
Le Débarquement de Marie de Médicis au port de Marseille, le 3 novembre 1600, 1622-1625
page 80
Tous se rejoignent pour vanter les charmes de cette toile, en particulier des trois naïades du premier plan. Tous, peintres, poètes, écrivains et sans doute musiciens sont restés fascinés par ce débordement de chairs et la transparence des perles d'écume.
Eugène Delacroix tout d’abord, lui qui, « visitant le Louvre avec son élève, raconte Piot, eut le mot suivant : "Si je suis devenu peintre, je le dois à deux choses : aux gouttelettes d’eau des sirènes du Voyage de Marie de Médicis et au petit collet jaune orange de l'homme accroupi au coin gauche des Noces de Cana" ». Lui qui copia inlassablement l'œuvre et ses détails afin de comprendre l'élaboration des glacis.
Charles Baudelaire ensuite qui, en 1852 consacre la première strophe de ses célèbres Phares à l’artiste flamand dont il a vu les œuvres à Paris :
« Rubens, fleuve d’oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l’on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s’agite sans cesse,
Comme l’air dans le ciel et la mer dans la mer. »
Théophile Gautier encore, qui jubile devant ce Débarquement : « Jamais la peinture n'a été plus loin pour le rendu de la chair le grain de l'épiderme et le frisson mouillé de la lumière. »
Yves Bonnefoy enfin qui, dans « Baudelaire contre Rubens » en 1970, revient sur ses traces : « les Néréides sont grasses, elles "‘affluent" dans l'écume avec le même bonheur primaire que les poissons alentour, toutefois c’est dans une atmosphère de faste, de culture, de domination de la chair par la parure et le protocole. [...] Une société avertie a surajouté son ordre conscient à l’abondance aveugle de la nature. »
Une allégorie catholique

Le triomphe de l’Eucharistie sur l’idolâtrie, vers 1625-1626
page 88
Si Rubens use de l’allégorie pour traiter son sujet qui semble appartenir à des temps anciens, il livre en réalité une œuvre politique et religieuse comprise par tous. Car l'Eucharistie, dogme catholique central, triomphe dans son tableau sur l'idolâtrie ; mais, depuis le milieu du XVIe siècle, l'Église entend bien lutter avant tout contre les protestants - calvinistes et luthériens. La Contre-Réforme, ou Réforme catholique, s’est en effet organisée et réclame aux artistes des œuvres qui la glorifient. Vers 1625, Isabelle d’Autriche, régente des Pays-Bas du Sud, commande à son peintre de cour un cycle de vingt tapisseries pour le couvent des Carmélites déchaussées, à Madrid. Sujet : le triomphe de l'Eucharistie, tour à tour représentée face à l'ignorance et à l’aveuglement, à l'hérésie, à la philosophie et à la science...
Le décor est théâtral et le trompe-l'œil presque grandiloquent : des putti se tiennent derrière la tapisserie sur laquelle est figurée la scène, l’ensemble encadré d’un entablement, de colonnes et d’un soubassement. À droite, voici l’ange qui surgit, portant d’une main le calice et l'hostie, de l’autre la foudre. Alors tous les païens s’enfuient ou sont terrassés : le prêtre couronné de laurier, les hommes qui s’apprêtaient à immoler un taureau en l'honneur de Jupiter, le joueur de lyre, l’enfant à la flûte...
Aidé par son atelier Rubens réalise tout d’abord une petite esquisse, ou bozzetto, qui fixe l'idée de la composition, puis passe à une étude plus aboutie, ou modello - tel est le cas ici -, avant de livrer le carton à partir duquel sera tissée la tapisserie.
Jardin enclos, jardin galant

Le Jardin d’amour, vers 1630-1633
page 96
Les dames et des messieurs issus de la bourgeoisie anversoise côtoient des figures mythologiques et des angelots potelés qui poussent tout ce beau monde à célébrer la beauté féminine, l’amour, ses plaisirs et ses fruits, le bonheur du couple et de la vie conjugale. À l’arrière-plan et à droite, le temple dédié à l’Amour, les trois Grâces et la fontaine surplombée par Vénus le rappellent encore. À gauche, Pierre Paul Rubens en personne invite son épouse à entrer dans la danse, cette même épouse qui se voit de nouveau figurée au centre de l’assemblée. Le message est clair : l'œuvre semble constituer un tableau de mariage. Le 6 décembre 1650, le peintre s'est en effet uni à la belle Hélène Fourment de trente-sept ans sa cadette.
De tradition médiévale et très prisé au XVIe siècle, le jardin d’amour puise son origine dans l'hortus conclusus, ce « jardin enclos » évoqué dans le Cantique des Cantiques. Nombreux sont ainsi les domaines créés à la Renaissance qui abritent des jardins d’ornement vantant l’amour tendre, l’amour passionné, l’amour volage et l’amour tragique. Celui de Rubens célèbre l’amour fécond ; préparé par de nombreux dessins, le tableau deviendra l’une des pièces majeures de sa collection personnelle et sera amplement diffusé par la gravure. Dans la France du XVIIIe siècle, un artiste tel qu’Antoine Watteau appréciera ce versant galant du maître flamand - il n'est qu'à penser à son Pèlerinage à l'île de Cythère -, tandis que François Boucher retiendra davantage ses compositions plus dénudées et plus ouvertement érotiques.