Réponse à Bruno Retailleau sur le supposé changement de civilisation que la loi sur l’aide à mourir provoquerait inéluctablement
Fin de vie : non, ce n’est pas un changement de civilisation, c’est un approfondissement de l’humanité.
Alors que le débat sur la légalisation de l’aide active à mourir suscite des passions légitimes, certains opposants vont jusqu’à y voir un « changement de civilisation ». Selon eux, permettre à une personne gravement malade et incurable de choisir les conditions de sa mort reviendrait à renverser un interdit fondateur, à trahir la mission du médecin, à exposer les plus vulnérables à une forme d’abandon.
Nous comprenons ces inquiétudes. Elles traduisent une crainte profonde que notre société perde le sens de la vie, de la solidarité et de la dignité. Mais nous pensons que cette crainte, bien que sincère, repose sur une méprise : ce projet de loi ne signe pas la fin d’une civilisation, il marque au contraire une avancée éthique, profondément humaine, lucide, encadrée.
Un respect accru de la dignité et du choix de chacun
Il ne s’agit pas d’autoriser la mort comme une solution de facilité, ni d’en faire un droit banal. Il s’agit d’accompagner celles et ceux pour qui la médecine ne peut plus rien offrir d’autre qu’une prolongation de la souffrance et de l’agonie. Pour ces personnes, souvent en fin de vie, atteintes de maladies incurables, la souffrance n’est pas abstraite : elle est quotidienne, intolérable, souvent inhumaine. Leur permettre, sous des conditions strictes, de choisir le moment et la manière de mourir, n’est pas une négation de la vie, mais un ultime hommage à leur dignité.
Un soin jusqu’au bout, même dans la mort
On objecte que le médecin n’est pas là pour « donner la mort ». C’est vrai. Il n’est pas là pour tuer, mais pour soigner, soulager, accompagner. Mais que faire quand il n’y a plus de soin possible ? Quand les meilleures équipes de soins palliatifs n’arrivent plus à apaiser la douleur, ni physique ni psychique ? Dans ces cas extrêmes, aider à mourir peut devenir une forme d’accompagnement ultime, dans le respect de la volonté du patient, sans jamais l’imposer.
La médecine a toujours évolué : elle a su, avec le temps, passer de l’acharnement thérapeutique à la sédation profonde. Elle peut aujourd’hui reconnaître, avec humilité, que le respect de la vie ne se mesure pas à sa durée biologique, mais à sa qualité.
Protéger les vulnérables, en encadrant strictement
Certains redoutent une « pente glissante » : après les malades incurables, qui d’autre ? Là encore, l’histoire et les expériences étrangères doivent nous éclairer. En Belgique, aux Pays-Bas, au Canada, les dérives ne sont pas la règle : elles sont évitées par des dispositifs stricts, un encadrement médical, un contrôle citoyen. Et surtout, le consentement du patient reste la pierre angulaire du dispositif. Il ne peut être question de donner la mort à l’insu du malade comme cela se pratique encore aujourd’hui.
Ce cadre évite aussi les pratiques souterraines ou clandestines, qui existent déjà, parfois dans la solitude ou la culpabilité. Légaliser, c’est sortir du non-dit, et faire en sorte que la fin de vie soit un moment encore entouré de soin, de tendresse, et de responsabilité.
Une société plus humaine, pas plus froide
Accorder cette liberté ultime, ce n’est pas céder à une logique de toute-puissance. Ce n’est pas promouvoir l’individualisme, ni refuser la vulnérabilité. C’est reconnaître que la liberté peut coexister avec la fragilité, et que la compassion peut avoir un sens jusque dans la décision de partir.
En réalité, cette loi ne nie rien des valeurs de notre civilisation : elle les prolonge. Elle ne détruit pas l’éthique, elle l’affine, elle l’enracine dans le réel, dans l’écoute de ce que vivent des milliers de personnes confrontées à une mort lente et douloureuse. Elle ne rompt pas avec l’humanisme, elle en porte le flambeau jusqu’à la dernière heure de la vie.
Conclusion : avancer sans peur, mais avec conscience
Le débat est légitime, nécessaire, salutaire. Il doit être mené sans caricature. Mais refuser d’écouter ceux qui, par amour de la vie, souhaitent une mort digne, ce serait faire taire une parole qui vient du fond de la souffrance humaine.
Oui, cette loi bouleverse certaines représentations anciennes. Mais toute société évolue, et c’est en prenant soin de ses plus fragiles, jusqu’au bout, qu’elle montre sa grandeur. Ce n’est pas un changement de civilisation, bien au contraire : c’est un acte de civilisation.
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Réponse personnelle à ceux qui disent : « La vie n’appartient qu’à Dieu »
Si la vie vient de Dieu, elle est infiniment précieuse. Mais je crois aussi que Dieu nous a confié cette vie avec la liberté, la conscience, et le droit de discerner. La perfection du don de Dieu instaure l’homme non pas dans une relation de dépendance à son égard, mais dans une relation d’alliance et d’amitié qui instaure l’être humain, de par ce don même, dans son autonomie et sa liberté de sujet. Dieu donne d’une façon parfaite à ceux auxquels il fait le don de la vie, il ne les enferme pas dans un réseau de conditions, d’interdictions et de limites. C’est pourquoi, quand la douleur devient plus forte que tout, quand plus rien ne soulage, pouvoir choisir de partir en paix, entouré, écouté, c’est une manière de rester fidèle à soi-même — et, je le crois, à Dieu.
Je ne veux pas qu’on impose à quiconque une décision qui va à l’encontre de ses convictions. Mais je pense qu’on ne devrait pas non plus empêcher ceux qui souffrent de choisir leur propre chemin, quand la fin est proche et que le désespoir est là. Ma foi est différente.
Je ne crois pas qu’aider quelqu’un à mourir dans la dignité soit une trahison de la vie. Je crois que c’est un geste de confiance, d’amour, et de respect. Et si Dieu est amour, alors peut-être qu’il comprend cela mieux que nous.
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