Un christianisme pour le XXIe siècle ?

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La question n’est pas simplement celle d’un aggiornamento liturgique ou moral : c’est une question de survie. Le christianisme est à la croisée des chemins — non pas parce qu’il aurait à moderniser sa façade, mais parce qu’il doit affronter une crise de fond : celle de sa fidélité au message originel de Jésus et de sa pertinence pour des consciences devenues critiques, adultes et libres.

Voici quelques lignes de force d’un christianisme possible pour le 21ᵉ siècle — à la fois fidèle à l’esprit évangélique et lucide sur les défis de notre temps :

1. Un christianisme dédogmatisé, recentré sur la pratique de l’amour

Le 21ᵉ siècle a soif d’authenticité plus que de dogmes. L’essentiel n’est plus de croire que Jésus est « vrai Dieu et vrai homme », mais de reconnaître en lui un homme qui a vécu jusqu’au bout la logique de l’amour inconditionnel. Loin des formules conciliaires figées, il s’agit de retrouver l’Évangile comme force de transformation éthique et sociale : l’amour des ennemis, la justice pour les pauvres, la liberté face aux pouvoirs. Un christianisme vécu, plus que professé.

2. Un christianisme sans toute-puissance ni providence magique

Le Dieu que beaucoup rejettent n’est pas le Dieu de Jésus, mais un dieu déformé par la métaphysique antique et le pouvoir ecclésial : tout-puissant, juge, distributeur de récompenses et de punitions. Le christianisme du 21ᵉ siècle doit renoncer à cette image toxique. Dieu n’est pas l’Être suprême des philosophes, mais la Source vivante qui appelle chacun à devenir pleinement humain. Un Dieu vulnérable, qui ne s’impose pas mais s’expose dans l’amour. Comme le disait Jacques Pohier, « ce n’est pas Dieu qui peut tout, c’est l’amour ».

3. Un christianisme sans miracle, mais pas sans espérance

Il ne s’agit plus de croire aux résurrections physiques ou aux vierges enceintes, mais de reconnaître que l’espérance chrétienne ne repose pas sur des événements surnaturels, mais sur la foi en une puissance de vie plus forte que les logiques de mort. La résurrection n’est pas un fait biologique, mais une métaphore de résistance, une promesse que la vie a un sens même dans l’échec et la croix.

4. Un christianisme post-clérical, post-institutionnel

L’Église-institution est en déroute : autoritarisme, cléricalisme, dissimulation des abus, refus des réformes. Le christianisme du 21ᵉ siècle doit se penser au-delà de cette structure obsolète. Il ne s’agit pas de sauver une institution, mais de faire vivre des communautés fraternelles, critiques, ouvertes, où chacun est prêtre de son humanité. Là encore, c’est l’esprit, pas la lettre, qu’il faut sauver.

5. Un christianisme allié des luttes sociales et écologiques

Un christianisme sans engagement n’est qu’un spiritualisme vide. Le message du Christ appelle à se tenir aux côtés des pauvres, des migrants, des discriminés, des peuples opprimés, et désormais aussi des générations futures menacées par le saccage de la planète. La foi devient force politique, au sens prophétique du terme : dénoncer l’injustice, annoncer une autre manière d’habiter le monde.

6. Un christianisme ouvert au pluralisme religieux

Le 21ᵉ siècle ne peut plus tolérer les prétentions exclusives d’une religion à détenir la vérité. Le christianisme doit se décentrer : accepter que d’autres chemins puissent conduire à Dieu, que le mystère dépasse nos catégories. Jésus ne se présente jamais comme fondateur de religion, mais comme révélateur d’humanité. C’est cette humanité-là que nous devons servir.

7. Un christianisme sans paradis promis ni enfer menaçant

L’au-delà ne peut plus être un système de récompense-punition. Le véritable salut n’est pas dans une vie future, mais dans une manière d’exister ici et maintenant, debout, aimant, libre. Dieu ne promet pas un paradis compensatoire, mais appelle à faire advenir un peu de Royaume sur terre, dès aujourd’hui.

Conclusion

Le christianisme du 21ᵉ siècle sera celui d’une minorité croyante, mais pas soumise ; engagée, mais pas fanatique ; enracinée dans l’Évangile, mais libérée des dogmes. Un christianisme qui ne demande plus : « Que faut-il croire ? », mais : « Que faut-il faire pour aimer, pour libérer, pour espérer ? »

Il ne s’agit pas de préserver une religion, mais de libérer une parole de vie.

11 réponses à “Un christianisme pour le XXIe siècle ?”

  1. Catherine Mallevaës-Kergoat

    Bonjour Monsieur,
    Je suis arrivée sur votre texte via Facebook. Je partage nombre des lignes de force que vous proposez.
    Je m’interroge toutefois : ce christianisme que vous évoquez est-il autre chose qu’une « philosophie de la vie », sur les traces du Sage humain Jésus de Nazareth ?
    Voire une idéologie de la bienfaisance à laquelle il est bon d’adhérer ?
    S’agit-il encore d’une religion ?

    Merci de votre éventuelle réponse
    Bien cordialement

    C M-K

    1. Michel LECONTE

      Bonjour
      Le mot « christianisme » évoque aujourd’hui une religion, une institution, un ensemble de croyances, de dogmes et de pratiques codifiées. Pourtant, rien n’indique que Jésus de Nazareth ait voulu fonder une religion. Il n’a laissé aucun catéchisme, aucun rituel, aucune Église. Il a simplement vécu et annoncé un Royaume — non pas dans un ailleurs céleste, mais au cœur de notre humanité, là où l’on soigne, relève, pardonne, libère. Et si le christianisme, dans sa forme la plus fidèle à Jésus, n’était pas une religion, mais une sagesse ? Mais l’histoire du christianisme a opéré une translation : ce message de vie est devenu un système religieux. Les conciles, ont introduit des dogmes, des hiérarchies, une théologie du péché et du salut, une sacralisation de la figure de Jésus qu’on s’est mis à adorer et non à vivre de son esprit. Le charisme a été remplacé par le clergé. Le pardon, par la confession. La liberté intérieure, par l’obéissance à la doctrine.

      Ainsi s’est imposée une religion verticale : Dieu en haut, l’homme en bas ; le clergé médiateur au centre, les fidèles à la périphérie ; la Vérité dans les dogmes, l’erreur dans les consciences critiques. À force de déifier Jésus, on l’a éloigné des humains. À force de le vénérer, on a cessé de l’imiter. À force de croire, on a parfois cessé de penser.
      Et si le christianisme du XXIe siècle n’était pas celui de la religion, mais celui de la sagesse ? Une sagesse qui ne prétend pas tout expliquer, mais qui aide à vivre. Une sagesse qui ne construit pas de temples, mais des relations. Une sagesse qui ne demande pas de croire, mais d’espérer, malgré tout. Car au fond, suivre Jésus, n’est-ce pas marcher avec lui dans cette humanité blessée, sans certitude, mais avec foi en l’homme — et peut-être, en ce Dieu qui s’y cache ?
      Cordialement

  2. Lina Propeck

    Votre réponse est complète car, me semble-t-il, votre réflexion conduit à voir en Jesus de Nazareth, un «maître de sagesse » pour reprendre un terme répandu en Orient, négligé en Occident. À l’évidence Orient et Occident ont un Chemin commun à tracer.

  3. Michel Leconte est psychologue mais en rien theologien comme le présente St Merry.
    Heureusement qu’il n’est pas théologien !sinon la plupart des chrétiens fuiraient le Christ et le christianisme. Évidement que nous sommes tous pour souligner l’humanité de Jésus mais lui refuser la divinité c’est refuser tout simplementl lle christianisme; Nous avons là un exemple type d’ideologie religieuse une sorte de pauvre jésuologie.Cela équivaut aux vieilles querelles sur la théologie libérale d’un autre siècle! A coté de Mr Leconte un Renan est dix fois plus credible et agréable à lire. je suis choque de voir St Merry oser proposer à ses lecteur un tel texte avec une sorte d’admiration! la réponse d’I Berten sur la divinité de Jésus et sur la résurrection est evidemment excellente;La partie convergences est assez faible surtout quand on connait la compétence du theologien.
    Bref ,j’ai honte pour St Merry d’oser proposer un tel texte et je me suis à douter de la solidité de leur foi et de leur enseignement; J’espère que ce n’est qu’un accident de parcours sinon je me désabonnerai à leur lettre

    1. Michel LECONTE

      Cher Monsieur,

      Je prends acte de votre réaction très vive à mon texte.

      Permettez-moi d’abord de préciser que je ne cherche pas à imposer une doctrine ni à détruire la foi chrétienne, mais à ouvrir un espace de réflexion. Mon propos n’est pas d’évacuer le Christ, mais de revenir à l’esprit de l’Évangile, au message de liberté et d’amour que Jésus a incarné.

      Vous affirmez que « refuser la divinité de Jésus, c’est refuser le christianisme ». Je comprends que cette affirmation soit importante pour vous. Mais l’histoire montre qu’il y a toujours eu, depuis les origines, une pluralité d’interprétations de la personne de Jésus : les Évangiles eux-mêmes témoignent de cette diversité. Paul, Jean, Jacques, Marc ne disent pas exactement la même chose. La formule dogmatique « vrai Dieu et vrai homme » n’est apparue qu’au IVᵉ siècle, dans un contexte culturel et politique bien particulier.

      Mon intention est de dire que l’on peut croire en Jésus et le suivre sans forcément adhérer à des catégories philosophiques qui ne parlent plus à beaucoup de nos contemporains. Ce n’est pas une négation de la foi, mais une tentative de la rendre intelligible et vivante aujourd’hui, surtout pour ceux qui sont en recherche mais qui ne peuvent plus se reconnaître dans les dogmes traditionnels.

      Je sais que ce point de vue est discuté et discutable. La réponse d’Ignace Berten apporte d’ailleurs un éclairage théologique précieux. J’espère simplement que ce dialogue puisse se vivre dans l’écoute mutuelle, sans anathèmes.

      Mon texte se veut une proposition pour un christianisme possible au XXIᵉ siècle. Libre à chacun de la recevoir ou de la contester ; mais l’enjeu, me semble-t-il, est que nous puissions, malgré nos désaccords, chercher ensemble ce qui libère et fait vivre.

      Bien fraternellement,
      Michel Leconte

      1. Michel LECONTE

        Je comprends votre attachement à la confession traditionnelle de la divinité de Jésus.

        Aujourd’hui, beaucoup de théologiens expliquent que cette affirmation n’est pas une donnée biologique ou « surnaturelle », mais une manière symbolique et croyante de dire que, dans la vie et la parole de Jésus, Dieu s’est pleinement manifesté. Dire que Jésus est « Fils de Dieu » ne signifie pas qu’il serait un demi-dieu venu du ciel, mais qu’il a vécu une union radicale avec l’amour de Dieu, au point de le rendre visible et crédible pour nous.

        Ainsi, l’essentiel n’est pas d’expliquer comment Jésus est Dieu, mais de reconnaître en lui la présence libératrice de Dieu, qui nous appelle à suivre le même chemin d’amour et de liberté.

        1. Michel LECONTE

          La divinisation de Jésus ne s’est pas faite d’un seul coup : c’est le fruit d’un long processus historique, théologique et psychologique qui s’est déroulé sur plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Voici les principaux facteurs :

          1. Un choc initial : l’exécution de Jésus et la foi de ses disciples
          • Jésus de Nazareth a été un prophète itinérant prêchant le Royaume de Dieu, guérissant, libérant les exclus, et annonçant une bonne nouvelle centrée sur l’amour et la miséricorde.
          • Sa mort violente sur la croix, supplice infamant réservé aux esclaves et aux rebelles, a été un traumatisme majeur pour ses disciples.
          • Or, au lieu de disparaître dans le désespoir, ils ont fait une expérience de relèvement intérieur : ils ont affirmé que Dieu avait justifié Jésus et confirmé son message malgré la condamnation humaine.
          • C’est ce qui se traduit dans les premières confessions de foi : « Dieu l’a ressuscité » (Ac 2,24).
          • Jésus est d’abord proclamé « Seigneur » (Kyrios), Messie (Christos), Fils de Dieu au sens biblique, c’est-à-dire « celui qui est particulièrement proche de Dieu ».

          Clé ici : au début, ces titres sont symboliques et fonctionnels, ils ne signifient pas encore la divinité au sens philosophique grec.

          2. L’attente eschatologique et la montée en puissance du Christ
          • Les premiers disciples attendaient un retour imminent de Jésus glorifié pour instaurer le Royaume de Dieu.
          • Quand ce retour tardait, il a fallu interpréter sa présence autrement : Jésus était déjà exalté auprès de Dieu et régnait déjà d’une manière invisible.
          • Cette exaltation a conduit à l’usage de textes bibliques messianiques (Psaume 110, Daniel 7, etc.) appliqués à Jésus, ce qui renforçait sa stature céleste.

          3. Influence du monde grec et de la philosophie
          • Au départ, les catégories juives (Messie, Fils de l’Homme, Serviteur) suffisaient.
          • Mais très vite, l’Évangile a été annoncé dans le monde grec, où existaient des catégories philosophiques très différentes : substance, nature, essence, logos.
          • Dans ce contexte, dire que Jésus est le « Fils de Dieu » a été traduit en termes métaphysiques :
          • non plus seulement une proximité ou une mission,
          • mais une identité de nature avec Dieu (homoousios, « de même substance »).

          Paul ouvre déjà la voie avec l’hymne de Philippiens 2,6-11, où Jésus est décrit comme pré-existant, puis abaissé et exalté.

          4. Le rôle de Paul et des premières communautés
          • Paul joue un rôle crucial : il universalise le message et centre la foi non plus sur la prédication de Jésus, mais sur sa personne :
          • « Nous prêchons un Messie crucifié » (1 Co 1,23).
          • La mort et la résurrection deviennent le cœur du salut.
          • Pour lui, Jésus n’est pas seulement le prophète du Royaume, il est le Seigneur qui sauve.

          5. Facteur psychologique et anthropologique

          Du point de vue psychanalytique, on peut comprendre ce processus comme une réponse à des désirs inconscients :
          • Désir d’un Père immortel : après la mort de Jésus, ses disciples refusent de le perdre ; ils le magnifient, le placent au ciel, le font participer à la toute-puissance divine.
          • Conrad Stein et Jacques Pohier soulignent ce mécanisme de refus de la castration, c’est-à-dire de la finitude et de la mort.
          • La résurrection devient la preuve que la mort est vaincue.
          • Jésus devient une figure idéale et protectrice, à laquelle on peut se soumettre sans conflit, remplissant un besoin collectif de sécurité et de sens.

          6. Institutionnalisation et enjeux de pouvoir
          • Avec la croissance des communautés, la question de l’identité de Jésus devient un enjeu de cohésion et d’autorité.
          • Les conciles (Nicée 325, Chalcédoine 451) fixent progressivement la doctrine :
          • Jésus est « vrai Dieu et vrai homme »,
          • en deux natures, sans confusion ni séparation.
          • Cette définition répond aussi à des enjeux politiques : l’Empire romain, sous Constantin et ses successeurs, avait besoin d’une religion unifiée et d’un dogme clair.

          7. Récapitulatif du processus

          Étape Conception de Jésus Contexte
          30-50 Prophète, Messie, Serviteur Judaïsme palestinien
          50-70 Seigneur exalté, Fils de Dieu au sens symbolique Premières communautés
          70-100 Logos pré-existant (Évangile de Jean) Monde grec
          100-325 Christ cosmique, centre du salut Expansion impériale
          325-451 Définitions conciliaires : Dieu et homme en une personne Empire chrétien

          8. En bref

          On a divinisé Jésus parce que :
          1. Ses disciples ont vécu une expérience fondatrice après sa mort.
          2. Ils ont voulu sauvegarder sa mémoire et son autorité en affirmant que Dieu l’avait exalté.
          3. L’annonce à un monde non juif a entraîné l’usage de catégories grecques, qui ont transformé un titre symbolique en une affirmation ontologique.
          4. Ce processus répondait à des besoins psychologiques collectifs : vaincre la peur de la mort, trouver un Père immortel, garantir le salut.
          5. Enfin, l’Église institutionnelle et l’Empire ont stabilisé la doctrine pour assurer l’unité.

          Michel Leconte
          Théologien protestant libéral

        2. Michel LECONTE

          Dire aujourd’hui que Jésus est Dieu reste une affirmation possible, mais elle ne peut plus être comprise de la même manière qu’au IVᵉ ou au XIIIᵉ siècle.

          1. Le sens originel : une confession de foi

          Dans le Nouveau Testament, dire que Jésus est Seigneur ou qu’il est en Dieu n’est pas une définition métaphysique.
          • Pour les premiers disciples, c’était un cri d’espérance et de reconnaissance : en Jésus, Dieu s’est manifesté d’une façon unique.
          • Paul, par exemple, n’élabore pas de doctrine : il dit que « Dieu était en Christ » (2 Co 5,19), pas que Jésus est identique à Dieu au sens philosophique.
          • Ce langage est existentiel et symbolique, pas conceptuel : il dit la rencontre et l’expérience, non la nature.

          2. La formulation dogmatique : Nicée et Chalcédoine

          Au IVᵉ siècle, face aux débats et aux hérésies, l’Église a utilisé les catégories grecques (ousia, physis, hypostasis) pour dire que Jésus est « vrai Dieu et vrai homme ».
          • Ce langage a permis d’unifier la foi chrétienne, mais il a aussi figé l’expérience vivante dans un vocabulaire métaphysique étranger au monde biblique.
          • Aujourd’hui, ces concepts sont devenus opaques pour la plupart des croyants.

          3. Les limites contemporaines

          Dire simplement « Jésus est Dieu » pose problème car :
          • Philosophiquement, cela semble contradictoire : un homme fini, historique, identifié à l’infini absolu.
          • Historiquement, Jésus n’a jamais dit qu’il était Dieu ; il s’est présenté comme prophète du Royaume, non comme une divinité.
          • Spirituellement, cela risque de détourner l’attention du message : on adore la personne de Jésus au lieu de suivre son esprit et sa pratique.

          4. Vers une compréhension renouvelée

          Beaucoup de théologiens contemporains (Tillich, Küng, Pohier, Moingt…) invitent à reformuler :
          • Jésus n’est pas Dieu lui-même, mais transparence de Dieu.
          • En lui, nous voyons ce que Dieu veut pour l’humanité : amour, liberté, fidélité jusqu’au bout.
          • Plutôt que dire « Jésus est Dieu », on peut dire :
          « En Jésus, Dieu s’est dit d’une manière décisive » ou
          « Jésus est l’icône vivante du Dieu invisible ».

          5. Formulation actuelle possible

          Dire aujourd’hui que Jésus est Dieu n’est pertinent que si l’on entend par là non pas une identité métaphysique, mais l’expérience que Dieu s’est rendu présent et agissant dans l’histoire humaine à travers cet homme.
          Autrement dit : Jésus est pleinement homme, et en lui, l’amour de Dieu s’est pleinement manifesté.

          Michel Leconte
          Psychologue. Théologien protestant libéral.

  4. Michel LECONTE

    La divinisation de Jésus ne s’est pas faite d’un seul coup : c’est le fruit d’un long processus historique, théologique et psychologique qui s’est déroulé sur plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Voici les principaux facteurs :

    1. Un choc initial : l’exécution de Jésus et la foi de ses disciples
    • Jésus de Nazareth a été un prophète itinérant prêchant le Royaume de Dieu, guérissant, libérant les exclus, et annonçant une bonne nouvelle centrée sur l’amour et la miséricorde.
    • Sa mort violente sur la croix, supplice infamant réservé aux esclaves et aux rebelles, a été un traumatisme majeur pour ses disciples.
    • Or, au lieu de disparaître dans le désespoir, ils ont fait une expérience de relèvement intérieur : ils ont affirmé que Dieu avait justifié Jésus et confirmé son message malgré la condamnation humaine.
    • C’est ce qui se traduit dans les premières confessions de foi : « Dieu l’a ressuscité » (Ac 2,24).
    • Jésus est d’abord proclamé « Seigneur » (Kyrios), Messie (Christos), Fils de Dieu au sens biblique, c’est-à-dire « celui qui est particulièrement proche de Dieu ».

    Clé ici : au début, ces titres sont symboliques et fonctionnels, ils ne signifient pas encore la divinité au sens philosophique grec.

    2. L’attente eschatologique et la montée en puissance du Christ
    • Les premiers disciples attendaient un retour imminent de Jésus glorifié pour instaurer le Royaume de Dieu.
    • Quand ce retour tardait, il a fallu interpréter sa présence autrement : Jésus était déjà exalté auprès de Dieu et régnait déjà d’une manière invisible.
    • Cette exaltation a conduit à l’usage de textes bibliques messianiques (Psaume 110, Daniel 7, etc.) appliqués à Jésus, ce qui renforçait sa stature céleste.

    3. Influence du monde grec et de la philosophie
    • Au départ, les catégories juives (Messie, Fils de l’Homme, Serviteur) suffisaient.
    • Mais très vite, l’Évangile a été annoncé dans le monde grec, où existaient des catégories philosophiques très différentes : substance, nature, essence, logos.
    • Dans ce contexte, dire que Jésus est le « Fils de Dieu » a été traduit en termes métaphysiques :
    • non plus seulement une proximité ou une mission,
    • mais une identité de nature avec Dieu (homoousios, « de même substance »).

    Paul ouvre déjà la voie avec l’hymne de Philippiens 2,6-11, où Jésus est décrit comme pré-existant, puis abaissé et exalté.

    4. Le rôle de Paul et des premières communautés
    • Paul joue un rôle crucial : il universalise le message et centre la foi non plus sur la prédication de Jésus, mais sur sa personne :
    • « Nous prêchons un Messie crucifié » (1 Co 1,23).
    • La mort et la résurrection deviennent le cœur du salut.
    • Pour lui, Jésus n’est pas seulement le prophète du Royaume, il est le Seigneur qui sauve.

    5. Facteur psychologique et anthropologique

    Du point de vue psychanalytique, on peut comprendre ce processus comme une réponse à des désirs inconscients :
    • Désir d’un Père immortel : après la mort de Jésus, ses disciples refusent de le perdre ; ils le magnifient, le placent au ciel, le font participer à la toute-puissance divine.
    • Conrad Stein et Jacques Pohier soulignent ce mécanisme de refus de la castration, c’est-à-dire de la finitude et de la mort.
    • La résurrection devient la preuve que la mort est vaincue.
    • Jésus devient une figure idéale et protectrice, à laquelle on peut se soumettre sans conflit, remplissant un besoin collectif de sécurité et de sens.

    6. Institutionnalisation et enjeux de pouvoir
    • Avec la croissance des communautés, la question de l’identité de Jésus devient un enjeu de cohésion et d’autorité.
    • Les conciles (Nicée 325, Chalcédoine 451) fixent progressivement la doctrine :
    • Jésus est « vrai Dieu et vrai homme »,
    • en deux natures, sans confusion ni séparation.
    • Cette définition répond aussi à des enjeux politiques : l’Empire romain, sous Constantin et ses successeurs, avait besoin d’une religion unifiée et d’un dogme clair.

    7. Récapitulatif du processus

    Étape Conception de Jésus Contexte
    30-50 Prophète, Messie, Serviteur Judaïsme palestinien
    50-70 Seigneur exalté, Fils de Dieu au sens symbolique Premières communautés
    70-100 Logos pré-existant (Évangile de Jean) Monde grec
    100-325 Christ cosmique, centre du salut Expansion impériale
    325-451 Définitions conciliaires : Dieu et homme en une personne Empire chrétien

    8. En bref

    On a divinisé Jésus parce que :
    1. Ses disciples ont vécu une expérience fondatrice après sa mort.
    2. Ils ont voulu sauvegarder sa mémoire et son autorité en affirmant que Dieu l’avait exalté.
    3. L’annonce à un monde non juif a entraîné l’usage de catégories grecques, qui ont transformé un titre symbolique en une affirmation ontologique.
    4. Ce processus répondait à des besoins psychologiques collectifs : vaincre la peur de la mort, trouver un Père immortel, garantir le salut.
    5. Enfin, l’Église institutionnelle et l’Empire ont stabilisé la doctrine pour assurer l’unité.

    Michel Leconte
    Théologien protestant libéral

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