La Bible qu’est-ce que ça change ?

Par

Selon Thomas Römer

Ed. Labor et fides

128 pages – 10 €

Recension Gilles Castelnau

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Thomas Römer, éminent spécialiste de la Bible, professeur au Collège de France, répond au ras des pâquerettes aux questions les plus simplettes des plus nuls concernant la Bible. Mais il le fait en maître averti et ouvre des horizons inconnus même à ceux qui se croient connaisseurs des Écritures. 

Dans ce petit livre (pas si petit !), il ne raconte pas la Bible mais la présente de façon à ce que nous lisions les textes déjà connus d’une façon tout à fait nouvelle.

En voici des passages :

Un livre dangereux

La Bible, un instrument de colonisation et de décolonisation

Le livre le plus « dangereux » de la Bible est probablement le livre de Josué qui décrit l’installation des Hébreux dans le pays comme une conquête, comme un blitzkrieg, qui s’accompagne de l’extermination des populations autochtones. Ces récits de guerre de conquête ont été utilisés par des théologiens chrétiens pour légitimer les croisades. Ils furent également invoqués par les colons européens qui

s’installèrent en Amérique du Nord et qui se considéraient comme le Nouvel Israël : ils avaient échappé à un pouvoir tyrannique, avaient traversé la mer et étaient, finalement, arrivés en « terre promise ». Les tribus amérindiennes sur place furent alors identifiées aux « Cananéens » qu’il fallait chasser ou décimer.

On peut trouver une adaptation similaire du livre de Josué dans les fresques à l’intérieur du monument aux Voortrekkers (« ceux qui vont de l’avant »), situé non loin de Pretoria, un hommage aux pionniers boers qui partirent en 1835-1838 de la colonie du Cap pour s’installer à l’intérieur des terres d’Afrique du Sud. Les Afrikaners, eux aussi, se considéraient comme « le peuple élu » et voulaient, ainsi, afficher leur supériorité.

Le livre de Josué est également invoqué par certains colons et rabbins extrémistes juifs qui rêvent d’un « Grand Israël » sans les Palestiniens. On pourrait déjà discuter de la « pertinence » de ce type d’identifications. Mais plus basiquement encore, sur le plan historique, on sait qu’une conquête comme celle décrite dans ce livre n’a jamais eu lieu.

Il s’agit d’une invention littéraire des scribes judéens du VIIe siècle avant l’ère chrétienne, confrontés à la propagande et à la rhétorique guerrières des Assyriens qui contrôlaient alors le Levant. Face à l’affirmation des scribes assyriens selon laquelle leurs dieux assuraient à leur roi la victoire sur tous les peuples, les auteurs de la première édition du livre de Josué insistent sur le fait que c’est le dieu d’Israël qui a remis le pays à Israël en lui donnant la victoire contre toutes sortes de peuples. Cette dimension mythologique est facile à repérer, car les peuples mentionnés dans le livre portent souvent des noms symboliques et ne reflètent pas des groupes historiques. C’est donc un texte écrit à un moment où le petit royaume de Juda n’avait nullement le pouvoir militaire nécessaire à la mise en place d’une telle guerre ; il s’agit plutôt d’une littérature de résistance, d’une « contre-histoire ». Une arme narrative. Sachant cela, on comprend mieux encore pourquoi l’usage d’un tel récit par une population au contraire dominante et armée ne peut en aucun cas être pertinent pour ce livre en particulier !

Mais la fonction de résistance de ce même récit a bien été perçue par les opprimés. Lorsque les colons qui s’étaient installés en Amérique eurent recours à la traite des esclaves noirs, ils voulaient faire d’eux de bons chrétiens et leur transmettaient la Bible, quitte, on l’a dit, à en supprimer des extraits. Mais lorsque ces esclaves, évangélisés de force, entendirent l’histoire de l’effondrement des murs de Jéricho, ils la comprirent comme un récit de libération et ils se mirent à chanter Joshua Fit the Battle of Jericho, qui devint par la suite un gospel de résistance. Ainsi, un récit utilisé par des oppresseurs se retourne contre les oppresseurs et se transforme en une parole de libération.

La Bible a donc été tout aussi bien un instrument de colonisation qu’un instrument de décolonisation : tout dépend, une fois de plus, de la manière dont on l’interprète !

Un livre usé et abusé

L’illusion fondamentaliste ou littéraliste

La plupart des fondamentalistes répondront qu’il s’agit là des lois de l’Ancien Testament que Jésusaurait abolies et qui ne s’appliquent donc pas. Mais, curieusement, dans des débats autour du « mariage pour toutes et pour tous », des milieux chrétiens conservateurs ont brandi deux textes du même Lévitique interdisant à un homme de coucher avec un homme comme on couche avec unefemme (l’un de ces textes prévoyant même la peine de mort). Ces lois vétérotestamentaires qui, pourles sacrifices, sont censées être abolies, sont soudain revendiquées pour des questions de mœurssexuelles.

Cet exemple démontre clairement que celles et ceux qui se réclament d’une lecture littérale de la Bible en font en réalité plutôt une lecture qui utilise la Bible pour légitimer leurs positions éthiques et théologiques conservatrices.

Un livre politique et subversif

Les Assyriens contrôlaient les petits royaumes du Levant dès le IXe siècle avant l’ère chrétienne. Pour affermir leur supériorité et exhorter les royaumes qu’ils avaient soumis à une loyauté absolue, les scribes des rois d’Assyrie rédigeaient des traités de vassalité qui étaient ensuite accrochés dans les temples ou les palais des vassaux.

Le livre biblique du Deutéronome est rédigé comme un traité de vassalité de ce genre. Ces traités insistent sur le fait que les destinataires doivent se soumettre entièrement au roi assyrien qu’ils doivent craindre et aimer comme eux-mêmes. Ils se terminent par des bénédictions ou par des malédictions qui annoncent toutes sortes de sanctions horribles, selon que les prescriptions en sont ou non respectées.

Dans la même veine, le Deutéronome insiste lourdement auprès de ses destinataires sur la fidélité absolue que le dieu d’Israël exige d’eux : « Tu aimeras le Seigneur, ton dieu, de tout ton cœur, de toute ta vie et de toute ta force »,« tu ne suivras pas d’autres dieux ». Ces exhortations sonnent comme des reprises des traités assyriens, ainsi, d’ailleurs, que les bénédictions et malédictions qui se trouvent à la fin du Deutéronome. Il ne fait guère de doute que les scribes judéens qui ont rédigé la première version de ce livre ont connu les textes de vassalité assyriens et les ont adaptés. Les destinataires du Deutéronome sont, en effet, appelés à une loyauté absolue non pas vis-à-vis du grand roi assyrien, mais vis-à-vis du dieu d’Israël.

Comment faut-il comprendre cette substitution ? Les auteurs du Deutéronome ont-ils simplement copié un genre littéraire qu’ils connaissaient (il est fort probable qu’une copie d’un traité assyrien a existé dans le temple de Jérusalem) ? Ou avaient-ils une intention subversive : oui, Israël ne peut avoir qu’un seul seigneur, mais ce seigneur n’est pas le roi d’Assyrie, mais Yahvé, le dieu d’Israël ? Cette idée du Deutéronome est d’ailleurs reprise par Jésus dans l’évangile de Matthieu lorsqu’il dit qu’on ne peut servir deux maîtres à la fois, Dieu et Mammon (la richesse matérielle personnifiée).

Si l’on comprend le message du Deutéronome d’une manière subversive, le livre peut avoir une visée politique évidente, à savoir la mise en garde contre de « faux seigneurs ».

Les représentations de Dieu

Le glissement vers le monothéisme

Le glissement vers le monothéisme se reflète également dans l’ambiguïté du terme « élohim ». C’est d’abord un mot au pluriel, « des dieux », qui est également utilisé au singulier, « un dieu », pour devenir « Dieu ». Le récit de création joue sur ces différentes possibilités : « Dans un commencement, élohim créa les cieux et la terre. » Dans la première phrase de la Bible, on peut comprendre le terme comme la quintessence de tous les dieux, l’un et le multiple, une idée que l’on trouve aussi chez les Égyptiens et qui montre que la frontière entre polythéisme et monothéisme est beaucoup plus perméable qu’on a coutume de le penser. Dans ce texte, nous avons affaire à un monothéisme inclusif qui considère que les différents dieux qu’invoquent les différents peuples ne sont que les manifestations du dieu unique qui est le dieu d’Israël.

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