La cérémonie, qui s’est
déroulée au mois de mars dernier,
est solennelle, comme en témoigne la vidéo qui
l’a immortalisée. On y voit John Jackman,
pasteur de la Trinity Moravian Church, en
Caroline du Nord, brûler une feuille blanche
symbolisant les dettes médicales de milliers
d’Américains. En quelques secondes, près de
3,3 millions
de
dollars dus par 3 355
personnes
partent en fumée. Dans la foulée, ces
habitants des comtés de Davidson, Davie et
Yadkin ont reçu une lettre les informant que
leur dette médicale était annulée et ne
pouvait plus être recouvrée.
Pour
ce
faire, la Trinity Moravian Church, une église
protestante située à Winston-Salem, ville de
250 000 habitants, est parvenue à
réunir plus de 15 000 dollars,
essentiellement
grâce à des dons faits à son Debt
Jubilee Project (« projet de jubilé de la
dette »). Organisée en
partenariat avec l’ONG new-yorkaise
RIP Medical Debt (« Que la dette
médicale repose en paix »),
l’initiative tire parti d’un mécanisme de
recouvrement de créances bien particulier.
Aux
États-Unis, lorsque des individus sont
incapables de payer leurs factures médicales,
ces dettes peuvent être vendues à des tiers à
un prix parfois dérisoire – une pratique nommée
affacturage. Certaines entreprises se sont
spécialisées dans ce marché, alors que l’on
estime à 195 milliards de dollars le
total des dettes de santé des Américains. Une
fois qu’elles ont acquis ces dettes pour une
bouchée de pain – certains hôpitaux préférant
les céder pour s’assurer une rentrée d’argent
immédiate –,
elles
emploient des tactiques agressives pour les
recouvrer à tout prix, allant du dépôt de
plaintes jusqu’à la saisie de salaires ou de
biens.
Cercle
vicieux
Dans
le
pays le plus riche du monde, plus de 23 millions
de personnes doivent au moins 250 dollars à une institution
médicale. Trois millions d’entre eux,
soulignait l’an dernier un rapport du
Peterson-KFF Health System Tracker, ont une
dette médicale supérieure à 10 000 dollars…
Ces
familles se trouvent alors prises dans un
cercle vicieux dont elles ne peuvent
s’extraire :
il leur est ainsi plus difficile d’obtenir une
carte de crédit ou de souscrire un contrat de
location. Mais ces difficultés ne touchent pas
que les personnes les plus endettées, comme
l’explique John Jackman à la chaîne de
télévision locale WXII 12 : « Les personnes pauvres que nous
accompagnons ne peuvent pas faire face à une
facture médicale de mille dollars, qui
pourrait tout aussi bien s’élever à dix
millions de dollars car ils ne peuvent tout
simplement pas la payer. »
« Les États-Unis sont le
seul pays industrialisé dans lequel un
accident ou une maladie peut vous conduire à
la faillite ou à la pauvreté », déplore le
pasteur, qui explique avoir voulu « utiliser le système contre
lui-même » pour
libérer le plus de familles
possible de « l’esclavage » de la
dette.
Si
l’action
sociale figure historiquement au cœur du
témoignage de la Trinity Moravian Church,
son Debt Jubilee Project a
rencontré un écho bien au-delà de
Winston-Salem. D’abord mentionnée dans la
presse locale, l’action a été largement
relayée sur les réseaux sociaux, attirant
l’attention de CNN, qui lui a consacré un
article. « Beaucoup de personnes nous ont
écrit pour nous féliciter qu’une église
fasse quelque chose de bien “pour une fois”,
raconte John Jackman dans un entretien donné à
la Commission morave sur le développement des
congrégations. Elles n’entendent
parler
que des choses négatives au sujet de
l’Église, comme les mégachurches et
tout l’argent qui y est dépensé ; elles ne sont pas
conscientes du bien que font autour d’elles
tant de petites paroisses, mais cela ne fait
pas la une des journaux… »
Une « parabole
concrète »
La symbolique
du
jubilé est d’autant plus porteuse pour cette
congrégation chrétienne. L’Ancien Testament
rapporte qu’une année sabbatique était
instituée tous les sept ans : la terre
cultivable devait être laissée en jachère et,
comme le précise le Deutéronome, cette
pratique était associée à une remise des
dettes. Cette prescription avait pour dessein
de permettre à tout Hébreu d’obtenir une
seconde chance, un nouveau départ. Fidèle à la
discrétion qui caractérise les Frères moraves,
John Jackman le dit avec pudeur : « Imaginez l’effet sur
une famille qui se débat avec ce type de
dettes et qui reçoit une lettre
inattendue lui annonçant que sa dette
est effacée. C’est en quelque sorte une
parabole concrète de ce que Dieu fait pour
nous. »
Dans
les
années à venir, la Trinity Moravian Church
affirme vouloir poursuivre son Debt
Jubilee Project. « Nous espérons que le
système médical sera un jour réparé,
mais cela dépasse nos compétences ! confie
le pasteur à WXII 12. Ce que nous pouvons
faire, en revanche, c’est racheter une
partie de la dette et l’effacer. » Sur le
site internet de l’Église, quelques messages
de remerciement venus de tout le pays ont été
publiés. « Merci de faire quelque chose de
réellement christique dans un monde rempli
de pharisiens », dit l’un
d’eux.