Protestants dans la Ville

Page d'accueil    Liens    

 

Gilles Castelnau

Images et spiritualité

Libres opinions

Spiritualité

Dialogue interreligieux

Hébreu biblique

Généalogie

 

Claudine Castelnau

Nouvelles

Articles

Émissions de radio

Généalogie

 

Libéralisme théologique

Des pasteurs

Des laïcs

 

Roger Parmentier

Articles

La Bible « actualisée »

 

Réseau libéral anglophone

Renseignements

John S. Spong

 

JULIAN MELLADO

Textos en español

Textes en français

 

Giacomo Tessaro

Testi italiani

Textes en français

Spiritualité

 


Parler de Dieu

 

André Gounelle

Ancien doyen de la Faculté de théologie protestante de Montpellier

 

édition van Dieren. 158 pages. 22 €


Avec sa clarté et sa précision habituelle, le professeur André Gounelle parle de Dieu.
Les extraits de son livre que voici donneront peut-être à bien des internautes l'idée de l'acheter et de le lire entièrement.

 

Voir aussi sur ce site
André Gounelle

Dieu encore et toujours
Parler du Christ

.

 

Une attitude conservatrice
page 9.
La montée de la sécularisation ne doit pas modifier le discours sur Dieu. On continue à en parler comme avant, dans le même langage que nos pères et grands-pères. Cette attitude, plus ou moins consciente et argumentée, se rencontre souvent dans les églises, en particulier celles de la famille orthodoxe, et domine dans le domaine liturgique.

Il y a un quart de siècle, on estimait que ceux qui l'adoptaient représentaient une survivance et allaient rapidement disparaître. Aujourd'hui, on en est moins sûr. Leur discours rassure, apaise, réconforte, alors même qu'on a conscience qu'il est désuet. Ils ont une audience souvent supérieure à celle des novateurs. A travers le langage d'autrefois, en dépit de ses défauts et de son inadaptation, quelque chose passe.

 

Faiblesses du conservatisme
Toutefois, en même temps que du sens, ces discours véhiculent des faux-sens, parfois des contresens. On constate leur fragilité, leur vulnérabilité à la critique, leur incapacité d'assurer à la foi chrétienne un rayonnement spirituel et une honorabilité intellectuelle auprès des gens du dehors. Même quand ils ne sont pas crédules ni anachroniques (comme on les en accuse, parfois à tort), les conservateurs donnent au christianisme une apparence superstitieuse et poussiéreuse. Ils contribuent à en écarter ceux qui cherchent, s'interrogent, se posent des questions, essaient de réfléchir.

De plus, ils suscitent parfois un malaise, voire un sentiment de culpabilité chez des chrétiens que ne satisfont pas les doctrines traditionnelles ; ils leur donnent l'impression de se trouver en décalage vis-à-vis de la communauté et aux limites de la foi. Une de mes auditrices, après une conférence sur les recherches de la théologie contemporaine, me disait : « Vous avez abordé des questions que je me pose depuis vingt ans, mais que je n'ai jamais osé exprimer, parce que je pensais qu'un croyant ne devait pas en être préoccupé ou troublé. Quel soulagement que de savoir que des pasteurs, des prêtres, des théologiens en parlent et y réfléchissent. Je ne suis pas un monstre parmi les chrétiens. »

 

.

 

La relativisation
Pages 42, 43, 58
. La pluralité des langages (que la Bible utilise pour parler de Dieu) empêche d'en absolutiser un, de confondre Dieu avec ce que nous en disons, de l'enfermer, ou de s'imaginer l'enfermer, dans notre discours.

Par exemple, la Bible parle souvent de Dieu en l'appelant père et quelquefois en l'assimilant à un époux. Chacune de ces appellations vient contester la suffisance et la totale adéquation de l'autre. La comparaison avec l'époux fait découvrir que celle du père ne convient pas totalement, et l'analogie avec le père que celle de l'époux a des limites. On ne peut pas prendre ces expressions à la lettre : elles évoquent bien quelque chose de Dieu, mais elles ne le définissent pas. Ajoutons que ces deux images sont elles-mêmes mises en cause par les qualifications féminines de Dieu qu'on rencontre parfois dans la Bible et que les théologies féministes ont justement mises en valeur. L'entrechoquement de nos représentations de Dieu les relativise et s'oppose à l'idolâtrie qui les guette toutes.

Entre ce que nous disons de Dieu et ce que Dieu est en lui-même, il existe certes un rapport ou une relation, mais aussi une différence et une distance. Il ne faut ni mépriser ou dévaloriser, ni absolutiser ou diviniser notre manière de parler de Dieu. Prenons le cas du dogme trinitaire. Sa formulation, élaborée par les conciles de Nicée-Constantinople et de Chalcédoine [Il ne faut pas confondre la doctrine trinitaire (qui dit que Dieu, est une substance ou une nature en trois instances ou « hypostases ») avec la formule ternaire « Le Père, le Fils et l'Esprit », attestée par le Nouveau Testament et que les Églises unitariennes (antitrinitaires) utilisent sans problème] soulève des problèmes qui le rendent difficilement défendable. Il ne s'ensuit pas qu'il soit dépourvu de valeur. Il constitue un discours pour dire Dieu qui ne manque pas de mérite, surtout quand on le place dans son contexte, encore qu'il ne soit, à mes yeux, ni le seul possible ni le meilleur. Je reconnais tout à fait que la doctrine trinitaire veut rendre compte du Dieu biblique. Elle y réussit en partie et rend service, même si elle présente bien des faiblesses et de grandes insuffisances. J'admets qu'on puisse y tenir. Par contre, je réagis quand on déclare : « Je crois au Dieu trinitaire », parce qu'alors on confond Dieu et notre manière d'en parler. On tombe dans cette idolâtrie qui ne distingue pas Dieu de la représentation qu'on en a. Plutôt que de lutter pour maintenir ou pour supprimer ce dogme, apprenons à le relativiser. [...]

 

Un discours théologique crédible
Bien des doctrines classiques du christianisme ont été crédibles quand on les a formulées. Elles avaient du sens dans leur contexte historique et elles ont su transmettre des éléments positifs aux gens qui y vivaient. Elles sont devenues par la suite absurdes parce que a situation a changé. Elles utilisent un langage qu'on ne comprend plus ; elles se servent d'argumentations qui choquent ; elles s'inscrivent dans le cadre d'une culture disparue.

Les partisans du Dieu absolu essaieront de les maintenir à tout prix. Ils s'efforceront de montrer leur rationalité et de fournir de nouvelles preuves pour que, malgré tout, elles se maintiennent et gardent leur validité. Ceux qui préconisent la crédulité les baptiseront « mystères », afin de les rendre vénérables et d'empêcher d'y toucher. Au nom d'une prétendue autorité surnaturelle, ils interdiront de les mettre en cause.

Au contraire, la thèse de la crédibilité et de la relativité de Dieu oriente vers un travail de révision et de reformulation. Il s'agit de redécouvrir ce que les doctrines classiques ont voulu dire en leur temps et de le dire autrement, en fonction des coutumes, des références, des manières de voir et de penser d'aujourd'hui. On se trompe quand on répète purement et simplement les for-mules traditionnelles ; elles ont perdu une pertinence qui tenait à leur relation avec leur environnement intellectuel, spirituel et social. On aurait cependant tort de les rejeter totalement; elles ont de la valeur et ont su à un certain moment sinon exprimer du moins refléter des vérités. Nous sommes appelés à les comprendre et à les réinterpréter. Un grand nettoyage s'impose pour que le discours sur Dieu soit crédible. On a d'ailleurs commencé à l'entreprendre, avec une prudence peut-être excessive, dans la théologie contemporaine, aussi bien catholique que protestante.

 

Dieu au futur
page 97
. Plusieurs textes aussi bien du Premier que du Second Testament situent le moment capital de l'histoire dans le futur. Ils déclarent que Dieu n'a pas achevé son oeuvre. Un jour, prochain ou lointain, il transformera la terre, le ciel et fera de nous des êtres nouveaux, vivant dans des conditions différentes. Le croyant prie pour que son règne vienne, il espère une plénitude qu'il ne possède pas encore, il aspire à un accomplissement qui lui est promis. Cette perspective domine sa vie actuelle. L'essentiel se trouve devant lui. Il attend le Royaume de Dieu, semblable au voyageur qui marche vers une terre promise, ou au pèlerin qui se dirige vers un sanctuaire, ou au nomade assoiffé qui dans le désert chemine vers un point d'eau, ou encore à la sentinelle qui guette l'aube. L'attente, la préparation, la construction de l'avenir de Dieu et de celui de l'être humain occupent une place importante dans la foi biblique.

Au début du vingtième siècle, dans des travaux qui à l'époque ont fait l'unanimité contre eux, Albert Schweitzer a souligné la dominante eschatologique de la prédication et de l'activité aussi bien de Jésus que de ses disciples. La venue prochaine d'un événement décisif les commande. En accordant plus de poids au passé et au souvenir, ou au présent et à l'actualité, qu'à l'attente et à l'espérance, le christianisme a en partie déformé l'évangile. À M. Carrez, Schweitzer écrit : « Vous me reprochez de situer le centre de gravité de la foi chrétienne dans l'avenir au lieu de le placer dans le drame rédempteur lors de la mort et de la résur-rection de Jésus-Christ. Le reproche est juste [...] Seulement, c'est Jésus lui-même qui situe le centre de gravité de la foi chrétienne dans l'avenir. » L'évangile, précise-t-il, c'est « la prédication du Royaume qui est proche » et non « le drame rédempteur de notre dogmatique ». Lorsque la prédication de la Croix sup-plante celle du Royaume, quand le christianisme transforme son message eschatologique en un enseignement archéologique, alors l'église remplace l'élan vers le futur par la tradition du passé ; elle inverse son message et sa mission.

 

Les théologies du royaume
On a parfois reproché au christianisme classique d'avoir réduit l'eschatologie (réflexion sur la fin des temps, n.d.l.r.) au rang d'un « accessoire » selon une formule de Berdiaev, ou d'un « appendice » comme l'écrit Moltmann. Parmi les courants du christianisme qui ont vigoureusement réagi contre la marginalisation de l'avenir, on peut discerner deux grandes tendances.

La première, souvent inquiétante et superficielle, caractérise des prédicateurs ou des groupes qui annoncent la fin du monde dans une grande catastrophe cosmique dont seuls échapperont les purs, les vrais fidèles. Souvent, ils se nourrissent de l'Apocalypse, dont ils font le livre principal de la Bible. Ils condamnent sans appel le présent et le passé qu'ils jugent hostiles à Dieu et opposés à sa volonté. Ils invitent les fidèles à se détourner du monde actuel qu'ils estiment corrompu, et à ne se préoccuper que de celui qui vient et qui en prendra la place.

La deuxième présente à mon sens plus d'intérêt. L'insistance sur l'avenir ne la conduit pas à un désintérêt et à un mépris envers le présent. Au contraire, ce qui vient donne sens au moment que je vis, il lui confère un dynamisme. Le Royaume invite et incite à des engagements concrets contre le statu quo, pour une marche en avant. Les églises et les chrétiens ont pour vocation à la fois d'annoncer, de préfigurer et de préparer les changements que Dieu veut opérer. Les théologies du Royaume et celles du Process adoptent cette seconde attitude.

Au début du vingtième siècle, en Allemagne, en Suisse et en France, des chrétiens sociaux ont développé des théologies du Royaume qui affirment fortement la primauté de l'avenir. Ainsi W. Monod écrit : « La manifestation suprême de Dieu est encore à venir [...] il y a un Dieu qui sera et qui n'est pas encore manifesté ; il y a un Dieu qui vient, selon la formule de l'Apocalypse. » [...]

W. Monod fait apparaître que la foi doit constamment lutter contre la tradition pour retrouver l'inspiration et l'élan originels. La tradition ne la met pas en communication avec la source; elle l'en sépare et la pollue. L'authenticité implique une lutte contre la mémoire, celle qui façonne nos esprits et celle qui s'incarne dans des institutions. Il faut abattre les héritages, lutter contre ses pères, combattre ses professeurs pour retrouver l'arche, le principiel et le primordial. [...]

L'évangile est une « puissance », autrement dit, une dynamique qui met en route, envoie en mission, place devant des tâches à accomplir. Le chrétien ressemble à ce coureur dont parle Paul qui oublie « ce qui est en arrière » et tend vers « ce qui est en avant ».

 

p.102. A chaque moment, sous l'impulsion de la parole, le présent utilise l'apport du passé en vue d'un avenir. On a tort de dissocier les divers temps et de privilégier l'un d'eux. Ensemble, dans leur conjonction ou leur conjugaison, ils empêchent l'être de se figer et lui donnent du dynamisme. Lorsqu'on délaisse le passé, on devient un « voyageur sans bagage », dépourvu du nécessaire pour vivre le présent et aller vers l'avenir. Si on rejette l'avenir, on sombre dans la routine d'habitudes qui endorment et sclérosent la vie intellectuelle, spirituelle et affective. Si on ignore le présent, on s'enferme dans une nostalgie stérile ou dans des chimères inefficaces.

 

.

 

Puissance ou toute puissance ?
p.117.
La tradition chrétienne a amplement insisté sur la toute-puissance divine. La plupart des confessions de foi l'affirment. Par exemple, le Symbole dit des Apôtres commence ainsi : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant ».

S'agit-il vraiment d'un thème biblique ? Je ne le pense pas. Malgré la force de l'habitude et le poids de la tradition, il ne paraît pas évident que le Premier et le Second Testament affirment massivement et sans réserves la toute-puissance divine. Dans les textes qu'on cite en général en sa faveur, les traducteurs l'y ont souvent introduite inconsciemment, sans s'en rendre compte. Par exemple, quand Jésus déclare : « Il ne tombe pas un moineau à terre sans votre père Matthieu » 10.29 (sans que votre Père soit là, sans qu'il soit présent), les versions anciennes du Nouveau Testament disent « sans la volonté de votre père », ce qui infléchit considérablement le sens de cette parole.

Comparant trois traductions françaises usuelles de la Bible, E. Babut a constaté que la première contenait 264 fois le terme « tout-puissant », la deuxième 44 fois, tandis que la troisième ne l'utilisait jamais. On se trompe ou, en tout cas, on force et déforme la portée de ces termes, quand on rend le el shadday hébreu et le pantocrator grec par « tout-puissant ». Nous ignorons ce que signifie exactement el shadday. Probablement, s'agit-il du nom propre d'un dieu païen qu'on a transféré à Yahvé (au Dieu d'Israël) ; il pourrait bien vouloir dire « le montueux » (ou le dieu des montagnes). pantocrator désigne le commandant en chef des armées, le capitaine d'un navire ou celui qui détient le pouvoir politique au plus haut niveau; celui qui exerce ces fonctions dispose de pouvoirs considérables, il n'est cependant pas tout-puissant. De plus, pantocrator, qui vient de la traduction grecque de la Bible hébraïque dite des Septante, se rencontre surtout dans l'Apocalypse (pour 9 de ses 10 emplois dans le Nouveau Testament), où il pourrait bien s'appliquer à la souveraineté future de Dieu quand le Royaume sera venu, et non à son action présente dans le monde.

 

p.119. La potestas absoluta (pouvoir absolu) signifie qu'une décision expresse de Dieu commande chaque être et détermine chaque événement. Selon Calvin, si dans une forêt des voleurs dépouillent et assassinent un voyageur, Dieu a décidé que cette attaque et ce meurtre se produiraient. Son pouvoir absolu règle les moindres détails. Rien n'échappe à son empire; rien ne se fait en dehors de sa volonté. Les bienfaits comme les catastrophes viennent de lui. On doit lui attribuer le tremblement de terre de Lisbonne et les abominables tueries d'Auschwitz, ainsi que tous les malheurs qui nous frappent. La foi conduit à accepter ces maux comme des manifestations étranges et mystérieuses de son amour. À côté d'attitudes d'un héroïsme admirable (peut-être plus stoïciennes que vraiment chrétiennes), cette thèse a provoqué quantité de révoltes et de refus. Comment aimer et servir un Dieu qui torture ainsi ses créatures, même s'il le fait pour leur bien ?

La notion de potestas absoluta pose de gros problèmes. Elle nie l'une des caractéristiques essentielles du monde, de la nature comme de l'histoire : celle de résulter de manière en partie imprévisible et indéterminée d'une multiplicité de facteurs qui se combinent dans un entrelacs subtil de convergences et d'oppositions.

Jamais, nulle part, un agent unique n'est à l'oeuvre. On remplace un ensemble complexe d'interactions par un mécanisme élémentaire où tout découle d'une seule et même cause. D'autre part, la potestas absoluta enlève toute liberté aux êtres du monde, ce que dément l'expérience. Nous constatons tous les jours, avec évidence, que nous avons une capacité de nous déterminer effective, même si elle reste toujours relative et limitée. À chaque être appartient une puissance, plus ou moins grande, qui diffère de celle de Dieu et qui peut l'entraver, la ralentir ou lui faire obs-tacle. Le monde ne se réduit pas à un jeu de marionnettes.

 

L'omnipotentia (capacité, potentialité) veut dire qu'à chaque moment Dieu dispose de toutes les possibilités, y compris celle de ne pas exercer effectivement son pouvoir et d'accorder aux créatures une marge d'autonomie qui leur permette d'agir en partie à leur guise. Il aurait parfaitement pu empêcher Adam et Ève de manger le fruit défendu. Il ne l'a pas fait parce qu'il a voulu leur accorder une liberté. Il pourrait éviter que des bandits volent et tuent un voyageur. Il n'intervient cependant pas, parce qu'il a décidé de ne pas interférer dans la marche des événements ou de ne le faire qu'exceptionnellement, dans de rares occasions, par des miracles. Il ne décrète ni n'envoie le mal. Toutefois, il permet qu'il arrive, il le laisse se produire (tout en gardant le pouvoir de l'arrêter instantanément) pour que le monde ne se réduise pas à une simple mécanique.

L' omnipotentia ne paraît guère plus soutenable que la potestas absoluta. Les possibilités, en effet, ne sont jamais absolues (absolu au sens de ce qui ne dépend de rien d'extérieur) ni illimitées ; elles s'inscrivent toujours à l'intérieur d'une situation et tiennent, au moins en partie, aux circonstances. Elles dépendent d'un ensemble de conditions. Comme le disent pittoresquement les penseurs du Process, Dieu lui-même ne peut pas faire surgir instantanément un Mozart ou un Einstein dans une tribu de pithécanthropes. L'apparition de tels hommes exige un contexte social et culturel dont la mise en place résulte d'un processus long et complexe. Toute situation comporte des impossibilités pour Dieu comme pour nous. De plus, l'omnipotentia ne diminue en rien la responsabilité de Dieu. S'il a laissé faire Auschwitz sans intervenir, alors qu'il aurait eu le pouvoir de l'empêcher, son abstention paraît aussi révoltante que s'il l'avait décidé.

La notion de toute-puissance se heurte à des difficultés qui la rendent impensable et impossible. Ni la Bible, ni l'expérience, ni la réflexion ne permettent de voir en Dieu un despote autocrate qui déciderait de tout ce qui se passe ou un magicien qui pour-rait faire n'importe quoi à chaque instant.

 

La puissance contre le pouvoir
Écarter la toute-puissance de Dieu ne revient pas à le déclarer impuissant. Qu'il ne puisse pas tout ne signifie pas qu'il ne peut rien. Le philosophe C. Hartshorne a justement montré l'indéfendable simplisme de l'alternative : soit « Dieu peut et fait tout », soit « Dieu ne peut et ne fait rien du tout ». On ne peut accepter ni l'une ni l'autre de ces propositions.

Distinguer puissance et pouvoir permet d'esquisser une autre voie. Le pouvoir s'impose du dehors. Il oblige, il force, il exerce une contrainte. Il nous détermine du dehors et il décide de nous comme d'un objet. La puissance, au contraire, opère de l'intérieur en influençant et en persuadant. Elle agit non pas sur nous, mais en nous. Elle obtient notre consentement et appelle notre participation. Loin de supprimer la liberté, elle en a besoin et la sollicite.

 

p.121. La véritable puissance se manifeste dans la vulnérabilité et la fragilité du pouvoir. Elle ne s'évalue pas en quantité mais en qualité. Quand on pense l'action de Dieu en termes de pouvoir, elle devient un déterminisme écrasant. Si on la comprend en termes de puissance, elle se caractérise par un dynamisme qui au lieu de nier, de supprimer ou de brider d'autres puissances, les attire, les mobilise, les oriente et les fait converger.

 

p.127. La puissance divine est cependant infinie, non pas parce qu'elle pourrait faire n'importe quoi à n'importe quel moment, mais parce qu'elle n'a pas de fin. Elle ne s'arrête jamais; elle ne se laisse pas neutraliser ni détruire. Rien ne peut empêcher Dieu de poursuivre son oeuvre. Jamais, il ne se décourage ni ne prend son parti de ce qui va mal. Inlassablement, il continue. Ses échecs ont un caractère provisoire et nullement définitif. En reprenant un mot célèbre du général de Gaulle, on pourrait dire que Dieu perd des batailles mais non la guerre. Le monde lui inflige des rebuffades, des déceptions et des souffrances. Il n'arrive pas à le faire mourir. Rien n'élimine Dieu, ni même ne le dissuade de poursuivre son projet. Le péché d'Adam et d'Ève, le meurtre de Caïn, le veau d'or, les désobéissances d'Israël, la crucifixion de Jésus, les trahisons des Églises, les défaillances et les erreurs de chacun de nous ne lui font pas abandonner la partie, ni renoncer à son dessein. Il ne baisse jamais les bras. Après chaque défaite, il recommence, il reprend son oeuvre créatrice. Il ne se résigne pas à nos chaos, il nous appelle à les transformer en cosmos. Il inspire des conversions et des réformes. Il suscite Noé, Abraham, les prophètes. Il ressuscite Jésus. Après le pire des échecs, celui de Golgotha, il fait avancer son Royaume par l'événement de Pâques.

 

Le Père, le Fils et l'Esprit
La puissance évoque la première personne de la trinité, le Créateur qui fait surgir le monde et suscite la vie. Le sens renvoie plutôt à la deuxième personne de la trinité, le Logos révélateur et sau-veur. En grec, logos désigne la raison ou la logique qui se trouve dans les choses et que saisit l'intelligence ; le logos se manifeste chaque fois qu'on perçoit un sens. Classiquement, on voit dans l'Esprit l'unité de la première et de la deuxième personne. Si la première personne de la trinité a pour figure le Père et la deuxième pour figure le Fils, la troisième n'a pas de figure propre. Elle n'a pas d'autre visage que ceux conjoints et indissociables du Père et du Fils. Comme l'a très bien vu P. Tillich, l'Esprit allie la puissance et le sens.

 

Le chef d'orchestre
p.128.
Pour illustrer cette alliance du sens et de la puissance, je me suis servi dans un de mes livres, d'une image ou d'une parabole en comparant Dieu à un chef d'orchestre. Un bon chef d'orchestre ne se contente pas de contraindre par la force ses musiciens à exécuter ses ordres. Savoir leur communiquer un sens et le faire vibrer en eux lui permettra d'obtenir un bien meilleur résultat. Il doit les persuader, les faire entrer dans ses vues, leur faire partager sa conception de la musique qu'ils vont jouer. Sa puissance de conviction joue un rôle plus grand que son autorité institutionnelle. Il lui faut être à la fois compétent et persuasif pour leur insuffler l'enthousiasme et l'intelligence nécessaires à un concert de haute qualité. Dieu agit ainsi. Il nous invite à devenir les musiciens de la symphonie du royaume qu'il compose et dirige.

 

 

 

Retour vers André Gounelle
Retour vers Spiritualité
Retour vers la page d'accueil
Vos commentaires et réactions

 

haut de la page

 

 

Les internautes qui souhaitent être directement informés des nouveautés publiées sur ce site
peuvent envoyer un e-mail à l'adresse que voici : Gilles Castelnau
Ils recevront alors, deux fois par mois, le lien « nouveautés »
Ce service est gratuit. Les adresses e-mail ne seront jamais communiquées à quiconque.