Jacques Pohier : « Dieu fractures »

Par

Seuil, 1985

Voir aussi Jacques Pohier, Au nom du Père

Dans « Dieu, fractures », Jacques Pohier, théologien et ancien dominicain, explore les tensions et ruptures qui traversent la foi chrétienne, notamment à travers son propre parcours de croyant et de penseur critique. Il y interroge les conceptions traditionnelles de Dieu, de la mort, de la résurrection, du péché et de la sexualité, en proposant une approche à la fois théologique et psychanalytique.

1. Une remise en question des dogmes traditionnels

Pohier part du constat que certaines représentations de Dieu et du christianisme enferment plus qu’elles ne libèrent. Il critique particulièrement la manière dont l’Église a centré son message sur la Passion et la résurrection corporelle du Christ, occultant les dimensions plus essentielles de l’Évangile. Pour lui, cette insistance sur la souffrance et la victoire miraculeuse de Jésus sur la mort produit un cadre rigide qui ne laisse pas toujours place à une expérience authentique de la foi.

L’auteur propose une relecture de la résurrection : plutôt que de s’attacher à la croyance en une résurrection corporelle littérale, il invite à en comprendre le sens spirituel et symbolique. Il ne s’agit pas de nier la résurrection, mais d’en dépasser l’aspect physique pour la considérer comme un appel à « re-susciter » le message du Christ dans nos vies. À la page 134 de son livre, Pohier affirme : la résurrection est « l’attestation par Dieu qu’il est bel et bien tel que Jésus l’a manifesté, que Jésus était bel et bien celui qui le manifesté selon son gré, et que son Esprit peut l’emporter sur toutes les forces mortifères qui s’opposent à cette manifestation » (p. 134).

2. L’apport de la psychanalyse

Pohier mobilise la psychanalyse pour analyser la manière dont la religion structure nos représentations inconscientes. Il s’intéresse particulièrement à la culpabilité et à la manière dont l’Église a longtemps utilisé le péché pour exercer un contrôle sur les fidèles. Il voit dans certaines doctrines un rapport malsain au désir et à la liberté, notamment en ce qui concerne la sexualité.

Dans cette perspective, il remet en cause une vision sacrificielle du christianisme qui glorifie la souffrance et le renoncement au plaisir. Selon lui, cette approche empêche une véritable rencontre avec Dieu, qui ne devrait pas être un objet de crainte ou de culpabilité, mais une source de vie et de libération. 

Par ailleurs, il écrit : « Le déchiffrage psychanalytique de l’inconscient manifeste quels ravages fait dans la vie des hommes et des femmes la conviction qu’il existerait un objet accomplissant tout désir » (p. 113). Pour Pohier, Dieu ne peut pas être cet objet.

3. La foi comme expérience vivante

Pohier témoigne de son propre cheminement spirituel, marqué par une crise qui l’a conduit à quitter l’ordre dominicain et à remettre en question certaines de ses croyances. Il parle d’une « décomposition » de son monde religieux, ce qui lui a permis de reconstruire une relation plus libre et authentique avec Dieu.

Loin de prôner une destruction pure et simple de la foi chrétienne, il invite à une transformation profonde : il ne s’agit pas de renier Dieu, mais de déconstruire les représentations figées qui l’enferment. Il encourage les croyants à dépasser les dogmes pour accéder à une foi qui ne soit pas soumise à la peur ni à des institutions oppressives, mais qui soit fondée sur la vie et la relation avec autrui.

4. Un livre polémique et un tournant dans son parcours

À sa sortie, Dieu, fractures a suscité de vives réactions. La critique de la résurrection physique et la remise en cause de certains fondements doctrinaux lui ont valu des tensions avec l’Église catholique. Ce livre marque un tournant définitif dans son rapport à l’institution ecclésiale, qu’il quitte peu après.

En conclusion, Dieu, fractures est à la fois une réflexion théologique et un témoignage personnel sur la manière dont une foi vivante doit passer par des moments de rupture et de reconstruction. Pohier y invite à abandonner les représentations rigides de Dieu pour redécouvrir une spiritualité plus libre et plus humaine.

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