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Avons-nous besoin de Jésus ?

 

Do We Need Jesus

 


Sir Lloyd Geering

théologien néo-zélandais
membre de Sea of Faith
et du Jesus Seminar

25 novembre 2011

La question « Avons-nous besoin de Jésus ? » n’a certainement jamais été envisagée durant tout le 20e siècle et auparavant elle aurait sûrement été considérée comme blasphématoire. Depuis le 4e siècle il semblait évident dans toute la chrétienté que les hommes avaient tous besoin du salut apporté par Jésus. Il était le Sauveur des hommes. Encore aujourd’hui dans les milieux conservateurs on chante volontiers :

« j’ai besoin de toi, oh j’ai besoin de toi.
A chaque heure j’ai besoin de toi.
Bénis-moi maintenant, mon Sauveur
Je viens à toi ».

(NB. Dans le protestantisme français on chante :
J’ai soif de ta présence,
Divin chef de ma foi
Dans ma faiblesse immense
Que ferais-je sans toi.
Chaque jour, à chaque heure
Oh ! j’ai besoin de toi.
Viens, Jésus et demeure
Auprès de moi ! )

Qu’y a-t-il derrière ce besoin passionné ? Simplement la conviction, jadis largement répandue, que nous sommes tous nés pécheurs et que nous ne pouvons faire par nous-mêmes aucun bien, si ce n’est par la grâce de Dieu. De plus, notre révolte coupable contre Dieu nous condamné au feu éternel de l’enfer à moins que nous nous confiions en la grâce salutaire de Dieu qui nous est offerte par Jésus-Christ son Fils. Jésus est mort sur la croix pour nous délivrer du châtiment divin mérité par notre péché. Nous avons besoin de Jésus comme notre Sauveur.

Hélas bien des cantiques chantés aujourd’hui dans les cultes à la radio et à la télévision britanniques affirment toujours cela et se réfèrent encore à la doctrine du péché comme l’élément fondamental de la doctrine chrétienne.

John Dickie qui a été mon professeur de théologie et qui était considéré par les conservateurs comme un dangereux libéral, écrivait en 1930 en exergue du livre qu’il nous donnait à étudier :
« Si les hommes ne sont pas aliénés devant Dieu, ils n’ont pas besoin d’un Sauveur et le christianisme n’est qu’une illusion ».

A la fin de nos études de théologie, on nous disait de prendre garde, lorsque des conseillers presbytéraux nous contacteraient pour nous inviter à être pasteur de leur paroisse, ils nous demanderaient si nous étions au clair au sujet de la doctrine du péché. Je me souviens que nous, les libéraux, nous sentions agressés par la question sempiternelle :
« avez-vous accepté Jésus-Christ comme votre Seigneur et votre Sauveur personnel ? »

Dans ses campagnes d’évangélisation, Billy Graham soulignait durant les deux premières soirées que les gens n’étaient que de misérables pécheurs de sorte qu’ensuite il pouvait proclamer :
« Voici la bonne nouvelle dont vous avez besoin : Jésus-Christ est le Sauveur ».

Comment avons-nous été amenés à mettre en cause cette image de Jésus si longtemps dominante dans le christianisme traditionnel ? La question est complexe, essayons d’y répondre simplement.

 

Lors de la Renaissance, l’humanisme a surgi. Ce mot a plusieurs sens. On peut le définir comme l’attitude qui place la personne humaine au centre de toute réflexion et qui fait de sa valeur et de sa dignité la mesure de toute chose. Cet humanisme – que les lettrés découvraient dans les classiques grecs et romains antérieurs au christianisme - a été longtemps récusé par l’orthodoxie chrétienne qui insistait jusqu’à la nausée sur la condition pécheresse du genre humain.

Les humanistes de la Renaissance commençaient à s’interroger sur les raisons de la créativité des grands penseurs gréco-romains. Les humanistes n’étaient ni anti-religieux et ni athées mais ils ont commencé à saper la doctrine du péché qui est la plus fondamentale de la dogmatique chrétienne et les autorités de l’Église les ont évidemment condamnés. Ce fut le cas notamment du grand Érasme. Mais l’influence des humanistes de la Renaissance n’a pas cessé et ne doit pas être sous-estimée. Ce sont eux qui ont ouvert la voie à la science expérimentale moderne et à la Réforme protestante, ce qui a conduit au mouvement des Lumières. Alors que les réformateurs protestants s’opposaient à la hiérarchie de l’Église au nom de la Bible, les philosophes des Lumières s’opposaient à l’orthodoxie chrétienne au nom de la raison. L’humanisme commençait à triompher.

 

Puis la Bible elle-même fut l’objet d’une lecture critique au nom de la raison. L’homme de lettre et philosophe allemand Reimarus (1694-1768) produisit la première étude critique des Évangiles. Dès l’édition de son premier fragment – publié après sa mort – le scandale fut tel que l’ouvrage fut interdit.

En 1835, David Strauss publia sa fameuse « Vie de Jésus » dont l’évêque et professeur écossais Stephen Neill dit qu’elle marquait un tournant dans l’histoire du christianisme.

Il fut dès lors nécessaire de distinguer avec plus de précision le « Christ de la foi » de l’orthodoxie chrétienne et le « Jésus de l’histoire » des historiens.

Bien que la dogmatique chrétienne n’ait guère changé, un nouveau style de cantiques apparut : Jésus était de moins en moins conçu comme le Sauveur crucifié et de plus en plus comme le grand héro conduisant l’armée des soldats chrétiens vers un nouveau monde présent ici et maintenant. Son humanité était davantage soulignée que sa divinité.

Le Jésus historique fut l’objet d’une recherche croissante durant tout le 19e siècle, jusqu’à ce qu’en 1906 un livre d’Albert Schweitzer en montre l’inutilité.

Rudolph Bultmann, probablement le plus grand spécialiste du Nouveau Testament du 20e siècle conclut que nous ne savons pratiquement rien de certain de Jésus excepté qu’il a été crucifié, mais il pensait que cela n’a pas vraiment d’importance. L’important, pensait Bultmann, est ce qu’il appelait le « kérygme », c’est-à-dire le message prêché et proclamé par Jésus. Il ajoutait que cela aussi devait être démythologisé. Il entendait par là que le kérygme devait être réinterprété dans notre culture actuelle, dans un contexte non surnaturel et de manière non mythologique.

Puis vint le Jesus Seminar : à la fin du 20e siècle, un groupe de biblistes américains a travaillé selon les méthodes historiques modernes et a examiné tous les anciens documents, bibliques et non-bibliques. Ce groupe a publié deux ouvrages importants : The Five Gospels: What Did Jesus Really Say? (Les cinq Évangiles, Qu’a réellement dit Jésus ?) The Acts of Jesus: What Did Jesus Really Do? (Les Actes de Jésus : qu’a réellement fait Jésus).

Les résultats de ces deux publications qui ne peuvent être mis en question prouvent à l’évidence que l’on ne peut pratiquement rien dire d’historiquement fiable de la personne de Jésus et ils posent donc de manière plus insistante que jamais la question : « Avons-nous réellement besoin de Jésus puisque nous savons si peu de choses de lui ? »

 

- Une première approche serait de répondre que puisque les humanistes ont sapé la doctrine du péché originel et puisque les biblistes ont sapé la vérité historique du Christ glorifié et monté au ciel, nous pouvons désormais nous passer du Sauveur. Cette idée a brusquement pénétré ma propre famille lorsque ma petite-fille de 6 ans est venu me dire : « on n’entend guère parler de Jésus en ce moment ». C’est de la bouche des enfants que sortent les réflexions les plus sensibles.

- Mais il est vrai qu’il y a aussi des gens qui parlent énormément de Jésus. Il est étonnant que beaucoup d’entre nous s’efforcent de les éviter. Comment répondrons-nous donc à la question : « Avons-nous besoin de Jésus ? » Posons cette question de manière différente : « Où en serait le monde s’il n’y avait pas eu Jésus ? » Notre monde affirmerait-il, comme il le fait, les valeurs d’amour, de paix, de justice, de compassion, de liberté, des droits de l’homme, de dévouement, si Jésus n’avait pas vécu sur terre et ne les avait pas enseignées ?

Cette question pourrait être considérée comme d’un extrême chauvinisme. J’entends déjà les athées et les sceptiques éclater de rire en la lisant et je les imagine répondre que ce n’est qu’en se débarrassant du poids étouffant de l’orthodoxie chrétienne que le monde moderne a pu énoncer les droits de l’homme et la liberté individuelle qui ont été si longtemps aliénés par l’Église. Il y a d’ailleurs certainement du vrai dans cette remarque. L’Église a condamné Galilée, elle a brûlé les hérétiques et les sorcières. Elle a condamné la liberté de pensée, elle s’est opposée à la démocratie. La plupart des églises condamnent toujours l’homosexualité. Mais de même qu’il a fallu distinguer entre le Christ du dogme et le Jésus de l’histoire, il faut aussi distinguer entre le pouvoir autoritaire de l’Église et l’influence de Jésus.

J’ai lu sur un pare-choc de voiture l’inscription que voici : « Dieu n’est pas morte. Elle est seulement partie dans un meilleur pays ». On pourrait dire aussi : « L’influence de Jésus se fait de moins en moins sentir dans les Églises et de plus en plus dans le monde profane ».

Voici trois manière de saisir les relations possibles du monde profane avec le christianisme.

 

1. le monde profane et le christianisme sont absolument incompatibles. Cette déclaration est incontestablement la plus commune. Mais on peut s’étonner du fait qu’elle soit soutenue le plus vigoureusement par des gens radicalement opposés entre eux : d’un côté les fondamentalistes et de l’autre les laïcs militants ! Les fondamentalistes considèrent le monde profane comme « œuvre du diable » et sont engagés dans des croisades d’évangélisation qui visent à sa reconquête. Les laïcs militants de leur côté font tout ce qu’ils peuvent pour réduire le pouvoir du christianisme officiel à cause des maux dont ils le tiennent pour responsable.
C’est bien l’intention du livre de Dawkins « The God Delusion » (l’illusion de Dieu). Aussi bien les fondamentalistes que les laïcs jugent impossible la réconciliation du christianisme avec le monde moderne profane. C’est absolument ou... ou...

2. Il y a incontestablement des contradictions entre le monde profane et le christianisme traditionnel, mais ils promeuvent tous deux des valeurs importantes et il convient donc de trouver un accord entre eux. On oublie trop souvent que les pionniers du monde sécularisé moderne étaient eux-mêmes des chrétiens qui n’avaient aucune intention de détruire le christianisme. C’est ainsi que dans les milieux chrétiens intellectuels, chaque progrès dans les connaissances profanes était l’occasion d’une réflexion visant à ouvrir la théologie à la nouvelle donne, sans pour autant perdre l’essence du christianisme.

Une telle position s’est développée à partir des années 1800 de manière différente dans le catholicisme et dans le protestantisme. Ce que l’on a appelé le catholicisme moderniste s’est formé dans les années 1890 et a été interdît par le Vatican en 1907.

Dans le protestantisme, le libéralisme protestant a été conduit par Friedrich Schleiermacher (1768-1834) qui a été, de fait, le premier théologien moderne. Son livre « De la Religion. Discours aux personnes cultivées d'entre ses mépriseurs » (1799. trad. nouvelle en français par Bernard Reymond. Paris, Van Dieren Éditeur, 2004) est devenu un des livres religieux les plus connus de tous les temps. Sa lecture surprendrait et même choquerait la plupart des fidèles d’aujourd’hui. Elle montre que les protestants libéraux n’étaient pas effrayés par le monde moderne sécularisé.

J’ai fait personnellement mes études de théologie dans ce milieu libéral. Mon professeur John Dickie était disciple de Schleiermacher et basait sa théologie sur l’expérience spirituelle et non sur des dogmes révélés. Son livre semble aujourd’hui très traditionnel, mais à l’époque il était très différent des autres ouvrages de dogmatique.

Le libéralisme protestant a sans doute atteint son sommet avec les ouvrages de Paul Tillich. Mais alors qu’on s’efforçait opiniâtrement de rapprocher le monde moderne et le monde chrétien, la distance entre eux semblait au contraire s’accroître. Le libéralisme protestant commença à perdre de la vitesse peu après la Seconde Guerre mondiale et le fondamentalisme réactionnaire commença à se répandre.

John Spong écrivit en 1998 dans son livre : « Why Christianity Must Change or Die » (Pourquoi le christianisme doit se réformer ou mourir) :
« C’est soit la fin du christianisme tel que nous le connaissons, soit quelque chose de très différent qui va survenir ».

3. Le monde profane est issu du monde chrétien et est plus chrétien qu’on ne pense. Une des premières idées d’un avenir possible vint à la pensée de Dietrich Bonhoeffer alors emprisonné par les Nazis. Il écrivit : « on ne peut plus aujourd’hui être religieux ». Il voulait dire que dans le monde séculier actuel on ne peut plus être se contenter des formes traditionnelles du christianisme. Le christianisme doit assumer une forme non religieuse.
Bonhoeffer écrivait encore : « Dieu nous enseigne que nous devons apprendre à vivre très bien sans lui ». Il parlait de notre époque comme de l’ « âge des hommes ». Cela signifie que l’évolution que chacun de nous nous connaît au sortir de l’adolescence – prendre son indépendance à l’égard de ses parents, apprendre à tenir debout par ses propres forces – correspond à ce que l’humanité doit accomplir sur une grande échelle. C’est ainsi que Gregor Smith donne à un de ses livres le titre de « Secular Christianity » (christianisme séculier).

 

Au début, le christianisme sécularisé est apparu simplement comme une forme un peu extrême du protestantisme libéral. Puis il s’est de plus en plus radicalisé. Dans les années 1960 on parla de « la mort de Dieu » et le journal The Times publia une nécrologie de Dieu.

Quant à moi, il me semblait alors qu’il y avait une grande différence entre un christianisme séculier et le monde séculier. Par exemple le monde séculier est athée et ne se dit jamais chrétien. Il y avait aussi dans le monde séculier des choses que je jugeais déplorables. Mais je découvrais peu à peu et même à mon corps défendant, que des choses que j’approuvais n’étaient pas du tout réservées au christianisme, à l’Église ; bien au contraire elles étaient davantage valorisées dans le monde séculier.

La raison en est que le monde séculier n’est ni païen ni anti-chrétien mais post-chrétien, c’est-à-dire qu’il a été formé par son passé chrétien. Le monde séculier n’est pas né en Inde, en Chine ou dans les pays islamiques. Il est né dans l’Occident chrétien, dans la ligne de la tradition judéo-chrétienne.

J’ai commencé à voir le monde séculier dans une nouvelle lumière : L’égalité entre les sexes, une société plus fraternelle, la condamnation de la guerre, le rejet de l’impérialisme, la condamnation du racisme, l’affirmation des droits de l’homme, la protection des libertés, l’acceptation de la diversité sexuelle.

Sur plusieurs de ces sujets, l’Église s’est cantonnée à des combats d’arrière-garde alors qu’elle aurait dû ouvrir la voie à l’avant-garde. C’est pourquoi j’ai écrit dans « In Praise of the Secular » (en hommage au monde séculier) que les chrétiens devraient arrêter de combattre le caractère séculier du monde moderne et apprendre à apprécier les valeurs qu’il transmet car elles doivent beaucoup à la tradition chrétienne passée. Tout le monde reconnaît que le christianisme doit beaucoup à la tradition juive ; Paul disait même du christianisme qu’il en représentait l’accomplissement. La culture séculière du monde moderne a émergé de même de la culture chrétienne occidentale et lui doit beaucoup. Serait-ce exagéré de dire que la culture séculière moderne n’est rien d’autre que la nouvelle forme de la tradition chrétienne ?

J’ai été très intéressé de découvrir que Don Cupitt prenait une position analogue dans un de ses derniers livres : « The Meaning of the West – An Apologia for Secular Christianity » (La signification de l’Occident. Défense d’un christianisme séculier). Il écrit :
« Je m’en tiens à l’idée que l’Occident post-moderne est un christianisme sécularisé. Depuis les Lumières, nombreux sont ceux qui ont pensé qu’on peut abandonner la doctrine chrétienne, quitter l’Église et n’avoir plus aucune relation avec le christianisme. Mais il n’en est pas ainsi. On reste toujours ce que le christianisme a fait de nous et sous bien des aspects l’Occident post-moderne est plus chrétien que jamais »
.

 

Les valeurs du monde sécularisé que nous approuvons peuvent-elles être réellement attribuées à l’influence originelle et continuée de Jésus ? Les esprits sécularisés récuseront cette provenance qui n’est d’ailleurs pas évidente pour nous non plus, libéraux et post-chrétiens, qui avons toujours cette image d’un Christ Fils de Dieu, faiseur de miracles et se sacrifiant sur la croix. Il n’y a guère de rapports entre un tel Christ et nos valeurs sécularisées actuelles !

C’est là que des éclaircissements peuvent nous être fournis par le Jesus Seminar qui nous dit que Jésus n’était pas considéré à l’origine ni comme divin, ni comme un prédicateur apocalyptique à la manière de Jean-Baptiste, ni comme un prophète à la manière de Jérémie mais plutôt comme un maître de sagesse. Après tout on l’appelait maître ou rabbi. Il était connu pour son enseignement moral, ses paraboles et ses sentences sur la vie.
C’est seulement durant la décennie qui a suivi sa mort qu’il a été considéré comme Messie et plus tard divinisé. Jésus n’est pas venu révéler des vérités éternelles sur Dieu. Il parlait très peu de Dieu. Il parlait surtout de ce qu’il appelait « le Royaume de Dieu ».

Le cœur de son enseignement se trouve dans ses paraboles et ses aphorismes comme ceux du Sermon sur la Montagne (Matthieu 5 à 7). Il enseignait comment mener une vie valable et utile. C’est pourquoi Don Cupitt a écrit dans son dernier livre « Jesus and Philosophy » (Jésus et la philosophie) : « J’en suis arrivé à la conclusion que Jésus était pratiquement un enseignant séculier s’efforçant de convaincre ses auditeurs de tout abandonner et de s’impliquer de tout cœur à l’élaboration de la nouvelle éthique du cœur, l’éthique d’un monde d’amour. Jésus nommait lui-même « Royaume de Dieu » cette utopie humaniste radicale. »

Don Cupitt pense que la « réalisation du rêve de Jésus » est simplement un « humanisme sécularisé universel. »

On peut trouver ce projet absurde. Mais avant que le Jesus Seminar ait atteint cette conclusion radicale, les théologiens libéraux avaient déjà dit cela. Comment se fait-il que les Évangiles déclarent que Jésus prêchait le Royaume de Dieu et que pourtant les grands credo ne mentionnent jamais ces mots ?
On a pu dire : « Jésus annonçait le Royaume de Dieu et c’est l’Église qui est arrivée ! »

C’est ainsi que le protestantisme libéral n’acceptait déjà plus de dire que l’important de la foi chrétienne était de se préparer à une vie dans l’autre monde. Autrement dit, la prédication chrétienne devenait davantage séculière, focalisée sur ce monde-ci. Son but était d’aider les fidèles à une vie réussie en ce monde-ci, en fait à la réalisation du Royaume de Dieu ici et maintenant.

De nouveaux cantiques le révèlent bien :
Debout, enfants de Dieu !
Le Royaume tarde à venir
Faites venir le jour fraternel
Faites cesser la nuit du mal.

 

L’Ecclésiaste
Pour comprendre l’enseignement de Jésus et expliquer l’impression durable qu’il a obtenu, comparons-le à l’Ecclésiaste, ce sage qui l’a précédé de trois siècles et dont le livre est un des plus remarquables de la Bible. Il met en question ou récuse pratiquement tout ce que nous associons habituellement avec la religion, qu’elle soit juive, chrétienne, musulmane ou autre.
Il a été évidemment écrit dans une culture très différente de la nôtre mais se trouve très approprié à notre monde sécularisé moderne.

Il déplore de manière répétitive le fait que la vie n’ait aucun sens. Il dit qu’elle est courte, souvent injuste et puis voilà. Les hommes n’ont aucun avantage sur les animaux car rien de ce qu’ils font n’a d’importance durable. Tout vient de la poussière et retourne à la poussière. Rien n’est durable.
L’Ecclésiaste se demande si Job n’aurait pas mieux fait de ne pas naître du tout afin que lui soit épargnée la souffrance de l’injustice et d’une vie sans signification. Ce qui arrive dans la vie est souvent absurde : des justes ont le sort que les méchants méritent et des méchants réussissent comme des justes devraient le faire. Rien de tout cela n’a de sens.

L’Ecclésiaste conclut que l’on n’a qu’à manger, boire et vivre du mieux qu’on peut. Il ressemble à ces gens du monde sécularisé moderne qui disent n’avoir aucune religion et s’efforcent de tirer le meilleur de la vie. En termes d’aujourd’hui, on dirait que l’Ecclésiaste est un homme tout à fait sécularisé. Alors qu’il était juif, l’Ecclésiaste ne s’intéresse en rien au Temple, à la synagogue ou à la Torah. Nous dirions aujourd’hui qu’il est un Juif humaniste et sécularisé. Il ne laisse rien apparaître de sa religion.

L’Ecclésiaste n’avait rien à espérer. Il ne trouvait de sens à rien. C’est pourquoi il semble si pessimiste. Il est très facile de devenir pessimiste dans le monde séculier moderne. (Voir : Gilles Castelnau, l’Ecclésiaste penseur moderne). Pour beaucoup trop de gens la vie est ainsi : il n’y a rien à espérer, rien à attendre. Rien n’a vraiment de sens. C’était différent dans le monde traditionnel pré-séculier. Chacun avait une religion d’une sorte ou d’une autre qui donnait un sens ou un but à sa vie. On peut certainement définir la religion comme ce qui donne un sens ou un but à la vie.

 

L’Ecclésiaste et Jésus
C’est sur ce point que l’on trouve une grande différence entre l’Ecclésiaste et Jésus. Ils étaient tous deux des sages. Ils acceptaient tous deux l’idée que dans notre monde beaucoup de choses ne peuvent pas être changées. Mais, contrairement à l’immobilité de l’Ecclésiaste, Jésus s’attachait à ce que l’on pouvait faire de la vie. •••
On peut dire que Jésus a créé une nouvelle religion avec l’idée simple mais très difficile à mettre en pratique, du service mutuel, de participer à créer le nouveau style de communauté qu’il appelait le Royaume de Dieu. Nous connaissons tous le fameux rêve de Martin Luther King où il voyait tous les Américains, noirs et blancs vivre en paix ensemble. Si Martin Luther King avait été négatif comme l’Ecclésiaste il aurait désespéré de jamais voir cela arriver. Mais le pasteur Martin Luther King était fortement influencé par Jésus. S’il avait fait son fameux rêve c’était parce que Jésus lui-même avait fait ce rêve.
A l’origine Jésus a fait connaître son rêve du Royaume de Dieu au peuple juif qui était privé de liberté et d’indépendance politique depuis des siècles. Mais le rêve de Jésus était applicable dans toutes les circonstances à tous les peuples et il inspira Martin Luther King.

En disant « Royaume de Dieu », Jésus ne pensait pas à la restauration par les arme d’un royaume politique comme les zélote y songeaient. Il pensait une nouvelle communauté humaine, une nouvelle manière de vie commune, fondée sur l’amour mutuel, par delà les races, les classes sociales, le genre sexuel, l’âge. Il est allé jusqu’à dire qu’il faudrait aimer ses ennemis : « Si l’on te frappe sur la joue gauche, tend aussi la droite ».

Je l’ai dit, Jésus décrivait le Royaume de Dieu en paraboles. Le Royaume de Dieu et ainsi et encore ainsi. Paraboles du Bon Samaritain, de l’Enfant prodigue. Expression souvent énigmatique, incitant ses auditeurs à construire eux-mêmes leur propre compréhension : Le Royaume est comme une graine de moutarde, comme un trésor caché dans un champ. Pour découvrir un sens à sa vie, il faut apprendre à vivre pour les autres. C’est pourquoi Dietrich Bonhoeffer ne disait pas que Jésus est le Sauveur mais « l’homme pour les autres ».

La religion que Jésus a fondée ne concernait pas « la vie après la mort » mais la vie avant la mort. Nous ne sommes pas immortels. La mort accompagne obligatoirement notre vie. Les astronomes nous disent que le soleil lui-même finira par mourir, mais en attendant, il épuise sa propre substance à nous donner lumière et énergie. Ce qui donne sens à notre vie - un sens qui transcende la mort elle-même – est de nous donner nous-mêmes pour que les autres vivent.

Ce n’est pas parce que c’est Jésus qui l’a dite que cette affirmation est importante. C’est parce que nous la trouvons importante que nous considérons Jésus comme notre maître.

Les disciples de Jésus ont été si enthousiastes de son enseignement qu’ils ont rapidement commencé à écrire à son sujet les récits que nous connaissons. Et à force de le gratifier de tous les titres, ils ont perdu de vue la radicalité de son enseignement, pourtant si simple.

Don Cupitt écrit : « En divinisant Jésus, l’Église a détruit presque tout son message ». Un des premiers disciples de Jésus, témoin de ce qui arrivait, lui a attribué la parole que voici : « pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous pas ce que je dis ? ».

 

Avons-nous besoin de Jésus ? Je ne sais toujours pas répondre à cette question. Mais je suis bien sûr que le monde séculier moderne ne serait pas aussi bon qu’il est si Jésus n’avait pas existé. Mais ne devrions-nous pas plutôt poser la question ainsi :

« Avons-nous besoin d’aimer nos ennemis ? »

 Traduction Gilles Castelnau

 

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