Articles
Suisse
La lutte des
charismatiques
contre les démons
Philippe
Gonzalez
sociologue à
l'université de Fribourg (Suisse)
.
Interview réalisée
par Claudine Castelnau
à la radio
Fréquence protestante
transcrite grâce à
l'aide de A. Aparis
18 juillet 2008
Claudine Castelnau : Vous avez enquêté dans les
communautés évangéliques, pentecôtiste et
autres en milieu genevois et vous en avez tiré un article que
vous avez publié dans le n° 50 de la revue
ethnologique Terrain .
Philippe Gonzalez : Lors d'un congrès d'anthropologie en
Angleterre, l'éditrice de cette revue m'a demandé un
article sur le diable. A ce moment là je m'intéressais
aux liens des évangéliques avec le monde de la
politique en Suisse.
Ils ont deux partis. Le Parti évangélique
suisse, le plus ancien, qui se situe
au centre droit. A l'extrême droite, l'UDF,
l'Union démocratique
fédérale.
J'ai donc commencé à observer
leurs célébrations religieuses et je me suis rendu
compte que le diable y tenait une place très importante, non
seulement au niveau individuel mais aussi au niveau politique
collectif au point que j'ai parlé dans mon article d'un « exorcisme de la
nation ».
CC : Vous avez étudié ce phénomène sur
l'ensemble des communes du canton de Genève.
PG : En
suivant le déroulement de l' « Opération
Jéricho » qui a
débuté en 1994 et s'est déroulée sur
quatre ans à raison d'un exorcisme de commune par mois en
moyenne. Le canton de Genève compte à peu près
45 communes et l'Église qui a commandité cet
exorcisme a pris quatre ans en tournant autour de la ville par des
mouvements concentriques pour se rapprocher progressivement du centre
de Genève. L'Opération Jéricho est ainsi
nommé d'après l'histoire rapportée dans le livre
biblique de Josué.
CC : Josué, le chef hébreu qui, en des temps très
anciens, a fait tourner le peuple autour de la ville de
Jéricho jusqu'à ce que les murs
s'écroulent.
PG : Exactement et cette image montre bien le statut guerrier que prend
facilement la louange dans les milieux charismatiques. On y prend
position contre les entités démoniaques dont on pense
qu'elles occupent des places fortes dans chaque commune. Dans la
logique de ces revivalismes il importe d'y hâter le
Réveil...
CC : La
conversion...
PG : La
conversion. Mais dans cette optique, il s'agit, non pas de la
conversion individuelle Mais de la conversion des territoires
politiques dont on aura réussi à déloger les
démons.
CC : Comment se passent les réunions de louange,
d'intercession auxquelles vous avez assisté.
PG : Elles sont difficile à décrire. Il
s'agit une sorte de concert rock avec de très longues plages
musicales où l'on chante de courts refrains,
répétés sur de très longues
durées : 4 phrases peuvent être
répétées pendant 10
voire15 minutes.
CC : On
a l'impression de transes...
PG : Il
y a quelque chose de cet ordre, il y a un très fort
érotisme, le corps est très mobilisé, il y a une
manière de se laisser aller dans ces chants, dans cette
musique qui ne s'arrête jamais.
CC : Vous dites qu'un pasteur, Étienne Rochat, est
le pivot de ce à quoi vous avez assisté. Il est
musicien et passe son temps à produire un fond sonore,
à en monter le volume quand on chante et à le baisser
quand il y a une « prophétie »...
PG : Lors d'une soirée à laquelle j'ai
assisté, le groupe de louange a chanté pendant
4 heures d'affilées. Les musiciens sont très
sollicités car à aucun moment la musique ne
s'arrête. Il y a un fond sonore permanent qui permet
tantôt les chants de la chorale et de l'assemblée,
tantôt la communication de messages ou de prophéties. Un
jeu s'installe entre le chant de la chorale et les parties
improvisées par les « prophètes » qui chantent leurs messages. Ils peuvent, d'ailleurs
les délivrer sans chanter et ce sont alors des moments
d'effervescence de l'assemblée : certains participants « parlent en
langue », d'autres sont
pris de convulsions extatiques, certains tombent, certains pleurent.
On appelle cela l' « onction » : les gens se disent « habités par
l'Esprit » et ils
« délivrent des
prophéties » où l'autorité du Christ est proclamée sur un
lieu.
C'est ce que fera Étienne Rochat dans
la réunion que je décris où il exorcise la ville
de Genève.
Il faut savoir que ce jour là,
à Paris, il y avait la Gay Pride et la semaine d'après
à Genève il y avait une Lake Parade qui est à
peu près l'équivalent genevois :
défilé qui n'est pas orienté directement sur la
population homosexuelle mais c'est une manifestation très
festive. Dans les deux cas, le « prophète
musicien » va chasser les
« autorités » (il faut entendre les démons) qui en sont les
instigateurs. Il s'agit donc d'une sorte de purification de la
ville.
CC : Vous notez à plusieurs reprises que le
péché de sexe est sans arrêt
dénoncé et l'homosexualité
considérée comme une débauche.
PG : Je
savais, lorsque j'ai commencé mon investigation, que les
milieux évangéliques conservateurs parlaient avec une
certaine emphase des tabous sexuels. Mais je me suis rendu compte que
la démonologie est étroitement lié à des
pratiques corporelles qui inclut également la question de la
sexualité. Des règles extrêmement strictes
régissent pour eux le pur et l'impur et toute forme de
transgression sexuelle est vue comme un signe d'habitation par le
démon. C'est pourquoi ils considèrent que le seul
rapport envisageable avec les homosexuels ou aux autres pratiques
sexuelles qu'ils considèrent comme déviantes est celui
de l'exorcisme.
CC : Pourquoi s'attachent-ils de façon
obsessionnelle à la dénonciation de tout ce qui est
sexuel plutôt qu'à la corruption financière ou
à d'autres méfaits qui lèsent réellement
les gens ?
PG : Ce
que vous remarquez là est tout à fait vrai.
Actuellement le monde évangélique est en mutation,
commence à s'ouvrir à la pensée politique de
gauche.
Par exemple, un groupe de militants
évangéliques suisses, « Christ Net » milite de manière assidue contre le secret bancaire, contre la
consommation à outrance et contre tout ce qui pourrait
détruire la planète, en un souci
écologique.
Mais il est vrai qu'on conserve une certaine
emphase sur les tabous sexuels. Ce souci de la pureté du corps
est lié à l'idée de nation pure. Il faut que les
membres qui constituent la nation soient purs pour que la nation soit
elle-même pure et bénie.
CC : En
tous cas c'est la question que vous posez à la fin de votre
article.
PG : Tout à fait. La question est : comment
appréhender l'altérité du monde sur le mode du
dialogue constructif et non celui du conflit. Si l'on aborde l'autre
sur le mode diabolisé de l'exorcisme et non du dialogue,
comment pourra-t-on construire une société
pacifiée dans laquelle il y aura de toutes façons des
homosexuels, des musulmans et des bouddhistes ?
CC : Vous remarquez dans votre article qu'ils emploient un
vocabulaire très guerrier et exclusif en parlant par exemple
de guerre sainte, de l' « Ennemi »...
PG : En
effet. La première fois que j'ai été
confronté à ce vocabulaire cela m'a rappelé
« L'oeuvre au
noir » de Marguerite
Yourcenar, où elle raconte la prise de Münster au
XVIe siècle par Jan de Leiden et
Bernard Hautman, épisode violent du mouvement anabaptiste qui
se considérait investi par le Saint Esprit et qui voulait
instaurer le Royaume de Dieu ici et maintenant.
L'herméneutique de ces charismatiques
transite par les chants, elle est imprégnée de l'Ancien
Testament, par l'optique d'une terre sainte à
reconquérir. Son messianisme est très clair : la
Suisse s'y substitue à Israël d'une certaine
manière et devient « Terre promise », ce qui n'empêche pas ces charismatiques
d'être philosémites.
Ils développent donc une emphase sur
tout ce qui est de l'ordre de la messianité, de la
royauté et se centrent sur des figures comme celle de Josué, le conquérant antique de la Terre Sainte.
C'est ainsi qu'ils vont sonner du schofar, la trompette sacrée
des Hébreux qui a fait s'écrouler les murs de
Jéricho et que le judaïsme fait sonner le jour du Yom
Kippour, du grand pardon. Ils vont s'attribuer aussi l'ancienne
devise de la Réforme genevoise « Post Tenebras
Lux » (Après les
ténèbres la lumière).
J'ai trouvé fascinant de voir
utiliser un instrument qui cristallisait l'imaginaire
vétérotestamentaire et opère une sorte de fusion
avec notre horizon contemporain.
Dans les cantiques revivalistes de la fin du
XIXe siècle qu'ils aiment chanter, on rencontre
tout un imaginaire guerrier qui est très clairement
informé par le livre de l'Apocalypse. En couplant la
métaphore guerrière avec l'horizon d'une terre promise
on obtient une idéologie assez violente qui permet d'embrayer
sur une politisation des mouvements évangéliques
actuels.
CC : La « ville de
Jéricho », la « ville qui appartient
à Jésus » désigne-t-elle la ville de Genève ?
PG : Tout à fait. Le nouveau mouvement charismatique qui pratique
ces exorcismes territoriaux à Genève s'appelle PTL
(« Post Tenebras
Lux »). Il va s'efforcer
de chasser le démon, commune après commune et pour ce
faire, dénoncer tous les péchés commis dans la
commune et notamment toutes formes d'occultisme ou de formes
ésotériques de cultes qui ont pu se dérouler sur
les lieux. Une des preuves que l'exorcisme fonctionne bien sera de
repérer, par exemple, un lieu de secte ou un lieu connu par
ses pratiques « sataniques ».
CC : Vous mentionnez dans votre article un rapport d'Étienne
Rochat : « Un centre
connu pour ces pratiques sataniques a brûlé une semaine
après notre prière. Une secte qui cherchait à
s'implanter n'a pas obtenu de permission... Le congrès de
l'occultisme à Palexpo (une halle d'exposition à
Genève), a décidé de changer de lieu à
cause des ondes négatives : nous avions
décidé de prier aux quatre coins du
bâtiment. »
PG : C'est un exaucement. Ces charismatiques affirment que
ces lieux qui abritaient des sectes ou des mouvements dits
« sataniques » ont été évacués suite
à notre prière. C'est la preuve que le Christ est bien
de notre côté, qu'il agit et que nous sommes donc
puissants.
J'ai dit tout à l'heure que les
croyants charismatiques se disaient, dans les moments
d'effervescence, habités sur un mode éminent par le
Saint Esprit. Lorsqu'ils pratiquent avec succès ce genre
d'exorcisme, ils apportent non seulement la preuve que le pays ou la
région appartiennent au Christ mais également que le
Christ est présent, puissant et que l'on participe
effectivement à sa puissance. Martin Percy, un
théologien anglican spécialisé sur le
charismatisme a écrit un très bel ouvrage dans lequel
il dit que « le
charismatisme est une religion de la
puissance ».
On peut remarquer qu'alors que Marcel
Gauchet disait : « le
protestantisme est une religion de la sortie de la
religion » on rencontre
là, au contraire, un « réenchantement » du monde. On ne va pas prier n'importe où, on
prendra des positions stratégiques pour que la prière
soit efficace. Cela aboutit d'ailleurs parfois à des
entreprises comme celle de certains prédicateurs
charismatiques qui montent sur l'Himalaya pour chasser les
démons de la planète car ils pensent que prier d'un
lieu très élevé donne à la prière
un maximum d'efficacité !
CC : C'est véritablement superstitieux ! Vous
avez choisi un exemple de ces chants de prière dans la
discothèque de Fréquence Protestante.
PG : C'est un chant de louange que l'on peut entendre dans
une célébration charismatique. On y remarque l'emphase
mise sur la puissance.
Un second motif y apparaît
extrêmement courant dans ces célébrations, celui
de l'agneau immolé. Le Christ y est représenté
sous la figure apocalyptique glorieuse de l'agneau qui siège
sur le trône et qui est en même temps le sujet d'un
sacrifice sanglant.
CC : Vous citez « le sang du Christ qui passe sous les
ponts, qui envahit les places »...
PG : Exactement, dans les « prophéties » charismatiques, le sang du Christ prend une place
très importante. Il est un élément de
purification, il a une matérialité frappante que l'on
peut rapprocher paradoxalement d'une vision très
substantialiste de la sainte cène qui perd son
caractère symbolique habituel chez les protestants.
Une autre image du Christ est celle d'un roi
dont le règne est puissant.
CC : J'aimerais que vous parliez aussi de cette notion de « ménage à
faire » comme ils
disent.
PG : Il
faut bien comprendre que « faire le
ménage » signifie
que les objets peuvent être eux-mêmes vecteurs des
puissances démoniaques.
J'ai décortiqué un très
gros corpus de nouvelles missionnaires, provenant d'une
dénomination évangélique. Elle n'est pas
charismatique mais fondamentaliste, comme ils le disent
eux-mêmes. On y parle du diable de manière explicite ou
implicite. Par exemple, un de ces textes mentionne la conversion en
Chine, d'une famille dans laquelle la mère a conservé
des objets du culte bouddhiste. Le missionnaire dit : « Il faut qu'on lui
explique qu'elle doit davantage "faire le ménage". Elle est
encore sous l'emprise démoniaque de ces
objets. »
Un autre texte rapporte la conversion dans
le sud de l'Europe d'une famille qui s'est débarrassée
d'une statue de la Vierge en la jetant solennellement au fond d'un
ravin.
Certains objets qui renvoient à des
cultes non-chrétiens, sont vus comme des réceptacles
des puissances démoniaques et les avoir en sa possession fait
courir un risque comparable à un élément
radioactif.
Par exemple mon épouse a, un jour,
croisé au supermarché une fidèle charismatique
qui exorcisait les régimes de bananes en provenance d'Afrique
qu'elle jugeait contaminés par la sorcellerie couramment
pratiquée dans ce continent. Elle passait devant les
étals et exorcisait discrètement les bananes au nom de
Jésus afin d'en chasser les esprits qui auraient pu contaminer
les gens.
Cet exemple un peu extrême donne une
idée de la matérialité que le charismatisme
attribue aux esprits et à leur emprise sur le monde
matériel.
CC : Un
protestant réformé non charismatique n'ira pas jeter
une statue de la vierge dans un ravin mais il considérera lui
aussi la vénération mariale comme une
idolâtrie.
PG : En
effet, il évitera de l'exposer chez lui mais il ne pensera pas
que des forces occultes puissent transiter par son moyen. Mais les
charismatiques peuvent considérer certains objets comme des
véhicules de puissances, ce qui permet d'expliquer certaines
de leurs actions. Par exemple dans les célébrations
d'exorcismes collectifs il arrive qu'on prie sur un drapeau ou qu'on
le brandisse. Le drapeau suisse par exemple lors de ces
cérémonies répercutera une
bénédiction pour l'ensemble de la nation.
CC : Vous parlez dans votre article d'un homme qui brandissait, au cours
d'une séance à laquelle vous avez assisté, un
drapeau genevois et un drapeau suisse.
PG : Cet
homme était le président de la section genevoise du
Parti évangélique. Cet exemple est une marque du fait
que la mobilisation politique des évangéliques ne se
fait pas tellement dans des meeting politiques mais lors des
célébrations religieuses. Les
évangéliques pénètrent l'espace public,
non pas sur une modalité citoyenne mais en guerriers
spirituels combattant et exorcisant les démons qui rendent
impur l'espace public. Le monde est donc démonisé et
doit être nettoyé, purifié.
L'homme dont vous parlez brandissait les
drapeaux helvétique et genevois lors des
célébrations de louanges, pendant les moments
d'effervescence.
Il faut préciser que le drapeau genevois porte plusieurs
symboles : l'aigle impérial d'une part qui renvoie au saint
Empire romain germanique et d'autre part la clef de Saint-Pierre, la
cathédrale réformée de Genève.
Cet homme disait que l'aigle représentait en
réalité le saint Esprit qui allait descendre sur
Genève pour y susciter un réveil spirituel et que les
clefs sont celles du séjour des morts, dont le Christ avait
remis le pouvoir à Pierre et qui allaient libérer les
nations de leur emprise démoniaque.
De plus, le drapeau suisse, avec sa croix blanche sur fond rouge
représentait la croix du Christ et son sang. Ainsi ces
symboles nationaux étaient réappropriés à
l'aune de symboles bibliques et l'horizon qui se présentait
était celui d'une nation chrétienne, d'un espace public
rechristianisé.
CC : Vous dites même qu'à certains moments la
croix blanche sur fond rouge du drapeau helvétique a
été allongée...
PG : Il
s'agit de la Journée Nationale
de Prière. Essayez d'imaginer
qu'un 14 juillet, 6000 évangéliques sur
les 100 000 que compte la Suisse viennent se réunir
à Paris pour y bénir le drapeau français, les
drapeaux régionaux et bénir les politiciens
évangéliques français.
CC : On
serait un peu surpris effectivement...
PG : C'est exactement ce qui se passe en Suisse chaque
1er août. Les évangéliques se
réunissent ce jour-là près de Berne. Ils prient
pour la nation, chantent, prophétisent sur le devenir de la
nation, bénissent les drapeaux et les politiciens de la
mouvance évangélique.
CC : C'est là qu'il y a cette croix allongée...
PG : Chaque année les charismatiques publient une plaquette
d'information, de publicité extrêmement bien faite
portant toujours l'image du drapeau suisse dont la croix blanche est
allongée à la base pour refléter la croix
chrétienne... Le dépliant de 2006
représente un morceau de granit symbolisant le refuge national
des Alpes, cher à l'idéologie des années 40
où la Suisse résistait à l'invasion nazie. Image
d'une Suisse fondée sur le roc et sur le Christ. La base de la
croix était allongée pour signifier que le label de
qualité de la Suisse est le christianisme et un certain
christianisme.
CC : Evidemment se pose maintenant la question des
immigrés : que deviennent-ils dans ce programme ?
PG : C'est un éléments problématique.
Le parti évangélique est modéré et n'a
pas des position claire sur la question. Par contre l'UDF, l'Union Démocratique
Fédérale est d'une
droite dure et très claire en la matière :
tolérance zéro à l'égard des musulmans et
grande tolérance en ce qui concerne les juifs.
Il y a un philosémitisme clair et
quasiment ostentatoire dans les réunions charismatiques. Il
est fréquent qu'on y voie des drapeaux israéliens.
L''intégration de la population
musulmane est un gros problème.
Il faut savoir que la laïcité en
Suisse n'est pas de l'ordre du pays mais a été
délégué au niveau cantonal. Il y a donc
13 régimes différents de laïcité en
Suisse, qui vont d'une sécularisation complète de
l'État comme c'est le cas par exemple à Genève
où il y a une séparation complète entre
l'Église et l'État, à des systèmes de
confusion ou de liens étroits comme c'est le cas dans les
cantons catholiques de Fribourg et du Valais.
Il faut donc trouver des aménagements
canton par canton. En ce qui concerne, par exemple, la construction
des mosquées un débat public s'installe. Mais les
évangéliques n'entrent pas dans des débats
contradictoires et démocratiques, ils exorcisent. Cela pose
problème.
CC : D'ailleurs il n'y a pas que les musulmans...
PG : Il
y a aussi les minorités homosexuelles et d'autres formes
d'altérité. Les exorcismes qui véhiculent une
violence metaphorisée ne risquent-ils pas d'entraîner
une violence réelle s'exerçant sur des populations
concrètes ?
CC : Et
que penser du vocabulaire qu'ils utilisent ?
PG : Utiliser des symboles folkloriques comme les drapeaux
que l'on agite n'est évidemment pas équivalent à
prendre un fusil. Mais c'est peut-être jouer avec le feu et
l'on peut s'interroger sur l'évolution qui pourrait s'en
suivre, car il s'agit de métaphores de puissance et cette
puissance s'exerce contre un autre.
Tant que l'autre est un démon le
risque n'est pas grand, mais lorsqu'on se met à exorciser des
personnes vivantes parce qu'elles présentent une
différence comme l'homosexualité par exemple, un
problème risque de survenir.
CC : Vous avez mentionné une séance où le
président du parti évangélique centriste se
plaint d'une absence de démocratie.
PG : En
effet et il s'agit d'un vrai problème.
Le pasteur qui dirigeait la louange ce
soir-là avait de graves difficultés avec son conseil de
paroisse qui venait de le licencier pour des raisons d'ordre
psychologique et relationnel non religieuses. Plusieurs pasteurs
charismatiques lui ont alors imposé les mains et
exorcisé le démon qui pervertissait son conseil de
paroisse. Ils lui ont annoncé des bénédictions
sont à venir et un ministère puissant de
prophète.
Au sortir de la célébration,
l'un des organisateurs du mouvement PTL m'a dit qu'il trouvait
scandaleux de traiter les problème d'Église en
invoquant le démon.
Ceci montre bien que les charismatiques ne
sont pas toujours d'accord entre eux.
Il n'en demeure pas moins que ce qui reste
d'une telle réunion est le compte-rendu écrit des
paroles qui y ont été prononcées.
A force de mettre l'accent sur les
manifestations surnaturelles de l'onction du saint Esprit, on
court-circuite toute forme de délibération humaine et
l'on aboutit à une forme d'autoritarisme marqué, de
théocratie. Les tenants du prophétisme
récuseraient ce terme théocratie et diraient
plutôt qu'effectivement le Saint Esprit parle plus fortement
à certains qu'à d'autres !
CC : Deux modèles s'opposent donc.
PG : Exactement, le modèle du droit à la parole reconnu
à chacun et le modèle selon lequel l'Esprit souffle
davantage sur certains, attitude très sacerdotale et
hiérarchique, quasiment sacramentelle.
CC : Et
cela ne laissent pas la parole aux autres !
PG : Ils monopolisent à ce point la parole divine que les autres
n'ont plus voix au chapitre. J'ai retrouvé le même abus
d'autorité dans des Églises fondamentalistes, non
charismatiques, dans lesquelles on se réclame d'une
interprétation littéraliste de la Bible. Ce n'est pas,
dans ce cas, l'Esprit qui souffle davantage sur les « prophètes », c'est tout simplement le pasteur qui sait
interpréter la Bible de manière plus littérale
que les autres, mais cela revient au même. Ce n'est pas parce
qu'on a la Bible sous la main que le caractère
démocratique de la prise de décision sera
garantie.
CC : En
ce qui concerne les statistiques, vous estimez en Suisse le nombre
total des évangéliques, charismatiques et
fondamentalistes inclus, de l'ordre de 100 000 ?
PG : Olivier Favre a effectué en Suisse au début des
années 2000, une étude statistique qu'il a
publiée chez Labor et
Fides. Il a envoyé un
questionnaire à plus d'un millier de personnes et
d'après ses chiffres il y aurait environ
1000 Églises évangéliques en Suisse
rassemblant environ 100 000 évangéliques
suisses. Il remarque qu'il y a également des
évangéliques dans les Églises historiques.
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Voir sur ce site :
Philippe Gonzalez, Suisse La lutte des charismatiques contre les démons
Jörg Stolz, Olivier Favre, Caroline Gachet, Emmanuelle Buchard : Le phénomène évangélique
Véronique Lecaros : l’Église catholique face aux évangéliques
Véronique Lecaros : La conversion à l'évangélisme, le cas du Pérou
Linda Caille Soldats de Jésus
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