Appeler à l’unité dans l’Église catholique

Par

sans rien y changer de fondamental, n’est-ce pas un refrain illusoire ?

C’est un thème récurrent dans les discours des évêques et des papes, comme dans les prédications des prêtres et dans les intentions de prière à la messe du dimanche. Le pape François y insistait, conscient des positions différentes des catholiques, et son successeur Léon XIV y convie également, mais en faisant appel seulement à la bonne volonté de chacun, comme si c’était suffisant, ce qui n’est pas le cas. Un bref état de la situation peut se résumer ainsi, en ne s’en tenant qu’à l’espace européen et occidental.

L’Église catholique est  de fait sévèrement fractionnée

D’une part, on trouve les catholiques intégristes, nostalgiques de la chrétienté inaugurée par l’empereur romain Théodose l’un des successeurs de Constantin. En 380, à la fin du IVe siècle, il imposa à tout le peuple chrétien, avec la complicité des évêques, la foi définie à Nicée en 325 et il pourfendit les hérétiques sans ménagement. Ces catholiques ne voient que par le concile de Trente, organisée au XVIe siècle en réaction aux thèses protestantes, et imposant aux fidèles une obéissance en tous domaines. La vraie messe est pour eux celle de Pie V en latin datant de 1572 et la vraie doctrine est celle des dogmes d’il y a 1700 ans répétée à satiété dans les catéchismes d’avant le concile Vatican II. Tous les changements opérés depuis sont suspects.

On trouve aussi, le courant des nouveaux prêtres qui, sans qu’il soit furieusement intégriste comme le groupe précédent, prônent toutefois la doctrine et la morale traditionnelle, développées dans le Catéchisme officiel de Jean-Paul II et du Cardinal Ratzinger de 1992. Ils ont conscience que les églises ont été désertés durant les dernières années par nombre de catholiques et ils se donnent pour mission de conserver les troupes qui chaque dimanche, en petit nombre souvent, viennent aux messes, de même que les familles qui font encore baptiser leurs enfants et les couples qui se marient à l’église. Ils sont très entreprenants, martèlent la doctrine dans leurs sermons et dans leurs bulletins paroissiaux, organisent des dîners-rencontres pour la rappeler avec vigueur et pourfendent le laisser aller ambiant pour conforter leurs ouailles dans leur fidélité. Celles-ci sont des catholiques qui aiment l’ordre, les belles cérémonies et qui font confiance à leurs pasteurs consacrés par le sacrement de l’ordre pour exercer leur mission divine de la part de Jésus. Ce sont ces catholiques qui sont les plus fervents parmi les paroissiens du dimanche. Certains manifestent une piété démonstrative en se signant et en s’agenouillant pour recevoir l’hostie sur la langue. Pour eux, comme pour leurs mentors cléricaux, le concile Vatican II n’a été qu’un intermède dont les enseignements sont relatifs.

On trouve également un groupe de chrétiens que l’on pourrait appeler conciliaires qui ont pour la plupart un âge certain. Ils ont vécu Vatican II comme une libération et ils pensent que ce concile est toujours la référence absolue, sans avoir lu pour autant les documents qu’il a produits et donc sans connaître la doctrine  traditionnelle qui s’y répète sur la doctrine et les ministères et bien d’autres sujets. On leur a tellement répété : « Le concile, rien que le concile, mais tout le concile ». Ils constatent toutefois que l’engouement pour ce concile n’a pas produit les fruits escomptés. Mais, de bonne volonté, ils continuent à venir à la messe le dimanche, à payer leur denier du culte, et à adhérer sans trop se poser de question aux dogmes catholiques, ni à remettre en cause les pouvoirs des évêques et des prêtres, a fortiori du pape.

Il existe encore une multitude de groupes dont les membres en prennent et en laissent personnellement par rapport à l’enseignement officiel et à la liturgie de l’Église mais bon nombre se disent toujours catholiques. Certains continuent à participer à la messe, d’autres célèbrent entre eux sans prêtres. La plupart espèrent que leur Église se réformera en introduisant des changements dans son organisation, par exemple en confiant des responsabilités à des femmes dans les instances ecclésiales, et même en envisageant l’ordination de femmes diacres et prêtres, mais sans avoir conscience que si la doctrine qui sacralise les ministères et les dogmes ne change pas, le système catholique demeurera tel quel. Les instances du catholicisme allemand, évêques, prêtres et laïcs réunis en synode, ont fait des réclamations en ce sens, que Rome a aussitôt refusées par crainte, dit-elle, de division dans l’Église.

Et puis, il y a une frange plus radicale de catholiques qui remettent en question le système catholique lui-même, basé sur les dogmes et sur la hiérarchie catholique sacralisée, qui n’ont aucun fondement sérieux dans les évangiles. Ils se disent chrétiens libéraux comme leur frères protestants libéraux en revendiquant pareillement  la liberté d’interpréter les Écritures et un gouvernement synodal de leur Église catholique, qui peut apparaître comme un rêve impossible.

Face à ces tendances diverses, Rome affirme l’unité de l’Église sur les bases traditionnelles du catéchisme de Jean-Paul II. D’autant plus qu’en Europe, le nombre global des pratiquants, de l’ordre de 1,5 %, est infiniment minoritaire par rapport à ce qu’il était il y a cinquante ans. Quand une institution devient minoritaire numériquement, ceux qui exercent le pouvoir et leurs supporters ont tendance à se tenir sur des positions rigides et uniformisantes et à les affirmer envers et contre tout.

Pourquoi la conception traditionnelle de l’unité dans l’uniformité est-elle illusoire ?

C’est une illusion parce que Rome prétend unir, dans une même pensée et les mêmes langages, des croyants qui culturellement n’ont pas les mêmes conceptions du monde et de l’homme. Ce qui ne peut pas ne pas rejaillir sur les représentations que les uns et les autres peuvent avoir de Dieu et de Jésus, de l’Église et de la foi chrétienne. La diversité des positions décrite plus haut ne résulte pas de la mauvaise volonté des uns et des autres, mais d’abord de leurs identités d’humains qui induit leurs identités de croyants, fondées sur des représentations toutes humaines de la réalité qui ne sont pas les mêmes et qui sont même parfois opposées.

Faisons-en la démonstration

Prenons d’abord le cas des chrétiens intégristes.

Pour eux, le monde a été créé par Dieu qui est tout puissant et omniscient et donc qui le dirige à tout instant selon sa volonté, de même que chacune des destinées humaines. En conséquence, il peut faire des miracles, il peut révéler ses desseins à certains humains, il est le maître de leur vie et de leur mort.

Pour eux, ce Dieu a envoyé son fils unique sur la terre qui s’est incarné sans le concours d’un père humain dans le sein d’une femme vierge. Ce Dieu fait homme, nommé Jésus, est venu pour réconcilier avec son Père les humains pécheurs depuis la faute originelle commise par leurs premiers parents et transmise à tous leurs descendants. Étant Dieu, Jésus a pu faire d’étonnants miracles durant sa trajectoire terrestre. Mais ses compatriotes juifs ne l’ont pas accepté et l’ont mis à mort sur une croix. C’est sa mort sur la croix, acceptée par Jésus par obéissance, qui a sauvé l’humanité pécheresse. Et ce sont les sacrements qui communiquent ce salut aux hommes de génération en génération, par l’entremise du pape, des évêques et des prêtres institués par Jésus. Les fidèles laïcs se doivent, eux, d’obéir à la doctrine et aux prescriptions morales révélées par Jésus. Après leur mort, les croyants avant de rejoindre Dieu au ciel peuvent passer par le purgatoire pour se purifier de leurs péchés mais les prières des vivants les aident à s’en dégager. Pour ces catholiques, tout ce qui précède est la Vérité absolue, et l’organisation qui en a résulté – les dogmes, la hiérarchie religieuse, la morale et la liturgie traditionnelle hérités des siècles passés – sont l’émanation de cette vérité. C’est pourquoi, pour ces catholiques intégristes, il faut continuer à les répéter tels quels, et les sauvegarder à tout prix des déformations.

Prenons maintenant le cas des catholiques adeptes des prêtres de 25 à 50 ans. Ceux-là partagent aussi comme les précédents une vision traditionnelle du monde, de l’homme, sans rapport avec les résultats des sciences dites exactes et aussi des sciences humaines qui ont fait de grands progrès depuis les derniers siècles sur la connaissance de l’univers, de la naissance de l’homme et de son fonctionnement. Leur différence avec les précédents, c’est qu’ils sont du côté du pouvoir actuel professant le catholicisme classique et intransigeant de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Leurs représentations périmées ont aussi forcément des répercutions inévitables sur leurs conceptions de Dieu, de Jésus comme nous l’avons vu plus haut. Professant la toute-puissance de Jésus, le Dieu fait homme, certains prêtres, durant la Covid, ont béni du haut de leur clocher leur paroisse avec un ostensoir pour éloigner la pandémie de leur territoire ! Les mêmes et d’autres ont organisé des processions par temps de canicule pour que la pluie céleste tombe sur les terres desséchées. Ils président également des célébrations de guérisons qui sont censées améliorer voire guérir les malades.

Regardons maintenant les catholiques dits conciliaires.

Leurs représentations du monde et de l’homme sont plutôt classiques, sans tellement d’interrogations sur leur héritage religieux, mais sans zèle non plus pour rejoindre les catholiques précédents qui ne jurent que par Jean-Paul II et Benoît XVI. Ils font plutôt confiance aux prêtres et aux évêques qui, sur le terrain, sont plutôt permissifs. Ceux qui se sont éveillés à l’esprit critique ont déserté pour une part les églises ne trouvant pas dans ce qui leur est servi des réponses à leurs questions et matière à leur ressourcement spirituel.

Quant aux catholiques de la catégorie plus émancipée

qui en prend et en laisse avec les dogmes et la soumission aux prêtres et aux évêques, ce sont des gens qui ont acquis une liberté de pensée et de décision, qui aiment le débat auquel soumettre leurs questions, et à qui on ne fera pas admettre ce qui en leur âme et conscience n’est plus crédible à leurs yeux. Un certain nombre continuent à « pratiquer » la messe, mais en dehors de toute obligation ou pression. Ils ne désespèrent pas que leur Église puisse se réformer, et ils se démènent pour faire avancer, par exemple, la cause du diaconat féminin, de l’ordination des femmes et des hommes mariés à la prêtrise.

Enfin, il reste les catholiques libéraux

Peu nombreux, ils ont pris conscience de la perversité du système catholique, dogmatique et hiérarchique, leur critique reposant sur les résultats des sciences de tous ordres qui ont bouleversé depuis les derniers siècles les conceptions traditionnelles de l’univers, du monde, de l’origine de l’homme, de sa liberté, de sa responsabilité de gérer le monde et sa propre destinée. Ceux-ci sont convaincus que la meilleure manière d’être fidèles au témoignage de Jésus actuellement, c’est de travailler à démanteler ce système bétonné à l’extrême, en favorisant la prise de conscience de leurs amis chrétiens qu’il est irréformable en l’état, tant tout se tient, et qu’il faut construire un autre type d’Église.

Après cette revue des fondements humains des différentes positions des catholiques, on peut comprendre que l’on ne peut pas parler d’unité catholique entre ces divers groupes, car les participants de chacun d’eux ont des fois religieuses imprégnés de leurs représentations culturelles de l’univers, du monde et de l’homme. Ce dont beaucoup n’ont aucunement conscience, ce qui est pourtant la base de la division. Si on le leur expliquait, les intégristes et les fervents du catéchisme de Jean-Paul II ne seraient-ils pas dans l’impossibilité de l’admettre et ils protesteraient par un déni total, tellement leur prise de conscience chamboulerait leurs convictions établies, qui sont pour eux la Vérité ! Il n’y a que ceux qui se questionnent, qui doutent, qui sont ouverts au débat qui peuvent accepter de discuter sur leur propre position.

Peut-on imaginer dans l’Église catholique une unité qui ne soit pas uniformisante ?

En l’état actuel de la situation, ce n’est pas possible

Accepter de se poser cette question, c’est d’abord reconnaître que la position officielle actuelle de l’Église catholique sur l’unité de l’Église est un déni de la réalité. Maintenue en l’état, elle est malsaine, parce que partisane et humiliante pour les catholiques modernes qui ne partagent plus, en conscience et après mûre réflexion, certains éléments ou la totalité du système catholique. Rome peut-elle reconnaître lucidement cette diversité des catholiques et en comprendre les raisons profondes ? Peut-elle reconnaître que sa propre position, présentée comme la position officielle des catholiques est relative et discutable, compte tenu de l’évolution des savoirs qui périment nombre de représentations traditionnelles de la foi ? Là est le problème crucial, et on ne voit pas dans les conditions actuelles comment les choses pourraient bouger. Cela démontre que le pouvoir papal est bien le verrou qui empêche toute évolution. Un autre fonctionnement le dépouillerait de ses attributions qui lui confèrent le dernier mot sur tout et en tout.

Dans d’autres Églises cette unité dans la diversité existe

Un changement fondamental respectant la diversité actuelle des groupes chrétiens assainirait pourtant l’hypocrisie présente qui laisse à penser qu’un milliard quatre cents millions de baptisés catholiques vivent dans l’unité de la foi. Quel changement ? Regardons de près le fonctionnement de l’Église protestante unie en France (EPUF) et celui de la Communion anglicane à travers le monde. Dans les deux cas, les chrétiens ont les mêmes sensibilités que celles qu’on trouve dans le catholicisme, mais ce qui unit ces chrétiens dans leurs expressions différentes, ce ne sont pas des credo à commencer par celui de Nicée, qui sont des formulations conceptuelles relatives au temps de leur élaboration ; c’est en premier lieu la conviction commune que personne n’a la Vérité, que tous les disciples de Jésus sont frères, appelés à vivre dans la fraternité – c’est le message du Jésus de Jean (15, 7-17 ; 17,20-26) – que la pratique du débat est capitale, et à partir de là, ce qui leur importe, c’est de reconnaître Jésus comme inspirateur d’une vie fraternelle, les  invitant à combattre toutes les formes d’inhumanité, les  appelant à répondre existentiellement  aux exigences de l’enseignement et de la pratique évangélique, et les conviant à s’ouvrir au mystère ineffable du Dieu de Jésus à travers leurs représentations singulières. Ce qui les rassemble avant tout, c’est leur désir de vivre du témoignage de Jésus, dans le respect de leurs sensibilités diverses.

Distinguer l’orthodoxie et l’orthopistie

Dans cette perspective, les remarques de Marcel Légaut relatives à la foi en Dieu et à ses représentations sont éclairantes et fécondes (« Vie spirituelle et modernité » Chapitre 8, Vie de foi et représentations de la foi, Centurion-Duculot, 1992).

Attendu qu’on ne peut connaître Dieu en son fond et qu’on ne peut que risquer une approche relative de son mystère, il découle que toute absolutisation d’une représentation de Dieu n’est qu’une idolâtrie de ses propres pensées. Ainsi, la notion d’orthodoxie (la droite doctrine, du grec orthos = droit ; et doxa = doctrine) professée actuellement par l’Église catholique qui prétend dire la Vérité ne peut qu’être remise en cause. Cette orthodoxie est faite de croyances relatives, nées dans des contextes culturels donnés. En conséquence, quand les autorités catholiques affirment que ces croyances s’imposent à tous les croyants de tous les lieux et de tous les temps (à l’exclusion d’autres représentations), c’est une prétention indue. Il en va de même pour les croyants, qui se contentent d’adhérer à la doctrine orthodoxe en pensant faire un acte de foi ; c’est une illusion (on adhère seulement à des idées sans que cela engage sa vie,  on s’habille de croyances, ce qui ne nourrit pas, dit Légaut).

Dans l’ordre de la démarche de foi, Légaut propose la notion d’orthodoxie  de la notion d’« orthopistie » (du grec « pistis » qui signifie « foi »). La foi droite s’oppose à la doctrine droite.

– Il ne s’agit pas d’une adhésion à des croyances reconnues (orthodoxie), mais d‘un mouvement intérieur de foi qui relève de l’intime propre à chaque croyant et qui l’engage dans une existence de fidélité.

 Les croyants peuvent ainsi communier au niveau de leur mouvement très personnel de foi tout en vivant dans des univers très différents et donc avec des représentations de Dieu et des langages différents. C’est  le cas dans l’Église protestante Unie de France (EPUF). Personnellement j’en ai fait et j’en fait présentement l’expérience entre catholiques.

– Les doctrines sur Dieu dans les Églises sont appelées à changer et évoluer selon les cultures et l’univers mental des hommes au long des temps et des lieux. On peut ainsi concevoir simultanément une pluralité d’approches dans la même Église ; elles sont  légitimes mais relatives car de l’ordre des représentations.

– Les disciples du temps de Jésus, en le voyant vivre, ont cru en Jésus et en son Dieu par un mouvement personnel de foi et non à cause des christologies (discours sur Jésus) qui sont apparues très rapidement et que nous trouvons déjà dans des textes du Nouveau Testament. Depuis lors, l’intérêt pour la doctrine passa, hélas, devant l’attachement à Jésus de Nazareth et au visage de son Dieu, tel qu’il le révéla à travers son message et sa pratique. Revenir à l’expérience de Jésus concernant son Dieu telle qu’on peut la décrypter à travers les évangiles est essentiel pour l’actualiser. Là se joue la véritable fidélité des uns et des autres.  Un chantier exigeant mais passionnant.

Un rêve ?

Rendre possible dans l’Église catholique l’unité de la foi vécue existentiellement dans la diversité des croyances officiellement reconnue, ce serait une révolution. Les plus opposés et les plus réticents seraient sans doute les intégristes et les suppôts de Jean-Paul II, mais est-ce totalement impossible ? Si ça l’est, ne faut-il pas prendre le risque de l’éclatement du catholicisme qui se redistribuerait en plusieurs Églises, ce qui assainirait grandement la situation. On peut dès lors imaginer que le pape deviendrait le trait d’union des Églises nationales, chacune d’elles s’autodirigeant et respectant les choix des autres Églises, et à l’intérieur de chacune, les uns et les autres  ayant le souci de respecter les diverses sensibilités.

Un rêve impossible ? Peut-être bien. Sans doute le plus urgent n’est-il pas de faire progresser la conscience des catholiques vers une liberté de pensée critique qui les aide à réagir à ce à quoi ils sont si souvent soumis, parce que conditionnés depuis longtemps à l’obéissance et inconscients des enjeux des situations inacceptables ?

 

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