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Avant le  péché originel

la naissance d'un malentendu

Simon Butticaz
professeur de Nouveau Testament à l’Université de Lausanne


Ed.
Labor et fides
 192 pages - 19 €

Recension Gilles Castelnau


20 septembre 2022

 

Le professeur Simon Butticaz est un puits de science. Il est un éminent spécialiste du Nouveau Testament et dans ce volume il nous fait partager la connaissance qu’il a acquise de l’utilisation du mot grec hamartia, le péché dans la pensée des différents auteurs du Nouveau Testament. Il nous fait passer, ce faisant, de surprise en étonnement, qu’il justifie de manière indiscutable et explique clairement.

Il passionnera tous ceux qui veulent préciser leur connaissance de la Bible et ceux aussi qui sont heureux d’approfondir leur réflexion théologique.

Le titre « Avant le péché originel » désigne le débat qu’il propose et l'absence de racines bibliques  de ce dogme aujourd’hui si critiqué. Mais son travail demeure au niveau exégétique et laisse d’autres en développer les conséquences spirituelles : ainsi le théologien Matthew Fox qui propose de remplacer les mots de « péché originel » par « grâce originelle ».

En voici quelques passages qui donneront peut-être envie au lecteur d’acquérir ce bel ouvrage et… de s’y affronter.



 


                                     Le pêcheur des pécheurs : Jésus de Nazareth


Le péché au temps de Jésus

Partons d’une observation linguistique. En grec ancien le « pécheur » se dit hamartôlos. Un terme qui revient une quarantaine de fois sous la plume des auteurs néotestamentaires. En comparaison du terme hamartia (le « péché ») qui tutoie les 200 occurrences dans les pages du Nouveau Testament, c'est là un usage plutôt économe que font de ce qualificatif peu flatteur les sources chrétiennes anciennes. Première surprise.

Ce n'est pas tout. Car quand elles le font, ce n 'est jamais pour stigmatiser les croyants en Jésus pris en flagrant délit de vol, de gloutonnerie ou de luxure. L'usage néotestamentaire n'est pas accusateur, mais descriptif : les évangélistes rangent dans la catégorie des « pécheurs » une gamme de personnes en proie au siècle à l'exclusion de la société juive. À commencer par les taxateurs d'impôts. Les évangélistes Marc, Matthieu et Luc en ont même fait un slogan, celui des « collecteurs et pécheurs ».

 


Sans sacrifices ni baptêmes

En Jésus, on l’aura compris, c’est le Dieu qui se réjouit de retrouver ceux qui étaient perdus qui s’incarne dans l’histoire des humains. Et c'est à travers ses paroles et ses gestes que devient événement la conversion à laquelle sont appelés ces êtres en perdition que le judaïsme ancien campait, dans l'enceinte du Temple d'Hérode, sur le « parvis des païens » 49 Héraut du Règne proche de Dieu, Jésus ne filtre pas l'accès à Dieu : nul geste de contrition ni aveu de culpabilité, pas de confessionnaux ni de purgatoires pour ceux qui s'approchent de l'homme de Nazareth. Sa seule rencontre a valeur de réconciliation, sur la terre comme au ciel.

 

Paul, le théologien du péché « original »


Le venin mortel du péché

Si le péché précède toute vie humaine et n'est pas engendré par l'homme, est-il encore permis de parler d'un péché « originel » ? La question est vivement débattue dans l'exégèse et la théologie. Si l'Église catholique romaine comme les confessions luthérienne et réformée ont répondu par l'affirmative dans de grandes et célèbres déclarations de foi (le Concile de Trente, la Confession d'Augsbourg, le Catéchisme de Heidelberg, etc.), l'examen philologique de Romains 5 semble faire obstacle à une telle conclusion

C'est sur une tournure, lue en Romains 5,12c, que les fronts se séparent : eph' hôi pantes émarton, écrit l'apôtre Paul. Quelle traduction en donner ? L'interprétation traditionnelle, en appui à la théorie du péché « originel » et soutenue par Augustin et la tradition latine de l'Église, considère que l'antécédent du pronom relatif eph' hôi n'est nul autre qu'Adam, dont il a été question en début de verset (cf v. 12a : « à travers une unique personne »). La traduction à retenir serait donc la suivante : « [Adam], en qui tous ont péché ». Premier pécheur de l'histoire humaine, Adam en serait aussi l'ancêtre, générant « en lui » un ADN modifié : celui d'une humanité viscéralement pécheresse. Si cette exégèse du passage incriminé est sans conteste la plus célèbre, elle pèche par convocation d'un antécédent fort éloigné dans la prose de Paul, alors qu'un autre terme — aussi au masculin en grec — se lit juste avant la proposition relative eph ' hôi. Ce terme n'est nul autre que « la mort », ho thanatos. Plus largement, c'est la situation de mort décrite au v. 12a-b que semble ainsi évoquer l'apôtre. Ce qui donnerait du v. 12 de Romains 5 la version suivante :

À cause de cela, comme à travers une unique personne le péché a fait son entrée dans le monde, et à travers le péché la mort, ainsi aussi, la mort a investi tous les êtres humains : dans cette (condition), tous ont péché.

En somme, ce que Paul souhaite mettre ici en exergue, ce n'est pas tant une possible hérédité du péché mais la vulnérabilité de l'humanité, sa finitude mortelle, et, en conséquence de quoi, son penchant personnel à la désobéissance.

 

 


Matthieu et le commerce du péché


Le péché : une dette ?

Si Paul fait un usage abondant du lexique religieux ou théologique du péché, qu’exprime en grec le terme hamartia, rien de tel chez l'évangéliste Matthieu.

[…]

Nul hasard, ce faisant, si Matthieu privilégie dans sa prose narrative un autre vocabulaire, d'autant plus concret et relevant de la langue du quotidien : le lexique de la dette. Ce faisant, c'est très exactement le champ sémantique de la transaction entre créancier et débiteur qui est investi par l'évangéliste pour caractériser la situation dans laquelle se trouve, face à son Dieu, qui pèche.

 

[...]


Comment donc ? Quels en sont les effets de sens ?  À la différence du terme hamartia, le langage de la dette implique une situation sociale, une relation qui engage deux personnes (au moins). Et surtout, un contexte relationnel que grève une asymétrie. Car le rapport de dépendance que travaille en sous-main l'idée même de transaction est immanquable.

Une représentation du péché tout sauf lénifiante, quand on sait la mort sociale et la perte de liberté que l'endettement pouvait entraîner à sa suite. Dans l'Antiquité, l'insolvabilité faisait planer sur le débiteur le spectre d'un asservissement qui n'avait rien de fictif.

 

 


                « Ôter le péché du monde » : l’évangile selon Jean


« Croire ou ne pas croire, tel est le péché »

Pour l'évangéliste la foi n'est rien d'autre — ou rien de moins — que le choix d'une relation vitale, une relation qui met l'individu au contact de l’Être » avec un grand «E». Lorsqu'en retour, l'humanité et le monde s' abîment dans une forme ou une autre d'anéantissement, c'est non seulement la foi au Christ Jésus qui est répudiée, mais surtout la vie dont il est porteur qui est repoussée (cf Jn 1,4). Sous la plume de l'auteur johannique, cette posture de fermeture à Dieu et de repli sur le non-être a un visage et un nom : le péché.

 

L’amour est fort comme la mort »

L'antidote du péché n'est pas l'héroïsme religieux ou la contrition morale, mais la reconnaissance de I 'autre comme un alter ego, un autre soi-même — à la fois aimé et aimable. Pourquoi donc ? Car dans cette réciprocité des liens, dans cette mutualité de l'amour, c'est l'au-delà qui se fraye un chemin dans l'ici-bas. L'au-delà de ce monde bouffi de suffisance et de la société du chacun-pour-soi. L'au-delà du péché, selon Jean.

 

 

Hébreux : le rituel du Grand Pardon

 

Pécher par déni d'hospitalité

Cette compréhension éminemment relationnelle du pardon, symbolisée par la capacité retrouvée des croyants de se tenir en présence de Dieu et de le voir face à face sans mourir (cf. He 4,16 ; 10,19 ; 12,14.22-24), permet de saisir la nature fondamentale du péché selon l'auteur des Hébreux 48 . Comme pour Paul l'apôtre et l'évangéliste Jean avant lui, le terme hamartia ne désigne pas un vice moral ou une transgression légale, mais une vie séparée de Dieu et qui repousse sa grâce (He 12). Comme le résume efficacement Andreas-Christian Heidel : pécher, c'est « se détourner de Dieu ». Le péché est là où la communion est brisée, l'hospitalité bafouée et l'exclusion décrétée. Ou mieux dit : là où l'on se refuse à confesser que « [...] le monde a été créé par la parole de Dieu» (He 11,3a) et à reconnaître dans cette relation transcendante la source de toute vie terrestre comme la limite des possibilités humaines.

 

 

La naissance d’un mal(-)entendu


La faute à Augustin ?

Mais comment est-on passé du péché « original » 2 , dont nous avons fait la présentation dans les écrits néotestamentaires, au péché charnel, identifié à la concupiscence sexuelle et héréditairement transmis ? S'il n'est pas biblique, d'où vient le péché « originel » ?

 

Le péché moral

Ainsi : d'une grandeur « religieuse caractérisant le rapport du monde à son Créateur, le péché s’enrichit dans la tradition johannique représentée par I Jean d'une composante éthique, déterminant le comportement du baptisé à l'interne de la communauté croyante (cf. les péchés dits non mortels) ; cette éthicisation n'affecte pas en priorité le rapport ou le statut de la personne face à son Dieu, mais caractérise son agir horizontal, dans l'espace social défini par la foi — en un mot : l'Église. Nul hasard si, dans cette perspective socialo-éthique, le péché se décline au pluriel et devient le complément ou le radical de verbes d'action. Une mutation qui se vérifie dans le principal développement que l'écrit johannique consacre au « péché ». Nous voulons parler de I Jean 3,4-10.

 


 

En finir avec le péché ?


Bien loin de se cantonner aux mœurs dissolues, le péché biblique symbolise la maladie de l'ego, ses sécrétions idolâtres comme ses ravages relationnels. Le péché n'est pas prioritairement nos petites
mesquineries et nos vilaines manières. C'est l'oubli de l'autre — avec majuscule ou non. C'est I 'inflation du « moi » et sa fascination pour ces résurgentes « Babel » techno-scientistes qui sauront lui garantir puissance, beauté et immortalité. Les avatars de ces nouveaux docteurs Faust : le transhumanisme, le métavers, la chirurgie esthétique ou encore la cryogénisation.

Sans épiloguer sur les arcanes — conscientes ou inconscientes — de la faute, Jésus et les auteurs du Nouveau Testament s'efforcent d'en réparer les atteintes sur les corps comme sur les cœurs. Comment donc ? En partageant le sel avec les parias de la société juive (l'homme de Nazareth), en magnifiant le « nouveau commandement » de l'amour réciproque (l'évangile selon Jean) ou en faisant de l'hospitalité la « part des anges » (la lettre aux Hébreux). Des convictions et des valeurs plus que jamais actuelles. Qu'on se le dise.

 

 


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