Michel Leconte
Chaque jour, la télévision, la radio et les réseaux nous abreuvent d’informations dramatiques : catastrophes naturelles, guerres, violences, scandales politiques, effondrements économiques. Selon plusieurs observateurs, plus de 60 % du contenu des journaux audiovisuels relèvent du registre anxiogène. La conséquence est prévisible : un climat social saturé de peur et une humeur collective grise, parfois proche de la sidération.
Notre cerveau, on le sait, n’est pas un instrument neutre : il réagit plus fortement aux menaces qu’aux bonnes nouvelles. C’est le fameux biais de négativité, hérité de l’évolution : mieux vaut être alerté à tort que surpris par un danger réel. Mais transposé dans l’univers médiatique, ce réflexe se retourne contre nous. L’information devient un stimulus de stress permanent, activant le cortisol, perturbant le sommeil, entretenant l’irritabilité et la rumination.
Les travaux de Wendy Johnston et Graham Davey (Université du Sussex) ont déjà montré, dès 1997, que quatorze minutes d’informations négatives suffisent à augmenter la tristesse et l’anxiété de personnes pourtant en bonne santé psychique. Rien d’étonnant dès lors à ce que, dans nos sociétés hyperconnectées, se multiplient les symptômes de lassitude morale, de méfiance, voire de cynisme.
George Gerbner, pionnier des études sur les médias, parlait du mean world syndrome : plus on consomme de nouvelles alarmantes, plus on perçoit le monde comme dangereux. Les actualités ne décrivent plus la réalité : elles la déforment, amplifiant les menaces, occultant les forces de vie. La peur devient la norme
Il ne s’agit pas, bien sûr, de prôner l’ignorance ou la naïveté : le monde est violent, et le nier serait une autre forme d’aveuglement. Mais entre l’information nécessaire et l’exposition toxique, il y a un seuil qu’il nous revient d’apprendre à reconnaître.
Réhabiliter la distance, choisir ses sources, se ménager des temps de silence ou de contemplation, lire des médias de synthèse plutôt que de flux : autant de gestes d’hygiène mentale qui relèvent presque aujourd’hui de la santé publique.
Des courants émergent, comme le journalisme de solutions, qui propose une autre manière de raconter le réel : montrer aussi les réponses humaines, les initiatives, les solidarités. Il ne s’agit pas de repeindre le monde en rose, mais de rendre justice à sa complexité, où la peur n’a pas le monopole de la vérité.
Car si l’information éclaire, la surinformation aveugle. Et lorsque la peur devient notre seule boussole, ce n’est plus le monde que nous regardons, mais notre propre angoisse reflétée sur l’écran.
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