« Dieu est en Christ » (2 Co 5, 19)

Par

« Ce n’est pas Jésus qui est Dieu, mais Dieu qui est en l’homme Jésus. »

André Gounelle (1933–2025)

En une seule phrase, André Gounelle, théologien protestant emblématique de la théologie libérale francophone, condense une position critique et novatrice vis-à-vis des dogmes classiques de l’Église. Cette formule, à la fois concise et dense, engage un profond renversement de perspective christologique : il ne s’agit plus de poser une identité substantielle entre Jésus et Dieu, mais de comprendre Jésus comme le lieu d’une présence divine. Une telle position appelle une réévaluation du dogme trinitaire et de l’incarnation, tels qu’ils furent formulés à Nicée (325) et à Chalcédoine (451).

1. De l’ontologie dogmatique à la manifestation existentielle

Les conciles anciens ont affirmé que Jésus est vrai Dieu et vrai homme, consubstantiel au Père et doté d’une double nature. Ces formulations répondaient à des controverses internes au christianisme naissant, dans le langage philosophique de l’époque, mais elles ont peu à peu durci l’intuition originelle en métaphysique dogmatique.

André Gounelle propose un retournement : ce n’est pas Jésus qui est Dieu, mais Dieu qui se donne à reconnaître dans l’homme Jésus. Cette distinction permet de sortir d’un schéma binaire entre divinité et humanité, au profit d’une relation dynamique, d’une théophanie incarnée.

Il ne s’agit plus de dire que Dieu s’est fait homme comme on enfilerait un costume, mais que Dieu s’est laissé percevoir dans la personne humaine de Jésus, dans sa parole, sa manière d’être, sa fidélité, son ouverture aux exclus.

2. Une présence de Dieu révélée dans l’humanité de Jésus

L’idée d’habitation renvoie à une présence intime, relationnelle, transformante. Jésus ne possède pas Dieu, il est habité par Dieu. Il ne détient pas une nature divine, il est le lieu d’une communion avec Dieu, d’un rapport filial radical, d’une confiance totale dans l’Esprit qui l’anime.

Ainsi, la parole johannique – « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9) – ne signifie pas une équivalence ontologique, mais une transparence spirituelle : dans le visage de Jésus, dans son regard, dans ses gestes de compassion, Dieu devient visible, audible, proche. Il est un signe vivant de Dieu, pas Dieu en personne. Comme pour Tillich dont André Gounelle est un disciple, dire que Dieu s’est fait homme est un non-sens puisque Dieu n’est pas un être au sens courant. Jésus est transparent au divin. L’incarnation est la manifestation parfaite de l’unité divino-humaine de l’être humain.

3. Une christologie de l’Esprit

Cette lecture s’inscrit dans une christologie pneumatologique, qui met en avant l’Esprit de Dieu plutôt que des définitions ontologiques. Gounelle rejoint ici une tradition de pensée présente chez Paul Tillich, Jacques Pohier ou encore Joseph Moingt.

Jésus est pleinement homme, mais entièrement tourné vers Dieu. L’Esprit habite en lui de manière décisive, non exclusive, mais unique : il incarne une humanité ouverte à Dieu, libre, aimante, créatrice.

4. Une foi libérée de l’adhésion dogmatique

Cette approche a des conséquences majeures pour la foi chrétienne :

  • La foi n’est plus une croyance en un dogme surnaturel, mais la reconnaissance existentielle de Dieu à l’œuvre dans la vie et la mort de Jésus.
  • Le salut ne réside pas dans une nature divine agissant magiquement, mais dans l’humanité vraie et habitée de Jésus, offerte comme chemin de vie.
  • La divinité n’est plus un attribut possédé, mais une relation vécue : Dieu est là où l’amour, la liberté, la vérité se donnent. C’est pourquoi Jésus est dit « Fils de Dieu » : non par nature, mais par excellence de relation.

5. Une redécouverte du Jésus historique

Cette christologie permet aussi une réconciliation avec les recherches historiques sur Jésus. Le Jésus de Gounelle n’est pas un demi-dieu venu d’ailleurs, mais un homme juif du Ier siècle, habité par une profonde expérience de Dieu, porteur d’une espérance messianique, et engagé jusqu’au bout dans l’annonce d’un Royaume qui libère.

Conclusion

André Gounelle, par cette formule audacieuse – « Ce n’est pas Jésus qui est Dieu, mais Dieu qui est en l’homme Jésus » – nous invite à relire la foi chrétienne à frais nouveaux. Il ne nie pas la présence de Dieu en Jésus ; il refuse simplement de la fossiliser dans une essence. Il propose de la penser comme une présence vivante, offerte, ouverte, qui fait de Jésus non pas le Dieu fait homme, mais l’homme par qui Dieu se donne à voir, à entendre, à aimer.

C’est une invitation à déplacer le centre de la foi : non plus croire que Jésus est Dieu, mais voir Dieu à l’œuvre dans la vie de Jésus – et, par là, dans toute vie habitée par l’Esprit.

Une réponse à “« Dieu est en Christ » (2 Co 5, 19)”

  1. t

    beau texte libérateur

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