On a fait de Jésus l’incarnation de la deuxième personne de la Trinité, descendue du ciel pour racheter, par son sang versé et son obéissance, les péchés de l’humanité. À mes yeux, cette théologie relève davantage du mythe que de l’histoire, davantage de la construction dogmatique que du témoignage évangélique. Pour ne pas dire : qu’elle est absolument fantasmagorique. Du Jésus terrestre né d’une femme, on affirme qu’il est le Fils unique du Dieu trinitaire descendu du ciel pour y remonter à l’ascension, mais cette fois revêtu de son humanité après avoir accompli son office. Désormais, nous pouvons espérer siéger auprès de Dieu dans l’au-delà.
Car l’homme Jésus ne s’est jamais présenté comme un Dieu. Il ne s’est jamais déclaré égal à Dieu, ni deuxième personne d’une Trinité inconnue du judaïsme. Il ne réclamait ni culte, ni prosternation, ni dogme à son sujet. Il se situait, au contraire, dans la lignée des prophètes du Premier Testament : homme libre, habité par le souffle de Dieu, parlant avec autorité — mais l’autorité d’un homme habité, non d’un être céleste.
Jésus n’a pas prêché sa personne, mais un Royaume. Le Royaume de Dieu : ce monde à venir où les pauvres sont relevés, les puissants renversés, les malades guéris, les pécheurs pardonnés. Son message était limpide, radical, et profondément humain. Il appelait à une fraternité sans exclusion, à une justice vivante, à une espérance qui ne dépend ni du Temple, ni des lois sacrificielles, ni d’un clergé intermédiaire. Un monde transfiguré par la compassion.
Or ce message s’est trouvé, après sa mort, happé par l’imaginaire religieux de l’Antiquité. L’annonce du Royaume a été recouverte par l’annonce du Christ. Le prophète est devenu le Fils unique, le serviteur est devenu le Seigneur, l’homme est devenu Dieu. Et cette élévation n’a pas seulement été spirituelle : elle fut dogmatique, hiérarchique, autoritaire. Elle a permis à une Église de se dire fondée par Dieu lui-même, au nom de ce Fils divinisé, d’assoir son pouvoir et d’imposer sa vérité comme unique.
Ce retournement post-pascal, que les historiens appellent « kérygmatisation », fut sans doute inévitable. Il exprimait une expérience spirituelle forte : celle d’un amour plus fort que la mort. Mais ce travail symbolique, lorsqu’il devient système théologique fermé, perd son pouvoir de libération. Il fige ce qui devrait rester vivant. Il transforme une foi en une croyance obligatoire, un appel à la justice en une obéissance à des dogmes.
Aujourd’hui, il est temps de revenir à Jésus. Non au Jésus céleste des conciles, mais à l’homme de Galilée. À celui qui parlait en paraboles, mangeait avec les pécheurs, et défiait les pouvoirs religieux au nom d’un Dieu sans violence ni vengeance. À celui qui annonçait que le Royaume est déjà là, quand deux ou trois se rassemblent pour vivre la fraternité. À celui qui n’a fondé ni Église, ni dogme, ni rituel sacrificiel, mais une vie à vivre, une liberté à exercer, une foi à inventer.
Ce retour n’est pas une régression. C’est une libération. Une sortie hors du mythe pour retrouver l’homme. Une sortie hors des théologies fantasmatiques pour retrouver le chemin. Le seul que Jésus ait vraiment voulu tracer : aime et fais vivre.
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