Spiritualité des images
Le portrait d'Anton
Fugger
au Louvre
Aile Richelieu, 2e étage,
salle 8
16 septembre 2003
Un nouveau tableau vient d'entrer au
Louvre dans la petite salle du
2e étage exposant les peintres allemands de la
Renaissance. Il a été peint à Augsbourg,
en 1525, par Hans
Maler, qui est un peintre peu
connu : Maler en allemand signifie le « peintre » et il s'agit peut-être d'un pseudonyme.
Il représente Anton Fugger, un banquier d'une des plus
puissantes familles financières du Saint Empire (il avait
financé l'élection impériale de Charles Quint et
s'occupait des finances de la Papauté).
On est dans la Bavière
catholique, en Allemagne du sud,
juste après la mise au ban de l'Empire de Luther par la
diète de Worms, en 1521. Élisabeth Foucart-Walter,
conservateur en chef au département des Peintures du Louvre,
fait justement remarquer que la très catholique famille Fugger
ne pouvait guère faire appel à un peintre sans doute
plus connu comme Cranach
l'Ancien qui était protestant
et ami du Réformateur Martin Luther.
Il y avait bien Hans Holbein le
Jeune, mais il fréquentait
beaucoup lui aussi les milieux protestants, ainsi qu'Albrecht Dürer.
Pourtant, si la différence se
creusait et les opposition
s'exacerbaient entre la conception catholique traditionnelle du monde
et des hommes, qui allait bientôt être
réaffirmée de façon impérative par le
concile de Trente, et la vision nouvelle de la Renaissance qui
était en train de faire naître le protestantisme, la
peinture de cette époque, quelle qu'elle soit, est
entièrement dans l'atmosphère de la Renaissance et
l'unité est frappante des tableaux de la salle que nous
visitons :
Un second portrait du même Hans
Maler. Un auto-portrait
d'Albrecht Dürer (déjà plus ancien, il date
de 1493). Trois Lucas Cranach
l'Ancien (dont une petite fille qui
représente selon toute certitude la fille de Luther). Cinq
Hans Holbein le Jeune (dont le remarquable portrait d'Érasme)
Tous ces tableaux présentent une unité frappante, celle
des temps nouveaux.
Le portrait d'Anton Fugger
est caractéristique de
l'intérêt nouveau porté à la
représentation d'un personnage. Il a un immense et magnifique
chapeau, qu'il porte un peu de travers afin de se donner un air
naturel. Sa belle moustache et sa barbe noire joliment
bouclées et finement représentées sont bien
séduisantes pour un banquier et ses grands sourcils lui
donnent un air gentiment étonné. Il tient dans les
mains une lettre, peut-être le relevé de compte d'un de
ses clients ou, qui sait, un texte littéraire ou même
philosophique : on se donnait volontiers l'air humaniste
à cette époque.
A son cou un pendentif ; si l'on regarde bien on
s'aperçoit qu'il s'agit bizarrement d'un cure-dent, symbole de
suprême raffinement !
On sourit en pensant à la manière dont on l'aurait
représenté au siècle précédent,
à genoux sans doute, sans auréole, bien sûr, mais
aussi sans son grand chapeau ni... son cure-dents !
Les nouvelles idées de la
Renaissance récusent les
gestes stéréotypés et les attitudes
conventionnelles des personnages gothiques, exprimant des sentiments
convenus et dont la sérénité, la dignité
parfaite reflétaient le monde céleste auquel ils
étaient censés participer. L'homme gothique n'avait
d'existence, de raison d'être qu'en fidèle
chrétien, fils humble et soumis de l'Église qui
incarnait le monde d'en-haut. C'est pourquoi les personnages
étaient représentés en compagnie du Christ et de
la Vierge ou accompagnant des scènes bibliques ou de la
légende dorée des saints. Leurs agenouillements,
l'expression de leurs visages, les mouvements de leurs bras, les
gestes de leurs mains loin de manifester le moindre sentiment orignal
et personnel, n'avaient pour raison d'être que de montrer leur
insertion sincère dans le monde divin.
La Renaissance par contre, découvre l'importance des hommes et leur
beauté tels qu'ils sont dans leur individualité. Le
corps humain, les visages sont valorisés. La présence
divine n'est, certes, pas moins présente qu'auparavant, mais
elle est à l'oeuvre (ou tragiquement absente) dans des
êtres qui sont faits de chair et de sang. Les artistes scrutent
désormais attentivement leurs modèles humains pour les
représenter tels qu'ils sont dans leur réalité
naturelle.
La tradition protestante n'est certainement pas tentée
d'idéaliser ces personnages. La représentation
fidèle, précise, exacte de leurs qualités et de
leurs défauts physiques et moraux le montre bien.
On remarquera dans tous ces
tableaux, par delà les
différences de styles des quatre peintres dont les oeuvres
sont représentées dans la salle 8, leur
prodigieuse faculté d'observation, l'extrême attention
portée à la reproduction des détails du visage,
des cheveux, des bijoux et des vêtements, qui font ressortir
l'individualité et le caractère de chacun. Les regards
notamment, au lieu d'être tournés vers
l'intérieur de leur méditation comme dans la
période gothique, brille d'une lueur expressive et
vivante.
Mais, toujours pécheur et toujours
accepté, selon la doctrine du
salut par la grâce seule, c'est tel qu'il est,
dépréoccupé de lui-même, de ses
mérites et de ses bonnes oeuvres, que l'homme de la
Renaissance « doit vivre
chacun de ses jours dans une intimité complète avec le
Dieu qui s'est fait homme », comme le disait un de leurs contemporains. Et c'est
pourquoi l'écrivain et critique J.-K. Huysmans a pu dire
de Matthias Grünewald, l'auteur du fameux retable d'Issenheim,
ce que l'on peut dire des autres peintres de la salle 8 :
« le plus forcené
des réalistes et le plus forcené des
idéalistes »
Luther était le symbole de l'homme
de la Renaissance lorsqu'il se
dressait tout seul à la diète de Worms devant les
impressionnants représentants de l'Empereur et du Pape et leur
répondait : « Si vous ne me convainquez par de bonnes
et légitimes raisons, ma conscience demeure captive de la
Parole de Dieu ».
Aucune salle du Louvre ne témoigne davantage que celle-ci de
l'humanisme de la Réforme protestante.
Voir aussi
Gilles Castelnau et Élisabeth
Foucart-Walter Magdalena fille de Martin Luther
Gilles Castelnau et Élisabeth
Foucart-Walter La
Vierge à l'oeillet
Gilles Castelnau et Élisabeth Foucart-Walter Lucas Cranach
l'Ancien
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