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Ce qu'il reste de Dieu


Blaise Menu


pasteur de l’Église protestante de Genève 


160 pages - 18 €


Ed. Labor et fides

 


Recension Gilles Castelnau


27 janvier 2023

 

Le pasteur Menu écrit lui-même dans ses Remerciements qu’après 20 ans de ministère actif à Genève, il a bénéficié, comme d’autres de ses collègues, de la liberté d’une année sabbatique. Il en a profité pour mettre par écrit le message central de l’Évangile qui donne force et courage pour affronter les malheurs de l’existence. Il sait de quoi il parle : « aux lendemains cumulés du deuil de mon épouse Anne-Christine, de la pandémie de Covid-19 et d’une crise de gouvernement majeure au sein de l’Église. Chaque événement a trouvé depuis ses chemins de résolution et de guérison. »

Il réfléchit tout au long de ces pages à l’absence, alors que l’on aurait tant besoin de lui, du Dieu protecteur dont on dit qu’il est pourtant bon et tout-puissant.

Le poème de la Création du livre de la Genèse, la fuite angoissée du prophète Élie à travers le désert, les oiseaux du ciel qui tombent en présence de Dieu, la tempête menaçante où Pierre marche pourtant sur l’eau, la mort de Lazare que Jésus aurait sans doute pu éviter en venant sans traîner, le repas final de la cène, le cri d’abandon de Jésus sur la croix… tous ces textes qui, si on les lit attentivement, proposent un souffle de courage et de renouveau.


Et Blaise Menu nous montre fort bien ce que peut être une lecture intelligente de la Bible. Il l‘écrit d’ailleurs dans le langage clair et sans prétention que comprendront les jeunes – et les moins jeunes !- d’aujourd’hui :

 

Épuisement prophétique


Encore un peu, et celles et ceux parmi les lecteurs qui ont assez longtemps vécu pourraient entendre la voix de Guy Lux ou de Jean-Pierre Foucault commenter cette joute sacrificielle pleine de suspense comme une émission d'« Intervilles ». Tandis que les plus jeunes, familiers de jeux vidéo ou de pop culture, établiraient plus volontiers un parallèle avec l'une des épreuves de la série coréenne Squid Game. Au vu du résultat sanglant et de la vindicte qui s'abat en exécution collective sur les prophètes de Baal, il s'agit bien d'un jeu… mortel, pas d'un combat disputé mais cordial. Malheur aux perdants !

 

 

Nul doute que cet excellent petit livre soulagera, dynamisera et redonnera de l’espérance à tous ceux qui ont connu, comme son auteur, la peine et la souffrance des malheurs du monde.

En voici des passages.

 


Aux rives de l’impensable biblique

Ce livre appelle au cheminement biblique, intensément, où l'on croisera des textes parfois connus, souvent inattendus, qui évoquent (plus qu'ils n'osent peut-être le dire) la possibilité que Dieu ne soit pas toujours là — ou pas là comme on le croit d'habitude. La Bible, à mon sens, rend compte aussi de ce vécu amer où l'on s'efforce de croire malgré l'expérience de l'absence de Dieu, où l'on essaie de dire ce qu'il reste de Dieu lorsque les évidences s'effondrent et que la foi est atteinte au fondement, sous les assauts de ce qui vient blesser l'existence.

[…]

Dieu, nous pensons l'avoir éreinté, que ce soit par la science, le dépit ou l'indifférence, mais voilà qu'il y a de beaux restes, un peu comme pains et poissons dans les corbeilles après un grand partage sur les rives du lac de Galilée.


 

Au septième jour

Il n'est pas dit « Il y eut un soir, il y eut un matin, septième jour. » Cela laisse entendre que ce jour est autre, ouvert, comme inachevé mais béni, et qu'il constitue un régime de présence et d'action divines différent des jours précédents. Nous serions aujourd'hui encore dans ce jour du repos de Dieu, qu'explorerait le reste de la saga biblique au tissage de nombreuses sensibilités spirituelles.

Alors que toute la Bible ou presque parle d'un Dieu hyper présent et agissant, besogneux même, les derniers versets du récit initial semblent faire droit à une autre perspective lorsque, à deux reprises (Genèse 2,2-3), il est dit que Dieu suspend toute son œuvre créatrice. Littéralement : Dieu shabbate ce septième jour.


On a bien sûr lu cela comme la divine pause syndicale, bien méritée au vu du travail accompli. Mais se pourrait-il que la pause se soit quelque peu allongée, un jour étant aux yeux du Seigneur comme mille ans ? Se pourrait-il même que Dieu ait quitté la scène ? Ou, avec plus de précautions dans le propos, se pourrait-il que l'expression de ce repos de Dieu nous oblige à repenser complètement l'évidence divine, en particulier la notion de Providence qui a pourtant constitué le principe d'explication du monde jusqu'à l'avènement de la rationalité scientifique — lorsque Dieu s'est progressivement trouvé exclu de ce dont on parvenait à rendre compte sans avoir recours à son hypothèse, donc à sa présence ? Bref, lorsque Dieu est devenu inutile.


Se pourrait-il dès lors que l'expression de ce divin chômage soit une manière biblique, presque impensée, d'évoquer, sinon l'absence de Dieu, difficilement plausible, du moins une présence qui ne peut plus s'inscrire dans les modalités d'une toute-puissance originelle, mais dans l'aveu suggéré, à peine formulé, tout juste esquissé, d'un Dieu déjà différent, à quelques versets du commencement ?


Ce questionnement traverse d'ailleurs en sourdine d'autres rédactions postexiliques où Dieu est peu présent, voire pas du tout, renvoyé aux marges du texte, comme dans les (més)aventures de Joseph (Genèse 37-50), Esther et Ruth, lesquelles sont du coup les témoins d'une interrogation lancinante : quelle est finalement la place de Dieu dans l'histoire des êtres humains, tant personnelle qu'événementielle ? Idem avec le Cantique des cantiques, sous l'angle de la quête désirante et de la relation.


Si c'est bien le cas, si du moins nous nous laissons saisir par cette pensée suggestive, le XXsiècle serait, en ses profondes et irrémédiables tragédies, après des lustres d'évidence providentielle, ce temps qui aurait peu à peu endossé la radicale altérité de Dieu pour oser accueillir enfin son repos jusqu'à l'expérience de l'éclipse pour certains, de l'oblitération définitive pour d'autres, avant de renaître d'une mort annoncée mais improbable dans une autre modalité de présence aux humains et au monde. Nous sommes enfants de ce siècle-là, tourmenté, où les références ont été ébranlées aux fondements, où Dieu est entré en révision, ce que nous avons fini par assumer bon gré mal gré depuis quelques décennies seulement et par accueillir à l'avantage de croyances épurées.

 


Déceptions

Frère de Marthe et Marie, Lazare est mort parce qu’il était malade et parce que son ami Jésus a tardé à venir.

[…]

Pourquoi Jésus n’était-il pas là ?

[…]

Comment recevoir, comprendre et gérer alors ce sentiment d'être seul, voire abandonné dans les moments difficiles de la vie ? La foi n'est pas une bouée de sauvetage, mais elle se trouve déçue lorsqu'on attend vivement une présence, une consolation, un secours spirituel ou humain, et que rien ne vient.

[…]

La réponse de Jésus ressemble à une phrase passe-partout, de ces mots de condoléances qu'on assène aux gens dans le deuil, à défaut d'être inspiré, et qui sonnent un peu creux : « Ton frère ressuscitera… » Depuis quatre jours que son frère est mort, Marthe ne le sait que trop bien de l'avoir déjà trop entendu. On essaie ainsi de faire face au silence, à l'absence apparente de sens devant la souffrance et le chagrin. Mais les « Tu verras, ça ira… », « Ne pleure pas, sois forte », « C'est la volonté de Dieu », « c'était son heure » et autres « Ça devait arriver » ne sont que des phrases closes, fermées sur elles-mêmes ou servantes d'un système, absentes à cette souffrance de l'autre qui essaie de se dire dans l'instant. Il est tellement plus commode et rassurant de refouler autrui vers le destin ou de l'exiler dans le futur pour n'avoir pas à le rencontrer en vérité dans l'instant, aussi pénible soit-il…


On peut entendre la réponse de Marthe (v. 24) désabusée ou tout au contraire agacée : « Ton frère ressuscitera »
- « Oui, je sais : au dernier jour ! Et alors ?! C'est maintenant qu'il est mort, c'est aujourd'hui que j'ai mal, c'est aujourd'hui que le sens s'efface ! Alors la vie future… rien à fiche ! C'est pour me dire ça toi aussi que tu as fini par venir ?! »

- « JE SUIS la résurrection et la vie, reprend Jésus. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (v. 25 TOB)
Croit-on que Jésus efface, non pas le trépas, mais la mort ? Croit-on qu'on puisse vivre de Dieu à jamais ? Croit-on qu'il soit possible d'éterniser sa vie : de goûter à une intensité de vie telle qu'on souhaite en vivre toujours ? Voilà les questions adressées à Marthe au lieu de sa déception, et par elle aux chrétiennes et aux chrétiens, de ce temps-là comme de notre temps et de tous les temps. - « Oui, Seigneur, je crois... »
Marthe passe d'un savoir à un croire. Elle se défait d'une croyance pour aborder la foi, elle passe d'un savoir religieux abstrait et désincarné, sans prise sur son actualité, à un vécu spirituel intense. Elle se dépouille de ses certitudes programmées pour se risquer au contact d'une espérance.



Alors on peut bien parler de résurrection de Lazare, mais si Lazare revient à la vie, c'est bien Marthe qui ressuscite.

[…]


Jésus est l'irruption de la vie même de Dieu maintenant. Une vie qui nous arrache à la mort ; une présence qui offre un sens à notre existence et qui nous permet de faire face à la souffrance, sans la rechercher bien sûr, pas davantage de l'éviter ni de gommer son scandale.

 

 

 


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