres à partir du XVIe siècle ont bouleversé celles de son temps. Tout cela implique que notre fidélité à lui, dans notre manière de croire et de vivre au XXIe siècle, ne peut être que créative ?
Golias : Qu’est-à dire ?
J.M. : Tout héritage humain, spirituel, politique dont on se réclame doit être revisité, approprié, actualisé d’une manière personnelle et inédite par les héritiers. Il n’a de sens pour eux comme pour leurs contemporains qu’à cette condition. Car le contexte dans lequel ils vivent est différent de celui de leurs devanciers. Il en a toujours été ainsi dans la tradition religieuse juive. On peut lire toute la Bible juive comme un incessant travail de recréation par réinterprétation de l'héritage reçu. De siècle en siècle, en effet, les conditions nouvelles de la vie remettant en question les croyances héritées ont obligé les juifs à repenser et reformuler leur foi à nouveaux frais, en la purifiant et en l’approfondissant. En ce sens, la période de déportation à Babylone (586-526 avant notre ère) qui a été particulièrement critique s’est révélée infiniment féconde.
Jésus s’est situé au sein du judaïsme de son époque dans ce mouvement d'ouverture et d'incessante réinterprétation. S’il prône un retour à la source de la foi juive, sans cesse rappelée par les prophètes - le vrai culte rendu à Dieu s'évalue à l'aune de la justice et de l'amour pratiqués envers les autres humains - en même temps, il affine et élargit les perspectives. Les vrais adorateurs de Dieu adorent en esprit et vérité. C'est l'esprit et non la lettre qui est essentiel.
Golias : Le christianisme s’est-il historiquement développé dans cet esprit ?
J.M. : Hélas, la grande tradition juive de réinterprétation permanente s’est perdue assez vite dans le christianisme lorsque celui-ci s’est massivement implanté dans la culture grecque. Du message et de la pratique libératrice de Jésus qui sont une école de vie, on a fait, lors des premiers conciles aux IVe-Ve siècles, des dogmes et une morale, et la communauté fraternelle à laquelle appelait Jésus est devenue un système clérical. Ce christianisme, élaboré dans une culture particulière et à partir d’une lecture littérale des évangiles, a été imposé comme la vérité immuable à tous les chrétiens pour les siècles des siècles. Il s’est alors figé sous la forme d’une doctrine, d’une éthique et d’une organisation qui apparaissent aujourd’hui « hors sol ». C’est pour cette raison qu’il n’est plus crédible dans notre monde contemporain. Il ne parle plus aux hommes et aux femmes modernes qui ont acquis un sens critique. Il est sans signification pour leur existence.
Golias : Face à cette impasse du dogmatisme, du moralisme et du cléricalisme, y a-t-il une alternative, c’est-à-dire des propositions d’un christianisme évangélique enracinées dans la culture actuelle et en mesure de susciter de l’intérêt pour qui est en quête de sens à sa vie ?
J.M. : Depuis un siècle, elles ne manquent pas, mais les autorités catholiques, tant qu’elles ont pu garder les rênes de leur Église, ont condamné leurs auteurs, les ont réduits au silence, voire les ont excommuniés (comme au temps de la crise du modernisme1), mais elles n’ont jamais pu empêcher la recherche ni même la mise en place de pratiques nouvelles comme la théologie de la libération en Amérique latine. Depuis cinquante ans, un peu partout dans le monde germent des propositions de christianisme actualisé en profondeur dans la modernité actuelle. J’en présente deux dans mon livre qui prennent au sérieux dans le même mouvement la lecture historico-critique, donc contextualisée, de la Bible et des évangiles ainsi que la conception moderne du monde et de l’homme, laquelle a intégré, depuis le XVIe siècle jusqu’à aujourd’hui, les apports des découvertes scientifiques de tous ordres. Je décris ainsi la démarche de l’évêque anglican américain John Shelby Spong qu’il résume dans son ouvrage Pour un christianisme d’avenir (Karthala, 2019). Il y démontre pourquoi les credos anciens et les doctrines officielles sont périmées et il développe en douze thèses ce qui peut susciter aujourd’hui une foi vivante. Il a recueilli une forte audience aux USA. J’expose aussi la pensée du théologien catholique français Joseph Moingt, exprimée dans son dernier ouvrage L’esprit du christianisme (Temps Présent, 2018) qui est comme son testament. Courageusement, il s’engage à la première personne pour dénoncer ce qu’il appelle les déviations du christianisme originel qui demeurent et pour mettre en valeur ce que devrait être un christianisme évangélique en notre temps.
J’aurais pu ajouter d’autres noms : Marcel Légaut avec deux de ses livres emblématiques : Un homme de foi et son Église (DDB, 2011) et Vie spirituelle et modernité (Duculot- Centurion, 1992) ; Roger Lenaers et son ouvrage Un autre christianisme est possible (Golias, 2011) ; Gérard Bessière : L’enfant hérétique (Albin Michel, 2004) et L’arborescence infinie, Jésus entre passé et avenir (Diabase, 2012) ; Dominique Collin : Le christianisme n’existe pas encore (Salvator, 2018) ; le théologien Eugen Drewermann : La Parole qui guérit (Le Cerf, 1991) ) et Dieu immédiat (DDB, 1995). Celui-ci a été injustement démis de son enseignement et considéré comme hérétique du fait qu’il lit les évangiles à la lumière de la psychanalyse. Paraîtra bientôt chez Karthala le livre de l’italo-canadien Bruno Mori : Pour un christianisme sans religion, retrouver la « voie » de Jésus de Nazareth (septembre 2021) …
Golias : Pouvez-vous nous donner les grandes lignes de votre ouvrage ?
J.M. : Je pose d’emblée la question : comment vivre en disciple de Jésus dans un monde qui n’est plus le sien ? puis je montre la nécessité de se dépouiller des doctrines élaborées sur lui et qui sont périmées de nos jours, après quoi je rappelle le témoignage de l’homme de Nazareth à son époque, ce qui conduit à la question de son actualisation en notre temps, aux exigences qu’elle impose et, pour conclure, je donne quelques exemples de cette actualisation.
Golias : Tout ce travail de réappropriation à nouveaux frais de l’héritage de Jésus, n’est-ce pas cela ce que Bernard Feillet appelle « faire sa part » à la suite du nazaréen ?
J.M. : Oui, tout à fait, mais ce n’est pas seulement une exigence pour les théologiens, ça l’est aussi pour n’importe quel chrétien ou groupe de chrétien, sans attendre un changement de la part de l’institution ecclésiale catholique - changement d’ailleurs très improbable vu la révolution copernicienne qu’il serait nécessaire d’opérer, comme la Réforme protestante l’a faite en partie au XVIe siècle. Cette exigence appelle les chrétiens à se montrer créatifs dans l’expression de leur foi sans craindre de transgresser, à s’organiser en petites communautés, à soutenir les théologiens inventifs, à réagir contre le système clérical et les abus qu’il provoque, à s’engager résolument dans les combats pour faire reculer, selon l’esprit de Jésus, les injustices et les tabous… Certains ont rompu les liens avec l’institution ecclésiale ou vivent à sa lisière. Leur responsabilité d’actualiser le témoignage de Jésus n’est pas moins grande. Plus les chrétiens se manifesteront ainsi solidairement d’une manière active, plus les agents du système clérical perdront de leur pouvoir, en tout cas se retrouveront peu à peu seuls. En France et en Europe, pour être plus efficace, il est temps, que se mette en place une organisation fédérant les réseaux et les groupes actuels de même que les individus isolés se réclamant d’un christianisme renouvelé, issu de Jésus et s’exprimant dans la modernité de notre temps. Appel donc est lancé à tous les lecteurs de Golias de continuer à « faire leur part » localement mais aussi à rejoindre le mouvement de celles et de ceux qui désirent témoigner collectivement d’un Jésus crédible par nos contemporains. Si vous êtes isolés personnellement et communautairement, vous pouvez vous faire connaître auprès du groupe Pour un christianisme d’avenir ( pourunchristianismedavenir@gmail.com ) qui, en lien avec la CCBF ( Conférence Catholique des Baptisés de France) et la Fédération des Parvis (42 groupes chrétiens), peut envisager des démarches communes.
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