La pensée d’André Gounelle

Michel Leconte

Le pasteur et professeur André Gounelle est décédé à Montpellier à l’âge de 92 ans.  

Il était un des principaux représentants de la pensée théologique libérale au sein du protestantisme français contemporain.

Brève synthèse

Conception de Dieu

André Gounelle (1933-2025) élabore une théologie de Dieu profondément influencée par Tillich et la théologie du Process, mais aussi par Albert Schweitzer. Sa conception de Dieu est exposée avec une grande clarté pédagogique dans son ouvrage intitulé « Parler de Dieu » (2004). Il affirme en effet, avec Tillich, que « Dieu n’est pas un être à côté ou au-dessus des autres ; il est l’être même. Telle est la transcendance de Dieu, inséparable de son immanence ». Autrement dit, Dieu n’est pas conçu comme une substance fermée, immuable et toute-puissante dans un au-delà, mais comme la dynamique fondamentale de l’être. À la suite de la Process theology, Gounelle décrit Dieu comme une « puissance créatrice » : « God is a power for innovation and creativity which transforms the world ». Il rejette la notion classique de toute-puissance absolue : d’après lui « la Bible affirme la puissance de Dieu mais non sa toute-puissance », et la conception d’un Dieu personnel omnipotent devient « impensable et impossible ». Gounelle distingue ainsi le pouvoir – en tant que force coercitive extérieure – de la puissance – force intérieure invitant à la liberté (cf. l’opposition « pouvoir/potestas » versus « puissance »).

De plus, Gounelle insiste sur le caractère relationnel et incarné de Dieu : pour lui Dieu est avant tout une présence vivante et vivifiante dans le monde et dans l’homme. Il écrit : « Dieu est avant tout une présence. Cette présence m’accompagne, m’habite et m’anime ; elle me bouscule et m’apaise ; elle m’apporte en même temps réconfort et exigence ». Il rejoint ici l’idée tillichienne de l’Emmanuel : « Dieu est fondamentalement ‘Emmanuel’ (Dieu avec nous). Il n’est Dieu que dans sa relation avec l’homme et le monde, ce qu’exprime, à mon sens, l’affirmation qu’il est amour et relation ». André Gounelle se méfie donc de tout concept de Dieu trop abstrait ou impassible : Dieu agit dans l’histoire et invite librement l’homme à coopérer à cette présence plutôt que de le contraindre. Par exemple, il oppose pouvoir (imposer) à puissance (inspirer) : la puissance divine agit « non pas sur nous, mais en nous, obtenant notre consentement et appelant notre participation ». Cette vision renoue avec une compréhension biblique de Dieu qui combine transcendance et proximité.

Christologie

André Gounelle propose une christologie libérale centrée sur l’humanité véritable de Jésus et sa fonction révélatrice. Le christianisme classique a eu tort de voir en Jésus quelqu’un de différent de nous de par la composition de son être, toutefois il est ce que nous devrions être ou ce que nous sommes appelés à être. 

André Gounelle, dans la lignée de Rudolf Bultmann, se montre très sceptiques devant ceux qui tiennent les évangiles comme une histoire de Jésus. Par contre il pense que ce Jésus a été un humble prédicateur du premier siècle et que cet homme à été le Christ.

Par ailleurs, il récuse l’idée d’une divinité ontologique de Jésus, soulignant que « Jésus se dérobe devant la question de son identité… La question décisive n’est pas de savoir qui il est ; la question est de reconnaître dans sa parole une parole de vérité et dans ses gestes le doigt de Dieu ». André Gounelle parle de Jésus comme symbole de Dieu. Il considère la croix comme un échec de Dieu, mais il ajoute que sur la croix, Jésus « renonce totalement à lui-même, il se nie lui-même pour laisser transparaître Dieu en lui ». Pas d’idolâtrie de Jésus, pas de « Jésulogie » donc. Autrement dit, l’abandon de Jésus est pour Gounelle le lieu même de la révélation : Jésus n’est pas Dieu dans son être, mais celui en qui Dieu se manifeste. Il conclut que « Jésus est celui en qui Dieu se révèle, en qui il agit ». André Gounelle récuse particulièrement la doctrine de l’expiation substitutive : le salut est donné malgré la croix. Ainsi, Jésus est avant tout le porteur de la Parole et du salut divins (il « est le porteur et l’artisan » du salut »), ce qui fonde la foi chrétienne. Gounelle insiste que « croire que Jésus sauve, le recevoir comme sauveur, voilà ce qui fait le chrétien : tout le reste est secondaire ». Il adopte une christologie incarnée et existentielle plutôt qu’une théologie du mystère : le Christ n’est pas un « principe métaphysique » abstrait, mais la présence vivante de Dieu (Emmanuel) dans l’histoire humaine. Ce qui a orienté sa réflexion dans sa recherche en christologie est la suivante : « comment concilier le caractère décisif qu’a Jésus pour moi avec cette conviction d’une présence et d’une action de Dieu ailleurs qu’en lui (le Christ) ? ». Il note que Jésus serait bien étonné devant les propos théologiques le concernant…

Conception du salut

Le salut, chez Gounelle, est envisagé comme un don dynamique de Dieu opérant dans la vie du croyant qui s’inaugure dans la Résurrection. Il reprend la pensée de Tillich selon laquelle l’Évangile est « une puissance de salut » (power of being). Autrement dit, le salut n’est pas un héritage statique ni un simple crédit judiciaire, mais la puissance transformatrice de l’amour divin reçue par la foi. Il affirme explicitement que ce salut est sans condition et gratuit : « nous sommes sauvés par la grâce… ce n’est point par les œuvres ». Ce salut libérateur n’est pas mérité par des actes humains (les œuvres comptent « un poil de tête »), mais il invite à une réponse personnelle. La foi, pour Gounelle, est vécue comme « une vie en compagnie de Dieu », qui guérit le mal plutôt qu’elle ne se limite à l’adhésion à un système moral. Dans cette perspective, la foi n’est pas un simple savoir ni une expérience mystique déconnectée, mais une marche progressante vers Dieu dans une relation vivante : « La foi chrétienne… n’est pas centrée sur une connaissance… ni sur une contemplation mystique. Son centre est ce salut qu’annonce l’Évangile et dont Jésus est le porteur et l’artisan ».

Gounelle évite ainsi de privilégier un modèle unique (juridique ou rituel) au profit d’une vision relationnelle et existentielle du salut. La grâce fonde le salut universellement offert, et la liberté humaine y participe : Dieu agit par « puissance » et non par contrainte, sollicitant la liberté de la créature. Cette liberté religieuse réapparaît dans sa distinction entre « pouvoir » et « puissance » : la puissance de Dieu suscite le consentement et la coopération, elle ne l’impose pas.

Éthique et engagements contemporains

La théologie libérale de Gounelle oriente naturellement son éthique vers la justice, la liberté et l’accueil de l’autre. Son insistance sur une foi incarnée appelle l’engagement social et le secours des plus fragiles plutôt que l’application rigide d’un code. Il rappelle par exemple la doctrine protestante de la justification par la grâce afin de souligner que la foi authentique s’exprime dans la vie pratique plutôt que dans la conformité légale : « nous sommes sauvés par la grâce… pas par nos œuvres ». Cette vision du péché comme « maladie » plutôt que faute personnelle induit une éthique de guérison et de réconciliation (soigner plutôt que condamner). Dans son article sur une « éthique sociale », inspiré de Tillich, il trace les lignes d’une action chrétienne ouverte aux défis du monde moderne (solidarité, lutte contre l’injustice, respect de la liberté et de la dignité). À titre d’exemple, son insistance sur la présence immanente de Dieu invite à reconnaître du « transcendant » chez les autres, favorisant un dialogue interreligieux et un engagement éthique positif dans les débats contemporains (bioéthique, écologie, droits de l’homme) même s’il ne subordonne pas l’Évangile à un programme politique précis.

Influence de Paul Tillich

Paul Tillich est omniprésent dans la pensée de Gounelle dont il a traduit les principales œuvres dont sa Théologie systématique. Il emprunte à Tillich les catégories ontologiques et existentielles pour repenser Dieu et le salut. Déjà dans son exposé sur le salut Gounelle dit s’inspirer directement de « Le Courage d’être » de Tillich. Son interprétation de Dieu (Dieu comme puissance, Logos, Esprit) relève d’une conception immanente » de Dieu à la manière tillichienne. Sa notion de Dieu comme « puissance d’être » (cf. Dynamisme créateur de Dieu) et son refus de l’omnipotence traditionnelle font écho à l’ontologie de Tillich. De même, en véritable « théologien de la correlation », André Gounelle cherche à relier continuellement la foi et la culture moderne, reprenant la démarche tillichienne de poser la parole de Dieu en dialogue avec l’expérience humaine contemporaine. En somme, Gounelle se définit lui-même comme un héritier de Tillich : « Pour moi… Dieu est avant tout une présence… Cette présence…  demande à être cernée, analysée…  aussi rigoureusement que possible », sensibilité partagée avec Tillich.

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