Jésus l’homme avec qui est Dieu

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La manière dont Jacques Pohier formule les choses révèlent une position théologique subtile et profondément démythologisée. Pohier n’adhère pas à la christologie classique telle que définie aux conciles de Nicée et Chalcédoine de la divinité de Jésus, mais il ne se situe pas non plus dans un simple « Jésus homme seulement ». Sa pensée se déploie en trois mouvements que l’on peut déduire de ses écrits :

1. Jésus est pleinement homme – et seulement homme du point de vue biologique et historique

Dans l’article intitulé Deum de Deo, Pohier insiste sur le fait que Jésus est « un homme », au sens le plus ordinaire et le plus fragile du terme : Jésus n’est « Pas LE homme, ni un surhomme, mais un homme. »

  • Il refuse les représentations mythologiques qui présentent Jésus comme un être hors du commun, quasi divin par sa puissance ou sa perfection morale.
  • Cette insistance vise à protéger l’humanité réelle et ordinaire de Jésus : Jésus n’est pas un héros, ni un être miraculeux, ni un Gandhi sublimé.
  • Il rejoint ici l’intuition de Bultmann ou de Tillich : la foi chrétienne n’est pas la croyance en un surhomme mais l’accueil d’un événement de révélation à travers une existence humaine vulnérable.

Conséquence : pour Pohier, dire que Jésus est « Dieu » n’a pas de sens si l’on comprend cela comme une nature divine venue s’incarner dans un corps humain. Il récuse le schéma métaphysique du concile de Chalcédoine (« vrai Dieu et vrai homme »).

2. Jésus comme « parole de Dieu » – ce que Dieu dit de lui-même

Dans Quand je dis Dieu, Pohier emploie souvent cette formule :

« Jésus est ce que Dieu dit de lui-même. »

C’est une définition fonctionnelle plutôt qu’ontologique.

  • Jésus ne « contient » pas Dieu comme si sa personne était une substance divine incarnée.
  • Mais dans la rencontre avec lui, dans sa parole, ses gestes, sa vie, Dieu se révèle.
  • Pohier reprend implicitement l’idée johannique du Logos, mais la traduit dans un langage symbolique : Jésus est la transparence humaine de Dieu, non pas Dieu « tombé du ciel ».

On pourrait dire :

Dieu advient dans l’histoire à travers Jésus, sans que Jésus cesse d’être un simple homme.

C’est pourquoi il forge l’expression « un homme-avec-qui-est-Dieu » (Quand je dis Dieu), ce qui envoie à son insistance sur le Dieu-avec-nous

  • Le tiret indique une relation, pas une identité substantielle.
  • Dieu est avec lui, totalement et définitivement, de sorte que sa vie est la parole la plus radicale que Dieu ait adressée à l’humanité.

3. La foi chrétienne comme lecture croyante, non comme donnée objective

Pohier est attentif à l’acte de foi qui interprète Jésus :

  • Dire « Jésus est Dieu » est une confession, une manière pour les croyants de dire : « En lui, nous avons reconnu le visage ultime de Dieu. »
  • Ce n’est pas une description objective d’une nature divine.
  • Sans cette précision, la christologie devient mythologique et totalitaire.

Ainsi, dans le passage de l’article, il explique la tentation du christianisme de mythifier Jésus en le rendant extraordinaire :

« Cela aurait été plus facile de croire qu’il était homme s’il avait été un homme extraordinaire. »

Mais la foi chrétienne va plus loin : elle ose dire que dans cet homme banal, fragile, vulnérable, Dieu se dit pleinement.

C’est ce paradoxe qui est « incroyable » et « inquiétant ».

4. Conclusion : divinité symbolique et relationnelle

En résumé, Jacques Pohier ne croit pas à la divinité de Jésus au sens métaphysique classique (une deuxième personne de la Trinité incarnée).

  • Il refuse le modèle dogmatique « deux natures, une personne ».
  • Pour lui, Jésus est pleinement homme, et c’est la foi qui le confesse comme la manifestation ultime de Dieu.

Sa formule « un homme-avec-qui-est-Dieu » peut se comprendre ainsi :

Jésus est un homme en qui la relation à Dieu est si totale, si transparente, que le croyant peut dire : « Ici, Dieu se dit authentiquement. »

Ce qui revient à reformuler l’Évangile de Jean (« Qui m’a vu a vu le Père » – Jn 14,9) dans un langage non mythologique.

 5. Proximité avec Paul Tillich et Christian Duquoc

  • Comme Paul Tillich, Pohier se situe dans une théologie du symbole et de la révélation : Dieu se manifeste dans Jésus sans se confondre avec lui.
  • Comme Christian Duquoc, il insiste sur le caractère scandaleux et non maîtrisable de Jésus : un homme ordinaire, porteur d’un message radical.

Formulation synthétique

Pour Jacques Pohier, Jésus n’est pas Dieu au sens où il aurait une nature divine.

Mais en lui, Dieu se dit pleinement et définitivement.

Jésus est le lieu, l’événement, la parole dans laquelle Dieu se manifeste.

Croire en Jésus comme Christ, c’est donc confesser que cet homme révèle qui est Dieu – non pas en vertu d’une essence miraculeuse, mais par la force de sa vie et de sa relation à Dieu.

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