Spiritualité
Judas n'est pas un
traître
Réflexion
à partir de Jean 13/21-30
pasteur
Jean Besset
23 octobre 2007
On a beaucoup parlé de Judas
ces derniers temps, un apocryphe a
défrayé la chronique, tant par l'histoire du manuscrit
que par l'hypothèse qu'il essaye d'accréditer. A
savoir que Jésus et Judas étaient de connivence et que
Judas n'a pas à proprement parler trahi Jésus,
mais qu'il a été simplement l'instrument choisi par
Jésus pour que sa mort devienne possible selon
un projet préétabli par Jésus.
« L'homme qui me porte, tu
vas l'offrir » demande
Jésus à Judas. Ce texte propose une approche gnostique
des textes de la passion selon laquelle l'accomplissement de
Jésus passe par sa libération de son enveloppe
charnelle. Les exégètes, en commentant cette
approche on dit tout et son contraire. Les uns restants
fidèles aux textes canoniques ont dit que Judas a trahi,
d'autre disent que l'approche du texte apocryphe n'était
pas sans intérêt. Naturellement, j'ai un peu envi
d'apporter ma pierre à l'édifice, non pas pour
contredire mes éminents confrères, mais tout simplement
pour dire que la thèse selon laquelle Judas n'a pas trahi mais
été l'instrument par lequel Jésus a
lui-même décidé de sa propre mort
peut se formuler à partir d'une lecture critique des textes
canoniques sans avoir recours à un apocryphe gnostique.
Si nous partons du texte de
l'Évangile de Jean rapportant l'épisode
où Judas est révélé comme le
traître, nous sommes par avance convaincu de sa
culpabilité étant donné les paroles peu
amènes que l'Évangéliste laisse tomber : je
lis :
« Jésus prit
un morceau de pain, le trempa et le donna à Judas. Dès
que Judas eut pris le morceau, Satan entra en lui. Jésus
lui dit ce que tu as à faire, fais-le
vite ».
Notre passage se poursuit par le
départ de Judas. Comme
le soir tombait, l'homme sombre sortit, dirai-je pour
paraphraser Victor Hugo et alors que Judas sort, la nuit tombe sur
Jérusalem et sur l'espérance déçue des
disciples. Avec la sortie nocturne de Judas chargé
d'une malédiction satanique, une chape de plomb tombe sur le
monde. C'est ainsi que s'ouvre la nuit tragique de la passion. Les
forces du mal conjuguent leurs efforts avec la cupidité
humaine. Mais qui inspire Judas ou qui le provoque ?
Est-ce Dieu ou diable ? Il est quand même fort
curieux d'imaginer que ce morceau de pain qui sera plus tard le
pain de l'eucharistie puisse servir de véhicule à Satan
pour pénétrer le traître. Il y a là
un problème théologique que je mentionne sans chercher
à l'élucider.
Étrange que tout cela n'est-ce
pas. Nous allons
procéder à la recherche de la vérité avec
les mêmes principes que l'on utiliserait dans une enquête
policière L'incohérence de ce moment est encore plus
forte si on essaye d'y mêler les
récits parallèles des autres évangiles.
Pour le personnage qui est au centre de notre passage, Judas,
personne ne saura vraiment dire quel a été son
rôle dans ces moments d'incompréhension
générale tant les témoignages sont confus et
sans doute partiaux. Pourtant il occupe une place centrale dans
l'événement. Évangile de Jean va enfermer Judas
dans cette nuit et nul ne sait ce qu'il en adviendra. Après le
fameux baiser qui livrera Jésus, le nom de Judas ne sera plus
mentionné du tout et il restera prisonnier de la nuit
éternelle. Cette nuit ayant beaucoup de points communs avec la
mort.
Judas reste jusque dans sa mort un
personnage secret et solitaire.
C'est sans doute un aspect de sa personnalité qu'il partage
avec Jésus. L'Évangile de Jean nous montre les
disciples allant par groupe et bien souvent par deux, c'est le cas du
« bien-aimé » et de Pierre, c'est le cas d'André
et de Philippe rejoints bientôt par Nathanaël, Jacques et
Jean, les fils de Zébédée. Judas, lui est seul.
Il n'y a qu'un autre personnage qui soit seul aussi, c'est
Jésus. Curieux parallèle entre les deux personnages,
n'est-ce pas ? C'est entre ces deux personnages que va se
dérouler tout le mystère de la passion et
malgré leur opposition le texte que j'ai pris en
référence est témoin d'un signe de tendresse que
Jésus adresse à Judas en lui tendant le morceau de
nourriture, et pourtant bien que ce soit un geste
d'amitié, il fonctionne comme si Jésus le livrait
à Satan, comme si Jésus se servait du diable pour
séduire Judas et accomplir un destin tracé à
l'avance. Le diable donc entre en Judas au moment où
Jésus échange un signe de tendresse avec et plus tard
c'est Judas qui répondra par un autre signe de tendresse en
embrassant Jésus et par ce signe, il enverra Jésus
à la mort.
Judas serait-il un anti-héros, un
anti-messie ? Est-il le
personnage nécessaire au narrateur pour donner un peu de
logique à ces jours absurdes de la passion ? En effet, si
Judas n'existait pas, il faudrait l'inventer. Et l'auteur de
Évangile n'hésite pas à donner dans l'absurde et
l'incohérence. Sans lui, la mécanique qui mène
Jésus à la mort ne pourrait pas fonctionner. Sans
Judas, comment Jésus se serait-il livré
lui-même à la mort en provoquant lui-même sa
propre arrestation ? C'est bien quelque part cette
hypothèse qui a été retenue par la tradition
puisque la liturgie de la messe dit que Jésus s'est librement
soumis à la mort. Judas était donc inutile.
Pourtant, malgré les rares mentions de son nom il reste
le personnage central de l'événement. Il cristallise en
lui tous les éléments humains qui ont
dysfonctionné autour de Jésus. Il concentre sur sa
personne toute l'incompréhension des hommes et
révèle la capacité de chacun à être
séduit par le diable. Judas est un personnage inutile et
pourtant il demeure incontournable. Nous allons voir que la
réalité de ce personnage est une pure construction des
évangélistes qui se servent d'un homme qui s'est
suicidé (ou qui a été assassiné
1) pour cacher
le malaise des apôtres restés en vie et qui n'ont
pas évacué le sentiment de culpabilité qui hante
leur conscience.
Le geste inexplicable et
inexpliqué du suicide de Judas a permis aux apôtres qui eux ont
survécu à l'événement de ne pas se
présenter dans un trop mauvais rôle aux yeux
de l'histoire. Judas est heureusement mort
prématurément. Il n'est pas invraisemblable de penser
que l'on ait volontairement noirci ses traits dans les récits
évangéliques. Le vrai problème, c'est quand
même de savoir si Judas était prédestiné
à trahir Jésus et s'il a été
appelé par Jésus comme semble le suggérer
Évangile de Jean pour trahir.
Pourtant en Jean
6/71 Jésus laisse entendre ses soupçons sur Judas:
je cite :
« Jésus leur
répondit : n'est-ce pas moi qui vous ai choisi vous les
douze ? Et l'un de vous est un démon ! Il parlait de
Judas, fils de Simon Iscariot ; car c'était lui qui
devait le livrer, lui l'un des douze. »
On pourrait penser ainsi que par avance
Jésus avait lui-même embauché le traître
à sa suite en toute connaissance de cause pour
préparer l'événement de la trahisons. Par
2 fois dans ce même évangile on parle de Satan
à propos de Judas, une fois dans le texte auquel je fais
allusion et une fois dans Évangile déjà
cité. On le voit aussi accusé d'être
habité par Satan au moment du lavement des pieds :
« Pendant le repas,
alors que le diable avait déjà mis au coeur de Judas,
fils de Simon, de le livrer. »
Vous avez constaté que j'insiste
beaucoup sur l'intervention du démon en Judas,
comme si on n'avait pas vraiment compris. Serait-ce
délibéré de la part de Jésus ? Ce
serait pour le moins un calcul particulièrement
machiavélique de la part du Seigneur qui se serait servi de
Satan pour accomplir son oeuvre. Cela ne me parait pas très
possible, je l'ai déjà dit, même si cette
thèse a été défendue. Je pense
plutôt que l'expression est utilisée à dessein
par l'évangéliste Jean pour accréditer la
thèse selon laquelle il était prévu,
longtemps à l'avance que Judas était
prédestiné à être coupable. Cette approche
de l'événement disculperait ainsi tous les
autres, qui eux aussi ont trahi. Au moment de l'arrestation, ils se
sont tous enfui au lieu de rester. Si Pierre est
présenté comme un couard, c'est pour mieux mettre en
valeur le pardon qu'il recevra au bord du lac. Aucun n'endosse
vraiment la responsabilité puisque Judas et Satan ne font
qu'un. Quoi qu'il en soit du comportement des uns et des
autres les Évangiles enferment Judas dans le rôle
d'un personnage dont il ne peut se défendre puisqu'il
est mort.. Mais là encore, nous allons rester sur notre faim,
nous ne savons pas et nous ne saurons pas, du moins à partir
de Évangile le mobile de la trahison, s'il y a eu
trahison.
La charge est un peu trop forte
pour être vraisemblable. Tout
cela ici semble suggérer que Judas n'est sans
doute pas aussi coupable qu'il parait. Nous avons vu
l'intérêt que les autres avaient à se servir de
l'événement de son suicide. Nous ne
trouvons pas vraiment de raison à la trahison. L'argent semble
un argument bien faible, la somme obtenue n'est pas assez importante
et ne justifie pas un tel geste. La seule raison vraisemblable
est la possession satanique, mais il est peu crédible que
Jésus s'en soit servie pour arriver à ses fins.
Il y a peut être encore une
hypothèse. Elle est
parfaitement soutenable exégétiquement parlant. Selon
celle-ci, tous les acteurs du drame, proches de Jésus auraient
su ce qui allait se passer, c'est à dire que Jésus leur
aurait révélé qu'il avait lui même choisi
d'être arrêté pendant la fête de
Pâques et peut être même qu'il aurait choisi de
mourir le vendredi au moment où on immolait les agneaux. Il
aurait choisi Judas pour organiser son arrestation. Des arguments
soutiennent cette thèse, en effet au verset 26
Jésus désigne clairement Judas :
« il trempa le
morceau et le donna à Judas »
il l'envoie faire ce qu'il doit faire et
personne ne bouge. Aucun, pas même le bouillant Pierre ne songe
à l'arrêter alors que le récit de la scène
de Gétsémané rapporté par ce même
Évangile nous apprend que Pierre est porteur d'une
épée et qu'il sait la manier. Il le prouvera
(Jean18/10). Pourquoi alors ne s'en sert-il pas pour empêcher
Judas de sortir ? N'est ce pas parce qu'ils savaient tous quelle
démarche Judas allait entreprendre. Seulement tous ignoraient,
Judas y compris, que cela tournerait mal. Quand Jésus
dit que l'un d'entre eux va le livrer, les disciples ne semblent pas
s'offusquer, ils s'inquiètent plutôt de savoir qui a
été désigné. Le fait de livrer
Jésus ne semble pas les émouvoir, c'est le nom du de
celui qui va le faire qui les inquiète. C'est comme
s'ils espéraient tous ne pas entendre prononcer leur
nom. Quand Judas est désigné, on entend presque
leur soupir de soulagement, c'est ce que semble suggérer leur
manque de réaction et leur totale passivité. Cela
laisse entendre qu'ils étaient au courant du projet.
Devant l'échec apparent de sa démarche, puisqu'elle
débouche sur la mort de Jésus, Judas se suicide et les
autres se cachent honteux. Le matin de Pâques, Jésus
ressuscite et Judas emporte dans la tombe le secret de tous. Bien
sûr il faudrait développer ces choses plus longuement en
partant des incohérences du texte. Nous en avons
déjà soulignés, il y en a d'autres.
En effet, on a pris soin, par
exemple, lors du récit de
l'onction à Béthanie de nous dire que
« Judas
était un voleur et prenait dans la caisse tout ce qui s'y
trouvait ».
Jésus le sachant, on ne comprend pas
comment, il l'envoie cependant faire une charité, en
sachant qu'elle n'aurait pas été faite ou qu'elle
aurait été mal faite. En fait la tradition recommandait
de faire des aumônes à l'occasion de la Pâque et
l'évangéliste Jean semble avoir trouvé ce
prétexte pour masquer le fait que tous savaient ce qu'il
allait faire. L'explication de l'aumône que Judas est
sensé faire est d'autant plus tendancieuse qu'on nous dit que
la nuit tombait. Ce n'était ni le moment de faire des
commissions, ni le moment de faire des charités. Si en
fait tous savent ce que Judas va faire et s'il le fait avec leur
accord, on comprend pourquoi Jésus le fait participer à
ce partage du pain. Quel que soit le cas, il s'agit ici d'un signe
d'amitié, voire même de communion et on comprend mal que
Jésus ait pu le faire s'il n'était pas en accord avec
Judas. On comprendrait moins encore qu'il ait utilisé ce geste
d'amitié pour désigner le traître à la
cantonade. Tout cela n'est pas conforme au personnage de Jésus
et j'ai du mal à en rendre compte d'une manière
cohérente. Ce texte nous montre combien les choses
étaient confuses dans l'esprit de ceux qui ont vécu cet
événement au point qu'ils ont encore du mal à en
rendre compte à leur tour 40 ans après, au moment
de la rédaction des Évangiles.
Notre passage s'achève sur
un geste d'amitié par lequel
Jésus congédie Judas qui s'enfonce au plus profond de
la nuit, pour revenir, toujours dans la nuit et par un autre geste
d'amitié, le baiser, envoyer Jésus à la
mort.
Tout dans ce récit a
été fait pour nous désorienter. Tout est mêlé dans cette nuit de la
mort qui tombe sur l'Évangile. les choses ne vont pas
dans le sens où elles doivent aller. Il y a comme une
atmosphère de confusion, d'angoisse et de tendresse qui se
mêlent alors que la nuit tombe et que le mystère
s'épaissit. Judas, pour qui Jésus a de la tendresse
concentre sur lui toutes les interrogations. Quel et le sens de tout
cela ? Il semble déjà que la mort qui
n'était invitée par personne, si non peut être
par Jésus, s'impose comme l'invitée obligatoire. Le
sort de Jésus et celui de Judas semblent scellés
par un geste d'amitié qui les mène l'un et l'autre
à la mort. Satan brouille les cartes, rend compliqué ce
qui est simple. Nous comprenons que nous avons dans ce passage
la dernière phase du drame de la passion où
Jésus affronte la mort qui se cache au milieu de ses amis,
telle la compagne inévitable de tous les hommes. Ce
récit serait désespérant et parfaitement absurde
si au petit matin 4 jours plus tard une femme ne
découvrait que la tombe était vide et que la mort
n'était plus.
__________________________________________________
( 1 ) Il y a dans le Nouveau Testament deux récits
de la mort de Judas. Celui des Évangiles où il est dit
qu'il se pend et celui du livre des Actes où sa mort est
décrite comme s'il s'était effondré dans le
champ, éventré et perdant ses entrailles. Cela
ressemble à une exécution telles que les sicaires
la pratiquaient en frappant d'un rapide coup de dague au niveau du
ventre. Voilà qui rend encore plus mystérieux le
personnage de Judas. Qui aurait pu lui en vouloir pour le tuer
ainsi ?
Voir aussi de Jean Besset
le naufrage de Paul
Marie
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