Théologie radicale
Sea of
Faith
La religion
est-elle
création humaine ?
Religion
as a Human Creation ?
John Spong
répond à Don Cupitt
9 octobre 2002
Mon premier contact avec « Sea
of Faith » fut en 1990 lorsqu'un de mes cousins me fit
découvrir le livre qui porte ce nom et qui l'avait beaucoup
troublé. Je me suis alors rendu compte que ce livre avait une
énorme importance pour un très grand nombre de gens qui
en étaient restés aux conceptions religieuses
traditionnelles qu'ils croyaient être indiscutables et de
révélation divine. Ils ne parvenaient pas à
reconnaître que les affirmations bibliques, les credo et les
prières liturgiques sempiternellement
répétés dans leur formulations traditionnelles
n'ont aujourd'hui plus guère de sens dans la mesure où
le monde pré-moderne où ils ont été
rédigés n'existe plus.
Nous ne croyons plus
désormais que le cours de
l'histoire puisse être régulièrement
modifié par des interventions miraculeuses et surnaturelles
provoquées par une divinité aux volontés
imprévisibles qui récompenserait ou punirait les
actions des hommes.
Le livre de Don Cupitt est particulièrement clair et
libérateur à ce sujet.
.
Ma seconde rencontre avec « Sea
of Faith » eut lieu
à Pâques 1992. Une jeune et brillante journaliste
de télévision, Joan Bakewe, travaillait à un
reportage sur la Résurrection du Christ et demandait si l'on
croyait que le matin de Pâques son tombeau était
effectivement vide. La plupart des prêtres qu'elle interrogeait
tenaient des propos proches de Sea of Faith. Elle avait
déjà interviewé l'évêque de
Leicester, l'archevêque de Cantorbéry,
l'évêque de Durham ainsi que d'autres
évêques qui n'avaient pas souhaité être
nommés.
L'intéressant est la
manière dont les choses se sont passées : cette journaliste n'était
évidemment pas une théologienne. Elle était
convaincue que croire en la Résurrection du Christ impliquait
évidemment d'admettre que son tombeau avait été
vide le matin de Pâques et que faute de quoi il fallait cesser
d'être prêtre de l'Église anglicane.
Si elle avait été davantage
instruite des choses de la Bible,
elle ne s'y serait naturellement pas prise ainsi et la suite des
événements aurait sans doute été
différente. Car l'étonnant est que les autorités
de l'Église se sont absolument refusées à
admettre devant leur opinion publique que les théologiens
avaient depuis longtemps séparé la foi en la
Résurrection du Christ de l'historicité réelle
des récits évangéliques. Les biblistes sont en
effet tout à fait convaincus que les scènes concernant
le tombeau du Christ telles qu'elles sont décrites dans les
Évangiles ne peuvent pas avoir de fondement historique et que
le corps de Jésus ne peut pas avoir été
déposé dans un tombeau identifiable.
Et pourtant un évêque, qui n'a d'ailleurs pas
accepté d'être nommé, est allé
jusqu'à affirmer : « Je crois fermement que le corps de
Jésus a repris viele matin de Pâques, qu'il s'est
levé et est sorti lui-même de son
tombeau ».
Les conséquences de cette
histoire furent, entre autres,
qu'une femme pasteur non-anglicane a dû démissionner de
son poste et un prêtre anglican a dû présenter des
excuses pour avoir troublé les fidèles. La
vérité et la théologie ne sont pas sorties
grandies de ce chapitre peu glorieux de l'histoire de l'Église
où l'on s'est seulement préoccupé de
l'éventuel « trouble » des fidèles.
.
Aujourd'hui est mon troisième
contact avec « Sea of Faith » et tout en affirmant mon appréciation
très positive pour ce mouvement, je dois néanmoins
parler des distances que je prends avec la vision « non-réaliste » de Dieu.
J'en arrive à défendre d'une certaine manière la
conception traditionnelle de l'Église, ce que mes
contradicteurs évangéliques habituels auront bien de la
peine à croire !
Je
m'explique. La doctrine
chrétienne provient, à mes yeux, de l'effort de rendre
compte dans un langage humain et intelligible, de l'expérience
de la présence transcendante de Dieu. Les
énoncés religieux sont une construction humaine ;
et personne ne peut nier qu'ils sont forcément marqués
par les conceptions de l'époque où ils ont
été rédigés. Aucune vérité
religieuse ne peut donc être considérée comme
absolue, éternelle, universelle et infaillible.
Ainsi la foi au Christ a
été vécue et exprimée dans les structures de pensée et le langage
du monde juif du 1er siècle.
C'est donc tout naturellement que l'on a dit de lui qu'il
était l'Agneau pascal vainqueur des puissances de mort,
l'Agneau du Yom Kippour qui ôte le péché du
monde, le Fils de l'Homme qui viendrait sur les nuées du ciel
inaugurer à la fin des temps le Royaume de Dieu selon la
prophétie de Daniel, le Serviteur souffrant du Second
Esaïe qui devait souffrir et mourir pour sauver les hommes.
Les premiers chrétiens exprimaient ainsi leur foi au Christ
dans le langage du judaïsme de leur époque. Ce langage
était inconnu en dehors de la culture juive et n'était
donc ni universel, ni éternel, ni « réaliste ». Il ne doit pas être interprété
littéralement.
Demandons-nous seulement dans quelle
langage la même foi au Christ
aurait été transcrite si le Christ était apparu
au Royaume Uni à la fin du 20e siècle et non
en Palestine au 1er siècle. Nous
n'aurions évidemment pas utilisé les concepts d'Agneau
pascal, de Sacrifice du Yom Kippour, de Fils de l'Homme et de
Serviteur souffrant !
.
On peut faire la même
remarque à propos du langage
des credo de l'Église élaborés aux
3e et 4e siècles
dans le monde hellénistique. Aujourd'hui où nous
n'avons plus la notion d'un univers à trois étages,
nous ne dirions plus qu'il est descendu du ciel sur la terre, qu'il
est descendu au séjour des morts, qu'il en est remonté
et est finalement remonté au ciel. Un tel langage
marqué par son temps n'a rien d'éternel. Les credo ne
fixent pas la vérité immuable de Dieu, ils
reflètent seulement l'expérience de cette
vérité. On ne peut parler de « réalisme ». Si l'on veut pouvoir dialoguer avec nos
contemporains dans le monde post-moderne qui est le nôtre, il
nous faut tenir compte de ces évidences.
John Spong se lance dans un long
développement qui n'est pas
traduit, les mêmes thèmes étant
déjà largement publiés sur ce site notamment
dans les textes suivants :
J. Spong Appel pour une nouvelle
Réforme.
G. Castelnau, Jésus-Christ le Fils de Dieu
ressuscité
En ce qui concerne toutes ces
questions, je me sens en accord
profond avec le mouvement Sea of Faith.
.
Mais un autre point se
présente sur lequel je me
sens obligé de prendre quelques distances : Le message
chrétien que notre langage s'efforce d'exprimer est à
mes yeux plus qu'une seule construction humaine. Dieu est plus, pour
moi, que l'expression des valeurs humaines. Les credo portent,
certes, la marque des temps anciens où ils ont
été rédigés, ils me désignent
néanmoins un Dieu qui dépasse largement leur
vocabulaire obsolète. Et la Résurrection du Christ est
une expérience que les récits humains ne peuvent
décrire précisément mais qui n'en est pas moins
pour moi tout à fait réelle et d'une énorme
puissance.
Je suis loin de
sacraliser les formulations
religieuses de mon Église. Je n'accorde aucune
crédibilité aux décisions autoritaires d'un pape
infaillible, à l'inerrance historique de la Bible ou à
la vérité absolue des credo. Mais en même temps
je ne puis nier la vérité qui se trouve derrière
ces mots qui me parlent du Christ. Je ne puis négliger la foi
qui vibre dans le vocabulaire obsolète des credo. Je ne puis
oublier ce matin de Pâques qui fut un nouveau départ
dans l'histoire des hommes.
Je rencontre Dieu dans les profondeurs de
mon humanité mais Dieu est
toujours plus que mon humanité. Ma foi demeure dans le cadre
de la tradition chrétienne ; je communie au Christ dont
je crois qu'il était tellement ouvert à la
Présence divine qu'il a mystérieusement mais
réellement franchi la distance qui sépare la vie de la
mort, le temps de l'éternité et nous fait
accéder à un nouveau niveau d'existence.
Je ne nie pas la valeur de la foi en Dieu
du judaïsme, de l'islam, de
l'hindouisme, du bouddhisme ou de tout autre. Je ne pense pas que
Dieu n'approuve que ma seule religion et je ne n'identifie pas mon
action ni celle de mon Église avec l'action de Dieu que je
pense être ouverte à tous les peuples.
C'est aussi pourquoi je ne puis parler
de « non-réalisme » pour désigner ce qui est au contraire
suprêmement réel dans ma vie. Je ne puis admettre que
nos élaborations humaines ne soient que des
élaborations humaines. Elles proviennent de ceux qui, à
leur manière, se sont ouverts à la Présence
vivante au coeur de l'univers, à l'Esprit du Christ qui
s'incarne en nos coeurs, à l'expérience de la
Résurrection qui fait surgir la vie des profondeurs de
l'oppression et de l'injustice.
C'est pourquoi je me tiens aux
côtés des peuples de
couleur opprimés par les Blancs, aux côtés des
femmes dominées dans une Église d'hommes, aux
côtés des homosexuels qui sont mes frères et mes
s�urs, créés comme moi à l'image de Dieu.
Je ne crois pas qu'aucune religion ait le
monopole de la Vérité mais je m'attache à la Vérité
que chacune désigne par ses symboles. Je me sépare de
ceux qui croient que leurs paroles sont la Parole de Dieu, mais je me
sépare aussi de ceux qui n'arrivent pas à croire que
ces paroles désignent bien au-delà d'eux-mêmes le
Dieu qui transcende nos vies.
Comme le disait Martin
Luther : « Je ne puis autrement, que Dieu me soit en
aide ».
Traduction Gilles
Castelnau
.
« Réalisme » et
« non-réalisme »
voir aussi
Le
réseau Sea of Faith
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