Ce que les évangiles disent vraiment : en finir avec la lecture fondamentaliste
On nous répète sans cesse que les évangiles rapporteraient fidèlement les faits et gestes de Jésus de Nazareth, comme un journal de bord inspiré du ciel. Cette prétention à une exactitude historique, défendue avec ferveur par les courants fondamentalistes, trahit pourtant l’essence même du témoignage évangélique. Elle transforme des textes de vie en fossiles dogmatiques, des appels existentiels en archives notariales.
Le théologien Paul Tillich nous offre une libération salutaire face à cette emprise. Pour lui, les évangiles ne racontent pas la vie de Jésus, au sens où l’entendent les amateurs de preuves et de chronologie. Ils ne sont pas des comptes rendus factuels, mais des symboles vivants, des formes d’analogia imaginis — des images humaines dans lesquelles transparaît quelque chose du divin. Ils ne décrivent pas un itinéraire biographique ; ils interprètent une présence, celle d’un homme dans lequel le fondement de l’être s’est rendu perceptible jusqu’à la croix.
Refuser cette lecture symbolique, c’est réduire la foi à une adhésion documentaire. C’est confondre Dieu avec un personnage de récit, et le Christ avec un héros religieux bien documenté. Or, la vérité de l’évangile ne se prouve pas, elle se reçoit — dans l’événement existentiel que ces textes suscitent. Jésus ne s’impose pas comme une donnée brute ; il appelle, il interpelle, il provoque une décision intérieure. Ce que les évangélistes transmettent, ce n’est pas un souvenir, mais une vision, une image portée par la foi, et non une caméra divine posée sur l’épaule du Messie.
Dans une époque saturée de discours religieux infantilisants, il est urgent de relire les évangiles non comme des récits garantis sans faute, mais comme des symboles de la rencontre entre Dieu et l’homme. Tillich nous enseigne que le Christ n’est pas un fait figé dans le passé, mais une nouvelle réalité qui transfigure notre existence. Il est la révélation du divin dans l’humain, et les évangiles sont les moyens symboliques de cette révélation, non son enregistrement.
En idolâtrant la lettre, les fondamentalismes oublient l’Esprit. Ils cherchent dans l’histoire ce qui ne peut être saisi que dans l’expérience intérieure. Ils font des évangiles une prison, là où ils sont au fond une brèche dans la clôture de notre monde, un passage vers ce que Tillich nomme le fondement de l’être.
Il est temps de libérer la foi de l’illusion du factuel. Les évangiles ne disent pas ce qu’il s’est passé ; ils nous disent ce qui arrive quand Dieu se laisse entrevoir dans un homme. Cela s’appelle une révélation, non un reportage.
Laisser un commentaire