Protestants dans la Ville
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Faire route avec...
Un aumônier des prisons témoigne
Christiane Puzenat
aumônier
protestant à la prison de Metz-Queuleu
Édition Olivétan
176 pages – 15 €
Recension
Gilles Castelnau
23 mai 2021
Avec
cette soixantaine de témoignages de
détenus que la pasteur
Christiane Puzenat a rencontrés et accompagnés
durant son ministère d’aumônier, nous pénétrons
dans l’univers glauque et contradictoire de nos
prisons.
Comme ses collègues, elle montre bien du courage
et une forte résilience dans cette présence fidèle
et sans condition qu’elle maintient envers et
contre tout. « Espérance » et non « espoir »,
comme le dira le
professeur Frédéric Rognon dans sa
remarquable Postface.
Le pasteur Brice Deymié,
aumônier national des prisons écrit une préface et
le pasteur Denis
Schwitzer un envoi, encadrant
ainsi et ratifiant le style et l’atmosphère
de Christiane Puzenat.
Nul doute que ce livre aidera les lecteurs de
bonne volonté à prendre avec ces pasteurs un peu
de recul par rapport à toutes les paroles
insensées et souvent totalement absurdes et
inhumaines qui circulent dans les réseaux sociaux
et même la radio et la télévision concernant le
monde de la détention.
En voici quelques brefs extraits
Préface
Brice Deymié
aumônier national protestant des prisons
Comment raconter la prison ?
Quelque chose frémit à travers ces chroniques : la
vie que l'on découvre quand on pousse la porte
d'une cellule et que l'on perçoit, non pas la
figure du délinquant, mais l'élan de celui qui
pleure, qui rit, qui doute, sa véhémence et son
courage comme sa faiblesse, sa lâcheté et son
impuissance. Christiane Puzenat capte ces moments
et surtout les écoute. Elle est juste témoin et ne
se veut ni moraliste, ni prosélyte. Elle pose un
regard plein d'amour et de tendresse sur ces
reclus, sans emphases romantiques ni fascination.
Avant-propos
Le confinement dans
l’enfermement
Christiane
Puzenat
Ces récits reflètent à la manière d'un
kaléidoscope, une multiplicité de vécus,
étonnants, voire bouleversants d'humanité et de
spiritualité. Puissiez-vous y découvrir, vous qui
êtes sensibles à la détresse des plus petits de
nos frères, quelques messages de vie, de courage,
de sagesse et de foi que nous donnent celles et
ceux qui sont confinés derrière les murs.
Aller à confesse
Evan me glisse à l'oreille :
- Me voilà à confesse ! me dit-il à voix
basse. Je souris.
- Quel malheur de ne pas être comme tout le
monde : je n'ai pas la foi. Les histoires de
Jésus me dépassent et les miracles me sont
totalement étrangers ! Voilà, je ne crois pas,
ni à Dieu, ni à diable !
Je le sens choqué par ses propres pensées, amer,
aigri, envieux de ce qu'il ne possède pas. Il
avoue :
- Je suis souvent jaloux. Eux ils croient. Je
les vois heureux. Et moi non. Je les vois bien
ensemble et moi je ne suis pas bien. Je
m'accroche pourtant, je fais des efforts pour
tenir dans le groupe biblique, pour écouter,
pour comprendre. Mais rien n'y fait. La foi
glisse sur moi.
Je m'inquiète de savoir pourquoi il s'accroche
ainsi.
- Ici, c'est ma famille chrétienne, me
dit-il.
Il se souvient alors de moments heureux, quand
tout petit il priait avec sa grand-mère, mais
aussi des années de cauchemar au collège privé.
Tous les jours, il fallait prier à la Chapelle,
suivre les leçons de catéchisme :
- J’étais docile, mais seulement en surface.
Bouillonnant de révolte à l'intérieur. J'ai
lutté pour ne pas devenir comme eux. J'ai trouvé
leurs croyances stupides.
Evan s'est alors forgé une identité pour se
protéger. Je lui demande ce qu'il en pense pour
aujourd'hui. Timidement, il me répond :
- J'aimerais bien retrouver la foi.
Par son aveu-même, il confesse que sa foi peut
être retrouvée. Il y croit. Mais il ne parait pas
savoir que son espoir prépare déjà le chemin du
retour à Dieu.
L'étranger
Quand il traverse à grandes enjambées souples et
félines le long couloir qui mène à la détention,
plus grand d’une tête que la plupart des détenus,
regardant loin au-dessus de la marée humaine, ne
semblant voir personne. Dave m'interpelle :
- Vous avez vu l'étranger ? Rien que de le
regarder, j'ai peur. Il mime un grand
frisson. Je ne voudrais pas le rencontrer la
nuit.
Je lui demande :
- II est de quel pays ? Vous le connaissez ?
Vous avez parlé avec lui ? Son sourire se
transforme en grimace ironique :
- Non, mais forcément, regardez comme il a le
regard sombre ! En sport, il galope, nous laisse
tous sur place.
Les termes racistes du plus grand cru sortent
alors en rafales. Bien entendu, je reste
impassible.
Il exprime en même temps son dépit, son
impuissance et son rejet :
- L'autre jour, dans la cour, les autres ont
essayé de le faire parler, il n'a pas voulu. On
ne sait pas ce qu'il a fait, pourquoi il est là.
C'est louche...
Passer aux aveux dans la cour de promenade, c'est
passer par un rite d'initiation incontournable.
Mais lui, l'étranger, il a refusé.
- Et s'il était là simplement parce qu'il n'a
pas de papiers ? C'est un motif suffisant pour
se faire mettre en prison !
Je guette la réaction de Dave.
- Ben justement, qu'est-ce qu'il fait Ià ?
Parce qu'en plus, il travaille à la manutention,
vu qu'il est costaud. Et nous, on n'a pas de
travail. C'est pas juste. Et puis, il y a autre
chose... Hier, il y a eu des vols de tabac dans
trois cellules. Je suis sûr que c'est lui. II a
la tête d'un trafiquant. II n'a rien à faire
chez nous. Quand je le regarde, je ne me sens
pas en sécurité.
L’étranger : l'autre, inaccessible et mystérieux,
support idéal de tous les préjugés, de toutes les
rancœurs et de toutes les peurs dans les
situations de tension, de crise et d'enfermement.
Envoi
Denis Schwitzer
aumônier protestant des prisons
[...] La bienveillance est un état d'esprit qui
permet la rencontre, qui permet d'ouvrir des
cœurs, des horizons nouveaux, des chemins de
partage, des possibilités de reconstruire,
d'espérer. Elle est indispensable pour aller à la
rencontre des détenus qui sont chacun dans leur
histoire et qui passent par des stades différents
: l'anéantissement, le déni, la révolte, la
culpabilité, la fuite, l'acceptation, le retour
sur soi.
[...]
Continuons à aller vers celles et ceux de derrière
les murs, continuons avec persévérance de les
rencontrer, de les écouter, de les accompagner, de
faire route avec elles... avec eux.
Postface
Frédéric
Rognon
professeur de
philosophie
à la Faculté de théologie protestante de
l’Université de Strasbourg,
ancien président de la Commission « Justice
et aumônerie des prisons »
de la Fédération protestante de France.
Le caractère si authentique et si incisif du livre
de témoignages que nous offre Christiane Puzenat
nous ramène sans cesse à cette question : mais
pourquoi donc enferme-t-on des femmes et des
hommes durant des mois ou des années ?
Plusieurs paradigmes ont été élaborés pour
conférer du sens (aussi bien une signification
qu’une finalité) à la peine d’incarcération.
[...]
Premier
paradigme : l'expiation
Un premier paradigme confère à la peine le but
d'expier. La souffrance du condamné le purifie du
mal qu'il a commis, et purifie du même coup la
société. Car la peine comme expiation est moins
dirigée vers la victime que vers la société,
envers laquelle le condamné doit payer sa dette.
[...]
Second
paradigme : la protection de la société
Le second paradigme confère à la peine le but de
défendre la société contre l'un de ses éléments
qui la menace, et donc de mettre celui-ci à
l'écart, de l'exclure le plus longtemps possible,
voire de le faire disparaître. Tel est le sens des
peines de perpétuité et de la peine de mort :
faire disparaître un homme dangereux ou l'enfermer
pour toujours semble la meilleure solution pour
l'empêcher de nuire, et donc pour permettre aux
honnêtes citoyens de dormir tranquilles.
Troisième
paradigme : la rétribution
Il s’agit d’infliger une peine rigoureusement
équivalente au délit ou au crime commis. Le
juriste italien Cesare Beccaria (1738-1794)
propose de faire correspondre une peine à chaque
infraction, et s'élève d'ailleurs contre la
torture et la peine de mort, car à ses yeux aucun
crime, même le plus abject, ne mérite des
traitements cruels et inhumains ou la mort.
[...]
Quatrième
paradigme : la réhabilitation
Toute personne est plus grande que ses actes, y
compris que ses crimes' et il convient de ne pas
l'y réduire. [...] Par sa logique même, la prison
facilite trop souvent la récidive, ou tout au
moins la désinsertion. Tout doit donc être fait
pour réinsérer le détenu dans la société en
orientant délibérément la peine vers l'avenir
plutôt que vers le passé. [...]
Cinquième
paradigme : la restauration
[...]
Par la justice restaurative, la victime devient
partie prenante, elle se voit reconnue dans ses
besoins. En général, la victime a besoin de
comprendre ce qui s'est passé, le pourquoi de ce
qui l'a fait souffrir.
Sixième
paradigme : l’espérance
[...]
L'espérance n'est pas l'espoir. L’espoir, c’est la
perspective d'une amélioration de la situation, à
vues humaines. L’espoir, pour un détenu, c'est que
le procès ne se passe pas trop mal, c'est une
lettre ou une visite, c'est une remise de peine,
ou une libération conditionnelle. L’espérance est
la conviction que Dieu tiendra ses promesses.
[...]
Dieu ne promet ni une sentence clémente lors du
procès, ni une remise de peine ni une libération
conditionnelle (tout cela relève de l'espoir).
Mais il nous promet la présence de Jésus-Christ.
Et cela, dans les jours de joie, comme dans les
jours de nuit. Dans nos échecs, comme dans nos
succès. Rien ne nous séparera jamais de notre
Dieu. Telle est notre espérance. Telle est
l'espérance, dont les aumôniers rendent compte
devant les détenus qu'ils visitent. [...]
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