Spiritualité

Parler de
Dieu
André
Gounelle
Ancien doyen de la Faculté de
théologie protestante de Montpellier
édition van
Dieren. 158 pages. 22 €
Avec sa clarté et sa
précision habituelle, le professeur André Gounelle
parle de Dieu.
Les extraits de son livre que voici donneront peut-être
à bien des internautes l'idée de l'acheter et de le
lire entièrement.
Voir aussi sur ce site
André Gounelle
Dieu encore et toujours
Parler du Christ
.
Une attitude conservatrice
page 9.
La montée de la sécularisation ne doit pas modifier le
discours sur Dieu. On continue à en parler comme avant, dans
le même langage que nos pères et grands-pères.
Cette attitude, plus ou moins consciente et argumentée, se
rencontre souvent dans les églises, en particulier celles de
la famille orthodoxe, et domine dans le domaine liturgique.
Il y a un quart de siècle, on
estimait que ceux qui l'adoptaient représentaient une
survivance et allaient rapidement disparaître. Aujourd'hui, on
en est moins sûr. Leur discours rassure, apaise,
réconforte, alors même qu'on a conscience qu'il est
désuet. Ils ont une audience souvent supérieure
à celle des novateurs. A travers le langage d'autrefois, en
dépit de ses défauts et de son inadaptation, quelque
chose passe.
Faiblesses du conservatisme
Toutefois, en même temps que
du sens, ces discours véhiculent des faux-sens, parfois des
contresens. On constate leur fragilité, leur
vulnérabilité à la critique, leur
incapacité d'assurer à la foi chrétienne un
rayonnement spirituel et une honorabilité intellectuelle
auprès des gens du dehors. Même quand ils ne sont pas
crédules ni anachroniques (comme on les en accuse, parfois
à tort), les conservateurs donnent au christianisme une
apparence superstitieuse et poussiéreuse. Ils contribuent
à en écarter ceux qui cherchent, s'interrogent, se
posent des questions, essaient de réfléchir.
De plus, ils suscitent parfois un malaise,
voire un sentiment de culpabilité chez des chrétiens
que ne satisfont pas les doctrines traditionnelles ; ils leur
donnent l'impression de se trouver en décalage
vis-à-vis de la communauté et aux limites de la foi.
Une de mes auditrices, après une conférence sur les
recherches de la théologie contemporaine, me disait : « Vous avez abordé
des questions que je me pose depuis vingt ans, mais que je n'ai
jamais osé exprimer, parce que je pensais qu'un croyant ne
devait pas en être préoccupé ou troublé.
Quel soulagement que de savoir que des pasteurs, des prêtres,
des théologiens en parlent et y réfléchissent.
Je ne suis pas un monstre parmi les
chrétiens. »
.
La relativisation
Pages
42, 43, 58. La
pluralité des langages (que la Bible utilise pour parler de
Dieu) empêche d'en absolutiser un, de confondre Dieu avec ce
que nous en disons, de l'enfermer, ou de s'imaginer l'enfermer, dans
notre discours.
Par exemple, la Bible parle souvent de Dieu
en l'appelant père et quelquefois en l'assimilant à un
époux. Chacune de ces appellations vient contester la
suffisance et la totale adéquation de l'autre. La comparaison
avec l'époux fait découvrir que celle du père ne
convient pas totalement, et l'analogie avec le père que celle
de l'époux a des limites. On ne peut pas prendre ces
expressions à la lettre : elles évoquent bien
quelque chose de Dieu, mais elles ne le définissent pas.
Ajoutons que ces deux images sont elles-mêmes mises en cause
par les qualifications féminines de Dieu qu'on rencontre
parfois dans la Bible et que les théologies féministes
ont justement mises en valeur. L'entrechoquement de nos
représentations de Dieu les relativise et s'oppose à
l'idolâtrie qui les guette toutes.
Entre ce que nous disons de Dieu et ce que
Dieu est en lui-même, il existe certes un rapport ou une
relation, mais aussi une différence et une distance. Il ne
faut ni mépriser ou dévaloriser, ni absolutiser ou
diviniser notre manière de parler de Dieu. Prenons le cas du
dogme trinitaire. Sa formulation, élaborée par les
conciles de Nicée-Constantinople et de Chalcédoine [Il
ne faut pas confondre la doctrine trinitaire (qui dit que Dieu, est
une substance ou une nature en trois instances ou « hypostases ») avec la formule ternaire « Le Père, le Fils et
l'Esprit »,
attestée par le Nouveau Testament et que les Églises
unitariennes (antitrinitaires) utilisent sans problème]
soulève des problèmes qui le rendent difficilement
défendable. Il ne s'ensuit pas qu'il soit dépourvu de
valeur. Il constitue un discours pour dire Dieu qui ne manque pas de
mérite, surtout quand on le place dans son contexte, encore
qu'il ne soit, à mes yeux, ni le seul possible ni le meilleur.
Je reconnais tout à fait que la doctrine trinitaire veut
rendre compte du Dieu biblique. Elle y réussit en partie et
rend service, même si elle présente bien des faiblesses
et de grandes insuffisances. J'admets qu'on puisse y tenir. Par
contre, je réagis quand on déclare : « Je crois au Dieu
trinitaire », parce
qu'alors on confond Dieu et notre manière d'en parler. On
tombe dans cette idolâtrie qui ne distingue pas Dieu de la
représentation qu'on en a. Plutôt que de lutter pour
maintenir ou pour supprimer ce dogme, apprenons à le
relativiser. [...]
Un discours théologique
crédible
Bien des doctrines classiques du
christianisme ont été crédibles quand on les a
formulées. Elles avaient du sens dans leur contexte historique
et elles ont su transmettre des éléments positifs aux
gens qui y vivaient. Elles sont devenues par la suite absurdes parce
que a situation a changé. Elles utilisent un langage qu'on ne
comprend plus ; elles se servent d'argumentations qui
choquent ; elles s'inscrivent dans le cadre d'une culture
disparue.
Les partisans du Dieu absolu essaieront de
les maintenir à tout prix. Ils s'efforceront de montrer leur
rationalité et de fournir de nouvelles preuves pour que,
malgré tout, elles se maintiennent et gardent leur
validité. Ceux qui préconisent la
crédulité les baptiseront « mystères », afin de les rendre vénérables et
d'empêcher d'y toucher. Au nom d'une prétendue
autorité surnaturelle, ils interdiront de les mettre en
cause.
Au contraire, la thèse de la
crédibilité et de la relativité de Dieu oriente
vers un travail de révision et de reformulation. Il s'agit de
redécouvrir ce que les doctrines classiques ont voulu dire en
leur temps et de le dire autrement, en fonction des coutumes, des
références, des manières de voir et de penser
d'aujourd'hui. On se trompe quand on répète purement et
simplement les for-mules traditionnelles ; elles ont perdu une
pertinence qui tenait à leur relation avec leur environnement
intellectuel, spirituel et social. On aurait cependant tort de les
rejeter totalement; elles ont de la valeur et ont su à un
certain moment sinon exprimer du moins refléter des
vérités. Nous sommes appelés à les
comprendre et à les réinterpréter. Un grand
nettoyage s'impose pour que le discours sur Dieu soit
crédible. On a d'ailleurs commencé à
l'entreprendre, avec une prudence peut-être excessive, dans la
théologie contemporaine, aussi bien catholique que
protestante.
Dieu au futur
page 97. Plusieurs textes aussi bien du Premier que du
Second Testament situent le moment capital de l'histoire dans le
futur. Ils déclarent que Dieu n'a pas achevé son
oeuvre. Un jour, prochain ou lointain, il transformera la terre, le
ciel et fera de nous des êtres nouveaux, vivant dans des
conditions différentes. Le croyant prie pour que son
règne vienne, il espère une plénitude qu'il ne
possède pas encore, il aspire à un accomplissement qui
lui est promis. Cette perspective domine sa vie actuelle. L'essentiel
se trouve devant lui. Il attend le Royaume de Dieu, semblable au
voyageur qui marche vers une terre promise, ou au pèlerin qui
se dirige vers un sanctuaire, ou au nomade assoiffé qui dans
le désert chemine vers un point d'eau, ou encore à la
sentinelle qui guette l'aube. L'attente, la préparation, la
construction de l'avenir de Dieu et de celui de l'être humain
occupent une place importante dans la foi biblique.
Au début du vingtième
siècle, dans des travaux qui à l'époque ont fait
l'unanimité contre eux, Albert Schweitzer a souligné la
dominante eschatologique de la prédication et de
l'activité aussi bien de Jésus que de ses disciples. La
venue prochaine d'un événement décisif les
commande. En accordant plus de poids au passé et au souvenir,
ou au présent et à l'actualité, qu'à
l'attente et à l'espérance, le christianisme a en
partie déformé l'évangile. À
M. Carrez, Schweitzer écrit : « Vous me reprochez de situer le centre de
gravité de la foi chrétienne dans l'avenir au lieu de
le placer dans le drame rédempteur lors de la mort et de la
résur-rection de Jésus-Christ. Le reproche est juste [...] Seulement, c'est Jésus lui-même qui
situe le centre de gravité de la foi chrétienne dans
l'avenir. » L'évangile, précise-t-il, c'est « la prédication du Royaume qui est
proche » et non
« le drame
rédempteur de notre dogmatique ». Lorsque la prédication de la Croix
sup-plante celle du Royaume, quand le christianisme transforme son
message eschatologique en un enseignement archéologique, alors
l'église remplace l'élan vers le futur par la tradition
du passé ; elle inverse son message et sa mission.
Les théologies du royaume
On a parfois reproché au
christianisme classique d'avoir réduit l'eschatologie
(réflexion sur la fin des temps, n.d.l.r.) au rang d'un « accessoire » selon une formule de Berdiaev, ou d'un
« appendice » comme l'écrit Moltmann. Parmi les courants du
christianisme qui ont vigoureusement réagi contre la
marginalisation de l'avenir, on peut discerner deux grandes
tendances.
- La première, souvent inquiétante et
superficielle, caractérise des prédicateurs ou des
groupes qui annoncent la fin du monde dans une grande catastrophe
cosmique dont seuls échapperont les purs, les vrais
fidèles. Souvent, ils se nourrissent de l'Apocalypse, dont ils
font le livre principal de la Bible. Ils condamnent sans appel le
présent et le passé qu'ils jugent hostiles à
Dieu et opposés à sa volonté. Ils invitent les
fidèles à se détourner du monde actuel qu'ils
estiment corrompu, et à ne se préoccuper que de celui
qui vient et qui en prendra la place.
- La deuxième présente à mon sens
plus d'intérêt. L'insistance sur l'avenir ne la conduit
pas à un désintérêt et à un
mépris envers le présent. Au contraire, ce qui vient
donne sens au moment que je vis, il lui confère un dynamisme.
Le Royaume invite et incite à des engagements concrets contre
le statu quo, pour une marche en avant. Les églises et les
chrétiens ont pour vocation à la fois d'annoncer, de
préfigurer et de préparer les changements que Dieu veut
opérer. Les théologies du Royaume et celles du Process
adoptent cette seconde attitude.
Au début du vingtième
siècle, en Allemagne, en Suisse et en France, des
chrétiens sociaux ont développé des
théologies du Royaume qui affirment fortement la
primauté de l'avenir. Ainsi W. Monod écrit : « La manifestation
suprême de Dieu est encore à venir [...] il y a un Dieu
qui sera et qui n'est pas encore manifesté ; il y a un
Dieu qui vient, selon la formule de
l'Apocalypse. »
[...]
W. Monod fait apparaître que la
foi doit constamment lutter contre la tradition pour retrouver
l'inspiration et l'élan originels. La tradition ne la met pas
en communication avec la source; elle l'en sépare et la
pollue. L'authenticité implique une lutte contre la
mémoire, celle qui façonne nos esprits et celle qui
s'incarne dans des institutions. Il faut abattre les
héritages, lutter contre ses pères, combattre ses
professeurs pour retrouver l'arche, le principiel et le primordial.
[...]
L'évangile est une « puissance », autrement dit, une dynamique qui met en route,
envoie en mission, place devant des tâches à accomplir.
Le chrétien ressemble à ce coureur dont parle Paul qui
oublie « ce qui est en
arrière » et tend
vers « ce qui est en
avant ».
p.102. A
chaque moment, sous l'impulsion de la parole, le présent
utilise l'apport du passé en vue d'un avenir. On a tort de
dissocier les divers temps et de privilégier l'un d'eux.
Ensemble, dans leur conjonction ou leur conjugaison, ils
empêchent l'être de se figer et lui donnent du dynamisme.
Lorsqu'on délaisse le passé, on devient un « voyageur sans
bagage », dépourvu
du nécessaire pour vivre le présent et aller vers
l'avenir. Si on rejette l'avenir, on sombre dans la routine
d'habitudes qui endorment et sclérosent la vie intellectuelle,
spirituelle et affective. Si on ignore le présent, on
s'enferme dans une nostalgie stérile ou dans des
chimères inefficaces.
.
Puissance ou toute puissance ?
p.117. La tradition chrétienne a amplement insisté sur la
toute-puissance divine. La plupart des confessions de foi
l'affirment. Par exemple, le Symbole dit des Apôtres commence
ainsi : « Je crois en
Dieu le Père tout-puissant ».
S'agit-il vraiment d'un thème
biblique ? Je ne le pense pas. Malgré la force de
l'habitude et le poids de la tradition, il ne paraît pas
évident que le Premier et le Second Testament affirment
massivement et sans réserves la toute-puissance divine. Dans
les textes qu'on cite en général en sa faveur, les
traducteurs l'y ont souvent introduite inconsciemment, sans s'en
rendre compte. Par exemple, quand Jésus
déclare : « Il
ne tombe pas un moineau à terre sans votre père
Matthieu » 10.29 (sans
que votre Père soit là, sans qu'il soit
présent), les versions anciennes du Nouveau Testament disent « sans la volonté de
votre père », ce
qui infléchit considérablement le sens de cette
parole.
Comparant trois traductions
françaises usuelles de la Bible, E. Babut a
constaté que la première contenait 264 fois le
terme « tout-puissant », la deuxième 44 fois, tandis que la
troisième ne l'utilisait jamais. On se trompe ou, en tout cas,
on force et déforme la portée de ces termes, quand on
rend le el shadday hébreu et le pantocrator grec par
« tout-puissant ». Nous ignorons ce que signifie exactement
el shadday. Probablement, s'agit-il du nom propre d'un dieu
païen qu'on a transféré à Yahvé (au
Dieu d'Israël) ; il pourrait bien vouloir dire « le montueux » (ou le dieu des montagnes). pantocrator désigne le commandant en chef des armées, le capitaine
d'un navire ou celui qui détient le pouvoir politique au plus
haut niveau; celui qui exerce ces fonctions dispose de pouvoirs
considérables, il n'est cependant pas tout-puissant. De plus, pantocrator, qui vient de la traduction grecque de la Bible
hébraïque dite des Septante, se rencontre surtout dans
l'Apocalypse (pour 9 de ses 10 emplois dans le Nouveau
Testament), où il pourrait bien s'appliquer à la
souveraineté future de Dieu quand le Royaume sera venu, et non
à son action présente dans le monde.
- p.119. La
potestas absoluta (pouvoir absolu) signifie qu'une décision
expresse de Dieu commande chaque être et détermine
chaque événement. Selon Calvin, si dans une forêt
des voleurs dépouillent et assassinent un voyageur, Dieu a
décidé que cette attaque et ce meurtre se produiraient.
Son pouvoir absolu règle les moindres détails. Rien
n'échappe à son empire; rien ne se fait en dehors de sa
volonté. Les bienfaits comme les catastrophes viennent de lui.
On doit lui attribuer le tremblement de terre de Lisbonne et les
abominables tueries d'Auschwitz, ainsi que tous les malheurs qui nous
frappent. La foi conduit à accepter ces maux comme des
manifestations étranges et mystérieuses de son amour.
À côté d'attitudes d'un héroïsme
admirable (peut-être plus stoïciennes que vraiment
chrétiennes), cette thèse a provoqué
quantité de révoltes et de refus. Comment aimer et
servir un Dieu qui torture ainsi ses créatures, même
s'il le fait pour leur bien ?
La notion de potestas absoluta pose de gros problèmes. Elle nie l'une des
caractéristiques essentielles du monde, de la nature comme de
l'histoire : celle de résulter de manière en
partie imprévisible et indéterminée d'une
multiplicité de facteurs qui se combinent dans un entrelacs
subtil de convergences et d'oppositions.
Jamais, nulle part, un agent unique n'est
à l'oeuvre. On remplace un ensemble complexe d'interactions
par un mécanisme élémentaire où tout
découle d'une seule et même cause. D'autre part, la potestas absoluta enlève toute liberté aux êtres
du monde, ce que dément l'expérience. Nous constatons
tous les jours, avec évidence, que nous avons une
capacité de nous déterminer effective, même si
elle reste toujours relative et limitée. À chaque
être appartient une puissance, plus ou moins grande, qui
diffère de celle de Dieu et qui peut l'entraver, la ralentir
ou lui faire obs-tacle. Le monde ne se réduit pas à un
jeu de marionnettes.
- L'omnipotentia (capacité, potentialité) veut dire qu'à chaque
moment Dieu dispose de toutes les possibilités, y compris
celle de ne pas exercer effectivement son pouvoir et d'accorder aux
créatures une marge d'autonomie qui leur permette d'agir en
partie à leur guise. Il aurait parfaitement pu empêcher
Adam et Ève de manger le fruit défendu. Il ne l'a pas
fait parce qu'il a voulu leur accorder une liberté. Il
pourrait éviter que des bandits volent et tuent un voyageur.
Il n'intervient cependant pas, parce qu'il a décidé de
ne pas interférer dans la marche des événements
ou de ne le faire qu'exceptionnellement, dans de rares occasions, par
des miracles. Il ne décrète ni n'envoie le mal.
Toutefois, il permet qu'il arrive, il le laisse se produire (tout en
gardant le pouvoir de l'arrêter instantanément) pour que
le monde ne se réduise pas à une simple
mécanique.
L' omnipotentia ne
paraît guère plus soutenable que la potestas absoluta.
Les possibilités, en effet, ne sont jamais absolues (absolu au
sens de ce qui ne dépend de rien d'extérieur) ni
illimitées ; elles s'inscrivent toujours à
l'intérieur d'une situation et tiennent, au moins en partie,
aux circonstances. Elles dépendent d'un ensemble de
conditions. Comme le disent pittoresquement les penseurs du Process,
Dieu lui-même ne peut pas faire surgir instantanément un
Mozart ou un Einstein dans une tribu de pithécanthropes.
L'apparition de tels hommes exige un contexte social et culturel dont
la mise en place résulte d'un processus long et complexe.
Toute situation comporte des impossibilités pour Dieu comme
pour nous. De plus, l'omnipotentia ne
diminue en rien la responsabilité de Dieu. S'il a
laissé faire Auschwitz sans intervenir, alors qu'il aurait eu
le pouvoir de l'empêcher, son abstention paraît aussi
révoltante que s'il l'avait décidé.
La notion de toute-puissance se heurte
à des difficultés qui la rendent impensable et
impossible. Ni la Bible, ni l'expérience, ni la
réflexion ne permettent de voir en Dieu un despote autocrate
qui déciderait de tout ce qui se passe ou un magicien qui
pour-rait faire n'importe quoi à chaque instant.
La puissance contre le pouvoir
Écarter la toute-puissance de
Dieu ne revient pas à le déclarer impuissant. Qu'il ne
puisse pas tout ne signifie pas qu'il ne peut rien. Le philosophe
C. Hartshorne a justement montré l'indéfendable
simplisme de l'alternative : soit « Dieu peut et fait
tout », soit
« Dieu ne peut et ne fait
rien du tout ». On ne peut
accepter ni l'une ni l'autre de ces propositions.
Distinguer puissance et pouvoir permet
d'esquisser une autre voie. Le pouvoir s'impose du dehors. Il oblige,
il force, il exerce une contrainte. Il nous détermine du
dehors et il décide de nous comme d'un objet. La puissance, au
contraire, opère de l'intérieur en influençant
et en persuadant. Elle agit non pas sur nous, mais en nous. Elle
obtient notre consentement et appelle notre participation. Loin de
supprimer la liberté, elle en a besoin et la sollicite.
p.121.
La véritable puissance se manifeste dans la
vulnérabilité et la fragilité du pouvoir. Elle
ne s'évalue pas en quantité mais en qualité.
Quand on pense l'action de Dieu en termes de pouvoir, elle devient un
déterminisme écrasant. Si on la comprend en termes de
puissance, elle se caractérise par un dynamisme qui au lieu de
nier, de supprimer ou de brider d'autres puissances, les attire, les
mobilise, les oriente et les fait converger.
p.127.
La puissance divine est cependant infinie, non pas parce qu'elle
pourrait faire n'importe quoi à n'importe quel moment, mais
parce qu'elle n'a pas de fin. Elle ne s'arrête jamais; elle ne
se laisse pas neutraliser ni détruire. Rien ne peut
empêcher Dieu de poursuivre son oeuvre. Jamais, il ne se
décourage ni ne prend son parti de ce qui va mal.
Inlassablement, il continue. Ses échecs ont un
caractère provisoire et nullement définitif. En
reprenant un mot célèbre du général de
Gaulle, on pourrait dire que Dieu perd des batailles mais non la
guerre. Le monde lui inflige des rebuffades, des déceptions et
des souffrances. Il n'arrive pas à le faire mourir. Rien
n'élimine Dieu, ni même ne le dissuade de poursuivre son
projet. Le péché d'Adam et d'Ève, le meurtre de
Caïn, le veau d'or, les désobéissances
d'Israël, la crucifixion de Jésus, les trahisons des
Églises, les défaillances et les erreurs de chacun de
nous ne lui font pas abandonner la partie, ni renoncer à son
dessein. Il ne baisse jamais les bras. Après chaque
défaite, il recommence, il reprend son oeuvre
créatrice. Il ne se résigne pas à nos chaos, il
nous appelle à les transformer en cosmos. Il inspire des
conversions et des réformes. Il suscite Noé, Abraham,
les prophètes. Il ressuscite Jésus. Après le
pire des échecs, celui de Golgotha, il fait avancer son
Royaume par l'événement de Pâques.
Le Père, le Fils et l'Esprit
La puissance évoque la
première personne de la trinité, le Créateur qui
fait surgir le monde et suscite la vie. Le sens renvoie plutôt
à la deuxième personne de la trinité, le Logos
révélateur et sau-veur. En grec, logos désigne
la raison ou la logique qui se trouve dans les choses et que saisit
l'intelligence ; le logos
se manifeste chaque fois qu'on
perçoit un sens. Classiquement, on voit dans l'Esprit
l'unité de la première et de la deuxième
personne. Si la première personne de la trinité a pour
figure le Père et la deuxième pour figure le Fils, la
troisième n'a pas de figure propre. Elle n'a pas d'autre
visage que ceux conjoints et indissociables du Père et du
Fils. Comme l'a très bien vu P. Tillich, l'Esprit allie
la puissance et le sens.
Le chef d'orchestre
p.128. Pour illustrer cette alliance du sens et de la
puissance, je me suis servi dans un de mes livres, d'une image ou
d'une parabole en comparant Dieu à un chef d'orchestre. Un bon
chef d'orchestre ne se contente pas de contraindre par la force ses
musiciens à exécuter ses ordres. Savoir leur
communiquer un sens et le faire vibrer en eux lui permettra d'obtenir
un bien meilleur résultat. Il doit les persuader, les faire
entrer dans ses vues, leur faire partager sa conception de la musique
qu'ils vont jouer. Sa puissance de conviction joue un rôle plus
grand que son autorité institutionnelle. Il lui faut
être à la fois compétent et persuasif pour leur
insuffler l'enthousiasme et l'intelligence nécessaires
à un concert de haute qualité. Dieu agit ainsi. Il nous
invite à devenir les musiciens de la symphonie du royaume
qu'il compose et dirige.
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