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Portrait d'un
gentilhomme
de la famille Köckeritz
Élisabeth
Foucart-Walter : Ce portrait a
été un temps anonyme et grâce aux armoiries
qui se trouvent sur sa bague, on a pu,
dès 1932, identifier le modèle avec
Kaspar von Köckeritz qui était un proche de
Luther. En effet, ce personnage porte à
l'index de la main gauche une bague sur
laquelle on distingue des armoiries (trois
fleurs de lys jaunes sur fond bleu) :
les spécialistes d'héraldique allemands y
ont reconnu celles des Köckeritz (Köckritz),
une famille noble saxonne originaire de
Meissen.
Quelque cinquante ans plus tard, l'identité
exacte de ce Köckeritz devait être précisée.
On put établir qu'il s'agissait de Caspar
von Köckeritz, à cause des initiales qui
surmontent les armoiries de la bague :
CA V K R, soit CA(spar) V(on) K(öcke) R(itz)
- le C n'est aujourd'hui presque plus
lisible.
Point de fond bleu vif ni de
coloris clinquants, pour ce portrait, mais
une grande sobriété, voire sévérité, dans la
gamme chromatique des noirs qui accompagne
l'attitude recueillie de ce fidèle de
Luther : ne tient-il pas un chapelet,
détail qui de nos jours pourrait
surprendre ? Cet objet devait être,
comme on le sait, proscrit par les
Réformateurs, qui ne manquèrent pas de
critiquer le caractère mécanique de cette
pratique de prière et son lien trop étroit
avec le culte marial ; mais nous sommes
ici dans un monde encore très ancré dans la
tradition médiévale et de tels chapelets
apparaissent encore, çà et là, dans divers
portraits de l'époque, certains de Cranach,
représentant des Réformateurs, et ces
chapelets-là valent alors comme signe
d'engagement religieux ; le chapelet de
Caspar von Köckeritz, formé de simples
boules (d'ambre ou de buis ?), est très
sobre, tout comme le collier, les deux
bagues et l'anneau porté à l'index gauche
- tous des bijoux courants. Autant
d'éléments qui concourent ici à donner de ce
seigneur saxon l'image d'un homme tout
entier voué au service de la foi luthérienne
par sa dévotion personnelle et sa retenue
morale.
Ayant adhéré aux idées
nouvelles de Luther, il les propagea avec
conviction dans ses terres seigneuriales de
Seese, héritées de son père.
Ce portrait se rattache très
probablement à la dédicace que Luther fit à
Caspar von Köckeritz de sa traduction en
allemand du Psaume 111 de la Bible, le
28 novembre 1530.
Köckeritz s'établit à Wittenberg où il
demeura en constante et étroite relation
avec Luther (Wittenberg est également la
ville de Cranach). En 1543, il devint
conseiller du prince Joachim II de
Brandenbourg et bailli de la région de
Potsdam, et ce jusqu'en 1562.
Il mourut le
8 décembre 1567 à Wittenberg, où
il fut inhumé dans l'église paroissiale, sa
femme le rejoignant le
27 juillet 1570.A travers les
archives et documents qui nous sont parvenus
- notamment une partie de sa
bibliothèque léguée par son épouse à la
paroisse de Wittbrietzen - Caspar von
Köckeritz apparaît comme un lecteur attentif
de la Bible et des écrits des Réformateurs,
ceux de Luther au premier chef ; ses
commentaires manuscrits sont essentiellement
rédigés en allemand, mais il emploie parfois
quelques bribes de latin, preuve qu'il
possédait des rudiments de la langue des
lettrés de l'époque. Par ailleurs, sa
fortune et ses biens semblent avoir été non
négligeables, ce que ne laisse pas deviner
la sobriété de son apparence vestimentaire.
Gilles
Castelnau : On ne peut pas séparer
le grand élan, la grande vague de la
Renaissance allemande, du mouvement
théologique de la Réforme luthérienne.
Luther a-t-il pensé sa Réforme parce qu'il
était avant tout un homme de la
Renaissance ou inversement est-ce le
luthéranisme qui a influencé le mouvement
de la Renaissance en Allemagne, peu
importe. Si on compare ce portrait de
Cranach avec les portraits qui peuvent
avoir été peints à la même époque ou
précédemment, dans l'Italie catholique,
par exemple, on remarque une profondeur du
regard, une attitude méditative marquée
par un sentiment de responsabilité devant
la vie, le monde et soi-même.
De plus, malgré sa
tenue de personnage important, les deux
belles bagues qu'il porte au doigt, la
chaîne d'or à son cou et son beau manteau
de fourrure, on est très loin ici du luxe
extravagant des peintures du Titien de
l'Italie de cette époque, où l'on se
laissait emporter par le fleuve d'une joie
exubérante, de l'argent et du plaisir,
peintures ne manifestant pas de
préoccupations spirituelles. Par contre à
cette époque, les Allemands avaient cette
réflexion un peu angoissée, tourmentée.
Luther, moine anxieux trouvait
l'apaisement dans la Bible et comprenait
que l'on pouvait n'être ni angoissé ni
prétentieux. En langage théologique il
disait « nous
sommes des pécheurs et des pécheurs
pardonnés ». Le message de la « grâce » nous permet d'être
dépréoccupé de soi-même malgré le mal ou
le bien que l'on pense de soi.
L'homme représenté
sur ce tableau de Cranach me semble très
protestant dans la mesure où il peut
assumer son existence sans orgueil, sans
sotte prétention.
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Vénus
dans un paysage, 1529
Élisabeth
Foucart-Walter : Cette Vénus
nue est vêtue seulement d'un petit voile de
pudeur, d'un chapeau rouge et d'un collier
rouge également. A l'époque cette nudité
n'était pas ressentie comme érotique.
D'ailleurs, il est possible que Cranach ait
pas peint le voile de pudeur aussi
transparent et que celui-ci le soit devenu à
la suite de nettoyages successifs que le
tableau a connus au cours des siècles !
Les épicéas peints derrière Vénus sont
splendides ainsi que la ville représentée au
fond. On remarque aussi des cailloux sur le
sol ainsi qu'au milieu d'eux et à côté des
pieds de la jeune Vénus, un tout petit
dragon ailé qui est le monogramme de
Cranach, la marque de son atelier et qui
porte la date de 1529.
Gilles
Castelnau : La marnière de peindre
la nature de Cranach plus pessimiste que
la manière de peintres italiens.
Contrairement aux peintres protestants,
les peintres catholiques peignent en
général une nature heureuse, souriante,
bienveillante. Les protestants peignent
une nature « déchue », comme disent les
théologiens : souvent les arbres ont
des branches cassées. Ce monde permet
certainement d'y vivre heureux et la Vénus
est très belle. Néanmoins tout n'y va pas
pour le mieux.
Quant au voile qui
est si diaphane, sa transparence m'étonne.
Comment le puritanisme de Cranach et de
toute la société allemande de l'époque
pouvaient-ils accepter des femmes aussi
nues ? On y voit même des poils qui
ne sont habituellement jamais représentés
dans la peinture !
Élisabeth
Foucart-Walter : C'est sans doute
une référence à l'antique où la nudité était
parfaitement admise et certainement pas
ressentie comme érotique.
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Portrait
de Jean-Frédéric le Magnanime, 1531
Élisabeth
Foucart-Walte : Le tableau a été
peint en 1531, ce qui explique que
Jean-Frédéric le Magnanime est représenté
en prince héritier de Saxe, puisqu'à cette
date il n'avait pas encore succédé à son
père Jean le Constant.
Contrairement aux portraits aux couleurs
modérées, ce tableau-ci est très coloré,
avec son fond bleu. Le personnage y est
représenté avec un chapeau très
élégant ; il porte un col de fourrure
comme souvent les grands personnages de
l'époque. Il a une grande chaîne autour du
cou, qui se détache sur sa chemise brodée.
Il a, au bout d'une chaîne un bijou dont
je n'ai jamais vraiment percé la
signification. Un bijou comparable sur un
tableau voisin représente manifestement un
cure-dents, considéré comme extrêmement
chic à l'époque ; mais celui-ci est
peut-être trop grand pour en être un. Il
porte à l'index, comme on le faisait à
l'époque, une bague avec une pierre
précieuse.
Ce portrait est un peu tapageur. Cranach
a peint une grande quantité de ces princes
électeurs qui ont d'ailleurs soutenu
Luther et fait sa célébrité et sa gloire.
Gilles
Castelnau : Ce prince, malgré son
luxe, son collier et son magnifique
vêtement, sa bague et son splendide
chapeau, sa belle barbe et sa moustache
si bien peignée est beaucoup moins
somptueux que les portraits des grands
personnages italiens. Il a, certes, le
menton un peu levé, les yeux baissés de
façon qui me semble un peu méprisante,
sa bouche me paraît un peu arrogante. Il
me semble un peu agaçant. S'il était
plus jeune on dirait : « il a une tête à
claques ! »
Bien sûr, Cranach
devait satisfaire ces grands personnages
qui lui payaient très chers ses tableau.
Peut-être aussi, après tout, ce
personnage avait-il réellement ce
caractère un peu m'as-tu-vu que ce
tableau dénoncerait alors ici.
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L'Age
d'argent,
1535
Élisabeth
Foucart-Walte : Ce tableau
date de 1535. Son sujet est
difficile à comprendre. Cranach en a
peint d'autres analogues qui sont
également énigmatiques. Plutôt que des « Effets de la
jalousie », comme on a dit
parfois, on parle plutôt aujourd'hui du
vieux mythe de l'
« Homme sauvage ».
Il y a un rocher
fantastique, en haut, avec une sorte
de construction, de citadelle
menaçante, ce qui n'est pas dans
l'époque des « Hommes
sauvage ». On a aussi
remarqué que les femmes regardent les
hommes se battre, et que l'une d'elle
entourées de jeunes enfants fait
penser à la figure de la Charité.
La raison de ce combat
n'est pas claire. Ce tableau est
évidemment chargé de symboles dont le
sens nous échappe aujourd'hui. Il
pousse certainement à la méditation.
Gilles
Castelnau : Ne pourrait-on pas
penser à la terrible Guerre des
Paysans (1524-26), dirigée notamment
par Thomas Müntzer contre les princes
allemands au nom d'une compréhension
radicale de la Réforme des
institutions de l'Empire. Elle a été
le théâtre d'atrocités et de tortures.
Luther y a pris une position
conservatrice au côté des princes,
protestants et catholiques coalisés
contre les pauvres paysans.
Cranach aurait-il
dans ce tableau manifesté son horreur
des abominations commises, sans oser,
naturellement, l'exprimer de manière
trop claire. Ceci pourrait peut-être
expliquer le côté énigmatique de ce
tableau.
Le personnage
féminin de la Charité, si paisible et
détournant les regards de la bataille,
montrerait alors combien elle est
choquée de cette brutalité et de cette
méchanceté dans un monde où les hommes
doivent s'aimer.
Voir aussi
Gilles
Castelnau et Élisabeth Foucart-Walter
Magdalena fille de
Martin Luther
Gilles Castelnau et Élisabeth
Foucart-Walter La
Vierge à l'œillet
Gilles Castelnau Anton
Fugger
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