Spiritualité

Dieu encore et toujours
André
Gounelle
Ancien doyen de la Faculté de
théologie protestante de Montpellier
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André Gounelle
Parler de Dieu
Parler du Christ
•
Avec le langage accessible et compréhensif d'un pasteur s'adressant à ses paroissiens, le professeur qu'est André Gounelle évoque les différents problèmes que l'on rencontre lorsqu'on pense à Dieu. Il présente le pour et le contre de chaque option possible et prend parti clairement mais sans jamais rabaisser les opînions différentes de la sienne.
En 7 chapitres il couvre un large éventail des questions posées :
Trois paraboles, Dieu et idéal, monothéisme, trinité, Père éternel, providence, Dieu confession de foi.
En voici quelques passages.
Avant-propos
Encore et toujours
Pour moi, Dieu est avant tout une présence, cette présence m'accompagne, m'habite et m'anime ; elle me bouscule et m'apaise, elle m'apporte en même temps réconfort et exigence, Je la sens avec plus ou moins d'intensité selon les temps. À certains moments elle a une grande force, à d'autres elle semble s'éclipser presque jusqu'à s'évanouir, mais, en fin de compte, elle demeure, persistante et insistante, discrète et tenace. Comme toute expérience, cette présence sollicite la pensée ; elle demande à être cernée, analysée, scrutée, évaluée et comprise aussi rigoureusement que possible. Dieu est donc aussi pour moi objet de travail et de réflexion (fides quaerens intellectum, écrivait au XIe siècle Anselme de Cantorbéry dans le Proslogion), et cette réflexion vient nourrir, enrichir, parfois modifier l'expérience qui l'a suscitée.
2
Dieu et idéal
Critique de la critique
Quand nous parlons de Dieu, nous ne décrivons pas l’être de Dieu en lui-même, ce qui excède nos capacités de connaître et de comprendre. Nous disons la manière dont nous le vivons et dont il s'inscrit dans notre existence. « Le Dieu que l'homme connaît, écrit Wagner, c'est Dieu en nous ». Ce que nous désignons par le terme de « théologie » devrait en fait s'appeler « anthropothéologie » (ou « théoanthropologie » comme préfère le dire Barth pour faire droit au primat de Dieu). Nous avons besoin de l'anthropomorphisme pour exprimer l'ultime en tant que présent dans notre monde et dans notre vie. Il égare quand ne l'accompagne pas une vive conscience que Dieu est « au dessus de Dieu », selon une formule de Tillich. Il est au dessus de ce que en nous disons et concevons, tout en se rendant présent à travers nos paroles et nos pensées.
[...]
Personnaliser Dieu revient à le rétrécir et à lui enlever sa divinité pour le mettre au niveau d'un être fini. Emerson y voyait une « profanation » ; « je refuse la personnalité à Dieu, écrit-il, parce que c'est trop peu ».
[...]
La religion garde néanmoins sa raison d'être, parce que l'homme a besoin de signes, de gestes, de pratiques, d'institutions et de doctrines pour empêcher sa foi de se dissoudre ou de s'évaporer. Tout cet « attirail » ecclésiastique relève des moyens, non des fins. Si c'est une erreur de le sacraliser en lui attribuant une valeur magique ou surnaturelle, on se trompe tout autant en voulant l'abolir.
Idéalisme philosophique et foi religieuse
Si le christianisme libéral critique les catégories religieuses traditionnelles comme le fait la libre pensée, il s'en distingue en ce qu'il ne les détruit pas. Il cherche l'esprit à travers et au delà de la lettre, le vrai à travers et au-delà des symboles, le sacré à travers et au-delà des rites
4
Trinité
Du positif quand même
On ne doit ni imposer la doctrine trinitaire ni l'exclure (ce serait tomber dans une intolérance et un rigidité dogmatique à rebours de cultes d'une certaine orthodoxie, mais de même nature). Je ne plaide pas pour sa suppression, je souhaite seulement qu'on la considère comme une option facultative et qu'on admette la légitimité d'autres options.
Je respecte, même si je pense qu'ils ont tort, ceux qui voient dans la trinité une expression ou interprétation convenable du message du Nouveau Testament. Par contre, parler du « Dieu trinitaire » ou de « Dieu Père Fils et Esprit » me paraît un dérapage dangereux qui appelle une vive protestation et un vigoureux redressement. On franchit là, en effet, les limites de l'acceptable : on absolutise une doctrine ; on fait d'une expression de la foi un objet de foi ; on identifie une formulation ecclésiale et une définition théologique avec la réalité divine; on confond l'être de Dieu avec le discours qui essaie d'en rendre compte, ce qui fait de ce discours une idole.
5
Père éternel
Quelle éternité ?
« Un enfant nous est né ». Selon Hannah Arendt (1906-1975), cette petite phrase résume la « bonne nouvelle » qu'annonce la Bible. Curieusement, cette philosophe juive situe cette « petite phrase » dans les évangiles, alors qu'elle se trouve chez le prophète Esaïe (9,5), précisément dans le seul passage des Écritures qui qualité Dieu de « Père éternel ». La natalité est le « miracle qui sauve le monde », écrit Arendt ; ailleurs elle précise : « dans la naissance de chaque homme [...] quelque chose de nouveau apparaît dans le monde existant [...]. Dieu a créé l'homme dans le but d'introduire dans le monde la faculté de commencer ». De même, pour Henri Bergson (1859-1941), « le monde est une entreprise de Dieu pour créer des créateurs ».
L’appellation « Père éternel » ne renvoie pas à un passé originel, mais à un futur à attendre et à construire. Elle signifie que Dieu ait surgir du différent et de l'inédit dans le monde. Il est, écrit Trœltsch, « en permanence une puissance créatrice qui produit [...] de nouveaux contentements et de nouvelles réalités ». Son dynamisme créateur nous ouvre des perspectives inédites et nous tourne vers autre chose que ce que le passé nous lègue et le présent nous apporte. Ce dynamisme, toujours actif, ne se tarit jamais. Encore et toujours, Dieu fera advenir de l'être ou injectera de l’avenir dans l'existant.
6
Providence
Gouvernance du monde
Une entreprise en cours
Dieu n'est pas le tout-puissant qui gouverne le monde et qui détermine ou permet toutes choses. Il n'est pas non plus un impuissant qui a besoin que nous venions à son secours. Il est un compagnon et un partenaire (« emmanuel »), proche, solidaire, qui partage nos bonheurs et malheurs, qui œuvre en nous et avec nous. Dans les bonnes et les mauvaises étapes de notre existence personnelle et de l'histoire du monde, il donne la force et l'envie de continuer à avancer. Sa providence, plus « souterraine » que « souveraine », selon un mot de Raphaël Picon (1968-2016), n'est pas une puissance au dessus de nous qui régenterait les événements ; elle agit en nous, elle nous insuffle le courage de faire face et de réagir.
7
Dieu, confession de foi
Dieu sans conclusion
L'Évangile de Pâques va jusqu'à proclamer que même la mort (celle de Jésus comme la nôtre) ne constitue pas un point final ; il n'assigne pas à une « dernière demeure » comme on le dit des tombes. Cette proclamation dépasse la raison, l'intelligence et l'imagination ; au-delà de ce qu'on peut comprendre et décrire, elle anime la foi et lui donne toute sa portée.
[...]
Il ne cesse pas d’animer, d’entretenir, de renouveler, de réactiver l'ouverture. II ressuscite ce qui va s’éteindre, il appelle même ce notable établi et probablement âgé qu’est Nicodème (Jean 3), à une nouvelle naissance.
Dieu, une invention ?
L’incarnation façonne sa figure et son être. À travers l'histoire, par ses actions et ses engagements, aussi par les réponses des hommes, il devient le Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, le Dieu de Moise, d'Élie, de Jérémie, le Dieu de Jésus Christ et celui de bien d'autres, ce qui lui confère un visage et une personnalité qu'il n'avait pas auparavant. Le récit de la création nous dit qu'en suscitant l'univers, il se fait le Dieu du ciel et de la terre, des étoiles, des animaux et des végétaux tout autant que le nôtre. Il faut se méfier de l'anthropocentrisme qui estime que les humains sont les seuls partenaires ou les partenaires privilégiés de Dieu.
Dieu se situe au dessus de Dieu, au dessus de ce que nous en disons, percevons, comprenons ; pourtant dans tout cela il y a quelque chose de lui. Il est aussi au dessus de ses manifestations, de ses inventions de lui-même ; pourtant en elles il vient à nous et nous rencontre. D'où l'ambivalence de toute parole sur Dieu : dans ce qu'elle a de vrai, se glisse du faux, à cause de la entre ce qu'il est et ce qui le manifeste ; dans ce qu'elle a de faux, s'insère du vrai, parce que Dieu, s'il n'en est pas le produit, s'invente aussi dans nos langages. En théologie, il n'y a pas d'orthodoxie, de discours juste ; il n'y a pas non plus d'hérésie, de discours faux. Ou, plus exactement, les deux s'y mélangent, de même que dans le champ d'une parabole de Jésus l'ivraie et le bon grain se côtoient et s'entremêlent et que vouloir les dissocier relève d'une témérité coupable (Matthieu 13-30).
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