
Prédication-conférence donnée à l’Église protestante unie de l’Étoile à Paris
36 pages – 7 €
Recension Gilles Castelnau
Raphaël Georgy, diplômé en journalisme (Sciences Po) et en théologie (Institut supérieur d’études œcuméniques) est assistant pastoral à l’Église protestante unie de l’Étoile à Paris et collabore depuis 2020 avec la Plateforme universitaire de recherche sur l’islam Pluriel, coordonnée par l’Université catholique de Lyon, en tant que responsable du développement numérique.
Proche, donc, à la fois du protestantisme, du catholicisme et de l’islam qu’il s’efforce – avec succès – de comprendre en profondeur. Il s’attache avec ferveur à découvrir ce qui peut rapprocher et unir les fidèles.
Pourquoi ne pas chercher, entre autres, ce qu’il peut y avoir de commun dans ces trois spiritualités en ce qui concerne la vénération de la Vierge Marie ?
Il écrit :
Partant de la même Bible, pourquoi protestants et catholiques ont-ils une relation à Marie aussi éloignée ? Comment comprendre les développements de la théologie mariale dans le catholicisme, regardés parfois avec suspicion dans le protestantisme ? Cette figure, loin de diviser, pourrait en réalité rassembler au-delà des frontières du christianisme.
Marie pour les protestants
Marie est plus qu’une croyante exemplaire. Elle est aussi présentée, dans la Bible elle-même avec un statut prophétique. D’abord la salutation de l’ange « Je te salue, comblée-de grâce » est inhabituelle, car elle donne à Marie un titre nouveau et unique dans toute la Bible, la désignant comme la « servante du Seigneur ». Ce terme donne à Marie un rôle unique, qui la positionne comme un nouveau Moïse : une figure prophétique et libératrice. La réponse de Marie elle-même, ou en tout cas celle que le récit met dans sa bouche, est intéressante : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole ». Ce n’est pas seulement un acte d’humilité, mais un engagement conscient pour une mission. Marie accepte activement son rôle, faisant preuve de foi et de détermination, dans la droite ligne des récits de vocation des prophètes de l’Ancien Testament. Il faut donc reconnaître que Marie a des accents prophétiques, et ce dès la rédaction des Évangiles.
Marie pour les catholiques
La prière adressée à Marie. La plus ancienne dont nous ayons la trace écrite date du IIIe siècle. Son titre en latin : Sub tuum prcesidium. En français :
Sous ta protection, nous nous réfugions, Sainte Mère de Dieu. Ne méprise pas nos prières quand nous sommes dans l’épreuve, mais de tous les dangers délivre-nous toujours, Vierge glorieuse et bénie.
Elle a été découverte sur un papyrus égyptien, ce qui suggère son utilisation dans l’Église copte primitive. Nous assistons donc à un foisonnement théologique et affectif. Les chrétiens ont d’autant plus besoin d’un pendant féminin que l’image qu’ils se font de Dieu serait exclusivement virile, comme si Dieu ne se manifestait que dans la toute-puissance, la grandeur et la distance, quand Marie serait douce, proche et comprendrait mieux les subtilités de l’âme humaine. Combien de chrétiens prient plus facilement Marie plutôt que Dieu ?
[…]
En l’an 610 après J.-C., Héraclius devient empereur de l’Empire byzantin, l’Empire romain d’Orient. Capitale : Constantinople. L’économie et les finances sont ruinées, l’armée est affaiblie et le territoire est menacé par les invasions des perses à l’Est, et bientôt par les conquêtes musulmanes. Héraclius a alors l’idée d’utiliser Marie dans la propagande impériale pour renforcer l’unité religieuse de l’empire. Il mobilise l’iconographie mariale dans des œuvres d’art, des pièces de monnaies et des cérémonies religieuses pour solidifier son rôle de figure unificatrice et protectrice. Des images de Marie avec l’enfant Jésus sont partout dans les lieux de culte et les espaces publics, pour rappeler aux citoyens de l’Empire la proximité divine et le soutien spirituel dans les temps de guerre et d’incertitude.
Marie pour les musulmans
Le Coran dit (19, Maryam, 16-33))
Dieu dit : « Nous lui envoyâmes Notre Esprit (Gabriel), qui se présenta à elle sous la forme d’un homme parfait. Elle dit :« je me réfugie contre toi auprès du Tout Miséricordieux, si tu es pieux. » {Ne m’approche point}. Il dit : « je suis en fait un Messager de ton Seigneur pour te faire don d’un fils pur. » Elle dit : « Comment aurais-je un fils, quand aucun homme ne m’a touchée, et que je ne suis pas prostituée ? » Il dit :« Ainsi sera-t-il, cela M’est facile ! a dit ton Seigneur.
Et Nous ferons de lui un signe pour les gens, et une miséricorde de Notre part. C’est une affaire déjà décidée. » Elle devient donc enceinte {de l’enfant}, et elle se retira avec lui en un lieu éloigné. Puis les douleurs de l’enfantement l’amenèrent vers le tronc du palmier, et elle dit : « Que je fusse morte avant cet instant ! Et que je fusse totalement oubliée ! » Alors, il l’appela d’au-dessous d’elle, [lui disant.]« Ne t’ajflige pas. Ton Seigneur a placé à tes pieds une source. Secoue vers toi le tronc du palmier : il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. Mange donc et bois et que ton œil se réjouisse !
[…]
On trouve le même genre de récit dans deux textes apocryphes chrétiens des Ve et VIe siècle qui attribuent le même miracle, tardivement donc, à Jésus. Les renseignements sur Marie dans le Coran correspondent d’une part aux récits du Nouveau Testament, mais de nombreux éléments sont empruntés aux Évangiles apocryphes, ceux qui ont émergé dans des communautés chrétiennes minoritaires. On voit dans ce passage coranique une grande porosité entre les religions, qui montre que les premiers musulmans connaissaient les récits chrétiens. La naissance de Jésus au pied d’un palmier et le ruisseau jaillissant apparaissent eux aussi dans l’Évangile apocryphe du PseudoMatthieu, daté entre le Ve et le VIIe siècle. On trouve une mosaïque dans une église byzantine au sud de Jérusalem, qui représente Marie au pied d’un palmier à côté duquel coule un ruisseau.
[…]
Chrétiens et musulmans, par leurs textes, sont irrémédiablement liés. Les récits ne sont pas les mêmes, mais cet exemple de Marie montre qu’ils partagent une même visée à l’origine, si l’on veut bien distinguer le texte lui-même et les usages qui en ont été faits : chercher à comprendre ce que signifiait vivre sous le regard de Dieu, autrement dit, vivre sous la grâce.
Trop d’accord ?
Nous voyons donc que sur certains sujets, les trois monothéismes se croisent et se recroisent. C’est cette instabilité permanente qui fait la joie et la richesse du dialogue interreligieux. Nous croyions arriver à une forme d’unanimité. Mais non, ce n’était qu’un équilibre instable. Tant qu’il y aura des juifs, des chrétiens et des musulmans, le dialogue n’aura pas de fin. Nous sommes condamnés à l’échange de dons perpétuels.
[…]
Alors ne mettons pas de côté Marie trop vite. Elle pourrait encore nous aider à comprendre les autres et, chose encore plus importante, à nous comprendre nous-mêmes, pour nous assurer un avenir les uns avec les autres, et non les uns à côté des autres. Car comme disait l’Émir Abdelkader, ce grand homme de l’histoire algérienne : « La femme, en tant que telle, est la manifestation du degré de la réceptivité qui n’est autre que le degré des possibles ».
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