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La théologie avant et après
« Dieu sans Dieu »
de John Robinson

 

Theology before and after Bishop Robinson's Honest to God


 Sir Lloyd Geering

théologien néo-zélandais
membre de Sea of Faith
et du Jesus Seminar

 

24 juin 2014

Comme Eugen Drewermann il y a 20 ans et l’évêque John Spong à la même époque et aujourd’hui encore, le fameux « Dieu sans Dieu » de l’évêque John Robinson a eu un considérable succès spirituel. Voici d’ailleurs le rappel qu’en donne Sir Lloyd Geering lors de la dernière conférence de Sea of Faith de Nouvelle Zélande.

Il y a cinquante ans cette année, l’évêque John Robinson publiait son petit livre « Honest to God » [traduit en français sous le titre de « Dieu sans Dieu »] qui s’est vendu plus rapidement et plus largement qu’aucun autre livre sérieux de théologie dans le monde : sa publication a atteint un million d’exemplaires, il a été traduit en 17 langues et il vient d’être publié une nouvelle fois.

A quoi un tel succès est-il dû ? Ce n’est pas que le contenu du livre ait été tellement nouveau. Ceux d’entre nous qui faisions à l’époque de la théologie n’y avons rien trouvé de vraiment neuf. C’était plutôt une réutilisation des œuvres de trois théologiens que nous connaissions bien. Nous plaisantions entre nous du fait que Jophn Robinson avait profité d’une maladie pour rattraper un retard dans ses lectures.

Tout d’abord Paul Tillich qui avait écrit des livres très connus. Celui-ci, dans son effort de parler de Dieu de manière satisfaisante l’avait défini comme le « Fondement de l’être ». Et Robinson disait que la théologie ne visait donc pas un Être particulier nommé Dieu mais plutôt les questions fondamentales, ultimes, que posait notre existence, notre être même.

Ensuite Dietrich Bonhoeffer dont les Lettres de prison fournissaient un riche ensemble de pensées que nous étions nombreux à méditer, en particulier l’idée que Jésus était « un homme pour les autres » plutôt qu’un être divin.

Enfin, Rudolf Bultmann qui démythologisait le Nouveau Testament. L’impression que créait Robinson dans le grand public était qu’il ouvrait une brèche dans la compréhension traditionnelle de Dieu. C’est ainsi qu’il écrivait dans la préface de « Dieu sans Dieu » : « quoi que nous apprenions avec notre esprit, ce que la plupart d’entre nous retient au plus profond de soi-même, est l’image mentale d’un "vieil homme demeurant au ciel" ». Et il est vrai que tant que l’on continue à prier «notre Père qui es aux cieux » et à l’enseigner, il nous est difficile de nous débarrasser d’une telle image de Dieu.

Robinson ne niait pas l’existence de Dieu mais il s’efforçait « d’exprimer l’enseignement traditionnel dans un langage moderne » et que pour cela, disait-il, il fallait abandonner « la définition habituelle de Dieu, du surnaturel et de la religion elle-même ».

Mais il n’était pas le premier à s’engager sur une telle route. Ce qui était nouveau et frappant est que l’auteur était un évêque. Les théologiens réfléchissent et questionnent, mais les évêques se doivent d’être gardiens de la foi. De plus Robinson écrivait de manière très personnelle. Il confessait les difficultés que lui procurait la doctrine officielle de l’Église qui lui paraissait exprimée dans un style incompréhensible pour nos contemporains.

Il concluait d’ailleurs sa préface par ces mots : « Ce que j’ai essayé de dire dans cet essai exploratoire pourra paraître trop radical, et, sans doute à beaucoup, hérétique. La seule chose dont je sois sûr, c’est que, rétrospectivement, on verra que mon erreur aura été de n’être pas assez radical ». Et ceci s’est incontestablement avéré vrai.

J’en conclu que c’était la manière personnelle avec laquelle un évêque a exprimé en public ses propres doutes qui a mis en mouvement des centaines de milliers de membres pratiquants de l’Église. Ceux-ci se sont sentis libérés d’apprendre qu’un évêque affrontait les mêmes problèmes qu’eux en ce qui concerne la formulation traditionnelle de la foi.

Le livre a, simultanément et pour la même raison provoqué un torrent de critiques que Robinson lui-même n’avait pas prévues.

L’hebdomadaire anglican Church Times a écrit : « ce n’est pas tous les jours qu’un évêque semble récuser pratiquement tout le christianisme qu’il est supposé défendre ».

Les idées qui nous étaient familières dans les facultés de théologie se sont avérées représenter un fort courant d’air rafraichissant pour tous ceux qui n’avaient pas la moindre idée de ce que les théologiens discutaient pourtant depuis plusieurs décennies. La théologie était publiée, jusqu’alors, dans des ouvrages à diffusion restreinte et dans un jargon d’initiés de sorte que les laïcs n’y accédaient pas. « Dieu sans Dieu » était publié dans une collection ordinaire et était d’une lecture facile. Des critiques de Robinson lui ont donc reproché de porter à la connaissance du grand public des réalités théologiques qu’il n’était pas préparé à entendre.

Le débat a pris une telle ampleur que six mois plus tard, David Edwards éditeur de SCM a publié un seconhd livre : « The Honest to God Debate. » (« le Débat de "Dieu sans Dieu" ») qui contenait une sélection des milliers de lettres reçues par Robinson, des passages des centaines de recensions de son livre et des articles de David Edwards, David Jenkins, John Macquarrie and Alasdair MacIntyre. Ce dernier, un philosophe d’Oxford, déclarait que Robinson était comme il l’était lui-même, devenu athée et que son effort de redire la foi dans un langage moderne n’était qu’un « essai désespéré qui ne pouvait réussir ». Il concluait que « la foi du peuple Anglais est qu’il n’y a pas de Dieu mais qu’il est convenable de le prier de temps en temps ».

En fait, ce livre a éclairé d’une lumière nouvelle la foi du Royaume Uni et même du monde entier. Son succès montre qu’il est apparu au bon moment. On peut d’aileurs le considérer un jalon planté dans l’histoire du christianisme.

C’était dans ces années 1960 que Martin Luther King lança son fameux « j’ai eu un rêve ». C’était alors que le Times Magazine publia sa page une sur les théologiens de la « Mort de Dieu » (Thomas Altizer, William Hamilton et Paul van Buren). C’est en 1966 que Richard Rubenstein, le rabbin de la « Mort de Dieu » écrivit « After Auschwitz. » (Après Auschwitz).

En 1966 également Joseph Fletcher publia « Situation Ethics » (Éthique de situation) qui s’inscrivait dans la ligne de « Dieu sans Dieu » et provoqua un débat analogue qui déboucha lui aussi sur un second livre : « The Situation Ethics Debate » (le débat sur l’Éthique de situation). Et ici, en Nouvelle Zélande, nous avons eu en 1966 le grand débat sur la Résurrection de Jésus qui a culminé sur le procès qui m'a été fait : « jugement d’hérésie » de 1967.

Les années 1960 ont donc représenté un moment important dans le christianisme occidental et un responsable de notre Église a pu dire : « les choses ne seront plus jamais les mêmes ».

Le déclin de la fréquentation de l’Église s’est rapidement accru, comme si la publication de « Dieu sans Dieu » avait été une tornade qui avait soufflé le toit ! Les uns en ont justement rendu « Dieu sans Dieu » responsable, alors qu’au contraire, les autres ont dit que ce livre n’était pas la cause mais le poteau indicateur d’un changement vers une situation meilleure. Voyons cette idée d’un renouveau de la religion.

On peut remonter à 1800 ou plus précisément à 1799. C’est cette année-là que Friedrich Schleiermacher, étoile montante dans le monde théologique, a publié son livre « Discours sur la religion à ceux de ses contempteurs qui sont des esprits cultivés » (trad. nouvelle en français par Bernard Reymond, Paris, Van Dieren Éditeur, 2004) qui a provoqué un débat en Allemagne analogue à celui de « Dieu sans Dieu ». Les « esprits cultivés » que le titre mentionne désignait les penseurs des Lumières comme David Hume, qui soumettaient toute réflexion à une critique rationnelle rigoureuse et excluaient toute révélation divine.
A son époque, ce livre de Schleiermacher était bien plus radical que « Dieu sans Dieu » et pourtant, au lieu d’être condamné par les autorités de l’Église, il fut salué comme étant le sauveur du christianisme par sa critique de l’athéisme des Lumières. Il fut nommé professeur de théologie à Halle puis à Berlin. Il y était tellement admiré que le tout Berlin se pressa à son enterrement, lorsqu’il mourut à l’âge de 66 ans. Il domina la pensée protestante durant tout le 19e siècle et était connu comme le « père du protestantisme libéral ».

Paul Tillich fut au 20e siècle l’équivalent de Schleiermacher. Mais ce fut le « Dieu sans Dieu » de John Robinson qui redonna avec force une actualité à ce libéralisme qui se situait entre le christianisme traditionnel et l’incroyance athée.

Voici les trois points importants de la pensée de Schleiermacher qui ouvrirent la voie à Robinson.

1.  La théologie traditionnelle (ainsi celle de Karl Barth) était théocentrique, c’est-à-dire que son point de départ était celui des vérités révélées par Dieu. La pensée de Schliermacher était antropocentrique, elle se fondait sur l’expérience vécue par l’homme. Elle n’étudiait pas les vérités objectivement révélées par Dieu (étude de dogmatique) mais l’expérience religieuse personnelle subjective.
« La religion est une réponse à un besoin profond de l’homme. Elle n’est ni une métaphysique ni une morale mais surtout un sentiment… Les dogmes ne font pas partie de la religion, mais il en sont issus. La foi en Dieu et en l’immortalité ne font pas nécessairement partie de la religion, car on peut concevoir une religion sans Dieu qui serait une simple contemplation de l’univers » (Discours sur la religion)
[...]

2.  Ce passage de la révélation divine à l’expérience humaine a eu comme conséquence que la théologie qui était jusqu’alors l’apanage des théologiens et des autorités de l’Église s’est démocratisée et est devenue le marché religieux auquel tout le monde pouvait avoir accès à partir de sa propre expérience.

Ce changement est illustré par « La fête de Noël », un petit livre peu connu de Schleiermacher qui présente une soirée au cours de laquelle des amis (cinq femmes et quatre hommes) discutent de la signification qu’a mpour eux la célébration de Noël. Ils n’étaient pas des théologiens mais des gens ordinaires échangeant sur leur sentiment religieux personnel. Il est à remarquer qu’à l’époque la réflexion théologique était l’affaire des hommes et qu’ici des femmes y participaient.

-  Une d’elles, par exemple, dit qu’à ses yeux, Marie est comme toutes les mères qui considèrent que leur enfant est un Dieu et qu’elles discernent en lui les premiers frémissements de l’Esprit.

-  Parmi les hommes, il y a Léonard dont les autres disent qu’il est un « intellectuel qui réfléchit ». Il discute notamment la valeur historique du récit de Noël dans les évangiles et met en doute la concordance des intentions de Jésus avec ce que l’Eglise en a fait.

-  Ernst contredit ce scepticisme en présentant Noël comme une fête de joie universelle. Le fait qu’elle se perpétue et la preuve que les chrétiens ont trouvé quelque chose de vital et ne dépend pas de la vérité historique du récit de Noël.

-  Edward est davantage spéculatif et mystique. Il remarque que le 4e Évangile ne contient aucune mention de la naissance de Jésus à Bethléem ; on y lit par contre que la Parole a été faite chair, la Parole « qui était avec Dieu et qui était Dieu ». Pour lui, ce que nous célébrons à Noël n’est autre que « nous-mêmes, guéris et réconciliés, tels que Dieu nous regarde. L’humanité n’est rien d’autre que l’esprit de la terre, la vie parvenant à se connaître elle-même dans son immortalité et dans son évolution toujours changeante » (en 1803, alors que la théorie de l’évolution n’était pas connue, une telle idée était radicalement nouvelle).

-  Joseph est, quant à lui, un croyant simple, naïf et pieux et il est choqué d’entendre discuter ainsi un soir de Noël. Il réagit fortement à l’approche rationaliste de Léonard et il propose à l’assembloée de chanter ensemble afin de rétablir une ambiance un peu chaleureuse. C’était sans aucun doute de façon délibérée que Schleiermacher associait une atmosphère heureuse avec la présence des femmes et un débat intellectuel avec les hommes.

Ceci représentait une parabole fascinante de la scène théologique de ce début du 19e siècle et étrangement du monde post-chrétien auquel Sea of Faith est sensible. Mais nous n’avons plus aujourd’hui de théologiens de référence vers lesquels nous pouvons nous tourner pour obtenir des réponses à nos questions existentielles. Paul Tillich était peut-être le dernier. Il y a bien eu quelques voix qui se sont élevées après lui, comme celles de John Cobb, de John Macquarrie, de Gordon Kaufman, et de Don Cupitt. Karl Barth avait peut-être raison lorsqu’il disait que Schleiermacher marquait la fin de la doctrine chrétienne.

3.  Le passage de Schleiermacher de la révélation divine à l’expérience spirituelle humaine a ouvert la voie à l’abandon du mot « Dieu ». D’ailleurs Schleiermacher s’en est lui-même rendu compte lorsqu’il disait : « la foi en Dieu ne fait pas forcément partie de la religion. On peut concevoir une religion sans Dieu qui serait pure contemplation de l’univers ».

Mais pour la plupart des gens une telle idée est impensable. Même Don Cupitt disait en 1980 dans son livre « Taking Leave of God » : « Dieu est un mythe qu'il faut conserver ».

Pourtanr quatre ans plus tard, John Macquarrie écrivait dans « In Search of Deity » : « Il fut un temps où "Dieu" représentait un élément essentiel du vocabulaire de pour la société occidentale. Mais dans le monde entier, cette manière de parler de Dieu a pratiquement disparu. Autrefois le gens savaient – ou croyaient savoir – ce qu’était Dieu et ils en parlaient fréquemment. Aujourd'hui, dans la vie quotidienne, on ne le mentionne jamais. Ce mot semble avoir disparu de notre langage ordinaire. »

En 1999, Don Cupitt étudia notre manière actuelle de nous exprimer et remarqua que le mot « Dieu » avait été remplacé par le mot « vie ». La théologie avait été en quelque sorte démocratisée (remercions Schleiermacher !). Ce n’étaient plus les théologiens professionnels mais les gens ordinaires qui représentaient le côté vivant de la théologie dans leur langage quotidien. Et il parla de « The New Religion of Life in Everyday Speech » (La nouvelle religion de la vie dans le langage quotidien).

 

 Traduction Gilles Castelnau

 

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