Sea of Faith - Nouvelle Zélande
Vivre des vérités nouvelles
Sir Lloyd Geering
pour les 70 ans de mon ordination au ministère pastoral
Living by changing truths?
traduction Gilles Castelnau
3 novembre 2016
« Par la foi Abraham partit, sans savoir où il allait » (Hébreux 11.8)
La première fois que j’ai prêché dans cette église était en janvier 1942, alors que j’étais encore étudiant en théologie. Je ne pensais pas, ce jour-là que j’y reviendrais 40 ans plus tard ! Tant de choses se sont passées depuis et tant de changements !
C’est justement de ces changements que je veux parler. Il y avait à l’époque deux fois plus de sièges qu’aujourd’hui dans cette église et elle était pleine matin et soir.
Mais je pense plutôt aux changements qui se sont produits dans notre manière de pensée et dans notre foi.
J’ai pénétré dans la vie de l’Église en 1937 alors que j’étais étudiant en seconde année. J’admettais alors sans problème tout ce qu’on y disait et un an après je suis devenu candidat au ministère. Mon frère aîné m’a dit que je faisais une grave erreur car « toutes les églises seront fermées dans 30 ans ! » C’était déjà ce que l’on pensait à l’époque.
70 ans plus tard, cette remarque paraît même plus réaliste qu’alors. Les églises était pourtant bien pleines et on ouvrait sans cesse de nouvelles paroisses. Les nombre des membres communiants augmentait continuellement. L’esprit œcuménique était excellent, le Conseil National des Églises de Nouvelle Zélande avait déjà été fondé en 1941.
L’enseignement que j’ai reçu à partir de 1940 était tout à fait libéral et ouvert. Nous étions convaincus que l’Église était en prise avec l’évolution du monde que nous vivions. Nos professeurs étaient au courant de la science biblique moderne et la pratiquaient. L’un d’entre eux tournait même en dérision dans son enseignement l’affirmation fondamentaliste que la Bible était littéralement la Parole de Dieu. Le professeur John Dickie, qui était libéral, nous faisait étudier un livre qu’il avait écrit et qui paraît aujourd'hui terriblement conservateur mais il était alors si novateur que certains auraient voulu le faire accuser d’hérésie !
Il était disciple des théologiens allemands du 18e siècle Friedrich Schleiermacher et Albrecht Ritschl. On les ignore aujourd'hui, mais à l’époque ils étaient au centre de nos pensées. Schleiermacher n’enseignait pas ce que l’on appelle la dogmatique, c’est-à-dire la doctrine divinement révélée par Dieu mais il parlait d’expérience religieuse. John Dickie avait lui-même bien de la peine à faire suivre à sa pensée théologique l’évolution si rapide de notre monde.
Il y avait aussi Helmut Rex, un professeur allemand qui fuyait le nazisme en Nouvelle Zélande. Il nous montrait l’évolution de la pensée chrétienne dans les siècles passés et jusqu’à aujourd'hui.
A cause d’eux, j’ai pris conscience qu’il n’y avait pas de vérité chrétienne permanente et ma propre spiritualité a pu être celle d’une progressions permanente.
La vérité n’est pas quelque chose d’absolu et d’immuable ; c’est une qualité, une valeur comme l’amour, la compassion ou l’honnêteté. Les valeurs ont toujours un aspect subjectif et ce qui compte pour l’un n’est peut-être rien pour un autre. C’est à cause de cette subjectivité que la vérité, dans le langage courant, évolue au cours du temps. Il ne peut y avoir de vérité définitive, qu’on la dise ou non divinement révélée.
Schleiermacher a raison, si le christianisme veut rester en vie, il doit accepter de changer afin de ne pas devenir un monument du passé.
La Bible n’est pas une collection de vérités éternelles ; elle ne parle pas d’une seule voix. Ses livres ont été écrits sur une période de 1000 ans, dans trois langues différentes et par un grand nombre d’auteurs. Elle témoigne d’un chemin de foi en évolution continuelle.
Le professeur de théologie canadien Wilfred Cantwell Smith disait : « Il faut distinguer les croyances et la foi. Les premières appartiennent au siècle dans lequel on vit. La seconde traverse les âges car elle est une attitude : la confiance. »
Le chemin de la foi commence dans la Bible avec Abraham, qui est honoré par les trois grandes traditions de foi, le judaïsme, le christianisme et l’islam. La Bible le donne comme un modèle pour sa foi et non et non pour ses croyances, pour avoir écouter l’appel qu’il avait reçu de marcher vers l’inconnu. Nous devons, nous aussi, abandonner notre monde familier afin de marcher vers l’avant alors que nous n’avons aucune certitude d’atteindre notre but.
Des siècles après que cette histoire a été écrite pour la première fois, l’auteur anonyme de l’Épitre aux Hébreux a dit qu’Abraham était un pionnier sur la route de la foi, où l’ont suivi une longue cohorte de héros et d’héroïnes hébreux dans des environnements très différents. Il ajoute que tous ces gens sont devenus une véritable nuée de témoins, montrant tous ce que signifie vivre par la foi, alors même qu’ils avaient des existences très différentes.
L’auteur énumère ensuite cette longue liste de témoins qui préludent à Jésus lui-même marchant sur le chemin de la foi.
Comment Jésus de Nazareth se situait-il ?
Faut-il le regarder comme un de ces témoin parmi les autres, peut-être l’homme de foi par excellence ?
Ou est-il une figure divine, étant lui-même objet de foi ? et la foi en lui est-elle nécessaire au salut comme on l’a longtemps affirmé ?
A cette question, la science biblique moderne répond que le Nouveau Testament ne donne finalement aucune réponse définitive, contrairement à ce que l’on a longtemps cru. Il nous transmet seulement les réponses des premiers chrétiens. Et c’est à nous désormais qu’il revient d’apporter les nôtres.
Non seulement il y a des opinions divergentes dans le Nouveau Testament mais c’est cette diversité même qui représente son message.
Pour illustrer ceci, voyons le contraste qui existe entre les écrits pauliniens et les écrits johanniques (que je vais nommer seulement Jean).
La notion traditionnelle selon laquelle Jésus était le Fils éternel de Dieu est largement une création de Paul. C’est elle qui a dominé l’ensemble de la chrétienté, notamment l’Occident après avoir influencé la rédaction des trois premiers Évangiles. Mais l’Évangile de jean est notablement différent et a eu plus d’importance en Orient qu’en Occident.
Paul croyait que Jésus était monté au ciel et qu’il en reviendrait bientôt.
Pour Jean qui écrivait 50 ans plus tard alors que Jésus n’était pas revenu, la question fondamentale était plutôt de découvrir la vérité concernant Jésus. Il est le seul des quatre évangélistes à questionner la vérité. Il met d’ailleurs ce mot dans la bouche de Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? »
Il ne s’agit pas d’une remarque cynique de la part de Pilate mais de la question fondamentale de tout le quatrième Évangile. Jésus y apporte d’ailleurs la réponse en disant à Pilate : « Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » (18.37)
A la différence de Paul, Jean n’attendait pas un Retour de Jésus qu’il considérait présent dans la vie de l’Église par son enseignement de l’amour. Le quatrième Évangile est écrit dans un style mystique un peu étrange, fonctionnant sur deux niveaux.
D’une part il rapporte la vie de Jésus de sa naissance à sa mort comme l’ont fait les trois premiers Évangiles. Mais plus profondément, au niveau symbolique, Jean présente Jésus comme s’il était lui-même la personnification de son enseignement. Il met ainsi dans la bouche de Jésus des paroles que les quatre évangélistes n’ont pas connues, comme :
Je suis le chemin, la vérité, la vie.
Je suis la porte
Je suis le pain de vie
Cette manière symbolique de s’exprimer se trouve dès le début de l’Évangile :
Au commencement était la Parole...
et la Parole était Dieu...
et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous.
Que signifie « la Parole » ? (voir Gilles Castelnau : la Hokma, la Rouah, le Logos) Je pense qu’elle est le message de vérité qui est créateur. Elle est le message qui nous donne vie et espérance. L’enseignement que donnait Jésus sur la manière de vivre.
Il enseignait de s’aimer les uns les autres – montrer de la compassion, faire deux milles avec celui qui en demande un, aimer même ses ennemis. C’est l’enseignement du Chemin de la vie, du Pain de vie, c’est la Porte qui ouvre à une vie nouvelle, au Royaume de Dieu.
L’Évangile de Jean sous l’apparence d’un récit de la vie de Jésus, expose en réalité l’enseignement de Jésus qui formatait déjà la vie de l’Église au temps de Jean.
Jean contraste avec Paul qui n’avais pas connu ni entendu personnellement Jésus : il veut revenir à son enseignement et précise ainsi : « ce que vous avez entendu dès le commencement, c'est que nous devons nous aimer les uns les autres » (I Jn 3.11)
Tout ceci et bien d’autres choses encore provient des progrès de la science biblique moderne et particulièrement des spécialistes du « Jesus Seminar ». Lorsqu’ils ont ôté au Jésus historique le vêtement surnaturel dont les successeurs de Paul l’avaient affublé, les biblistes du Jesus Seminar ont découvert ce qu’ils ont appelé les traces de pas et les échos de la voix d’un sage galiléen. Loin d’être une figure divine, Jésus apparaît comme un maître de sagesse dans la tradition des rabbins d’Israël.
Cette conception de Jésus convient mieux au monde d’aujourd'hui que l’image traditionnelle d’un Christ divin faisant irruption parmi nous depuis le monde céleste afin d’y amener les âmes qu’il aura sauvées.
La personnalité de l’Ancien Testament la plus proche de Jésus n’est pas Moïse, quoi qu’on en dise, car Jésus n’était pas un juriste et ne transmettait pas de lois.
Les prophètes non plus, bien qu’on ait dit de lui qu’il parlait parfois comme un prophète.
Le plus proche était sans doute l’Ecclésiaste dont le nom signifie « le prédicateur ». Si les biblistes du Jesus Seminar sont arrivés à cette conclusion c’est parce que Jésus ne parlait jamais de lui-même et rarement de Dieu. Il parlait, à la manière des sages anciens, du Royaume de Dieu, terme qui, pour lui signifiait une société harmonieuse.
Jésus ne révélait pas de vérités immuables. Il parlait comme un homme de son temps et il partageait la culture ambiante.
Nous le considérons comme le sage par excellence, mais il n’était pas le seul sage du monde. Le chemin de foi auquel il se rattachait n’est pas le seul chemin et nous nous devons de respecter ceux qui en découvrent d’autres.
La naissance de Jésus n’a pas été un événement cosmique qui aurait partagé l’histoire de l’humanité en deux périodes. Seul l’Occident chrétien nomme l’année où nous sommes 2013 après Jésus-Christ.
Il y a eu plusieurs changements dans les croyances chrétiennes depuis 70 ans où j’ai été ordonné pasteur, mais cela en signifie pas qu’il faut rejeter tout le passé. C’est lui qui donne sens au présent et permet d’espérer en l’avenir. Comme Abraham je marche sans savoir où le chemin me mène, où il mène l’Église et la race humaine. Mais, comme Abraham je continue à avancer sur le chemin inconnu de la foi.
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