Théologie
radicale
La religion
au-delà
de la pensée occidentale
Religion
after the West
larges extraits
Don Cupitt
Réseau « Sea of
Faith »
1
14 octobre 2006
Le renouvellement de nos conceptions religieuses me semble de plus en plus indispensable. Je suis
notamment frappé depuis une dizaine d'années par le
fait que la religion de la plupart des gens les oblige à
croire en un Dieu personnel et à imaginer un monde
céleste, détournant ainsi les yeux de notre univers
terrestre vers un au-delà plus spirituel.
Le monde dans lequel nous vivons n'est
pourtant que terrestre ; il est fini et sans ouverture sur
quelque transcendance que ce soit. Mon but est d'en proposer
néanmoins, une compréhension nouvelle et
religieuse.
J'ai d'ailleurs l'impression que cette
mutation est déjà en train de s'accomplir dans l'esprit
de nos contemporains, de sorte que je n'ai pas tant à leur
transmettre mes propres idées que tout simplement à
donner forme à celles qui, déjà, surgissent en
eux.
Il nous faut abandonner
complètement notre ancien modèle de
religion avec son idée d'une
alliance que Dieu aurait traitée avec un groupe humain
particulier, marqué par sa culture et sa langue, avec aussi
l'idée du grand mythe cosmique de la Chute et de la
Rédemption, ainsi que la différence entre une Terre
matérielle et un Ciel spirituel.
Nous parlerons de la religion en termes
de
« spiritualité » personnelle : chacun de nous doit
développer son propre style de vie d'une manière qui
lui permette d'être vraiment lui-même, de trouver du sens
à son existence, et d'apporter sa contribution personnelle
à la valeur et la beauté du monde. C'est cela que nous
appellerons le salut.
Ce passage d'une religion organisée
à une spiritualité personnelle se résume dans la
formule suivante : « Du monde, de l'âme, de Dieu vers la
vie, ma vie personnelle ».
La question qui me semble préoccuper
aujourd'hui l'humanité n'est plus celle du péché
et de sa rédemption mais celle de l'effort que nous devons
fournir pour trouver du sens à la vie de notre monde.
2
La spiritualité occidentale
était, jusqu'à récemment, fondée à la fois sur la
métaphysique grecque et la pensée
judéo-chrétienne, mais vers la fin du
XXe siècle, l'Europe s'en est
détournée et ses anciennes traditions on laissé
la place à l'esprit de la société de
consommation venu d'Amérique.
D'ailleurs le capitalisme et le
matérialisme envahissant désormais l'Asie
elle-même, montre bien que l'esprit du libéralisme est
capable de se développe partout dans le monde et n'est
pas dépendant des traditions occidentales et de leurs valeurs
philosophiques et religieuses qui lui ont donné naissance.
Cette nouvelle culture n'est faite que de technologie et les
« valeurs » que l'on peut y rajouter ne sont que
décoration. Les besoins philosophiques ou religieux qui se
manifestent encore ici et là, ne sont plus que la
manifestation de troubles psychologiques que la médecine
soigne avec des euphorisants.
Pourrait-on restaurer ou renouveler la
tradition occidentale dont il semble
que rien ne subsiste ? Ne devrait-on pas laisser les morts
enterrer les morts et nous efforcer d'inventer une religion
nouvelle ? Le pourrait-on d'ailleurs, tant il est vrai que les
mass médias de la société de consommation
post-moderne nous font vivre dans un monde imaginaire qui semble
rendre impossible toute pensée philosophique ou religieuse,
désormais traitée de désordre mental. Le monde
des médias, dans sa diversité et sa richesse
prodigieuses provoque l'addiction insurmontable de nos contemporains
à un envoûtement totalitaire. Il fait tout
disparaître dans son tourbillon comme dans un trou
noir.
Cette idéologie est évidemment
un opium démoralisant. Je conserve pourtant une
espérance obstinée et je crois fermement à la
possibilité de construire autre chose.
Pour cela, il nous faut commencer par
réfléchir à nous-mêmes, à ce que
signifie pour nous un monde humain, à notre vie, à
notre mort.
La
« religion » qu'il nous faut est l'ensemble des
idées et des pratiques qui nous permettront de nous
réconcilier avec la vie, de la vivre le mieux possible en
étant maîtres de nous-mêmes, même si nous
n'y parvenons jamais vraiment : la vie est toujours soumise
à la
« finitude » et
à la mort, c'est-à-dire que nous ne parvenons jamais
à la plénitude, au bonheur parfait dont nous
rêvons et que nous ne pouvons éviter la mort qui lui met
un point final.
Les grands systèmes religieux et
philosophiques d'autrefois protégeaient leurs fidèles
de l'angoisse de la contingence humaine et du néant de la
mort.
Mais ces mirages se sont évanouis, et
plus rien ne fait barrage aux anciennes terreurs primitives. La vie
devient noire et inquiétante pour beaucoup de nos
contemporains. C'est la religion qui leur permettra de trouver un
apaisement aux tourments de la vie et d'assumer le tourbillon des
questions qui ne trouvent plus de réponses.
L'ancienne religion était
centrée sur le pardon des péchés. La nouvelle religion enseignera à affronter
l'existence et son manque de sens, à accepter la
radicale contingence de toutes choses.
Il convient ici de revenir à la
fameuse distinction entre « religion
organisée » et
« spiritualité ».
Les grandes religions sont collectives,
traditionalistes et autoritaires. Une« spiritualité » est un chemin personnel que chacun découvre
et suit librement.
Il est évidemment bien difficile de
répondre seul aux grandes questions de la vie et de la mort.
Un dialogue mutuel est bien utile, pour préciser son
vocabulaire, essayer ses idées et éviter de
dérailler dans des voies sans issue. La religion nouvelle doit
absolument comporter cet élément communautaire.
Je fais trois
propositions.
1. Il faut
apprendre à ne pas avoir peur. Affronter avec foi les vicissitudes de l'existence
avec sa précarité et ses contingences. On peut
parfaitement faire face à la réalité telle
qu'elle est et avoir le courage de dire Oui à la vie.
2. Il arrive, bien sûr, que l'on soit envahi
d'anxiété et d'angoisse. Mais il est parfaitement possible de prendre du
recul par rapport à nos passions afin de les
réorienter.
La religion nous rend aussi capable de
maîtriser la détresse quand elle nous submerge, d'en
reconnaître l'origine et d'en transcender la présence,
en la vivant dans une émotion positive proche de la
béatitude et en tout cas de conserver sa paix
intérieure.
On peut affronter la mort calmement sans se
débattre ni pleurer et la vivre comme une paisible union
à Dieu.
3. Une reconstruction culturelle vraiment
nouvelle devra, enfin, éviter
les fantasmes permettant de fuir la réalité de la
vie,par exemple en s'efforçant de la transcender. Il n'existe
pas d'autre niveau d'existence que celui de notre quotidien avec sa
contingence et sa finitude. Nous refuserons les images de la religion
médiévale ainsi que celles des médias
d'aujourd'hui et nous nous efforcerons de mener sans tricher la vie
de la réalité.
Nous nous efforcerons de vivre de la
manière qui correspond le mieux à nos
possibilités. Nous assumerons courageusement la
responsabilité de nos choix. Nous nous conduirons de
manière aussi positive et extravertie que nous pourrons :
c'est ainsi que nous témoignerons, à l'égard des
autres comme de nous-mêmes, de la valeur que nous reconnaissons
à la vie.
Parler ainsi représente une
rupture avec le passé. On
considérait traditionnellement que puisque le monde
était créé et gouverné par Dieu, la vie
humaine était elle-même créée,
prédestinée jusque dans ses moindres détails,
préservée, conduite et finalement reprise par Dieu. Il
n'était pas question que les hommes prennent eux-mêmes
véritablement le contrôle de leur vie et en assument la
responsabilité. Toute cela était l'affaire de Dieu, car
lui seul savait tout de la vie, son origine, comment elle devait
être vécue, quel était son terme.
Puisque le monde était
gouverné par Dieu, il n'était pas question que les
hommes ignorent certaines de leurs possibilités ou manquent
des chances qui leur seraient proposées. Dieu se
préoccupait de chaque détail et les hommes n'avaient
qu'à pratiquer les oeuvres que Dieu avait
préprogrammées à leur intention.
Aujourd'hui les choses ne sont plus si
claires. Nous avons pris conscience que nous aurions pu faire
d'autres choix et mener d'autres vies que celles qui ont
été les nôtres. Toutes ces opportunités
que nous n'avons peut-être pas vues, pas voulues, pas
réussies, font néanmoins partie, d'une certaine
manière, de notre existence personnelle.
3
Voici finalement une esquisse de la
nouvelle religion que je cherche à imaginer.
Premièrement faire la distinction entre ce que l'on dit que la
vie « devrait
être » et ce qu'est
notre vie personnelle en réalité.
Deuxièmement estimer que la religion a pour but de nous
réconcilier d'une part avec la vie telle qu'elle
« devrait
être » et d'autre
part avec notre vie personnelle telle qu'elle est en
réalité.
Troisièmement, si quelqu'un demande si nous avons
réellement besoin de nous réconcilier avec la vie, je
réponds : la vie est toujours sujette à des
limites résumées par la formule : « Le temps, la chance, la
mort ». Ces limites nous
angoissent et nous rêvons de les dépasser, de les
vaincre ou au moins de les transcender. La vraie religion nous
apporte le salut en nous apprenant à choisir et assumer notre
vie, telle qu'elle est, avec toutes les limites qu'elle
comporte.
Finalement la vie que propose la nouvelle
religion pour notre monde est une vie d'amour. Mais notre
personnalité et notre monde sont tellement
éphémères et changeants que nos amours sont
marqués du terrible sceau de l'« impossibilité ».
La sagesse est désormais d'accepter
ce fait et de dire : « Je ne veux pas être un ange et je
ne veux pas d'un monde à la douceur parfaite. Je
préfère être un mortel aux amour
aigre-doux ».
Traduction Gilles
Castelnau
Voir aussi de Don
Cupitt
Incertitude
de la vie
Vivre avec la
mort
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