Jacques Musset
Légaliser l’euthanasie est-ce une folie pour une démocratie ?
Dans le premier article du dernier numéro de la revue Parvis (Novembre-décembre 2024) intitulé : « Tuer les gens, tuer la terre », ses auteurs, le docteur Bruno Dellaporta et la psychiatre Faroudja Hocine répondent oui, haut et fort, au nom de l’interdit : « Tu ne tueras pas ». Ils affirment que cette loi serait une folie, au même titre, dit-il, que les lois raciales et les lois eugéniques promulguées par les nazis !
Cette position est-elle indiscutable ? Voici quelques considérations qui m’inspirent.
1. D’abord cette question. Chaque humain a-t-il le droit de mettre fin ou de demander qu’on mette fin à sa propre vie lorsqu’il est dans des conditions d’existence inacceptables par lui ? L’un des postulats de nos auteurs, c’est que la mort ne peut être que naturelle avec l’arrêt du cœur et des grandes fonctions corporelles (position des religions). Ce postulat ne fait plus l’unanimité des citoyens de nos sociétés occidentales du fait que bien des consciences se sont affranchies des tutelles cléricales. D’autant plus que l’identification de la vie humaine avec l’exercice de ces grandes fonctions ne rend pas compte de ce qu’est une vie vraiment humaine, à savoir une autonomie de penser, de décider, d’établir des relations. C’est ce qu’expriment fort justement bien des gens qui ont perdu ces facultés et qui s’écrient : mais ce n’est pas une vie, je ne souhaite pas la poursuivre telle quelle. N’est-ce pas du vécu de ces personnes qu’il faut partir pour admettre qu’elle peuvent avoir le droit légitime d’être aidées à quitter cette vie qui n’a plus de sens pour elles ?
2. Un pays démocratique, incluant des citoyens aux conceptions différentes de la vie, l’est-il vraiment s’il refuse à certains de ses citoyens qu’on les aide à mettre fin à leur vie lorsqu’elle est pour eux invivable et inacceptable ? Accepter en fermant les yeux, comme le fait le Docteur Dellaporta, que les médecins soient seuls juges pour exceptionnellement pratiquer ou non l’euthanasie de leurs clients, n’est-ce pas une fausse voire injuste solution, puisque le passage à l’acte dépend de la décision du médecin et se pratique dans l’anonymat. On ne résout pas ce genre de situation au cas par cas en fonction de ce que pense le médecin. Elle ne peut se résoudre d’une manière juste que par la législation, comme on l’a fait dans notre pays pour le divorce, la contraception, l’avortement, le mariage pour tous. Aujourd’hui, une législation s’impose dans chaque pays par respecter les désirs légitimes d’une partie de ses citoyens.
3. Selon quelles conditions, un pays démocratique peut-il reconnaître le droit à l’euthanasie ? Si l’on regarde la législation d’un pays comme la Belgique qui admet la pratique de l’euthanasie depuis des années, laquelle est admise socialement et ne bouleverse pas la vie commune entre les belges, on constate qu’elle est subordonnée à des conditions strictes pour éviter les dérives ; et si elle connaît des évolutions c’est aussi d’une manière réfléchie démocratiquement et très encadrée. Bien des détracteurs de l’euthanasie ignorent cette législation belge et, pour asseoir leurs conceptions, s’en tiennent aux mensonges qui se répandent. Pour ma part, je suis de ceux qui se réjouissent que la loi de l’aide à mourir va revenir à l’étude au parlement en janvier. Avec eux, je souhaite que, de très restrictive où en est la rédaction actuelle du fait du poids des lobbys religieux et médicaux, elle considère comme primordiale la volonté dûment exprimée de la personne non seulement pour qu’on l’aide à mourir mais pour qu’elle puisse choisir le moment de sa mort.
4. Cette conception de l’aide à mourir par euthanasie peut-elle être considérée comme un soin et est-elle cohérente avec les soins palliatifs ? Je réponds oui si l’on entend le soin comme l’accompagnement ajustée à la volonté de la personne malade ou en fin de vie.
J’ajoute que ma position actuelle est le résultat d’une évolution. Il y a quarante ans, je partageais celle des auteurs de l’article de Parvis. Puis durant une douzaine d’années (1985 – 1997) j’ai été en milieu hospitalier formateur de soignants à l’accompagnement des personnes en fin de vie. C’est en écoutant les aides-soignantes et les infirmières raconter les situations difficiles auxquelles elles étaient confrontées, en étant moi-même témoin de ces situations dans ma famille, et en lisant des réflexions à ce sujet que j’ai réfléchi. J’ai abandonné une position idéologique pour en rejoindre une autre fondée sur une conception de l’homme libre de ses décisions et une conception des soins respectueuse de ses choix concernant sa fin de vie et sa façon de mourir.
PS. Le réseau des Parvis est une fédération d’une quarantaine de groupes chrétiens, plus ou moins en lien avec l’Église catholique
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