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La cathédrale Notre-Dame de Paris

L'idéal de ses constructeurs





Gilles Castelnau


 


19 novembre 2024

L'intention des constructeurs

 

L'objet de cet article n'est pas de remplacer les divers guides de Paris mais de découvrir la pensée religieuse, sociale, politique de ceux qui, au XIIe siècle, ont construit la cathédrale Notre Dame de Paris. Pourquoi à cette époque ont-ils voulu un tel édifice de telle sorte ? En y entrant, en pénétrant l’esprit dont elle rayonne, on peut pénétrer le nouvel idéal « gothique » de ses constructeurs, de ceux qui l’ont voulue telle qu’elle est et revivre ainsi une période de notre histoire, passionnée et vivante. Une partie aussi de l'histoire de la foi dans notre ville.

 

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Notre-Dame gothique                                                         Sénanque romane



Notre-Dame est la plus ancienne église de Paris : seuls les chœurs de Saint-Martin des Champs et de Saint-Pierre de Montmartre, déjà un peu gothiques l’un et l'autre, ont été construits avant elle, ainsi que la tour romane de saint-Germain des Prés. Saint-Julien-le-Pauvre lui est contemporaine.

Pas d'église romane à Paris ! D'une part les XIIe et XIIIe siècles y ont été une période de si intense créativité que toutes les constructions précédentes ont été détruites pour lui laisser place, et qu'il n'en reste rien.

D'autre part le nouveau style gothique a régné à Paris très tôt alors qu'on construisait ailleurs encore en roman. N'en donnons qu'un seul exemple : alors que l'on édifiait Notre-Dame dans le gothique magnifique, on posait en Provence la première pierre dans le pur style roman tranquille et souriant, des trois belles abbayes du Thoronet, de Silvacane et de Sénanque.

Notre-Dame fut commencée en 1163 sous le règne de Louis VII. Le royaume de France était minuscule à cette époque : l'Ile-de­France, Orléans, un peu du Berry. On venait de perdre l'Aquitaine, passée aux Anglais lorsque Aliénor (d'Aquitaine) que Louis VII avait répudiée s'était remariée à Henri II Plantagenêt.

Le roi rentrait de la croisade de saint Bernard. Ce n'était d'ailleurs pas lui qui s'occupait de la construction de la nouvelle cathédrale : à l'époque ce n'était pas le rôle du souverain mais celui de l'évêque, Maurice de Sully, du chapitre, et des théologiens dont nous allons parler.


La ville de Paris, qui avait déjà un grand rayonnement en Europe, n'était encore qu'un gros bourg, implanté surtout dans l'île de la Cité. Sur la rive droite un début d'agglomération se formait derrière la place de Grève (l'actuelle place de l’Hôtel de Ville).

On prenait déjà les rues Saint-Martin, Saint-Denis et Saint-Antoine dont les noms sont restés les mêmes. Elles étaient alors de petites routes de campagne qui s'en allaient entre des champs de blé et de légumes. Sur la rive gauche les rues Saint-Jacques et Saint-Michel montaient à travers des vignes ; c'était déjà le quartier des étudiants (on disait « les écoliers ») qui débordaient l'ile de la Cité.

 

Sous le règne de Philippe Auguste le chœur de Notre-Dame est fini, les murs du transept sont debout. Le roi guerroie contre Richard Cœur de Lion à 60 km de Paris. On construit le Louvre contre les anglo­normands, puissante forteresse dont la tour ronde était marquée encore récemment sur le pavé de l'actuelle Cour Carrée. On va chasser les Anglais de Normandie et les Normands s'en désoleront.

Cette guerre n'empêche pas les rois Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion de partir ensemble à la Croisade contre Saladin. On y perdra 300 000 hommes, on ne reprendra pas Jérusalem mais on massacrera beaucoup d'« infidèles ».

En 1200 les voûtes de Notre-Dame sont terminées, la façade en 1210. Louis VIII, époux de la redoutable Blanche de Castille va régner de 1223 à 1226. Il sera guerrier, enlèvera aux Anglais tout l'ouest de la France, organisera la répression des Cathares et l'annexion du Languedoc.

François d'Assise écrit le beau Cantique du Soleil.

Louis IX, dit saint Louis, si admiré et prestigieux, va faire construire la Sainte-Chapelle pour y conserver la vraie couronne d'épines du Christ qu'il a rapportée de croisade (il y aura trois croisades sous son règne et il mourra lui-même devant Tunis !). Il a aussi guerroyé en Languedoc et y a organisé la persécution des Juifs et des Cathares. On y pensera en même temps qu’on regardera les magnifiques rosaces nord et sud (les vitraux de la rose nord sont de cette époque) et les tours construites dans cette atmosphère conquérante. Notre-Dame est dans un très petit pays, le symbole magnifique que se donne une capitale au dynamisme conquérant.

 

Son élévation verticale, les espaces qu'organisent sa structure complexe avec leurs effets d'ombre et de lumière, ses vitraux, et surtout la symétrie et l'équilibre de son architecture, révèlent l'âme de ce peuple de l'an 1200 : Notre-Dame représentait bien le monde tel qu'on le concevait : dans leur petitesse et leur pauvreté, ses constructeurs étaient habités d'une pensée gigantesque, celle d'un monde stable, ordonné, où régnait un Dieu tout-puissant.

Les constructeurs de Notre-Dame n'ont eu comme exemple que le chœur de Saint-Denis : Bourges ne sera entreprise qu'en 1195, Reims en 1215, Amiens en 1220. Ils ont commencé tôt et ont vu grand. Notre-Dame a 130 mètres de long et 35 mètres de haut. Les cathédrales suivantes seront parfois plus grandes : Amiens a 145 mètres de long et la cathédrale de York en Angleterre sera gigantesque avec 150 mètres ; mais pour cette fin du XIIe siècle, Notre­Dame est très grande.

 

Un élan des yeux vers l'autel et vers le ciel. A l'entrée dans la cathédrale, le regard est conduit directement en profondeur jusqu'à l'autel tout au fond entre les grandes rangées de piliers tout droits, tout simples. Cette impression de grandeur se retrouve à la verticale lorsqu'on se place près d'un pilier au début de l'un des bas­côtés.

Certes les gros chapiteaux arrêtent tout d'abord le regard qui commençait à s'élever le long des colonnes ; le style Renaissance donnera la même impression. Mais dans le gothique de Notre-Dame, si le regard est arrêté un instant par les chapiteaux et parcourt alors cet espace central où se trouve l'assemblée, l'espace humain en quelque sorte, il s'élève ensuite sans entrave à la verticale.

Les petits hommes que nous sommes se trouvent alors dominés par cet espace supérieur, divin, marqué par les hautes nervures partant des chapiteaux, traversant verticalement l'étage des tribunes dans le même mouvement ascendant, rejoignant plus haut encore les hautes fenêtres doubles qui participent à ce mouvement d'ascension, étroites et verticales comme elles sont. Leur mouvement est encore prolongé sur la voûte jusqu'au point final de la clé de voute.

 

Impression de complexité, de profondeur. Le regard n'est pas seulement attiré horizontalement vers le fond, vers l'autel, ni seulement verticalement mais s'enfonce aussi dans des espaces communiquant les uns avec les autres dans des alignements divers suggérant une complexité unifiée, harmonieuse. Un monde sans limite, presque infini, comme le monde de Dieu.

De chaque côté de l'espace central de la nef, les deux bas-côtés organisent deux espaces de circulation. La rangée des chapelles apporte encore une profondeur supplémentaire. A l'étage des tribunes aussi le regard plonge dans une demi-obscurité où la lumière des vitraux suggère une ouverture, un au-delà de plus. Le regard s'élève encore jusqu'à la haute rangée des doubles fenêtres supérieures et leur cercle de vitrail.

 

Symétrie, régularité des lignes. Chaque arcade du premier niveau conduit sans surprise à la hauteur des tribunes à une ouverture de même largeur, mais triple dont les deux fines colonnes conduisent tout naturellement à l'étage supérieur aux deux fenêtres plus étroites mais dont la largeur correspond précisément aux ouvertures de la tribune. Chacune de ces structures correspond à l'un des triangles de la voûte, en un rythme parfait, apaisant pour l'œil et satisfaisant pour l'esprit.

 

Obscurité et lumière. Les ouvertures de fenêtres supérieures ont été plusieurs fois remaniées, notamment lorsque l'installation des arcs boutants extérieurs a permis d'alléger le mur des tribunes : davantage de lumière chaque fois pouvait pénétrer dans la cathédrale. Les vitraux colorés l'égayaient mais aussi l'obscurcissaient. Il n'est pas sûr que les architectes aient fait entrer toute la lumière possible. Un peu de clair-obscur semble au contraire leur avoir permis des oppositions de lumière et d'obscurité accentuant encore l'impression de multiplicité des espaces.

 

Le Grand Architecte. L'architecture de Notre-Dame est celle d'un univers en ordre, équilibré, harmonieux et paisible, sans irrégularité ni dissymétrie, sans fantaisie ni surprise, indiscutable et parfait. L'abbé Suger écrivait à propos de sa cathédrale de Saint-Denis :

« Il me semble me trouver en quelque lieu étrange de l'univers qui n'appartient pas totalement à la bassesse de ce monde ni complètement à la sérénité du ciel, mais par la grâce de Dieu, il me semble être soulevé de façon mystique de ce bas mm1de jusqu'à une sphère plus élevée. »

En ce XIIIe siècle, c'est toute l'Europe qui se couvre de ce « gothique international » et qui, parlant la même langue latine de Naples à Durham, communie dans une même recherche du Grand Architecte de l'Univers. On redécouvre Aristote que les philosophes arabes ont traduit et enseignent : il proposait une vision unifiée du monde, modèle de toutes les grandes systématisations futures : on veut comprendre toutes choses, on lit la Bible et les Pères de l'Église, on étudie avec passion, la Sorbonne est fondée : le monde est magnifique, en ordre et d'une beauté infinie. Dieu est grand et l’Église est l'âme de cette société féodale. Et si chacun est pauvre et vulnérable, anxieux et combatif, la cathédrale est un beau symbole du grand ciel bleu emplissant le cœur de ses constructeurs et… de leur désir d'y voir chaque chose à sa place en un symbole sécurisant.

 

Symbole d'unité aussi : cette grande structure dont l'harmonie parfaite ne laisse place à aucune irrégularité évoque la politique puissante et centralisatrice du pape de l'époque, Innocent III (1198-1216). Autoritaire, il lance l'empereur et les rois dans une impitoyable chasse aux hérétiques : Cathares du Languedoc, Vaudois de Lyon et d'Italie font la terrible expérience des débuts de l'Inquisition. Les prisons se remplissent des « hérétiques » repentis et les bûchers s'allument pour les malheureux obstinés. Magnifique cathédrale pour une chrétienté redoutable !


On pourra être attentif, notamment, à la présentation, sur le porche de la façade ouest, de la jeune fille arrogante symbolisant l'Église toisant la malheureuse Synagogue !


 

Beauté. Nous avons peine à nous représenter aujourd'hui la magnificence de Notre-Dame à son époque. Dorures, vitraux colorés, vierges dorées, reliquaires, lampadaires, statues incrustées de pierreries : comme aujourd'hui dans les pays pauvres du tiers-monde, on aimait projeter sur l'église, maison du peuple, tout ce dont on était soi-même privé, symbole de la grandeur que l'on pressentait être au fond la nôtre et celle de maîtres à penser si prestigieux.

 

Critiques. Suger, le génial abbé constructeur de Saint-Denis voyait comme un reflet de la gloire divine dans la majesté de l’immense structure, dans la splendeur des objets sacrés et notamment dans les jeux de lumière transperçant l'obscurité.
Saint Bernard, 1'abbé de Clairvaux et artisan de la réforme cistercienne, critiquait au contraire le luxe de l'Église :

« L'Église resplendit dans ses murs, mais elle manque de tout dans ses pauvres. Elle orne d'or ses monuments de pierre et laisse ses fils aller nus. »

Ces deux abbés étaient morts lorsqu'on édifia Notre-Dame mais la controverse demeurait et alors que l'on élevait la prestigieuse façade on vit arriver à Paris les premières communautés de franciscains dans leurs simples robes brunes ainsi que les Frères Prêcheurs de saint Dominique, vêtus de blanc.

On savait bien aussi que les persécutions commençaient contre les disciples de Pierre Valdo, précurseur de François d'Assise (la mère de François en faisait, dit-on, partie), qui avait renoncé au monde à Lyon en 1175, et vivait avec sa communauté une pauvreté évangélique dont l'influence s'étendait aux quatre coins de l'Europe qu'il n'avait pas réussi à faire accepter par Rome. (Les protestants italiens se nomment encore de nos jours « vaudois » et non « protestants »). Grains de sable de la folie de Dieu dans les engrenages si bien huilés de la belle société féodale.

 

L'Église était riche et puissante : elle se chargeait de drainer les fonds de la charité publique pour les redistribuer aux pauvres, malades, chômeurs, vieux, orphelins, affamés etc. Dans un monde où la pauvreté était endémique, l'Église exerçait en fait la fonction de notre Sécurité sociale et de l’Assurance chômage.

C'est donc le fondement même de l'ordre féodal établi qui est menacé lorsque les ordres mendiants refusent de manier cet argent si nécessaire et rendent par là-même le petit peuple conscient de sa triste situation.

Pierre Valdo, François d'Assise, Dominique et les leurs déstabilisent la belle alliance des seigneurs et des prélats, du pape et des rois, constructeurs des cathédrales. En regardant la façade et les tours de Notre-Dame, il faut penser aux archers royaux protégeant la reprise des cours du couvent Saint-Jacques, les « écoliers » s’impliquaient si passionnément dans ces querelles qu'ils en venaient aux mains !

 

La Renaissance rejetant la belle structure symétrique des églises gothiques, leur élan vertical et l'organisation complexe des divers espaces passera à une architecture marquée par la fantaisie et l'originalité : l'organisation si parfaite du monde du XIIe siècle sera ressentie alors comme un carcan. Les humanistes ont méprisé le Moyen-Age, le nommant « temps barbares » et lui reprochant d'avoir enfermé l'homme dans une vision trop globalisante, trop totalitaire de l'univers, de façon trop autoritaire aussi, ne laissant pas place au pluralisme, à la liberté de pensée si chère à la Renaissance comme à nos pensées modernes.

 

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