Connaissance de la Bible
Archéologie et
fondamentalisme
Gilles
Castelnau
1er avril
2003
Je reçois le numéro de
mars 2003 de la brochure « Expériences », rédigée par un pasteur d'une
Église évangélique qui n'est pas de la
Fédération protestante de France. Ce texte me
scandalise car il attaque bille en tête les archéologues
et historiens israéliens Israël Finkelstein, qui dirige
l'Institut d'archéologie de l'université de Tel-Aviv et
coresponsable des fouilles de Megiddo, et Neil Asher Silberman,
directeur historique au Ename Center for Public Archaeology de
Belgique qui ont écrit leur ouvrage La Bible
dévoilée (éd. Bayard).
Ce livre reprend les mêmes idées que le remarquable
livre publié l'année précédente par
Pierre Bordreuil et Françoise Briquel-Chatonet : le Temps de la Bible (Fayard) qui vient d'être
réédité en collection de proche chez Gallimard.
Pierre Bordreuil est théologien protestant et Françoise
Briquel-Chatonet responsable de catéchèse dans l'Eglise
catholique, tous deux historiens et directeurs de recherche au CNRS.
Ils travaillent à l'Institut d'études sémitiques
du Collège de France.
La brochure qui me
scandalise et contre laquelle je
voudrais mettre les lecteurs en garde est un bon exemple de la
passion idéologique qui aveugle devant l'évidence ceux
qui s'y laissent aller, au lieu d'entrer calmement dans un dialogue
fécond. Cette passion apparaît dès la couverture
de la brochure : « Est-ce vraiment la Bible qui est
"dévoilée" ? L'attaque spécieuse de
I. Finkelstein a révélé une
étonnante crédulité ».
Dire d'une personnalité éminente qu'elle est
« crédule » est évidemment impoli. Mais il est
inacceptable de dire que son oeuvre est « spécieuse », c'est-à-dire sans valeur, n'ayant qu'une
apparence de vérité.
Dans la Bible dévoilée, ces
savants s'efforçaient, et
c'est fort intéressant et légitime, de mettre en
lumière le contexte historique dans le quel les textes
bibliques ont été rédigés.
Comme les professeurs Bordreuil et Briquel-Chatonnet l'ont
présenté dans leur livre Le Temps de la Bible, Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman se
basent sur les fouilles actuellement en cours en
Palestine-Israël et les textes que l'on y trouve, ainsi que dans
les pays voisins, pour essayer de reconstituer autant que faire se
peut la situation historique, humaine, sociale, des peuples qui ont
vu naître la Bible.
C'est une démarche scientifique
rigoureuse, qui entend garder son
indépendance à l'égard de toute tradition et ne
veut se laisser influencer par aucune idéologie, aucune
religion. Il faut en effet reconnaître que, souvent, les
ouvrages et les articles que l'on peut lire ici ou là,
manifestent moins de respect à l'égard de la
vérité historique.
- Soit leurs auteurs recherchent un succès
commercial en jouant sur la surprise provoquée par une
thèse abracadabrante, comme l'identification prétendue
de Moïse avec un ancien Pharaon ou comme l'affirmation absurde
de secrets confondants pour la doctrine catholique découverts
dans les manuscrits de la mer Morte et expliquant le retard
constaté dans la traduction et l'édition de certains de
leurs fragments.
- Soit leurs auteurs partant de tel ou tel récit
biblique, cherchent à prouver qu'ils en ont retrouvé
les traces archéologiques. Ainsi une expédition
australienne, je crois, a prétendu avoir découvert
l'authentique arche de Noé portée par les eaux du
Déluge à plus de 5000 mètres d'altitude sur
le mont Ararat en Arménie !
.
Les quatre savants, auteurs des deux
livres que je mentionne, se trouvent
d'accord, par exemple, pour admettre qu'à l'époque
envisagée pour le règne du roi David (aux environs de
l'an 1000 av. J-C, les traces archéologiques
découvertes de la ville de Jérusalem,
révèlent indubitablement qu'elle n'était encore
qu'une petite ville. Ses dimensions réduites ne devaient
être capable d'abriter qu'une population relativement
limitée, peut-être d'environ 4000 habitants et par
conséquent une armée trop faible pour dominer tout
l'empire décrit par le Second Livre des Rois.
Vraisemblablement rédigé sous le règne du roi
Josias, à la fin du 7e siècle av. J-C, ce livre avait sans
doute l'intention de projeter sur le roi David la grandeur atteinte
par Josias. On pénètre ainsi en profondeur dans la
pensée de l'auteur sacré en comprenant mieux le regard
qu'il jetait sur l'histoire ancienne du peuple hébreu et le
sens qu'il donnait à son évolution et au
caractère de son roi-messie.
Je ne comprends pas comment cette
brochure, contre laquelle je mets
les auditeurs en garde, écrit : « ces personnes athées ont comme
postulat à toutes recherches "scientifiques" la
négation de l'existence du peuple juif telle que la Bible les
révèle... Ils n'hésitent pas à remettre
en cause l'existence de la Jérusalem biblique, l'importance
des rois que furent David et Salomon et de leur puissance à la
tête du peuple d'Israël. Bref, démolir la Bible...
leur but apparaît donc très clairement :
discréditer les Écritures saintes au yeux des lecteurs
non informés et ainsi les détourner du message biblique
et de la foi en Dieu... Le Christ a dit : "le ciel et la terre
passeront mais ma parole ne passera pas" ».
Je ne connais pas personnellement
les professeurs Israël
Finkelstein et Neil Asher Silberman mais nos auditeurs se
souviendront peut-être des professeurs Pierre Bordreuil et
Françoise Briquel-Chatonet : ce ne sont pas des
« personnes
athées », ils n'ont
naturellement pas « comme
postulat la négation de l'existence du peuple juif telle que
la Bible les révèle », et encore moins de « démolir la
Bible » ou « discréditer les Écritures
saintes » ou encore« détourner les
lecteurs du message biblique et de la foi en
Dieu » à
l'étude de laquelle ils ont voué leur vie. Qu'en
diraient les élèves du catéchisme de
Françoise Briquel-Chatonet ?
.
On a trouvé à Tel
Amarna, en Égypte, des
ostraca, textes écrits sur argile, présentant les
rapports de postes de l'armée égyptienne
stationnée en Palestine-Israël à l'époque
supposée de la Sortie d'Égypte avec Moïse. Ces
nombreux textes montrent de façon indubitable que des
populations esclaves en Égypte n'auraient à
l'évidence pas pu trouver refuge dans une Palestine qui
était, à l'époque, occupée par
l'armée égyptienne. Un peu de même que sous
l'empire soviétique, on n'aurait pas pu trouver refuge dans la
Pologne occupée par les troupes soviétiques.
On estime généralement que
l'épopée de l'Exode
hors d'Egypte avec Moïse a été mise par
écrit au 6e
siècle av. J-C. pendant l'Exil des Israélites
à Babylone ou juste après, en une époque
où on ne voyait pas de mal à romancer le passé,
dans le but de redonner foi et espérance à un peuple
découragé par l'épreuve.
La signification tonique d'un tel récit, le dynamisme
créateur de l'Esprit qui l'anime,
régénère aujourd'hui encore ses lecteurs et leur
redonne le courage de vivre dans la présence de Dieu. Ne
chante-t-on pas presque quotidiennement les negro spirituals qui
ressuscitaient la foi défaillante des esclaves noirs dans les
plantations de Louisiane et nous réchauffent le cœur à
nous pareillement ? Comment reprocherait-on à l'antique
rédacteur d'avoir ignoré les conditions politiques qui
régnaient dans le pays plus de sept siècles
auparavant ?
Comment peut-on reprocher à nos
archéologues de rechercher la
vérité historique sans se laisser aller à
l'interpréter au nom de préjugés d'une religion
devenue fondamentaliste ? Il est désastreux pour la
religion de l'utiliser pour influencer l'archéologie. Que ne
dirait-on pas si des penseurs musulmans, par exemple, cherchaient
à dicter aux historiens comment ils doivent écrire
l'histoire des peuples ? (ce qu'ils ne font d'ailleurs pas).
.
Les auteurs de cette brochure n'ont pas
raison de penser que
« l'entreprise de
démolition de l'autorité des saintes Écritures
s'est poursuivie par l'assaut du livre "la Bible
dévoilée" ».
L'autorité de la Bible est de toutes façons
indestructible car elle est basée sur le témoignage
intérieur du Saint Esprit qui nous montre à travers les
anciens récits, la présence aimante et créatrice
de notre Dieu.
Mais cette autorité de la Bible pourrait finalement être
mise à mal si, comme dans cette brochure, ce n'était
plus Dieu que l'on y trouvait, mais le banal récit d'antiques
batailles sanglantes qui nous laissent aujourd'hui franchement
indifférents !
Voir Israël Finkelstein et Neil
Asher Silberman
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