Réflexion
La souffrance
peut-elle avoir un sens ?
2 mars 2004
Les protestants, en
général, refusent tout sens spirituel et toute utilité
à la souffrance. Mais à mon avis, ils ont tort. Et ce,
pour trois raisons au moins.
-
D'abord, la souffrance nous apprend
à être plus humbles, plus miséricordieux et plus
tolérants vis-à-vis des autres. En effet, quand on n'a
jamais souffert, on ne sait pas ce que c'est que d'être faible,
médiocre, et même égoïste, aigri. Mais quand
on est passé par la souffrance, on le sait, parce qu'on a
été soi-même égoïste, aigri, faible
et impuissant. Et c'est alors que l'on apprend à devenir
humble vis-à-vis de soi-même et compréhensif
vis-à-vis d'autrui. C'est l'expérience de la souffrance
qui rabote notre « ego », nos jugements tout faits et trop rapides. C'est
l'expérience de la souffrance, et même celle du
pêché, qui nous rend humains et qui nous fait perdre
notre dureté.
Quand on recrute des écoutants pour
SOS Amitié, c'est-à-dire des personnes pour
répondre aux appels téléphoniques des
désespérés, on ne recherche pas des saints, des
êtres irréprochables et vertueux. On recherche seulement
des personnes qui ont beaucoup souffert et peut-être aussi un
peu péché.
La vérité de l'homme, c'est
celle de sa médiocrité et de sa faiblesse. Et c'est
celle de sa souffrance. Et c'est cette faiblesse et cette souffrance
qu'il faut comprendre et même aimer. C'est ce que disait la
philosophe Simone Weil : « Le péché est la
méconnaissance de la misère humaine. Et la
sainteté, c'est le fait de la comprendre et même de
l'aimer ».
-
Deuxième point. Contrairement
à ce que l'on pense souvent, les épreuves ne nous font
pas perdre nos convictions. Bien au contraire, elles les rendent plus
vraies, plus fortes et je dirais plus insubmersibles. Ceux qui sont
passés par les camps de prisonniers ont souvent
découvert des convictions plus sûres et plus
résistantes. Le philosophe Cioran le disait :
« tant que l'on n'a pas
souffert, on vit souvent dans le faux et dans le faux
semblant ». On triche, on
fait semblant d'avoir des convictions que l'on n'a pas vraiment. Par
contre, lorsqu'on souffre, on découvre, comme le dit
Jésus, « l'unique
nécessaire »
(Luc 10.43) c'est-à-dire ce qui nous est vraiment
indispensable. Oui, il vaut mieux croire peu mais bon et
sûr.
Ce qui compte vraiment, ce qui maintient en
nous la vie et le courage, c'est différent pour chacun d'entre
nous. Cela peut être le visage d'une femme, le nom d'un
village, la candeur d'un enfant. Cela peut être un mot d'ordre
que nous ont laissé nos parents. Cela peut être aussi un
verset de la Bible.
Pour moi, ce qui est mon roc et mon soutien
lorsque, à force de souffrance, de solitude et de
dépit, je n'ai plus rien de sûr à quoi me
raccrocher, c'est la force tranquille de cette affirmation de saint
Paul : « rien ne
pourra te séparer de l'amour de Dieu manifesté en
Jésus-Christ »
(Romains 8,38). Nous sommes aimés et acceptés tel
que nous sommes, même si, à cause de notre souffrance,
nous nous sentons devenir inacceptables et insupportables pour les
autres et pour nous-mêmes. Nous avons le droit d'être
aigres, d'être faibles, d'être inutiles. Nous avons ce
droit par grâce. C'est le droit que Dieu nous donne dans sa
grâce.
-
Et voici mon troisième point
pour dire que la souffrance a un sens. Lorsque nous ferons le bilan
de notre vie, nous découvrirons que les moments qui ont le
plus compté pour nous, ce sont ceux où nous avons
souffert. J'ai toujours été frappé par ces
anciens combattants qui, au soir de leur vie, reprennent
inlassablement le récit des moments qu'ils ont vécus
dans les tranchées, dans la peur, dans la boue, dans les
privations. On dit quelquefois que ce sont les souffrances qui font
un homme. Je dirais aussi bien que ce sont les souffrances qui font
une vie, une vraie vie.
Vivre la vie, c'est
« éprouver » la vie. « Éprouver »
est un mot curieux. On dit de la
même manière « éprouver » de la joie et « éprouver » de la souffrance. Comme si la vraie vie, la vie
pleinement vécue, c'était toujours quelque chose qui
vous marque et que l'on ressent dans sa chair et dans son
c�ur.
Oui, heureux celui qui, au soir de sa vie,
pourra vraiment dire, comme le disent les Béatitudes, heureux
je suis car j'ai su ce que c'est que pleurer, heureux je suis car
j'ai su ce que c'est que d'avoir les entrailles
lacérées par l'émotion, heureux je suis car j'ai
su ce que c'est que souffrir d'amour. Heureux je suis car ainsi j'ai
éprouvé la vie. Et j'en rends grâce.
Beaucoup pensent que l'on est conduit
à rendre grâce lorsque l'on est heureux. Il me semble
que c'est plutôt lorsque l'on se retrouve encore vivant
après avoir connu les tranchées de la guerre et les
brûlures de la vie.
C'est sans doute ce que voulait dire Antonin
Artaud, ce poète à qui aucune souffrance n'a
été épargnée. « On ne parvient à Dieu
qu'après avoir traversé un déchirement et une
angoisse ».
.
Excursus
Le scandale de la
souffrance
Pour tenter d'expliquer le scandale de la
souffrance, certains se hasardent
à dire que les souffrances, ce sont des épreuves que
Dieu nous envoie. C'est d'ailleurs le message du Livre de Job. Dieu
envoie des épreuves à ce pauvre malheureux Job. Il lui
retire ses enfants, ses troupeaux et ses biens. Et pourquoi
donc ? Pour tester sa fidélité et sa foi !
Personnellement, je l'avoue, je trouve cela
inacceptable, cette idée que Dieu pourrait nous envoyer
successivement cancer, divorce, suicide d'un de nos enfants etc... et
tout cela pour savoir si, malgré tout, nous continuerons
à aller au temple le dimanche suivant pour chanter :
« Je louerai
l'Eternel » ou bien
« Compte les bienfaits de
Dieu ».
Bien, me direz-vous, soit. Mais dans ce cas,
pourquoi est-ce que Dieu ne les empêche pas, ces souffrances,
s'il est tout-puissant ?
Dieu ne les empêche pas parce qu'il
ne peut pas les empêcher. Je
m'explique. Dieu, c'est la force de la vie. Mais, Dieu, cette force
de la vie et des résurrections ne peut pas empêcher
qu'il y ait des microbes, des cataclysmes, des rages de dents et des
camps de concentration. Comme le dit le credo, c'est en tant que
Père que Dieu est tout-puissant. Ce que Dieu peut faire en
tant que Père, c'est susciter et ressusciter la vie, l'amour
et même le rire et la joie en dépit des maladies, des
souffrances et du pêché des hommes. Dieu est
tout-puissant dans ce qu'il peut et sait faire, c'est-à-dire
dans ce qui relève de son être de Père. Il
est
« tout »
puissant mais il ne peut pas
« tout »
faire.
Extrait de
L'épreuve, le courage et la
foi
Alain Houziaux
(Bayard 1999)
.
Citation
« Dieu ne
préserve pas l'homme de la foudre, il préserve l'homme
foudroyé »
Pasteur Charles
Wagner
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