Théologie radicale
Une foi
raisonnable
A
Reasonable Faith
David Boulton
Membre du Comité directeur
de Sea
of Faith Angleterre
Introduction
9 janvier 2008
La plupart d'entre nous sommes en
recherche. En recherche de
connaissance, en recherche de vérité, en recherche du
sens de notre vie. La vie est un voyage, un pèlerinage que
l'on poursuit de façon plus heureuse si l'on sait où
l'on va.
La religion propose des réponses
simples, des Vérités absolues. Elle dévoile les
mystères et sert volontiers de guide dans le grand labyrinthe
cosmique. Dans un monde incertain, elle offre certitude,
sécurité, salut.
Si c'est tout ce qu'il vous faut, cet
article n'est pas pour vous et vous n'aimerez pas Sea of Faith. Car
nous croyons que les choses ne sont pas simples, que c'est, au
contraire, nous qui devons élaborer notre propre
vérité, choisir notre propres voies, découvrir
comment construire notre propre salut. Pas tout seul,
évidemment mais ensemble, les uns avec les autres.
Voilà notre idée. C'est un défi, c'est une
aventure.
Le réseau Sea of Faith ne
défend aucune orthodoxie,
aucune pensée unique, aucun dogme, aucune vérité
officielle. Nous ne sommes pas une Église mais un « réseau » de libres chercheurs, chacun ayant sa propre
tradition, son propre passé, ses propres engagements.
Le réseau Sea of
Faith
Sea of Faith est donc un libre
réseau d'hommes et de femmes,
membres ou non d'une Église d'une sorte ou d'une autre et qui,
tous, admettent l'idée que les traditions religieuses sont des
élaborations humaines et ne proviennent d'aucune « révélation » surnaturelle.
Nous gardons le contact entre nous et nous
échangeons nos idées par ce réseau, dans des
groupes locaux, par des rencontres personnelles, dans des
conférences au niveau national (de Grande-Bretagne), par des
revues et des bulletins. Nous échangeons nos idées et
nos expériences.
Certains d'entre nous sont des prêtres
et des pasteurs, des hommes et des femmes des principales
dénominations chrétiennes, anglicane, catholique,
protestantes ou des autres. Certains demeurent dans leur
Église d'origine par refus d'en abandonner le contrôle
aux intégristes, d'autres n'en font partie que de loin,
d'autres encore ont abandonné toute religion
organisée.
Origine du
Réseau
Dans les
années 1960,
l'évêque John
Robinson a publié son livre « Dieu sans
Dieu » dans lequel il
affirmait qu'il était désormais anachronique de parler
de Dieu comme d'un être surnaturel présent dans un « au-delà » alors qu'il était plus compréhensible
de concevoir Dieu comme étant « intérieur » au monde et à nous. Cette idée n'avait
rien de vraiment nouveau et était notamment bien connue dans
les monastères, les milieux mystiques, comme chez les Quakers.
Elle a néanmoins provoqué un choc dans les
Églises dans la mesure où John Robinson s'exprimait
dans un langage simple et clair compréhensible par les
non-théologiens et où son livre était
publié dans une édition bon marché que tout le
monde pouvait acheter.
Ensuite, dans les années 1980,
ce fut le Rev. Don Cupitt, doyen de l'Emmanuel College de Cambridge, qui
publia « Taking Leave of
God » (« Prendre congé de
Dieu ») dans la ligne du
livre de Robinson. Dans l'esprit de maître Eckhart, le prédicateur mystique de Strasbourg au
14e siècle, il disait
qu' « il n'est plus
intellectuellement acceptable de concevoir Dieu comme un objet
métaphysique et que ce n'est pas non plus un fondement
moralement satisfaisant de la vie spirituelle... La foi en Dieu
doit être une expression de la libre recherche d'un
idéal religieux ».
La conception théologique
« réaliste » c'est-à-dire la foi en un Dieu existant
objectivement « réellement » dans l'au-delà, indépendamment de
notre conscience humaine doit être remplacée par une foi
libre et agnostique, ne connaissant ni certitude ni garantie.
« Taking Leave of
God » a été
traité par certains d' « athéisme » et accueilli par d'autres comme une expression
moderne d'un humanisme chrétien.
Alors que le débat faisait rage en
Angleterre, Don Cupitt fut invité par la BBC à
faire une série de six émissions de
télévision sur le passage du « réalisme » religieux traditionnel à la conception « non-réaliste » du
20e siècle selon laquelle la religion est une
élaboration humaine, qu'il ne faut naturellement pas confondre
avec un une conception imaginaire. Cette série
d'émissions de télévision fut nommée « Sea of
Faith », ainsi que le
livre qui en fut tiré.
De nombreux groupes de prêtres, de
pasteurs et de laïcs se
réunirent alors autour de ces idées, les approfondir et
les répandre. Une conférence rassemblant ceux qui se
nommaient désormais « chrétiens radicaux » se réunit en 1988, suivie par une autre
un an après. En octobre 1989 le réseau Sea of
Faith prenait naissance, animé par un Comité directeur.
Le nombre des membres augmentant, une conférence annuelle fut
organisée, un magazine trimestriel naquit et une vingtaine de
groupes locaux se réunirent
régulièrement.
Des membres affluèrent d'Europe,
d'Amérique et d'Afrique du Sud et le réseau Sea of
Faith essaima en Nouvelle Zélande avec le professeur Lloyd
Geering.
Le titre de « Sea of
Faith »
Ces mots (Mer de foi) choisis par Don
Cupitt pour sa série
télévisée et
son livre sont une citation d'un poème datant de 1867
où l'auteur, Matthew Arnold, décrivant les falaises
blanches de Douvres éclairées par la lune, exprime
l'opinion que l'ancien monde surnaturel habité de
divinités et d'esprits s'enfuit inexorablement. Ce
déclin de la religion traditionnelle n'est pas quelque chose
de regrettable aux yeux de Don Cupitt mais, bien au contraire, une
occasion de renouvellement pour l'âge moderne ou
post-moderne ; un idéalisme humain, profondément
religieux, libéré de l'autoritarisme des « divinités et des
esprits » anciens et
surnaturel qui ont parfois inspiré les hommes mais les ont
aussi beaucoup terrorisés.
L'image de la mer apporte une autre image
très juste : son changement perpétuel, son
mouvement incessant s'oppose à l'ancienne religion qui
était absolue, fixe et immuable. L'image ancienne était
celle d'un roc, aujourd'hui on pense plutôt au mouvement des
vagues.
Que signifie
« la religion est une création
humaine ? »
Est-ce également le cas pour
Dieu ?
On a toujours dit que « la religion des autres
gens » était une
création humaine mais que la nôtre avait
été révélée par Dieu. La question
se posait alors de savoir pourquoi Dieu n'avait
révélé la Vérité qu'aux juifs, aux
chrétiens ou aux musulmans. On répondait que Dieu avait
révélé sa Vérité à tous les
peuples mais que seul le groupe auquel on appartient
l'interprétait correctement.
On répondait aussi que Dieu avait mis
une connaissance de lui dans tous les humains mais que ceux-ci en
avaient tiré différentes religions en fonction de leurs
propres cultures. Mais cela impliquerait que les différentes
religions témoignent des mêmes vérités et
coexistent pacifiquement, ce qu'elles sont loin de faire.
D'ailleurs certaines religions et notamment
le christianisme prétendent toujours connaître seules la
vérité divine : « personne ne vient au Père que par
moi ». Admettre que
d'autres religions puissent être, elles aussi, divinement
inspirées semblerait dénier la vérité de
sa propre tradition.
L'idée qu'une religion - la
nôtre - est la seule vraie et que toutes les autres ne
sont que de fausses élaborations humaines était
compréhensible autrefois alors que l'on ignorait à peu
près totalement les croyances et les pratiques des autres,
quand l'occident était l'occident, l'orient était
l'orient et qu'ils ne se rencontraient guère.
Mais il n'en est plus ainsi. Non seulement
la presse et la télévision nous font connaître
les autres cultures, mais un nombre croissant d'entre nous les
envahissent pour les vacances ou les affaires.
C'est ainsi que nous avons compris que
« toutes » les religions avaient été progressivement
élaborées par l'esprit humain, en une histoire humaine,
dans des cultures humaines et dans des langages humains. Sous cet
aspect, la religion représente, à l'instar de la
musique, de la peinture et de la littérature une expression de
la créativité humaine, de l'esprit humain.
C'est exactement ce que nous voulons dire
lorsque nous affirmons que la religion est une « création
humaine » et n'en est pas
dévalorisée pour autant.
Qu'en est-il donc de Dieu ? On peut remarquer d'abord que les
religions n'ont pas toutes la même conception de Dieu.
Certaines, comme le bouddhisme, n'ont même pas de Dieu.
L'hindouisme présente une très grande diversité
de conceptions.
Le Dieu créateur est central pour les
trois grands monothéismes que sont le judaïsme, le
christianisme et l'islam. Se sont-ils tous trois trompés en
affirmant que leur Dieu unique avait créé le monde et
l'humanité à son image ?
Je pense que dans ces trois traditions
- particulièrement dans le christianisme libéral
et dans le judaïsme - s'est progressivement
développée l'idée que la source de notre
être ne peut être entièrement
séparée de la conscience humaine et du langage humain.
William Blake disait il y a deux cents ans que « Dieu réside dans le coeur
humain ». Dieu est amour
et l'amour est humain.
Blake disait encore « la compassion, la miséricorde, la
paix et l'amour "sont" Dieu ». Mais la compassion, la miséricorde, la paix
et l'amour sont aussi « l'homme ». « Car la compassion a un cœur "humain", la
miséricorde a un visage "humain", l'amour une forme "humaine"
et la paix un vêtement "humain". »
Alors oui, nous disons avec
l'évêque John Robinson que Dieu n'est pas un être
métaphysique « là-haut ». Un tel Dieu serait trop petit. « Il » n'est plus aujourd'hui crédible.
Dieu est, ce qu'il a d'ailleurs toujours
été, une métaphore pour les valeurs que nous regardons comme
« fondamentales » et « éternelles », alors même qu'elles émanent de notre
culture humaine. Comme le disait Blake : compassion,
miséricorde, paix et amour mais aussi justice,
vérité, intégrité et
beauté.
Après tout la plupart des « croyants » réfléchis ont progressivement
abandonné l'idée que les anges, les démons et le
diable lui-même ont une existence réelle et objective
(à l'exception, bien sûr, des fondamentalistes qui
croient encore en la vérité littérale de la
Bible, depuis Adam et Ève, Jonas et sa « baleine » jusqu'à la naissance virginale de
Jésus). De même que les anges, les démons et le
diable sont aujourd'hui largement regardés comme des symboles
allégoriques des conceptions humaines du bien et du mal, Sea
of Faith propose d'abandonner l'idée d'un Dieu objectivement
et réellement présent « là-haut » pour le regarder « lui » aussi
comme une image symbolique.
Il ne s'agit pas de nier l'« expérience de la
présence de Dieu » dont certains font état, mais de la comprendre
autrement.
La « religion
radicale » n'est-elle pas simplement un nouvel
athéisme ?
Si par athéisme on entend le refus
de croire en un Dieu existant
« réellement » et indépendamment de la pensée
humaine, alors on peut effectivement dire que Sea of Faith est
athée. Mais il faudra en dire autant des nombreux
chrétiens de la grande tradition mystique, qui ont toujours
compris Dieu comme un symbole et une métaphore. Il faudra
aussi traiter d'athées les bouddhistes, ainsi que les
hindouistes qui comprennent leurs Dieux de façon
allégorique.
La notion d'« athéisme » doit plutôt désigner l'absence totale
de signification du mot Dieu. C'est effectivement la position de
certains membres de Sea of Faith, qui pensent que le mot Dieu a
été tellement perverti par certains intégristes
qu'il a perdu tout sens. Mais d'autres membre du réseau
refusent d'abandonner Dieu aux fondamentalistes et pensent
qu'interprété métaphoriquement comme un symbole
ce nom peut parfaitement rendre compte de l'expérience vivante
de Dieu.
Mais il ne s'agit pas ici de
l'athéisme au sens habituel.
S'il n'y a pas de Dieu garant
du bien et du mal, y a-t-il encore une morale ?
Une action n'est pas
« bonne » ou
« mauvaise » parce qu'un Dieu l'aurait dit de l'extérieur mais parce que
des hommes l'ont ressentie ainsi. Certaines actions, comme le
meurtre, le viol, le vol et aussi la malhonnêteté, la
tromperie, l'égoïsme, font l'objet d'un tel consensus de
rejet, qu'on en est arrivé à les considérer
comme « absolument » mauvaises. Mais il en est d'autres, comme par
exemple l'usage de la force pour un but juste ou la complexité
des relations sexuelles, pour lesquelles les opinions
diffèrent et aucun consensus n'est possible.
Dans des cas pareils et même si on
veut laisser à une autorité ultime et absolue le
rôle de décider pour nous - qu'elle soit Dieu, la
Bible ou l'Église -, il nous reste néanmoins
à interpréter sa décision, d'une manière
évidemment humaine, dépendante d'une certaine culture,
provisoire et... faillible.
Que pensent les membres
de Sea of Faith
lorsque, dans un service religieux, ils récitent le
credo ?
Réciter le credo traditionnel nous
unit au passé de l'Église dans sa poésie et la gloire de sa foi. Mais
l'Église anglicane n'attend ni de ses prêtres ni de ses
fidèles qu'ils interprètent littéralement les
affirmations du credo ni qu'ils les considèrent comme
l'expression universelle et immuable de la « vérité ».
Mais, il faut le répéter,
réciter la liturgie de l'Église n'oblige pas à
croire que « quelqu'un », « là-haut », « écoute » ces prières et leur « répond » de manière surnaturelle.
La prière collective suscite les
conditions d'une action collective : un désir de paix,
par exemple, peut s'exprimer dans une prière qui, à son
tour, entraînera une action commune en faveur de la paix. La
prière-action remplace la prière-demande.
J'ajouterai que, de nos jours,
l'intérêt se fait sentir de services religieux faits de
méditation silencieuse dans l'absence de dogmes, que les
théologiens nomment « tradition apophatique ».
Le Comité directeur de Sea of Faith
commence d'ailleurs se réunions par un moment de silence. Que
chacun le vive en prière, en méditation, en
contemplation ou tout simplement en préparation
intérieure de la rencontre n'a guère d'importance.
C'est le silence qui est important et qui nous unit dans
l'atmosphère qui convient.
Traduction Gilles
Castelnau
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