La Bible et la
politique
Foi et
politique
Alain
Houziaux
27 octobre 2006
Je voudrais aborder ici la question suivante : la foi
chrétienne implique-t-elle une participation à la vie
politique ?
Certains diront « non ».
Ils considèrent que le fait de confesser la foi doit conduire
à refuser toute implication dans la vie politique. Quelles
sont les motivations d'une telle position ? On peut en
énumérer quelques unes :
. La vie politique serait une
« lice » dans laquelle les vertus
évangéliques (l'esprit d'utopie, de don, de sacrifice)
ne peuvent trouver leur place et ne peuvent être mises en
pratique. Participer à la vie politique, c'est se salir les
mains et le c�ur. Closewitz (général prussien,
1780-1831) estime que « la politique, c'est la continuation
de la guerre par d'autres moyens ». Roger-Martin du Gard
écrit, dans Les Thibault « avoir le sens politique,
c'est consentir à employer dans la lutte sociale des moyens
qui, dans la vie privée, répugneraient à chacun
de nous comme autant de malhonnêtetés et de
crimes ».
Le chrétien devrait donc refuser
toute implication dans la vie politique soit par détachement
du monde (il se considère « au-dessus de la
mêlée » et des bassesses de la politique) soit
parce qu'il considère que les vertus de la foi sont
incompétentes et impuissantes dans la vie politique.
. La vie spirituelle serait d'essence
contemplative et mystique et par là même incompatible
avec la vie politique. Elle nous rendrait indifférent à
ce monde ou nous pousserait à l'accepter purement et
simplement au motif qu'il est déterminé par la seule
volonté de Dieu. Il faudrait donc renoncer à toute
implication dans la politique puisqu'elle celle-ci se fait par des
choix et de décisions qui visent à dominer le destin et
à construire l'histoire qui n'appartient qu'à
Dieu.
. La vie spirituelle serait d'essence
individualiste, solitaire. A la rigueur elle pourrait s'exercer dans
la chaleur et l'homogénéité d'une
communauté restreinte, mais elle serait incompatible avec la
vie politique, qui elle, s'exerce par l'intermédiaire de
groupes sociaux importants : partis politiques, états, voir
regroupements d'états.
. La vie spirituelle ne concernerait que les
relations « courtes » (l'amour du
« prochain » vécu comme gratuité,
non-violence, pardon) et non pas les relations
« longues » avec des inconnus et des
étrangers qui, elles, recourent à la médiation
de l'Etat et de structures impersonnelles. Ainsi la vie spirituelle
ne concernerait que la vie privée et non la vie
publique.
La foi implique la
participation à la vie politique !
En fait il faut répondre aux
arguments précédents par les points suivants :
. Ni le Décalogue ni l'enseignement de
Jésus-Christ et de saint Paul (Romains 13) n'opposent la
vie privée (celle du croyant) à la vie publique (celle
du citoyen). Les deux ne sont pas dissociables. La volonté de
Dieu concerne à la fois l'interpersonnel (la vie
privée) et le politique (la vie publique). L'exigence de
l'amour du prochain n'est pas étranger au politique pas plus
que le thème du devoir politique n'est étranger
à l'amour du prochain. L'amour est aussi une vertu sociale et
politique. Certes le politique concerne principalement les fonctions,
les structures et les institutions et, en revanche, la vie
personnelle est d'abord le lieu des rencontres et des occasions. Mais
le projet de Dieu pour les hommes et le monde concerne non seulement
l'émotion des relations inter-subjectives mais aussi
l'impersonnalité des organisations structurelles.
Il faut en convenir, il y a cependant une
spécificité du politique par rapport à la vie
personnelle et spirituelle. Le politique a plutôt pour fonction
d'être la répression des égoïsmes et des
turpitudes (cf. le rôle du magistrat dans Romains 13)
alors que la vie personnelle devrait plutôt être le lieu
de l'inauguration de la vie du Royaume. Mais l'un et l'autre
relèvent de la seigneurie de Dieu. Selon Calvin l'action de
l'Etat doit permettre la manifestation publique des exigences
évangéliques.
Ainsi il n'y a pas deux ordres
séparés (un ordre privé qui serait celui de la
vie spirituelle, et un ordre public qui serait celui de la vie
profane). Mais il y a une seule et unique exigence qui se vit dans
tous les champs de l'existence.
. « Faire de la politique » est une
nécessité spirituelle, car c'est confesser et
manifester que le plan de Dieu ne concerne pas seulement les
chrétiens et l'Eglise mais aussi l'ensemble de
l'humanité. Agir sur le plan politique, c'est agir pour
l'ensemble de l'humanité. « Un croyant qui cesse de
se préoccuper du domaine politique renonce à
l'affirmation de l'universalité du salut et du projet de
Dieu » (André Dumas [2]). La mission du
chrétien, et celle de l'Eglise, n'est pas de vivre dans un
« anti-monde », une sorte de secte hors du monde.
Elle est de préparer un monde nouveau pour tous les hommes
croyants ou non. Le salut se manifeste non pas par
l'édification d'une communauté chaleureuse
d'élus mais par la construction d'une ville universelle et
cosmopolite qui accueille l'ensemble des nations (c'est ce que disent
les livres bibliques d'Esaie et de Apocalypse).
. Ceux qui refusent que la foi puisse avoir des
implications politiques évoquent souvent la théologie
de Luther. De fait, selon cette théologie, Dieu a
institué deux règnes : d'une part un règne
spirituel (exercé par l'Eglise qui prêche la
grâce) et dont relèvent les chrétiens, et d'autre
part un règne temporel (exercé par l'Etat qui promulgue
et fait exécuter la loi) dont relèvent tous les hommes,
chrétiens ou non.
Mais, on interprète souvent mal cette
théologie des deux règnes. On suppose qu'elle signifie
qu'il y a une distinction et séparation entre ce qui est de
l'ordre du religieux et de ce qui est de l'ordre de la politique et
que, pour ce qui est de ces options politiques, le chrétien
n'a pas à se référer à ses convictions
religieuses.
De fait, rien n'est plus inexact. Pour
Luther, la vie civique et politique du chrétien,
c'est-à-dire sa participation au pouvoir de l'Etat
relève tout autant que sa vie privée et spirituelle de
la seule seigneurie de Dieu et des exigences de l'Evangile.
Pour Luther et pour Calvin, l'Etat a une
légitimité spirituelle et une fonction dans le plan de
Dieu et dans son projet pour le monde. Et c'est pourquoi le
chrétien peut et doit participer à la vie politique,
parce que, de la sorte, il participe à cette mission
religieuse de l'Etat.
Ainsi, pour toutes ces raisons, le croyant,
au nom même de sa vie spirituelle, doit participer à la
vie civique et ainsi veiller à ce que l'Etat soit tel qu'il
puisse exercer sa mission divine.
_____________________________________
[1]
André Dumas, ancien professeur aujourd'hui
décédé, à la faculté de
théologie protestante de Paris.