psychologue, psychanalyste et théologien.
Auteur de « Jacques Pohier (1926‑2007), un homme et un théologien libre », Paris, Karthala, 2024.
Dans un monde désenchanté où les institutions religieuses perdent leur autorité symbolique, la question de la suivance du Christ retrouve une acuité singulière. Être disciple de Jésus, aujourd’hui, ne signifie plus appartenir à une Église, mais choisir un style d’existence inspiré par l’esprit de l’Évangile. Il ne s’agit pas de répéter les dogmes d’autrefois, mais de laisser la figure de Jésus ouvrir un chemin de subjectivation croyante — une manière humaine, libre et confiante, de répondre à la question du sens.
1. De la croyance à la confiance
Le disciple moderne ne peut plus adhérer naïvement à des vérités révélées sans médiation critique. Ce qui fonde la relation à Jésus n’est plus la croyance dogmatique, mais la confiance existentielle. L’appel « Suis-moi » ne désigne pas l’obéissance à une norme extérieure, mais l’engagement d’une liberté qui se risque. La foi, ainsi comprise, n’est pas soumission, mais acte de confiance dans la vie. Comme le rappelle Paul Tillich, « croire, c’est avoir le courage d’être malgré la menace du non-être ». Le disciple contemporain partage cette audace intérieure : il fait confiance à la présence aimante qui habite le monde plutôt qu’à une toute-puissance qui le surplombe.
2. L’humain comme lieu théologique
La révolution opérée par Jésus fut de déplacer le divin hors du temple pour le révéler dans le visage de l’autre. Être disciple aujourd’hui, c’est reconnaître en tout être humain un fragment du divin, une trace de l’infini dans le fini. Cette reconnaissance renverse la verticalité religieuse traditionnelle : Dieu ne se contemple pas dans le ciel, il se rencontre dans la chair du monde, dans la souffrance partagée, dans la compassion active. Le disciple devient alors témoin d’une transcendance immanente, d’une présence de Dieu qui passe par l’humain, et qui ne s’impose jamais autrement que comme appel à aimer.
3. La liberté contre la peur
Dans les évangiles, Jésus s’oppose sans cesse aux logiques de la peur : peur de la faute, peur du jugement, peur du sacré. Être son disciple aujourd’hui, c’est oser penser contre la peur, refuser les idolâtries religieuses qui réduisent Dieu à un pouvoir ou à une doctrine. La fidélité au Christ n’implique pas la fidélité aux formes institutionnelles du christianisme. Elle suppose au contraire une capacité critique : « Le sabbat est fait pour l’homme », c’est-à-dire que toute loi doit servir la vie et non l’inverse. Cette liberté spirituelle, fondée sur la conscience, constitue le cœur du christianisme adulte : celui qui pense et aime par lui-même.
4. Porter sa croix : consentir au réel
Le disciple n’est pas celui qui fuit la souffrance, mais celui qui accepte le réel dans sa limite et sa finitude. Porter sa croix, c’est affronter la condition humaine sans se réfugier dans l’illusion d’une toute-puissance ou d’une immortalité garantie. La croix, relue à la lumière de la psychanalyse, devient le symbole de la castration symbolique : accepter de ne pas tout maîtriser, de ne pas être Dieu, pour accéder à la parole, à la liberté et à l’amour. La résurrection, dès lors, ne relève plus d’un miracle sur la mort biologique, mais d’une renaissance intérieure qui fait advenir l’humain à lui-même.
5. La fraternité comme horizon
Jésus n’a pas voulu fonder une religion, mais une fraternité sans frontières. Le Royaume de Dieu, dans les évangiles, ne désigne pas un au-delà mais une qualité de relation : un monde où la justice et la compassion tissent le lien social. Être disciple, c’est travailler à cette fraternité universelle – dans le politique, le social, le spirituel — en faisant de chaque lieu un espace de réconciliation. La communauté des disciples ne se définit plus par la confession d’une foi commune, mais par la mise en œuvre d’un amour commun.
Conclusion
Être disciple de Jésus aujourd’hui, c’est passer : du dogme à l’expérience, du pouvoir religieux à la liberté spirituelle, de la croyance en Dieu à la présence de Dieu en l’humain. Ce déplacement marque la maturité de la foi : une foi dédogmatisée, incarnée, fraternelle. Le disciple du XXIᵉ siècle ne reproduit pas le passé ; il invente un christianisme du réel, habité par la confiance, la liberté et l’amour.
Références bibliographiques
Paul Tillich, « Le Courage d’être », Genève, Labor et Fides, 2014.
Jacques Pohier, « Quand je dis Dieu », Paris, Seuil, 1977.
Christian Duquoc, « Jésus, homme libre », Paris, Cerf, 1974.
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