Euthanasie
Pays-Bas
Mort
assistée
Claudine
Castelnau
19 juillet 2001
Le 10 avril dernier, le Sénat
néerlandais adoptait la loi - en vigueur à la fin de
l'année - sur « le contrôle de l'interruption de la
vie sur demande et de l'aide au suicide ».
Très encadrée par le Code
pénal, la légalisation de l'euthanasie - qui vise
de fait à dépénaliser le médecin qui la
pratiquerait avec toute la rigueur requise et lui permet de la
signaler en toute transparence aux autorités - arrive
après trente ans de débats tant au niveau politique
qu'au sein de la société.
Quelle a été la place des
Églises dans ce débat ? Rencontre avec le pasteur
Frits de Lange professeur d'éthique à la faculté
de théologie protestante de Kampen, sur l'ancien
Zuiderzee.
Les Églises ne se
sentaient pas concernées au début, dit Frits de Lange.
Elles laissaient volontiers la question aux juristes car ce sont les
juges qui ont lancé la réflexion, interpellés
par les médecins qui pratiquaient l'euthanasie et avaient eux
des questions sur la légalité de leurs actes. Mais la
relation patients-médecins s'est modifiée,
démocratisée, les médecins perdant une partie de
leur pouvoir.
La question de l'euthanasie est
entrée dans les Églises par les patients croyants
confrontés à leur propre fin de vie et aux
décisions médicales.
C'est ainsi qu'en 1972, la première
déclaration sur le sujet est faite par l'Église
réformée.
En 1995, ce sont les Églises
reréformée et réformée qui font ensemble
des recommandations pastorales, préparées avec la base
en commission, « à
la mode protestante » et
ratifiées par le synode. Enfin en 1999, l'Église
unie « Samen op
Weg »
(réformés, reréformés et
luthériens) prend encore la parole.
Frits de Lange note que la dernière
déclaration a été faite par la hiérarchie
de l'Église sans consultation de la base - on assiste à une
« vaticanisation » des questions
éthique - et qu'elle est
plus conservatrice que les autres déclarations,
peut-être parce que les fidèles qui fréquentent
encore dans les Églises sont les conservateurs...
Peut-être aussi parce que la
discussion a changé : de
strictement médical au départ, le débat sur
l'euthanasie a évolué vers une discussion
élargie à ceux qui déclarent ne plus avoir envie
de vivre, non du fait d'une maladie mais parce qu'ils sont
fatigués de vivre, raison suffisante à leurs yeux pour
demander la mort.
C'est la question du droit de
mourir qui est posée et la demande faite aux médecins
de reconnaître ce droit et d'aider ces patients à
mourir. Des militants du droit de mourir ont fait campagne pour que
la loi soit interprétée très
libéralement.
C'est probablement aussi l'une des raisons qui rendait les
Églises plus réticentes à soutenir le projet de
loi.
Cela n'empêche pas Frits de Lange
d'être sévère sur cette déclaration des
Églises protestantes majoritaires :
Sur les sujets éthiques
graves, bioéthique, euthanasie, etc. les Églises
pensent toujours qu'il y a une nécessité vitale
à réagir, pour signaler qu'en tant qu'Église on
existe toujours et qu'on a quelque chose à dire sur la vie et
la mort ! Il faut sortir de l'obligation d'urgence. Ne rien dire
peut parfois dire quelque chose, ce n'est pas de
l'impuissance.
Si le pluralisme à l'intérieur
de l'Église empêche d'avoir une parole univoque, la
société le comprend, elle aussi est pluraliste.
Dire : « on est pour ou contre
l'euthanasie » ne signifie
pas grand chose. Par contre, dire : « la vie pour nous c'est ceci, mourir, la
dignité humaine, c'est cela » relève d'un autre mode de contribution au
débat que de faire des déclarations qui, de plus, ne
sont ni légitimées ni ratifiées par la
base.
Au risque, pour les Églises, de
s'attirer une riposte sur la place publique. C'est ce qui s'est
effectivement passé lors de la discussion de la loi, avec la
protestation que 100 pasteurs ont envoyée au Parlement,
où ils déclaraient qu'ils ne partageaient pas le non de
leur Église ! Quelques prêtres aussi ont fait
savoir leur désaccord avec le non absolu des
évêques...
Mais pour les catholiques c'est plus
clair : les évêques peuvent parler mais ils doivent
tous dire la même chose ! Quant au Vatican, il a
mené une campagne malhonnête contre la loi sur
l'euthanasie en laissant croire qu'elle ne tombe plus sous le coup de
la loi aux Pays-Bas. Ce qui est faux ! Que globalement, on peut
tuer sans problème aux Pays-Bas !
D'où un incident diplomatique entre
les ministres néerlandais concernés et le
Vatican.
En tant que professeur
d'éthique, Frits de Lange
trouve la loi bonne et bon d'avoir enfin une pratique transparente.
Mais le problème moral demeure, dit-il, celui de la fin de
vie, même si l'on a une bonne loi. Enfin, à
côté de critères objectifs que le médecin
doit prendre en compte lors d'une demande d'euthanasie,
l'inquiète un critère subjectif repris dans la loi,
celui de souffrances
« insupportables » du patient .
On peut penser qu'il y a un
droit de mourir, un droit à l'aide au suicide
médicalisée. Pour moi, l'euthanasie est une aide aux
mourants lorsqu'on ne peut plus les aider autrement. C'est le dernier
geste.
Mais il en est tout autrement s'il n'est plus question de phase
terminale mais uniquement du désir d'en finir avec la
vie...
En tant que théologien, je crois évidemment que la vie
est un don du Dieu de grâce. Quand quelqu'un ne peut plus la
vivre ainsi, je comprends qu'il souhaite y mettre fin.
Puisque Dieu est grâce et non légalisme je pense qu'on
ne peut pas dire un non absolu à l'euthanasie.
Mais, bien entendu, il ne faudrait pas de dérive.
.
La loi
néerlandaise
Le médecin doit
a. avoir acquis la conviction que la demande du patient
est volontaire et mûrement réfléchie
b. avoir acquis la conviction que les souffrances du
patient sont insupportables et sans perspective
d'amélioration
c. avoir informé le patient de sa
situation
d. conjointement avec le patient, être parvenu
à la conviction qu'il n'existait pas d'autre solution
raisonnable dans la situation où il se trouvait
e. avoir consulté au moins un autre
médecin indépendant, qui a vu le patient et a
donné par écrit son jugement concernant les points a
à d.
Le médecin est tenu de signaler
toute mort non naturelle au
médecin légiste de la commune. S'il s'agit d'un cas
d'euthanasie ou d'aide au suicide, le médecin fait un rapport
selon un modèle fixé.
Le médecin légiste fait aussi un rapport et le transmet
au Procureur de la Reine qui doit délivrer le permis
d'inhumer.
La commission régionale de
contrôle - que
préside un juriste, comprend un médecin, un
spécialiste des questions d'éthique, etc. -
reçoit aussi le rapport du médecin qui a
pratiqué et celui du médecin légiste pour
évaluer les actes du médecin.
Si elle juge que le médecin a agit
avec toute la rigueur requise, il n'est pas poursuivi.
En 2000, sur 16 millions
d'habitants, 2123 cas d'euthanasie et d'aide au suicide ont
été signalés par des médecins aux
Pays-Bas.
En 1995, sur
135 675 décès, on en comptait 2,8 %,
soit 3838, par euthanasie et aide au suicide signalés.
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