Paul Tillich et le mythe de la naissance virginale

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Dans le troisième volume de sa Théologie systématique et dans son livre « Théologie de la culture » (p. 81) et dans « La dimension oubliée » (p. 98), Paul Tillich consacre plusieurs pages à l’examen critique des symboles néotestamentaires relatifs à l’origine de Jésus, notamment ceux de la naissance virginale rapportés par Matthieu et Luc. Pour Tillich, il s’agit d’un mythe théologique au sens noble du terme, c’est-à-dire d’une expression symbolique visant à traduire la conviction que Jésus, dès l’origine de son existence, a été entièrement saisi et animé par l’Esprit divin. Le récit de la conception par l’Esprit Saint cherche donc à dire que la présence de Dieu en Jésus n’est pas acquise par mérite, mais donnée dès le commencement : « Le symbole de la naissance virginale veut exprimer que la puissance créatrice de l’Esprit divin est à l’origine de l’être du Christ » (Théologie systématique, t. III, Genève, Labor et Fides, 2006).

Cependant, Tillich estime que, compris littéralement, ce symbole présente un danger théologique majeur. En supprimant la paternité humaine, il nie implicitement la pleine humanité de Jésus. Un être sans père humain ne participe pas totalement à la condition humaine ; dès lors, sa nature humaine devient incomplète ou exceptionnelle. Tillich va jusqu’à écrire que le symbole de la naissance virginale est « théologiquement quasi hérétique », en ce qu’il introduit une forme larvée de docétisme ou de monophysisme, c’est-à-dire la tendance à faire de Jésus un être dont l’humanité est absorbée par la divinité. Par ailleurs, la conception d’un garçon nécessite le chromosome X de la mère et le chromosome Y du père. Or Dieu n’est pas un mâle, il est Esprit. Ce n’est donc pas lui qui a donné le chromosome Y à Jésus. Un être humain qui n’a pas de père n’est pas un homme. Ce sont Matthieu et Luc qui font du ventre de Marie un simple réceptacle. C’est une question purement scientifique, sauf à introduire du surnaturel magique dans l’affaire, ce que les fidèles ne se sont pas privés de croire pendant des siècles.

Ce symbolisme, poursuit Tillich, contredit l’intention du concile de Chalcédoine (451), qui avait précisément voulu sauvegarder la double vérité de la foi chrétienne : Jésus est pleinement homme et pleinement Dieu, les deux natures étant unies sans confusion ni séparation. En effaçant le père humain, le mythe de la naissance virginale fait pencher la christologie vers une conception non incarnée du Christ, proche de celle que Chalcédoine voulait éviter.

Tillich invite donc à réinterpréter ce symbole non comme une donnée biologique ou miraculeuse, mais comme un signe existentiel de la souveraine initiative de Dieu dans l’histoire humaine. Il s’agit de dire que le salut procède de Dieu seul, sans contribution humaine, mais sans que cela n’ôte rien à la réalité charnelle et historique de Jésus. Ainsi comprise, la naissance virginale retrouve sa valeur symbolique : elle exprime la grâce originelle et non la négation de l’humain.

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