La leçon non entendue ( ? ) de l’Évangile de Jean aux funérailles de François

Par

catholique libéral,
membre du groupe «  Pour un christianisme d’avenir »

Jean 21.15-19
Après qu’ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre : 
. Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ne m’aiment ceux-ci ? 
Il lui répondit : 
. Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. 
Jésus lui dit : 
. Pais mes agneaux.

Il lui dit une seconde fois : 
. Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ? 
Pierre lui répondit : 
. Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. 
Jésus lui dit : 
. Pais mes brebis.

Il lui dit pour la troisième fois : 
. Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ? 
Pierre fut attristé de ce qu’il lui avait dit pour la troisième fois : M’aimes-tu ? Et il lui répondit : 
. Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t’aime. 
Jésus lui dit : 
. Pais mes brebis.

En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas.

Il dit cela pour indiquer par quelle mort Pierre glorifierait Dieu. Et ayant ainsi parlé, il lui dit : 
. Suis-moi.

Le texte de l’Évangile proclamé le samedi 26 avril 2025 devant la foule immense a été la finale de l’évangile de Jean, dont la vérité n’est pas historique mais puissamment symbolique. Dans cette grande mise en scène littéraire datant de la fin du 1er siècle de notre ère, où il n’est question ni d’Église catholique ni de papauté, (contrairement aux lectures spontanées de bien des catholiques), l’auteur médite sur ce qu’est être disciple de Jésus, quel que soit le rôle qu’on peut avoir dans la communauté. Dans ce récit, fruit de sa méditation, Jésus le ressuscité fait ses adieux à ses disciples et les assure que, s’ils ont foi en lui et en sa parole, leur témoignage aura une fécondité inespérée (21, 4-6). Mais où s’origine cette foi confiante et assurée qui soutiendra leur fidélité au cours des siècles, en dépit des épreuves, des doutes et de la traversée de la nuit ?

Aux versets 15 à 19, Jésus interroge Pierre l’entraîneur, le tout feu tout flamme du groupe, mais qui, depuis la trahison de son maître aux jours sombres de sa passion, a conscience de ses fragilités et de ses limites. Jésus ne lui demande pas d’être le plus savant, le plus fort, le plus astucieux des hommes, mais l’interroge sur ce qui est pour lui la condition essentielle pour témoigner véritablement de la voie évangélique : « M’aimes-tu » ?  Pierre, la grande gueule toujours prompte à jurer son attachement à Jésus mais qui a conscience par ses multiples bévues de ses faiblesses, ne répond pas en bruyantes protestations d’attachement mais dit simplement et humblement : « Oui, tu sais bien que je t’aime ». Et comme si Jésus souhaitait éprouver sa fidélité qui a tangué plusieurs fois, il lui repose deux autres fois la même question : « M’aimes-tu », au point que Pierre est attristé de cette insistance.  Mais laissant tomber ses défenses, il ne peut que balbutier : « Tu sais bien que je t’aime ».  

Sur ce, le « Pais mes brebis » de Jésus qui suit la confession d’amour de Pierre, n’est pas un ordre militaire mais la reconnaissance de la capacité de son disciple à accompagner et à stimuler de futurs disciples sur la voie évangélique. Mais qu’est-ce qu’aimer Jésus, condition nécessaire et suffisante pour être témoin de sa parole et de sa pratique libératrice ? Une parole du Jésus de Jean donne la réponse : dans la parabole du bon berger auquel Jésus s’identifie (Jn 10, 1-19), nous lisons : « Le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis ». Se dessaisir est une forte exigence.  Témoigner de Jésus est en effet incompatible avec la recherche d’assurer son pouvoir sur autrui, puisqu’il s’agit de consacrer ses énergies à faire grandir en maturité et responsabilité ses frères humains. Telle est la promotion de « la vie en abondance » selon Jésus. Plus loin en Jn 14, 12, le Jésus de Jean rappelle la fécondité inouïe de ce dessaisissement de soi : « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais ; il en fera de plus grandes ». Ce qui signifie que le vrai témoin fait s’incarner l’Évangile dans des formes inconnues, jusqu’alors inexplorées.

Facile à dire, mais pour ce faire, il y a de vieux réflexes à rejeter, ceux de reproduire tel quel ce qu’on connaît, de vieilles peurs à exorciser, celles par exemple de mettre fin à ce qui n’est plus porteur de vie et d’avenir. C’est sans doute l’un des plus éprouvants dessaisissements.  Il est pourtant nécessaire. La fin de l’évangile des funérailles du pape l’exprime sans ménagement. Au verset 18, il y a cette phrase énigmatique que Jésus adresse à Pierre « Quand tu étais jeune tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; quand tu seras devenu vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui ceindra ta ceinture et qui te conduira où tu ne voudrais pas. Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu ». Au-delà du supplice de la croix que l’apôtre a subi, on peut lire ce texte comme une invitation à tous les disciples de Jésus, donc au pape, à consentir dans leur propre maturation à se laisser déposséder de ce qui les empêche d’inventer des voies nouvelles d’actualisation de l’Évangile et à s’ouvrir à la reconnaissance de la présence évangélique, là où on l’ignorait précédemment. A quels sacrifices de représentations et de démarches traditionnelles, les disciples de Jésus ne sont-ils pas convoqués ?

A la veille de l’élection du successeur de François, lire et méditer le texte de Jean, chapitre 21, dans son intégralité et sans en omettre sa fin, n’est pas un programme précis, ni pour lui, ni pour chacun de nous, catholiques, mais un rappel de l’essentiel pour qui se veut être disciple de Jésus, quelle que soit la place qu’il occupe dans son Église. Pourrait-on imaginer que le futur pape, chrétien comme tous les autres, qui a écouté attentivement et médité le texte de l’évangile de Jean chapitre 21, décide de se dessaisir des prétentions traditionnelles de la papauté en matière de pouvoir absolu, héritage empoisonné des siècles, pour inventer ou plutôt retrouver une figure papale qui soit signe d’union entre les Églises locales s’autogérant dans leurs grandes diversités. Les évolutions du monde moderne en termes de démocraties libérales, de revendications de liberté de pensée, de révolutions scientifiques bousculant les expressions de la foi d’hier, de recherche de la vérité par confrontations et débats, ne semblent-elle pas être en notre 21e siècle, pour la papauté catholique, « l’autre qui te conduira où tu ne veux pas aller » (Jn 21, 18) et qui est pourtant la forme d’Église où tu témoigneras le mieux de l’Évangile aujourd’hui ?  Je ne peux que souhaiter au futur élu d’entendre ce message exigeant mais libérant.

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