Réflexion
Les relations
entre judaïsme, christianisme et islam
Les causes des
conflits
9 août 2003
Le judaïsme, le christianisme et
l'islam ont le même Père (le Dieu d'Abraham).
Mais ils ont des relations non pas fraternelles mais fratricides. Les
trois religions monothéistes croient toutes trois en un
même et seul Dieu unique, le Dieu d'Abraham, et elles
reconnaissent la même lignée de fondateurs et de
prophètes : Adam, Noé, Abraham, Moïse, Job,
David et Jésus. Mais cette consanguinité, bien loin de
les rapprocher et de les unir, les met en situation de
rivalité. Chacune prétend détenir seule
la
« révélation ».
Cette situation de rivalité
fratricide se complique par une
situation de rivalité oedipienne. Le judaisme n'est pas
seulement, comme on l'a dit, le frère aîné du
christianisme, il est aussi le père du christianisme. Et le
judaisme et le christianisme ne sont pas seulement les frères
aînés de l'islam mais le grand-père et le
père de l'islam. Et la religion-fille, tout en reconnaissant
la religion-mère, a la volonté et le désir de la
supplanter et même de la tuer.
Comment se manifeste cette relation de
filiation, mais aussi de rivalité oedipienne ? Prenons
l'exemple des relations du christianisme avec le judaisme. Le
christianisme reconnaît le judaisme puisque le christianisme a
maintenu le Livre des Juifs (la Thora, l'Ancien Testament) dans le
corpus de ses livres saints. Mais le christianisme est aussi souvent
animé d'un sentiment d'antisémitisme meurtrier à
l'égard du judaisme. Le christianisme s'est souvent
prétendu « le nouvel
Israël » qui devait
se substituer au vieil Israël.
Le christianisme reconnaît, à
la rigueur, la place, la fonction et la légitimité du
judaisme d'avant Jésus-Christ, à titre de
préparation et d'annonce du christianisme. Par contre il a du
mal à définir le rôle du judaisme d'après
Jésus-Christ. Et toutes les relations d'amitié
judéo-chrétiennes qui se manifestent aujourd'hui
n'empêchent pas que le christianisme considère que le
judaisme d'après Jésus-Christ est aveugle puisqu'il n'a
pas voulu reconnaître Jésus-Christ. Et le judaisme
lui-même, (en dépit des efforts d'un Martin Buber et
d'un Elie Benamozegh (1)
a du mal à reconnaître une
fonction et une légitimité au christianisme.
De la même manière, l'islam
reconnaît la place des « gens du Livre »
(les juifs et les chrétiens) et reprend à son compte la
prophétologie judéo-chrétienne. Mais il
considère que le judéo-christianisme a
défiguré la vérité et il prétend
prendre la place de ceux dont il est l'héritier.
Si l'on veut concourir à ce que chacune des confessions
monothéistes reconnaisse les deux autres, il ne sert à
rien de mettre en valeur ce qu'elles ont en commun puisque cela ne
fait que conforter leur rivalité. Il faut au contraire tenter
de fonder théologiquement leur différence, leur
spécificité et leur
complémentarité.
La compétition fratricide entre les
trois monothéismes ne peut être évitée que
si l'on démontre que chacun des trois monothéismes,
dans sa spécificité propre, est légitime,
véridique et indispensable aux deux autres.
Ainsi il faut fonder la place, la fonction
et la légitimité du christianisme et de l'islam dans le
cadre d'une théologie juive, et aussi la place, la fonction et
la légitimité du judaisme et de l'islam dans le cadre
de la théologie chrétienne, et enfin la place, la
fonction et la légitimité du judaisme et du
christianisme dans le cadre d'une théologie musulmane.
Articulation
générale du judaisme, du christianisme et de
l'islam
Pour articuler le judaisme, le christianisme
et l'islam, on peut user de plusieurs images.
Donnons-en une première :
celle de l'arbre. Le judaisme est le
tronc, le christianisme constitue les branches maîtresses et
l'islam les branches secondaires. L'arbre serait incomplet s'il n'y
avait pas le tronc, les branches maîtresses et les branches
secondaires. Le tronc serait incomplet et inutile sans les branches
maîtresses et secondaires. Et les branches maîtresses ont
besoin, pour accomplir leur mission, de l'existence du tronc. Et les
branches secondaires ont besoin, pour accomplir leur mission de
l'existence du tronc et des branches maîtresses.
L'islam doit reconnaître qu'il a son
fondement dans le judaisme et le christianisme. Et le christianisme
doit reconnaître qu'il a son fondement dans le judaisme.
Cette image de l'arbre rend compte d'une succession chronologique entre le
judaisme, le christianisme et l'islam. Mais il est possible de donner
une image spatiale de l'articulation des trois monothéismes.
C'est celle de trois cercles concentriques qui rendent compte de
l'extension et de l'universalisation progressive du champ du
monothéisme. Le cercle central représente le judaisme.
Le second représente le christianisme qui étend le
monothéisme à un cercle plus large au-delà des
limites du judaisme. Et l'islam étend le monothéisme
à un cercle plus large encore : le champ des peuples
extérieurs au champ de l'Eglise chrétienne du
VIIe siècle.
La mission du christianisme est plus
universelle que celle du judaisme (elle concerne les gentils alors
que la mission du judaisme concerne les seuls juifs) et la mission de
l'islam est encore plus universelle (le prophète Mohamed, au
VIIe siècle s'est adressé aux tribus
païennes qui n'avaient été touchées ni par
le judaisme ni par la mission chrétienne).
Autre articulation
possible entre le judaisme, le
christianisme et l'islam. Puisque chacun de ces trois
monothéismes considère que Dieu conclut plusieurs
alliances successives avec l'humanité, chacun des trois
monothéismes peut être considéré comme la
réalisation de l'une de ces alliances.
Pour nous faire comprendre, rappelons en
quoi consiste cette succession des Alliances. Dieu conclut une
première alliance avec Adam, père de l'ensemble de
l'humanité ; puis, devant l'échec de cette
première alliance, Il conclut une deuxième alliance
plus restreinte (on pourrait dire moins ambitieuse) avec Noé,
père, non pas de l'ensemble de l'humanité mais des
seuls croyants ; puis, devant l'échec de cette
deuxième alliance, il conclut une troisième alliance,
plus restreinte encore, avec Abraham, père des seuls croyants
monothéistes ; puis devant l'échec de cette
alliance, il conclut une alliance plus restreinte encore avec
Moïse, père du seul peuple juif.
On peut considérer que le judaisme
constitue la réalisation de l'alliance avec Moïse et le
peuple élu, que le christianisme constitue la
réalisation de l'alliance avec Abraham et le croyants, et que
l'islam constitue la réalisation de l'alliance avec Adam et
l'ensemble de l'humanité.
Et le paradoxe est que l'islam qui constitue
la dernière alliance dans l'ordre chronologique
représente l'accomplissement de la première alliance
dans l'ordre de la succession des alliances.
Lors de la succession des alliances avec
Adam, Noé, Abraham, Moïse, Dieu restreint progressivement
et peu à peu le territoire de son alliance de façon
à avoir une emprise, certes plus restreinte, mais aussi plus
ferme et plus sûre. A partir de l'aire sûre et
fidèle que constitue le judaisme, il pourra alors
étendre progressivement le champ qu'il peut s'approprier
d'abord par la mission chrétienne puis par la mission
islamique, réalisant ainsi son alliance avec Abraham,
père de l'ensemble des croyants monothéistes, et
peut-être même avec Adam, père de
l'humanité toute entière.
Si l'on prend l'image des poupées
russes, et en assimilant l'emboîtement de ces poupées
aux différentes alliances, on peut dire que l'islam
emboîte le christianisme qui emboîte le judaisme. Mais,
chronologiquement, la construction de ces Alliances se fait en sens
inverse. C'est la plus petite poupée (le judaisme) qui vient
en premier. Puis est placée la moyenne (le christianisme),
puis la plus grande (l'islam).
Nous voulons maintenant étayer ce
schéma général en présentant d'abord
l'articulation du judaisme avec le christianisme, puis l'articulation
du judéo-christianisme avec l'islam.
Articulation du
judaisme avec le christianisme
On peut considérer que le projet
de Dieu est de s'approprier (de
devenir le Seigneur) de l'humanité entière.
Le peuple juif constitue le « camp de base » à partir duquel le Dieu unique va mettre en
oeuvre son projet.
Le peuple juif, pour pouvoir être un
camp de base sûr, doit être séparé et
protégé du reste de l'humanité. Il doit
être saint, c'est-à-dire séparé du reste
du monde. D'où l'interdiction de toute forme de mixité
entre le peuple juif et les autres peuples. Les rites, les
règles et les lois auxquels doit se soumettre le peuple
élu sont là pour manifester cette sainteté et
cette séparation, signe et condition de sa
fiabilité.
La théologie juive insiste sur le
fait que le peuple élu doit être juste et saint, mais
cette sainteté du seul peuple d'Israël assure le salut de
l'ensemble de l'humanité. C'est ce dont rend compte la
prière d'Abraham. Il suffit que dans une ville il y ait dix
justes pour que l'ensemble de la ville soit sauvée, à
cause de ces dix justes. La sainteté du peuple juif est une
sainteté vicaire, « pars pro toto ». Elle assure le salut de l'ensemble de
l'humanité.
Ainsi, il faut y insister, pour le judaisme,
le Dieu du peuple élu est aussi le Dieu qui sauve aussi
l'ensemble de l'humanité.
Mais, s'il en est ainsi, quelle est la spécificité du
christianisme et de l'enseignement de Jésus par rapport au
judaisme ?
- Jésus n'est donc pas le fondateur d'une
religion nouvelle qui serait le christianisme. Jésus-Christ
est la quintessence du judaisme, et non pas le fondateur du
christianisme.
C'est la foi juive que Jésus a
prêchée. Il n'a pas prêché le
christianisme. Le christianisme a prêché
Jésus-Christ, mais Jésus, lui n'a pas
prêché le christianisme (2). Jésus n'a
pas prêché Jésus-Christ. Il a prêché
une forme de judaisme parmi d'autres, tout simplement.
Certes, Jésus, dans sa
prédication, a particulièrement insisté sur
certains thèmes, le pardon de Dieu pour les pécheurs
par exemple. Certes, il s'est montré un
« libéral », par rapport au sabbat et aux règles
rituelles du judaisme de son temps. Mais, même sur ces points,
Jésus n'a pas innové. Il n'a fait que reprendre, en le
radicalisant, l'enseignement des anciens prophètes
d'Israël.
Ce qu'il y a de nouveau chez Jésus,
ce n'est donc pas le contenu de sa prédication, c'est le fait
qu'il ait prêché non seulement aux Juifs mais aussi aux
païens. Il leur a prêché qu'ils étaient, eux
aussi, tout comme le peuple juif, au bénéfice de la
Bonne Nouvelle du salut et qu'ils pouvaient eux aussi accéder
au Royaume Mat. 8, 11.
Comment Jésus s'est-il
considéré ? Bien loin de se considérer
comme le fondateur d'une religion nouvelle, il s'est voulu le
représentant et même l'incarnation de l'Israël
fidèle et obéissant à Dieu (un peu comme le
Général de Gaulle, en 1940, s'est
considéré investi de la mission d'être la vraie
France). Jésus s'est considéré comme le
Serviteur de Dieu (dont la figure et la mission avaient
été décrites dans le livre d'Isaïe).
Et c'est à ce titre qu'il peut
être considéré comme la « lumière des
nations »
(c'est-à-dire des nations non juives), c'est-à-dire
comme celui qui annonce aux « nations » que le Dieu d'Israël est aussi un Dieu de salut
pour les nations.
- Certes, cette manière de voir pose une
question. Si Jésus s'est seulement considéré
comme une figure de la foi juive, pourquoi y a-t-il eu une scission
entre le christianisme naissant et le judaisme ?
Notons d'abord que, dans le christianisme
naissant, il y avait plusieurs courants et que la plupart d'entre eux
ont continué fort longtemps à se considérer
comme faisant partie du judaisme. Ainsi le courant des
Nazaréens (composé de Juifs reconnaissant Jésus
mais restant Juifs) est resté dans le judaisme jusqu'au
IVe siècle de notre ère. Ainsi
également le courant conduit par Pierre puis par Jacques, le
frère de Jésus, s'est considéré comme
l'un des rameaux du judaisme, et ce jusqu'aux
années 90-100. Certes, le courant conduit par Paul a pris
plus tôt ses distances vis-à-vis de certaines
règles rituelles de la loi juive (l'exigence de la
circoncision, les prescriptions alimentaires, la
fidélité au Temple de Jérusalem) et ce parce
qu'il recrutait parmi les non-Juifs. Mais les Eglises fondées
par Paul ont cependant continué à être
abritées dans les synagogues jusqu'en 85-90. En fait, il
n'y a guère que le courant des Hellénistes, conduit par
Etienne et Philippe, qui ait rompu rapidement avec le judaisme
officiel parce qu'il refusait le ritualisme du Temple.
Notons ensuite que la théologie du
christianisme naissant n'a fait que reprendre des articles de foi du
judaisme, même si elle l'a fait en cristallisant ceux-ci sur la
figure du « Christ ». Ainsi, le titre de « fils de Dieu » que l'on a attribué à Jésus
était déjà utilisé dans le judaisme pour
qualifier le peuple d'Israël lui-même et ses
représentants (Exode 4, 22 ; Esaïe 1,
2 ; Psaume 2, 7). Ainsi encore, l'idée que les
croyants étaient sauvés grâce au sacrifice d'un
Juste était déjà présente dans le
judaisme (cf. la figure du Serviteur souffrant de
Esaïe 53). De même, l'idée d'une incarnation
de Dieu dans l'histoire sous la forme du Verbe était
également présente, sous une forme comparable, dans le
judaisme (cf. la figure de la « Sagesse » dans Proverbes 8).
Ainsi les théologiens qui
considèrent que le christianisme constitue une nouvelle
théologie par rapport au judaisme sont à mon avis dans
l'erreur. La théologie du Serviteur souffrant,
c'est-à-dire du sacrifice vicaire, qui semble
caractériser le christianisme de Paul par rapport au judaisme
était déjà présente dans le judaisme
(cf. Moïse qui s'offre en sacrifice pour le salut des juifs
apostats qui ont érigé le Veau d'or, cf. aussi la
théologie sous-jacente à l'Ebed Yahvé de
Esaïe 53). De même l'idée théologique
du Logos (Dieu incarné dans l'histoire) était
déjà présente dans le judaisme tardif sous la
forme de la Sagesse et de la Thora. De même la théologie
de la résurrection des morts était déjà
présente dans le judaisme dès le second siècle
avant notre ère.
En fait, la rupture entre le christianisme
et le judaisme ne n'est pas faite sur des points de théologie.
Et elle ne s'est pas faite non plus parce que les chrétiens
confessaient que Jésus était le Messie et le Christ.
Elle s'est faite d'abord sur des points que nous pourrions
considérer comme secondaires, par exemple l'abandon, dans les
communautés fondées par Paul, de la circoncision et des
règles relatives à l'alimentation.
Mais la rupture entre le christianisme et le
judaisme, même si elle ne s'est pas faite pour des questions
théologiques, s'est néanmoins faite sur une question de
fond : faut-il annoncer aux païens le Dieu d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob ? Après quelques hésitations
(dont témoignent les dissensions entre Pierre et Jacques d'une
part et Paul d'autre part), le christianisme naissant a
prêché, tout comme l'avait fait Jésus, que le
fils prodigue (le païen) était accueilli, par le
Père (Dieu), à la même table que le fils
aîné (le Juif). Et cela a scandalisé le judaisme
de l'époque même si, en y regardant de près,
cette universalité de la grâce de Dieu était
déjà présente dans le judaisme ancien (en
particulier chez Isaïe, Jonas, Malachie et dans les
Psaumes).
En fait, Jésus-Christ n'a fait que
reprendre la théologie classique du judaisme (qui avait
été un peu oubliée à son époque),
celle de la prédication d'un Dieu dont le projet est la
conclusion d'une alliance universelle.
Articulation entre
judaisme et christianisme ?
C'est un fait, le
christianisme a voulu supprimer le
judaisme en prétendant être le nouvel Israël.
Certes, il a reconnu le judaisme antérieur à
Jésus-Christ, en incorporant les livres saints du judaisme au
canon de ses Ecritures. Mais il a voulu aussi dénier la
légitimité du judaisme d'après
Jésus-Christ (en considérant que la Synagogue
d'après Jésus-Christ avait les yeux voilés pour
n'avoir pas voulu reconnaître le Christ).
Il a voulu se substituer au judaisme en se
prétendant le nouvel Israël rendant caduc ainsi le
judaisme d'après Jésus-Christ et même celui
d'avant Jésus-Christ. L'antisémitisme et les
exécutions meurtrières ont clairement manifesté
cette volonté du fils de tuer le père.
- Mais cette théologie de
l'Eglise comme nouvelle Israël
me paraît tout à fait erronée. Ma thèse
(qui n'engage que moi) tient en une phrase : le christianisme,
c'est le judaisme pour les non-Juifs. Le judaisme est et reste la
religion légitime du peuple juif. Les juifs ont raison de
rester juifs même après Jésus. En effet
Jésus n'est pas venu pour les convertir à une religion
nouvelle. Il est venu pour étendre aux non-Juifs les promesses
dont bénéficiait le peuple juif et dont il
bénéficie toujours.
Le christianisme n'est pas un
monothéisme nouveau par rapport au judaisme. Le christianisme
n'est rien d'autre que le judaisme, mais il est le judaisme
étendu aux non-juifs. Sa fonction est de prêcher le
monothéisme et la promesse du Dieu d'Israël sont parole
de vérité et de salut aussi pour les non-Juifs. Sa
spécificité est d'étendre aux non-juifs ce qui,
jusqu'à présent, avait été entendu par
les seuls juifs.
En confessant Jésus comme le Christ,
les chrétiens ne dénoncent pas la
véracité et la légitimité du judaisme.
Bien au contraire, nous l'avons dit, Jésus-Christ incarne en
lui-même la plénitude du judaisme. Il est la voix du
judaisme adressée aux non-Juifs.
Le judaisme et le christianisme ont chacun
leur vocation propre. Et ces deux vocations sont l'une et l'autre
nécessaires. Le judaisme a pour vocation la sainteté
(le fait d'être à part du monde). Le christianisme a
pour vocation l'incarnation (le fait d'ensemencer le monde). Le
judaisme a pour vocation d'être professé par un peuple
« à
part » de façon
à rappeler que Dieu lui-même est « à part » du monde. Le christianisme, lui, par contre, a pour
vocation d'incarner, on pourrait dire de mélanger, le germe de
la présence de Dieu dans l'ensemble de l'humanité.
Ainsi le judaisme insiste sur le fait que Dieu est énigme et
transcendance, et le christianisme, lui, insiste sur le fait que Dieu
est présence et proximité. Le judaisme insiste sur le
fait que Dieu est « Loi », et le christianisme insiste, lui, sur le fait qu'Il
est « grâce » universelle. Le judaisme et le christianisme ont
tous les deux raison.
- La vocation du judaisme se vit sur le mode de la pureté, de
l'intégrité, de la sainteté et de la
séparation par rapport aux nations. La vocation du
christianisme se vit, elle, sur le mode de l'incarnation à
l'intérieur de la pâte des nations.
Pour reprendre une image
biblique (3), le christianisme a pour vocation de saler la
pâte que constitue les nations avec le sel que constitue le
judaisme. Et c'est pour cela que le sel (du judaisme) doit garder sa
pureté et son intégrité. Car « si le sel perd sa saveur, avec quoi
salera-t-on » la
pâte des nations ?
Ainsi, le christianisme doit s'enraciner
dans le judaisme d'après Jésus-Christ comme d'avant
Jésus-Christ. Sans le judaisme, celui d'avant
Jésus-Christ comme celui d'après Jésus-Christ,
le christianisme perd son socle, sa source et son sel.
Le judaisme est élu pour obéir
à la loi de sainteté. Le christianisme a pour vocation
d'être missionnaire et d'incarner le sel et le levain de cette
sainteté parmi les
« nations ».
Israël est élu pour être
obéissant à une loi. Cette loi c'est celle de la Thora
de Moïse. Le christianisme a pour vocation de témoigner
d'une foi et de la communiquer aux nations. Cette foi est la foi
à la prédication de Jésus-Christ qui apporte
hors des limites du judaisme la promesse du salut dont seul le
judaisme avait reconnu jusque-là la
vérité.
Reprenons notre image des cercles
concentriques. Elle nous permet d'expliquer de quelle manière
est mise en oeuvre le projet de Dieu de « faire
alliance » et de passer
contrat avec l'ensemble de l'humanité. Le cercle le plus
central, c'est celui d'Israël. Israël est le premier peuple
conquit par Dieu. Et par sa sainteté, il assure le salut de
l'ensemble de l'humanité (4). Le deuxième
cercle (ou plutôt le deuxième anneau) c'est celui de
l'Eglise chrétienne, c'est celui qui symbolise l'ensemble de
ceux qui ont foi dans ce salut. Mais le deuxième cercle ne
recouvre pas l'ensemble de l'humanité. Il subsiste des
païens sans loi ni foi. Le troisième anneau, c'est celui
qui caractérise le champ et la vocation de l'islam. Et nous
allons le voir, la spécificité de l'islam s'exprime sur
un mode autre que ceux de la loi et de la foi.
Nous en venons donc maintenant à une
tentative de préciser l'articulation entre l'islam d'une part,
et le judaisme et le christianisme d'autre part.
La vocation propre à l'islam va
être d'annoncer la Parole du Dieu d'Israël et de
Jésus-Christ là où le christianisme n'avait pas
pu et n'avait pas su l'apporter, c'est-à-dire dans la partie
du paganisme qui n'avait pas été atteinte par la
mission chrétienne.
Articulation du
judaisme et du christianisme avec l'islam
- Dès son
apparition, l'islam s'est
attribué pour vocation la mission parmi les païens
adeptes de religions reconnaissant d'autres dieux que l'Unique, le
Dieu d'Abraham et de Jésus. Le monothéisme que l'islam
prêche aux polythéistes, c'est celui du
Judéo-christianisme. Pour l'islam, judaisme, christianisme et
islam sont une seule et même religion avec les mêmes
desseins. Le judéo-christianisme, tel que le voit l'islam, est
essentiellement la forme de la religion unique et éternelle
que Dieu a voulu valable d'abord pour les enfants d'Israël
à un moment déterminé de l'histoire puis pour
l'ensemble du genre humain. Pour l'islam, c'est ce monothéisme
que Jésus a prêché (5). C'est ce
monothéisme que l'islam veut reprendre à son
compte (6).
Certes l'islam considère que ce
monothéisme judéo-chrétien a été
perverti par les successeurs de Jésus (7). Et c'est
pourquoi Dieu a envoyé le prophète Mohamed pour
rétablir la vérité.
Ainsi, pour l'islam, la prédication
de Mohamed, dans sa teneur essentielle, ne se distingue pas de celle
des prophètes antérieurs, du moins par son contenu.
Mais, en revanche elle s'en distingue par trois
éléments formels d'une importance
considérable (8).
- Cette proclamation s'adresse à tous les hommes du monde
entier
- Seul le Coran est la Parole de Dieu (et la forme écrite du
Coran est le garant du caractère non modifiable et
définitif de cette Parole).
- Avec Mohamed, les annonces bibliques d'un prophète à
venir sont définitivement accomplies. De sorte que juifs et
chrétiens devraient reconnaître que l'annonce de la
venue de Mohamed est mentionnée « chez eux dans la
Thora et l'Evangile » (Sourate 7,157).
L'islam se présente donc d'une part
comme une réforme au sein du judéo-christianisme (non
pas tant par rapport au judéo-christianisme authentique et
éternel mais par rapport à ses
déviations (9)
) et une réinstauration de la
vérité du monothéisme
authentique (10). Et il faut
reconnaître qu'il vise souvent juste et vrai.
Et il se présente aussi, d'autre
part, comme une prédication missionnaire hors du
« champ » qui a été couvert par le
judéo-christianisme. Et sur ce point aussi, on ne peut que lui
reconnaître une grande légitimité puisque,
incontestablement, il a conduit à la connaissance du Dieu
d'Abraham, de Moïse et de Jésus-Christ de nombreux
peuples qui n'avaient pas été atteints par la mission
chrétienne.
- Voyons plus précisément
comment l'islam présente
l'articulation du judaisme, du christianisme et de l'islam. Nous
citons Mgr Teyssier (11).
« L'histoire religieuse de
l'humanité est conçue dans l'apologétique
musulmane comme passant par trois étapes : celle de
l'enfance, où l'homme doit être encore
éduqué par la loi (celle du judaisme) ; celle de
l'adolescence, où Dieu fait appel aux sentiments
généreux de l'enthousiasme juvénile comme
l'amour et le pardon (c'est le christianisme) ; et celle de
l'âge adulte de l'humanité, autrement dit de la
période de l'islam, qui équilibre les exigences de la
loi et les bons sentiments dans la religion du juste milieu
(Sourates 2,43).
Le judaisme et le christianisme sont ainsi perçus comme deux
étapes révolues de l'histoire de l'humanité. Aux
prodiges que Moïse avait multipliés pour impressionner
les Hébreux familiarisés avec la magie
égyptienne, aux miracles de Jésus, l'islam substitue le
seul signe qui convient pour l'étape rationnelle de l'histoire
de l'humanité : la merveille intellectuelle et
littéraire qu'est le Coran, signe par excellence de la
véracité du Message.
L'apologétique musulmane exalte la simplicité du
message islamique centré sur Dieu, unique objet d'une
adoration qui, sans intermédiaire ou intercesseur, sans
clergé ni sacrement, met chaque homme devant sa
responsabilité personnelle pour ce monde et le monde à
venir. Et il faut reconnaître la grandeur du témoignage
rendu à Dieu dans la prière musulmane, la proclamation
du Coran et la soumission des croyants à la loi divine dans
leur vie individuelle, familiale et sociale. »
- Le Dieu de l'islam sera un Dieu Un, inconnaissable et transcendant (12) ,
universel et éternel. Cette manière de définir
Dieu est considérée par l'islam comme plus originaire
et universelle que la manière judéo-chrétienne
d'inscrire l'alliance et la manifestation de Dieu dans un processus
historique lié à un peuple particulier. Elle peut
être considérée comme plus originaire parce
qu'elle met en oeuvre la première alliance conclue par Dieu,
celle qu'il a conclue avec Adam, Noé et Abraham.
- Le Dieu unique et universel n'est pas le Dieu d'Isaac, de Moïse et de
Jésus (qui sont des figures relatives à une histoire
particulière, celle du petit peuple d'Isaac, de Moïse et
de Jésus), il est le Dieu d'Abraham et ainsi celui de
Noé et d'Adam lui-même. Il est le Dieu éternel,
universel et a-historique.
Puisque le champ couvert par le
judéo-christianisme a son origine seulement en Isaac et
Moïse, l'islam s'enracinera en Abraham, père d'Isaac (et
par là du judaisme) et aussi d'Ismaël. Il consacrera ses
efforts au rameau ismaélien de la descendance d'Abraham, comme
s'il ne voulait pas concurrencer le judaisme sur son propre
terrain ; En effet, dans la descendance d'Abraham, Ismaël
est l'ancêtre des non-juifs et par là même des
non-chrétiens.
- L'islam se considère donc comme un monothéisme plus universel et plus
général que le monothéisme juif. Ce
monothéisme est fondé sur le concept de
création.
Pour l'islam, Dieu est le Dieu de la
création du monde et de l'humanité. Dieu n'est pas un
Dieu lié à une histoire se déroulant dans le
temps et encore moins à l'histoire particulière du
peuple d'Israël.
Le concept de création est plus
évidemment accessible par tous que celui de « Loi » (la Loi de Moïse qui délimite le peuple
de ceux qui lui obéissent) ou celui de foi (la confession de
foi du christianisme qui délimite l'Eglise par rapport au
monde).
Dieu, parce qu'il est universel, unique et
éternel est d'abord et même uniquement le Dieu
créateur. L'islam recommande à ses fidèles de
réfléchir sur la création et sur le
mystère de la création et de s'écarter ainsi de
toute réflexion sur le mystère de Dieu
lui-même (13). Ce Dieu
créateur est le Dieu de la creatio continua et
c'est pourquoi le Coran refuse l'idée d'une lassitude de Dieu
après le travail créateur des six jours (tel qu'il est
rapporté dans Genèse 1 et dans
Coran 50,38-39), ce qui l'aurait conduit au repos. Dieu est
éternel et immuable.
Le Dieu de l'islam, tout en étant
prêché postérieurement, sur le plan
chronologique, au Dieu du judaisme et du christianisme doit donc,
logiquement, être considéré comme plus en amont
que le Dieu du judéo-christianisme, celui-ci ayant une emprise
historique et géographique plus partielle. Et c'est pourquoi
l'islam s'enracine en Abraham, père du monothéisme
universel, ancêtre en amont d'Isaac, de Jacob, de Moïse et
de Jésus. Pour l'islam, le judaisme et le christianisme ne
sont que des formes particulières d'un monothéisme plus
général et plus
« premier »,
celui du Dieu d'Abraham.
« Abraham n'était ni
juif ni chrétien, mais il était hanif et muslim (vrai
monothéiste et vrai soumis à Dieu) et non
polythéiste »
(Coran 3, 67, cf. aussi Coran 2,135). Il est
décrit comme voulant convaincre son peuple (et aussi son
propre père) d'abandonner les idoles et le
polythéisme.
Mohamed aurait dit dans l'un de ses propos
que « il n'est aucun enfant
nouveau né qui n'appartienne naturellement à la
religion musulmane. Ce sont ses parents qui en font un juif, un
chrétien ou un adorateur du
feu » (14). Ceci montre bien
que l'islam serait bien le monothéisme universel, premier et
abrahamique dont le judaisme et le christianisme ne seraient que des
particularités.
- Ainsi, par rapport au judaisme et au
christianisme, la
spécificité de l'islam est, du moins dans son principe,
sa prétention à être une religion universelle. Et
cette universalité, ce n'est pas seulement une manière
de caractériser le champ du monde qu'il veut couvrir (le
christianisme aussi a une prétention à
l'universalité), c'est aussi la caractéristique de ses
dogmes et de ses rituels. La confession de foi de l'islam et ses
rituels se veulent universellement accessibles et signifiants.
Au contraire, le christianisme est
fondé et limité par une confession de foi
spécifique qui n'a pas de sens universel et par des sacrements
spécifiques dont la sémantique ne peut être
reconnue par tous les croyants, et à plus forte raison par
l'humanité entière.
Pour l'islam, il n'y a pas comme pour
Israël de signe de la différence entre « le peuple
élu » et le reste
de l'humanité. Il n'y a non plus de baptême qui, comme
dans le christianisme, délimiterait la limite entre l'Eglise
et le reste de l'humanité.
Entre la verticalité de la
transcendance de Dieu et l'horizontalité de la pratique
rituelle, il n'y a aucune médiation, aucun
intermédiaire, aucun sacrement.
La révélation de l'islam ne
s'effectue pas dans une histoire particulière, comme dans le
judaisme, ni dans et par une incarnation comme dans le christianisme.
L'islam insiste sur le caractère limité de la mission
de Jésus tandis que Mohamed a été envoyé
au monde entier et que l'islam est valable jusqu'à la fin des
temps (15).
Les cinq piliers de l'islam ont un
caractère absolument universel : la confession de
l'Unique, la prière, le jeûne, l'aumône. Le
dernier, le pèlerinage à La Mecque, peut
apparaître plus spécifique, mais rappelons que
Jérusalem (le nombril du monde tout entier et le centre de
tout monothéisme) était le premier lieu saint des
musulmans.
- Les Musulmans insistent sur le caractère social et politique, et par
là même profane du Coran. Par certains
côtés, l'islam est une forme de religion profane et
a-confessionnelle, et par là même universelle.
Une des raisons du succès de l'islam
fut qu'il apportait un nouveau type de fraternité, avec le
souci des faibles et des pauvres (16).
Le Coran constitue la
révélation parfaite et intemporelle de Dieu, et ce
même si cette révélation a été
faite, à un moment donné à
Mohamed (17). Le fait que l'ordre des Sourates du Coran ne soit
pas un ordre chronologique est significatif. La théologie
musulmane ignore la différence entre les Sourates mekkoise et
médinoises.
Le Coran est donc considéré
comme une révélation unique ne s'inscrivant pas dans le
temps. Et c'est sans doute la raison pour laquelle l'islam n'a pas
incorporé dans ses livres saints la Bible juive et le Nouveau
Testament chrétien. Il y a là une différence
profonde par rapport au christianisme qui a inclus la Bible juive
dans le canon de ses Ecritures en la plaçant avant le Nouveau
Testament qui lui est spécifique.
Il est également hors de question
pour l'islam de considérer que le canon de ses Ecritures
puisse être ouvert. Il n'est ouvert ni vers l'amont (puisqu'il
n'intègre pas la Bible juive et le Nouveau Testament) ni vers
l'aval.
Pour l'islam, le Coran inclut en
lui-même le judaisme et le christianisme et constitue le
judaisme et le christianisme authentique et
accompli (18).
Il rend caduques les deux étapes (le
judaisme et le christianisme) du processus dont il se prétend
l'accomplissement. Pour l'islam, l'histoire du salut a pris fin avec
le Coran.
- Ainsi l'islam prétend être le monothéisme le plus
monothéiste, pourrait-on dire, c'est-à-dire le plus
simple, celui pour lequel Dieu se réduit à la simple
expression de sa transcendance pure. Et ce monothéisme pourra
se prétendre universel car Dieu y sera confessé sans
que lui soient attribués les attributs spécifiques que
lui reconnaissent le judaisme, le christianisme et
éventuellement d'autres monothéismes.
Il n'y a aucun discours sur Dieu ni sur les
attributs de Dieu ni sur l'histoire de la révélation
divine, puisque Dieu est confessé comme Simple, sans attribut,
sans histoire, sans contingence ni incarnation (19).
- La théologie et la liturgie de
l'islam telles que nous les
présentons peuvent paraître très
séduisantes. Les règles et rituels de l'islam sont
d'une grande simplicité. La confession de foi (la
première Sourate) est d'une grande et majestueuse
austérité (qui rappelle le Soli Deo gloria de
Calvin).
- Mais nous voulons être clair sur un
point.
Ce qui m'inquiète dans l'islam, c'est
justement sa perfection épurée. C'est son
caractère définitif, éternel, a-historique, on
pourrait dire utopique. Une religion a besoin d'être
incarnée dans des formes et des articles de foi susceptibles
d'évolution. Elle doit être incarnée dans la
nature humaine et aussi dans l'histoire (20).
L'islam devrait accepter que l'histoire de
la révélation de Dieu précède le Coran et
se poursuive après le Coran. Le Coran a pris un risque en
prétendant intégrer dans la révélation
faite à Mohamed au VIe siècle
l'intégralité de la révélation du Dieu
d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de Jésus-Christ,
éternel et en en niant le caractère progressif et
historique. Ce risque c'est celui du totalitarisme. L'universalisme,
soit ! le totalitarisme, non !
Ainsi le reproche le plus fondamental que
nous ferons à l'islam, ce n'est pas sa prétention
à l'universalité (bien au contraire !), c'est sa
prétention à être a-temporel et
indépendant des catégories humaines.
D'une certaine manière, c'est une
remise en cause de la notion d'alliance. Le Dieu de la Bible,
même s'il est unique et éternel, fait alliances (au
pluriel) avec l'histoire des hommes et avec la multiplicité
des peuples. Il incarne et adapte sa Parole unique dans des
situations particulières. La pluralité des
désignations de Dieu dans le judaisme et la théologie
de la Trinité (un Dieu unique se manifestant en plusieurs
« personnes ») le manifestent clairement.
- Notons à ce sujet que la
querelle que l'islam fait à
la théologie trinitaire du christianisme procède d'un
malentendu. L'islam s'attaque, à juste titre, à une
certaine théologie trinitaire et même
tri-théïste qui était présente au
VIe siècle et qui était infidèle
à l'enseignement du christianisme authentique.
L'islam devrait au contraire se
réjouir de la théologie trinitaire du christianisme,
car c'est elle, et plus particulièrement la théologie
du Saint-Esprit, qui devrait, du moins théoriquement,
permettre au christianisme d'entériner la
légitimité de l'islam et de la prédication de
Mohamed.
Le christianisme, en confessant
l'Esprit-Saint (l'Esprit également appelé le Paraclet
annoncé par Jésus comme devant prendre son relais
après son départ), ouvre la porte à la
possibilité de l'action de l'Esprit après
Jésus-Christ, et pourquoi pas, au sixième siècle
de notre ère, dans la prédication de Mohamed.
D'ailleurs l'islam tend lui-même la
perche au christianisme sur ce point. En effet il considère
que Mohamed est une manifestation de l'Esprit Saint. Et il
prêche que Jésus lui-même, en prêchant la
venue après lui de l'Esprit Saint, a annoncé la venue
de Mohamed.
A mon sens, cette proposition est fausse
exégétiquement. Il n'est possible d'identifier Mohamed
au Paraclet annoncé par Jésus que de manière
tout à fait artificieuse (21). Mais elle est
à mon sens valable théologiquement car il est possible
de considérer la prédication de Mohamed comme l'une des
manifestations de l'Esprit Saint.
- Nous en venons ainsi à une question
fondamentale. Le christianisme
peut-il reconnaître la légitimité de la
prédication de Mohamed ?
Sur cette question, on peut d'abord rappeler
l'opinion de Jésus lui-même. Jésus ne s'est
sûrement pas considéré comme le seul et unique
prophète de Dieu. Bien au contraire, il ne cesse de citer les
prophètes qui l'ont précédé. Et puisque
Jésus accepte qu'il y ait des prophètes avant lui,
pourquoi n'accepterait-il pas qu'il y en ait après lui ?
D'ailleurs s'il annonce qu'il laisse l'Esprit après lui et
qu'il est avantageux qu'il s'en aille, c'est bien parce qu'il suppose
que l'Esprit fera son travail après lui.
L'histoire de la Révélation et
de la Parole de Dieu ne s'arrête pas le jour de Pâques.
Bien au contraire, elle reprend de plus belle lors de la
Pentecôte. Et lors de la Pentecôte, chacun des peuples a
entendu l'Evangile, et ce « dans sa propre
langue », comme le
précise le récit biblique.
Ce serait une conception fausse (et
quasiment islamique !) que de considérer que la
totalité de la vérité éternelle de Dieu
se révèle en un seul moment de l'histoire et en un seul
langage.
On peut également noter que
Jésus considérait que la Parole de Dieu pouvait
être énoncée, même après lui, en
dehors du champ du judaisme puisqu'il a dit : « beaucoup viendront de l'Orient et de
l'Occident et ils s'assiéront à la même table
qu'Abraham, qu'Isaac et Jacob » (Mat 8, 11). On peut donc
considérer qu'il a pu accepter que la parole de Dieu soit
prêchée après lui hors du judaisme et du
christianisme. Puisque Jésus a reconnu la
légitimité de la foi des païens (la
Syro-phénicienne, le centurion romain), on peut
considérer qu'il aurait pu également légitimer
la foi des musulmans et le fait que Dieu pouvait parler par
l'intermédiaire de leur prophète.
Autre point. Les prophètes qui ont
été les annonciateurs du Messie n'étaient pas
tous juifs (cf. Cyrus, rois des Perses). Si Jésus a pu
être en lui-même la récapitulation d'un
prophétisme qui n'était pas uniquement juif, pourquoi
ne pourrait-il pas être la source d'un prophétisme
extérieur au judéo-christianisme ? Rappelons que
Mohamed se réclame de Jésus et qu'il le
considère comme une source (22).
Nous ne voyons donc aucun obstacle à
ce que le christianisme reconnaisse une légitimité
à la prédication de Mohamed.
Le dialogue
judéo-christiano-musulman
Nous voudrions terminer par quelques
propositions sur ce dialogue.
- Il est inutile et équivoque de vouloir rapprocher les trois monothéismes
en insistant sur ce qu'il y a de commun entre le judaisme et le
christianisme (l'Ancien Testament par exemple), entre le judaisme, le
christianisme et l'islam (par exemple la place des prophètes
et en particulier d'Abraham), entre le christianisme et l'islam (par
exemple la place de Marie et de Jésus en particulier).
- Ce qui importe,
c'est que le judaisme reconnaisse la légitimité et la
nécessité théologiques (du point de vue du
judaisme) du christianisme et de l'islam en tant que tels, que le
christianisme reconnaisse la légitimité et la
nécessité théologiques (du point de vue du
christianisme) du judaisme et de l'islam en tant que tels et que
l'islam reconnaisse la légitimité et la
nécessité théologiques (du point de vue de
l'islam) du judaisme et du christianisme en tant que tels.
- Il existe manifestement des
différences et même des
contradictions entre les théologies juive, chrétienne
et musulmane, mais elles ne se portent pas toujours là
où l'on pense.
- Il est inutile de faire reproche aux Juifs
de ne pas avoir reconnu Jésus-Christ. Et ce tout simplement
parce que Jésus-Christ n'avait pas à être
« reconnu » par le judaisme. Jésus-Christ n'est pas le
porteur d'une vérité dont le judaisme n'avait pas
connaissance et qu'il aurait dû reconnaître. Nous l'avons
dit, la spécificité de l'enseignement de
Jésus-Christ et du christianisme n'est pas d'être une
réforme du judaisme mais une extension de la
prédication du judaisme auprès des non-Juifs.
Jésus a pour vocation spécifique d'être le
porteur de la vérité du judaisme au-delà des
limites du peuple juif. Il n'avait donc pas à être
reconnu par le peuple juif.
- Il est inutile de faire reproche aux
musulmans et au Coran de ne pas avoir compris « comme il faut » qui était Jésus-Christ. En effet, le
Coran accorde à Jésus des titres égaux ou
supérieurs à ceux que lui accorde le Nouveau Testament.
Rappelons que le Nouveau Testament n'a jamais présenté
Jésus-Christ comme la deuxième personne de la
Trinité (pour la bonne raison que la théologie
trinitaire n'est apparue qu'aux troisième et quatrième
siècles de notre ère). Les chrétiens n'ont donc
pas à faire reproche au Coran de refuser de considérer
Jésus comme la deuxième personne de la Trinité.
Au contraire ils devraient l'en féliciter car le Coran, par ce
refus, s'attaque à ce que l'on peut considérer comme
une hérésie chrétienne, la théologie
chrétienne « officielle » n'ayant jamais identifié purement et
simplement Jésus à Dieu. Ajoutons que le Coran a
donné à Jésus des titres qu'il n'a pas
donnés à Mohamed et que le Nouveau Testament ne lui a
pas donné aussi explicitement. Ainsi Jésus est
nommé, par le Coran, comme étant la « Parole de
Dieu »
(Sourate 4,271), la « Parole de
Vérité »
(Sourate 19,34), « le
Messie et un Verbe émanant de Dieu » (Sourate 3,45).
- Pour faire avancer le dialogue entre le judaisme et
le christianisme, je propose les
thèses suivantes.
- Le judaisme et le christianisme ont des
vocations différentes, également nécessaires et
complémentaires.
Le judaisme confesse la transcendance,
l'altérité et la sainteté de Dieu. Il rappelle
que le service de Dieu s'effectue comme une marche à
l'aveugle, avec pour seul guide l'obéissance à une loi
qui, par son arbitraire, rappelle l'incompréhensibilité
de Dieu.
Le christianisme confesse la proximité, l'incarnation de Dieu
et sa présence au coeur des hommes. Il rappelle que Dieu ne
peut être qu'objet de foi, et que le service de Dieu est aussi
le service des hommes.
- Le christianisme doit renoncer à
toute théologie qui ferait de lui un « nouvel
Israël » rendant
caduque la légitimité du judaisme d'après
Jésus-Christ. Il devrait s'interdire non seulement de prier
pour la conversion des juifs mais même d'accueillir des juifs
dans l'Eglise. Et réciproquement, les chrétiens n'ont
pas à se convertir au judaisme, puisque le christianisme n'est
rien d'autre que le judaisme pour les non-juifs. Le christianisme
doit considérer que le Nouveau Testament n'est pas un
enseignement nouveau mais le mode opératoire de la
prédication du Premier Testament aux non-juifs.
Mais, de son côté, le judaisme
doit reconnaître la légitimité de la mission
chrétienne qui est d'incarner sa sainteté dans la
« pâte
humaine » des non-juifs.
S'il ne reconnaît la mission du christianisme, le judaisme
condamne Dieu à ne pouvoir jamais être le Seigneur du
monde entier, alors que c'est ce qu'il confesse explicitement.
- Pour faire avancer le dialogue entre le christianisme
et l'islam, je propose les
thèses suivantes.
- Le christianisme doit affirmer que la
prédication du Dieu d'Israël et de Jésus-Christ se
poursuit et se renouvelle sous l'action du Saint-Esprit après
Jésus-Christ et même après la période
néo-testamentaire. Et on peut parfaitement considérer
le Coran comme une forme de prédication du Dieu d'Israël
et de Jésus-Christ, cette prédication ayant
été actualisée, sous l'action du St-Esprit, dans
le contexte du VIe siècle de notre ère.
Les Chrétiens sont en dette par
rapport aux Musulmans. Les Musulmans reconnaissent Jésus et
les Chrétiens ne reconnaissent pas Mohamed. Et ils ont tort,
au nom même des principes du christianisme (incarnation de la
Parole de Dieu dans des cultures différentes, insistance sur
le fait que la Révélation de Dieu est continue dans
l'histoire et peut progresser ou se modifier au cours de l'histoire,
insistance sur la fonction de l'Esprit-Saint après
Jésus-Christ). L'Incarnation de Dieu dans un juif du premier
siècle (Jésus) ne doit pas être
considérée comme le lieu exclusif et unique de
l'Incarnation de Dieu mais comme le prototype de l'Incarnation de
Dieu dans la variété des cultures et des
époques.
Bien sûr, il n'est pas question pour
les chrétiens de reconnaître Mohamed comme étant
à l'égal de Jésus-Christ. Mais ceci, même
les Musulmans ne le font pas : ils n'accordent en aucune
manière à Mohamed les titres prestigieux qu'ils
accordent à Jésus.
- L'islam ne peut légitimement se
considérer comme la troisième étape de la
révélation de Dieu assumant les deux
précédentes (judaisme et christianisme) qu'à
condition de respecter leur intégrité (de la même
manière que le christianisme doit respecter
l'intégrité du judaisme sans en faire une sorte
d'annonce du christianisme).
De la même manière que le
christianisme a intégré au canon de ses Ecritures la
Bible juive en tant que telle, de même l'islam doit ouvrir le
canon de ses Ecritures en assumant le Premier Testament et le Nouveau
Testament en tant que tels. Ou du moins il doit changer le statut du
Coran. Le Dieu éternel est aussi le Dieu de l'histoire.
Le problème du
canon des Ecritures
- La question du canon est en fait
fondamentale. C'est sur cette
question que se cristallise tout le problème de l'acceptation
par l'un des trois monothéismes, de la
légitimité des deux autres. Et sur cette question,
judaisme, christianisme et islam sont peu au clair et ambigus.
- Le problème du canon des Ecritures
pose d'abord le problème de la clôture de ce canon.
Clôturer le canon, c'est considérer que la Parole de
Dieu ne se fait plus entendre (ou du moins ne parle plus de la
même manière) après le dernier écrit
canonique : le livre d'Habbacuk pour le
judaisme (23), le livre de l'Apocalypse pour le
christianisme (24), le Coran pour
l'islam (25). Cela pose un sérieux problème,
puisque cela dénie le caractère continu de la
Révélation.
- Le problème du canon se pose aussi
de la manière suivante : les Ecritures doivent-elles
être considérées comme monolithiques et comme la
Parole et la Révélation du Dieu éternel
délivrées à un moment unique de l'histoire, ou
bien peuvent-elles être considérées comme le
recueil d'une succession de paroles délivrées et
accueillies à des moments différents de
l'histoire ?
Les Ecritures canoniques sont-elles la
Parole de Dieu en tant que telle ou des paroles humaines
témoignant de cette Parole ?
Sur ce point aussi, les trois
monothéismes ont des conceptions différentes.
- Pour le judaisme orthodoxe, la Thora (les
cinq premiers livres de la Bible juive) est la Parole de Dieu dite
à Moïse et transcrite par Moïse. Mais il n'en est
pas de même pour les autres livres de la Bible juive.
Mais le judaisme, même s'il
considère la Thora comme la révélation de Dieu
écrite par Moïse, fait un usage tellement libre de cette
Thora que ceci permet le développement de théologies
qui sont en fait très loin de l'Ecriture.
- Le christianisme par contre accepte le
caractère progressif de la Révélation au cours
de l'histoire et par là même la diversité des
livres bibliques.
Le christianisme, en principe du moins,
n'identifie pas les Ecritures avec la Parole de Dieu. Et toujours en
principe, les Ecritures doivent être lues et
prêchées à la lumière du Saint-Esprit.
Pourtant bien des Chrétiens ont une conception fondamentaliste
du statut des Ecritures, et paradoxalement plus fondamentaliste que
celle du judaisme.
- Pour l'islam, le Coran a le même
statut que la Thora pour le judaisme. Il est la Parole de Dieu dite
à Mohamed et transcrite par lui à un moment
précis de l'histoire.
Pour les musulmans, le Coran est
considéré comme une révélation unique,
intemporelle, monolithique, clôturée et scripturairement
révélée. Et pourtant, paradoxalement, tout comme
les juifs, les musulmans, ont une attitude très libre
vis-à-vis du Coran. Ils le récitent, mais ne le
connaissent pas. Et tout comme le judaisme, l'islam développe,
à côté du Coran, une multitude de récits
allégoriques et légendaires, une multitude de
« dits du
Prophète » (la
Sunna).
- Ainsi, à mon sens, le problème du
canon est le noeud du dialogue des
trois monothéismes. Et l'on peut regretter que le
problème du statut du canon fasse peu l'objet de débats
à l'intérieur de chacune des trois confessions
monothéistes et à plus forte raison ne fasse pas
l'objet de débats inter religieux.
Si l'on veut aller dans le sens d'une
réelle reconnaissance, par chacun des trois
monothéismes, de la légitimité des deux autres,
je ne vois que deux solutions.
- Ou bien appeler chacun des trois
monothéismes à inclure dans ses Ecritures les Ecritures
des deux autres. Si, comme nous le prétendons, les trois
monothéismes sont complémentaires et non pas exclusifs
les uns des autres, les Ecritures des monothéismes
frères devraient être reconnues en tant que telles et
intégrées en tant que telles dans le canon de chacun
des monothéismes. Ce que le christianisme a fait avec les
Ecritures juives devait être
généralisé.
- Ou bien renoncer au concept même
d'Ecriture canonique, ou du moins accepter sa relativisation. C'est
cette deuxième voie qui me paraît la plus
réaliste : les Ecritures devraient être
considérées et instituées par les Eglises comme
un ensemble jamais clôturé, à
géométrie variable, de textes écrits par des
hommes pour rendre compte de leur foi. Elles seraient
considérées alors comme une référence
historique et une source d'inspiration prophétique. C'est
d'ailleurs, semble-t-il de cette manière que Jésus a
considéré les textes du Premier Testament.
___________________________________________
Notes
1. Israël et l'humanité, Albin Michel 1961.
2. La
veille de sa mort, Jésus célèbre, non pas
l'eucharistie chrétienne, mais le repas de la Pâque
juive. Et l'on ne peut comprendre ce qu'il fait que si l'on comprend
la signification de ce repas.
Lors de ce repas, le président du
repas donnait en nourriture aux participants trois galettes de pain
azyme qui représentaient chacune « le corps » des prêtres, celui des lévites et celui
du peuple d'Israël lui-même. A elles trois, elles
représentaient « le
corps »
(c'est-à-dire la substance) du judaïsme dans son
ensemble.
Jésus, lui, utilise une seule
galette. Il veut ainsi montrer l'unité du judaïsme et
récuser toute distinction entre des « castes ». Au moment où Jésus dit
« ceci est mon
corps » en montrant cette
galette, il ne veut bien évidemment pas dire que cette galette
contient son corps physique ! Il identifie son « corps » (c'est-à-dire la substance de ce qu'il est),
non pas à la galette elle-même, mais à ce que
représente la galette, c'est-à-dire le judaïsme
dans son ensemble. Il identifie son « corps » au « corps » du judaïsme. Ainsi, il s'identifie au
judaïsme.
Mais, ensuite, pour le rituel de la coupe,
Jésus montre comment il se différencie du judaïsme
de son temps. Il énonce que son sang est
versé « pour une
multitude »,
c'est-à-dire non seulement pour le peuple juif, mais pour
l'ensemble de l'humanité, Juifs et non Juifs.
Le christianisme, c'est le judaïsme
pour les non-Juifs.
3. Mat 5,13.
4. De la
même manière que, selon le récit de la
prière d'Abraham, quelques justes peuvent assurer le salut de
la ville Gen 18,16 sq.
5. Cf. J. Journet p. 124.
6. « Dis : nous croyons en Dieu, à
ce qu'il nous a envoyé, à ce qu'il a
révélé à Abraham, Israël, Jacob et
aux douze tribus : nous croyons au livre saint que Moïse,
Jésus et les prophètes ont reçu du ciel ;
nous ne mettons aucune différence entre eux, nous sommes
soumis à la volonté de Dieu » (Coran sourate 3, 78).
« Il t'a envoyé un livre
(le Coran) contenant la vérité et qui confirme les
Ecritures qui l'ont précédé. Avant lui il fit
descendre le Pentateuque et l'Evangile pour servir de direction aux
hommes »
(Sourate 3, 2).
« Parmi les juifs et les
chrétiens, il y en a qui croient en Dieu et aux livres
envoyés à vous et à eux, qui s'humilient devant
Dieu et ne vendent pas ces signes pour un vil
prix »
(Sourate 3, 198).
« Avant lui (le Coran), le livre
de Moïse servait de guide et de miséricorde ; mais
celui-ci (le Coran) est le livre qui apporte la confirmation en langue
arabe »
(Sourate 46, 12).
7. Sourates 3,75 ; 4,46 ; 5,41. Mais ceci
ne signifie pas pour autant que les Ecritures du Judaïsme et du
Christianisme sont fausses. C'est l'interprétation faite par
les Juifs et les Chrétiens de ces Ecritures qui en a
constitué une falsification des Ecritures est intervenue
après.
8. Cf. Hans Zirker, in Nouveau dictionnaire de
théologie, Cerf 1996,
page 440.
9. « Certains d'entre les gens du livre
racontent n'importe quoi au sujet de l'Ecriture, en pensant que cela
fait partie de l'Ecriture alors que cela n'en fait pas partie. Ils
disent que cela vient de Dieu mais cela ne vient pas de
Dieu » (3,78).
10. Cf. Coran 5,14-19.
11. Mgr Teyssier, Archevêque d'Alger,
Islam et christianisme, dialogues et
confrontation, Revue du SOEPI
n° 31, Octobre 1990.
12. Le
Dieu de l'Islam est purement transcendant et Un, tout comme le Dieu
du Judaïsme. En parallèle avec le commandement du
Judaïsme de ne se faire aucune image de Dieu et de ne
reconnaître aucun autre Dieu devant sa face, citons ce
commandement de l'Islam : « Dieu ne pardonne pas qu'il lui soit
donné des associés » (Coran 4,48).
13. En
ceci il rejoint la philosophie dont l'objet est de se demander :
« pourquoi y a-t-il quelque
chose plutôt que rien ? »
14. S.
Keshavjee, Le roi, le sage et le
bouffon, Points Seuil, 1998,
page 143.
15. Jacques Jomier, Pour
connaître l'islam, Editions du
Cerf, page 126.
16. Cf.
Khomeyni : « Le Coran
renferme cent fois plus de versets qui concernent les
problèmes sociaux que les sujets de dévotion. Sur une
série de cinquante thématiques de la tradition
musulmane, il n'y en a peut-être que trois ou quatre qui
traitent de la prière ou des devoirs de l'homme envers Dieu,
quelques-uns se rapportent à la morale, et tout le reste porte
sur la société, l'économie, le droit, la
politique et l'Etat ».
Khomeyni, Pour un gouvernement
islamique, Paris 1979,
pages 10-12.
17. La
théologie coranique ignore qu'en fait le Coran n'a
été « collecté » et composé qu'un ou deux siècles
après la mort du prophète.
18. La
question de savoir si le Coran prétend rectifier la Thora
juive et le Nouveau Testament peut être débattue. Il est
possible que la théologie musulmane
révélée dans le Coran ne soit pas une
rectification de la Thora et du Nouveau Testament mais une
rectification de la « falsification » des Ecritures (c'est-à-dire de la
déformation du sens de la Thora et du Nouveau Testament) qui a
été opérée par la théologie juive
et chrétienne du VIe siècle.
En particulier les critiques du Coran
à propos de la Trinité chrétienne ne doivent pas
être conçues comme une rectification du Nouveau
Testament (qui n'inclut aucune théologie trinitaire) mais
plutôt comme une critique de la théologie
chrétienne du VIe siècle ou
mieux de diverses hérésies chrétiennes de cette
époque (la théologie trithéiste). En effet,
à l'époque de Mohamed, beaucoup de chrétiens
étaient trithéistes. Ils croyaient que Dieu
était une famille de trois êtres divins : Dieu le
Père qui, avec Marie la mère, aurait sexuellement
engendré Jésus le Fils.
19. Il y
a pourrait-on dire quelque chose de franc-maçon dans cette
définition de Dieu réduite à être
Transcendance pure et Créateur de l'univers.
20. Et
ceci, le judaïsme et le christianisme (plus d'ailleurs le
catholicisme que le protestantisme) l'ont compris. Une religion doit
tenir compte de la religion naturelle de l'homme, même s'il y a
en elle une forme de paganisme. Si la religion naturelle et le
paganisme ne sont pas assumés par la religion officielle, ils
ressurgissent de manière incontrôlée hors de la
religion officielle et à côté d'elle. C'est ce
qui se passe dans les pays musulmans.
Certes, on pourra objecter que, dans les
pays judéo-chrétiens, il y a de plus en plus de
manifestations païennes, aussi bien à l'intérieur
qu'à l'extérieur de la Synagogue et de l'Eglise. Mais
c'est sans doute parce que, depuis quelques décennies, le
judaïsme et le christianisme, eux aussi, veulent « purifier » et rendre plus abstraite leur conception de
Dieu.
21. Citons à ce sujet Jacques Jomier,
Pour connaître
l'islam, page 179.
« Déjà la
Sira de Ibn Hisham (mort en 834) qui est la plus ancienne vie du
Prophète... évoque cette prédiction. Elle veut
trouver dans l'annonce de Jésus de la venue du Paraclet
(Jean 14,16-17), la prophétie qui annonce Mohamed.
Le Paraclet est identifié à Mohamed par suite d'un
rapprochement des deux mots en syriaque.
D'autres ont tenté des rapprochements en grec où
Praklêtos (ou "Paraklytos") est identifié à
Periclytos, illustre, glorieux.
Comme Mohamed signifie "loué" en arabe et est qualifié
de "le très glorieux" dans le Coran (Sourate 61,6), le
jeu de mots est habile ».
22. Le
schéma de l'histoire du salut tel que le présente le
théologien protestant Oscar Cullmann peut être
significatif à ce sujet. Pour lui, Jésus est la
récapitulation non seulement de l'alliance de Dieu avec le
peuple juif mais également, en amont de l'alliance en Abraham
(plus universelle que celle de Moïse) et, plus en amont encore
de l'alliance avec Noé et même Adam. Cette
humanité entière (dans toute sa diversité et
dans toutes ses aspirations religieuses) avec laquelle Dieu a fait
alliance se trouve concentrée en Jésus-Christ par une
sorte de mouvement de systole. Et ensuite, Jésus-Christ
injecte, par une forme de diastole, son sang et son message jusqu'aux
confins du monde. L'alliance de Dieu se fait en s'élargissant
et en s'universalisant progressivement, d'abord avec les douze
disciples de Jésus, puis avec l'Eglise chrétienne, puis
avec les religions abrahamiques monothéistes, puis avec
l'humanité tout entière.
23. C'est d'ailleurs ce que dit la théologie
juive : Dieu n'a plus parlé après Habbacuk.
24. C'est ce que semble considérer le
christianisme bien qu'il n'ait clôturé le canon qu'au
XVIe siècle.
25. C'est d'ailleurs ce que dit l'islam.
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